À Caen (Calvados), la Section de recherche de la gendarmerie compte cinq militaires "N-Tech", des gendarmes spécialisés dans les nouvelles technologies. Ils surveillent la toile, retracent le parcours des suspects. Ils effectuent également de la prévention auprès des jeunes et des entreprises, les cibles préférées des délinquants du net.

Ils traquent les délinquants du web

Une menace de plus en plus présente

Dans l'éternelle course des gendarmes et des voleurs, les modes opératoires des seconds évoluent tellement rapidement que les premiers doivent sans cesse se mettre à jour. À l’ère du tout numérique, la délinquance tisse sa toile sur Internet, mais peut également y rester emmêlée. « Pas un seul dossier aujourd’hui ne comporte de volet numérique, souligne le Lieutenant-Colonel Rénald Boismoreau, commandant de la section de recherche de la gendarmerie de Caen. Nous sommes tous connectés et le développement des nouvelles technologies va amplifier le phénomène. »

Prédateurs sexuels, arnaqueurs professionnels ou recruteurs du « djihad 2.0 », la menace numérique est très diversifiée, pour la jeunesse ou pour les entreprises. Dans tous les cas, la technologie est à la fois le vecteur de la délinquance, mais également celui qui permet de faire avancer l'enquête. 

Dans une affaire de disparition inquiétante, par exemple, les cyber-gendarmes surveillent les réseaux sociaux pour vérifier si la personne recherchée y maintient une activité. A-t-elle posté des messages sur Facebook, ou twitté, ou encore contacté des amis via des messageries instantanées ? Comme dans la "vie réelle" (IRL : in real life, dans le jargon geek), les dernières traces numériques permettent parfois de remonter jusqu'à quelqu'un. Lorsqu'un crime est commis, les enquêteurs observent l'environnement numérique de la victime, afin d'y dénicher d'éventuels indices.

Un réseau bien organisé

Pour lutter contre la cyber-criminalité, la gendarmerie a mis en place un maillage territorial très efficace. Le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), situé à Pontoise (Val d'Oise) au sein du Service central de renseignement criminel (l'organisme qui regroupe les meilleurs experts de la gendarmerie, dans tous les domaines), constitue l’échelon national. 40 gendarmes y sont spécialisés dans les nouvelles technologies. Au niveau régional, la Section de recherche de Caen compte cinq enquêteurs N-tech, qui ont suivi une formation d’un an. Ce sont eux qui ont mis au point les formations pour les « correspondants N-tech » du Calvados, de la Manche et de l’Orne. La semaine dernière, 80 d’entre eux étaient réunis à Caen pour une journée de recyclage, après un stage de cinq jours qui a permis d’en former vingt nouveaux. « L’objectif est d’en avoir un dans chaque unité territoriale ».

L'information, élément primordial dans une enquête criminelle, circule dans les deux sens : les gendarmes du C3N font profiter de leur expertise ceux qui se trouvent à la base de la pyramide et en première ligne face aux victimes; ceux-ci font remonter leur retour d'expérience, afin d'alerter les experts sur l'émergence de nouveaux phénomènes. Après l'arnaque aux FOVI (faux ordre de virement), les entreprises - et notamment les PME - sont confrontées aux "ransom-ware", les "rançon-giciels" en français. 

"Il s'agit d'un logiciel qui implante un système de cryptage de vos données sur votre ordinateur ou votre smartphone, explique le Lieutenant-Colonel Boismoreau. Pour les récupérer, on vous propose une clé de décryptage...contre de l'argent !" 

Inutile de préciser qu'il ne faut surtout pas payer une telle rançon, mais s'adresser au correspondant N-tech de la gendarmerie la plus proche.

260%

C'est l'augmentation du nombre d'attaques par "rançon-giciel", en 2015.

À Caen, les N-tech au top

La Section de recherche de la gendarmerie de Caen est l'une des mieux pourvues de France en experts informatique. Ils sont cinq enquêteurs N-tech à exploiter les scellés saisis lors d’une interpellation ou au cours d’une perquisition : ordinateurs, smartphones, clés USB, GPS, montres connectées, caméscopes, appareils photos... « Tous ces objets possèdent une adresse IP, explique le Lieutenant Pilou. Nous en extrayons les données, puis les analysons dans l’intérêt de l’enquête. » Une fadette (facture détaillée) permet de savoir à qui un suspect a envoyé un SMS, les logiciels des enquêteurs d'en connaître la teneur. Un élément important au moment de l'interrogatoire.

L’effectif N-tech de la SR de Caen permet à chacun de se spécialiser au fur et à mesure dans un domaine particulier. Certains sont experts dans l’exploitation des smartphones, d’autres dans la veille des réseaux sociaux. Le Lieutenant Pilou est le spécialiste de l’analyse des photos. Lorsqu'un ordinateur contenant des milliers de photos arrive dans le bureau "nouvelles technologies" de la caserne Le Flem, c'est lui qui est chargé de les trier en fonction des besoins de l'enquête, de déterminer si certaines sont des montages. Très utile dans les affaires de pédo-pornographie par exemple. Mais pas seulement. Il arrive fréquemment que l'exploitation des données informatiques permette de résoudre une affaire. « Une femme avait été découverte morte, bâillonnée, et avec les mains liées. Cela pouvait passer pour un meurtre maquillé en suicide, mais la porte était fermée de l'intérieur...En examinant l'historique de son ordinateur, situé dans la même pièce, on s'est aperçu qu'elle avait passé les trois derniers jours à chercher sur Internet des techniques pour se nouer elle-même les poignets ! »

Dans leur bureau de la caserne Le Flem, les enquêteurs N-tech caennais bénéficient du matériel dernier cri, d'ordinateurs très puissants et de logiciels très perfectionnés.

De la prévention auprès des jeunes

Dans chaque brigade, le correspondant N-tech est chargé, outre ses missions de renseignement et d'enquête, de faire de la prévention auprès des jeunes de leur secteur. Le « permis Internet » est délivré aux élèves de CM2, après une intervention du gendarme spécialisé. Jeudi 6 octobre, les 80 « C-N-Tech » de la région étaient réunis à Caen pour une formation concernant le module qui s’adresse aux classes de 4e. « C’est l’âge où les ados sont en quête de sens, rejettent parfois la société et peuvent être sensibles à la désinformation, aux thèses complotistes », note le Lieutenant Amel Ayoubi. En relation avec les chefs d’établissements et les équipes pédagogiques, les « C-N-Tech » viendront prévenir les adolescents des dangers d’Internet.

Ces interventions visent à alerter les jeunes sur les pratiques à éviter sur la toile (ne jamais donner son adresse), à leur livrer les conseils de sécurité élémentaires (multiplier les mots de passe), mais également à les avertir qu'Internet n'est pas une zone de non-droit. Ils peuvent rapidement devenir auteurs de délits. Les cas de cyber-harcèlement sont en effet de plus en plus fréquents. « Le cyber-baiting, le fait de pousser un professeur à bout, et de le filmer en direct sur des applications comme Periscope, se développe également », précise le Lieutenant Pouchard, l'un des cinq N-Tech de la SR de Caen.