Des enquêtes au scalpel

Allié précieux des enquêteurs en charge d'élucider les morts suspectes, le médecin-légiste ne côtoie que la mort à longueur de journée. Le Dr Frédérique Papin-Lefebvre, à l’Institut médico-légal de Caen, en a tiré une philosophie de la vie.


La douceur de son regard ne laisse pas imaginer qu'elle passe le plus clair de son temps à dissèquer des cadavres. Le Dr Frédérique Papin-Lefebvre, qui dirige l’Institut médico-légal (IML) du CHU de Caen, est bien loin des clichés du médecin-légiste des séries américaines. « Je ne porte pas de talons aiguilles et n’ai pas les ongles peinturlurés, rigole-t-elle. Ça n’est pas possible ! » En se lançant dans des études de médecine, à la fin des années 1980 à Angers, elle n’était pourtant pas guidée par l’idée de fouiller dans les entrailles des défunts. Bien qu’intéressée par l’anatomie, c’est une rencontre avec un professeur de médecine légale qui la fera choisir cette voie, aiguillée en outre par un goût du juridique déjà prononcé. « L’esprit d’investigation lié à une procédure me plaisait. Ça va encore plus loin que le raisonnement scientifique. » 

« Apporter un regard médical » 

À partir d’un diagnostic médical, le Dr Papin-Lefebvre doit tenter d’expliquer comment la mort est survenue. En observant les blessures, lésions ou traumatismes subis par la victime, elle échafaude des hypothèses, et les élimine une à une, jusqu’à proposer un scénario aux enquêteurs. « Notre rôle est d’apporter un regard médical à l’enquête, explique-t-elle. On ne doit pas toujours se fier aux premiers éléments car nos observations peuvent réorienter une enquête. » La tâche principale confiée par la justice au médecin-légiste est de déterminer si le décès est consécutif à l’intervention d’une tierce personne. En d’autres termes : s’agit-il d’un crime ? « Ça peut être parfois frustrant, en tant que médecin, souffle Frédérique Papin-Lefebvre. Dès lors qu’on élimine l’hypothèse criminelle, on stoppe nos investigations. Parfois, on ne sait pas de quoi est morte la personne. Pour les familles, ce n’est pas simple. » D’autant que le temps de l’enquête, qui réclame de la rapidité, n’est pas toujours compatible avec celui des analyses médicales, qui demandent de prendre du recul. Pas toujours évident d’apporter des réponses aux questions des autorités judiciaires pendant les 48 heures autorisées de garde à vue. 

Avant la table d’autopsie, située au sous-sol du CHU, le Dr Papin-Lefebvre fait une première fois connaissance avec son futur sujet sur les lieux mêmes de la découverte du cadavre. Ce qu’on appelle la levée du corps. « Il est important de s’imprégner de l’environnement, précise la médecin-légiste. On regarde si certains éléments présents sur les lieux peuvent correspondre avec l’aspect des lésions, on vérifie si le corps a été transporté ou non… » Dès ce moment, le médecin tente de déterminer, de manière aussi précise que possible, l’heure de la mort. La technologie est désormais est allié précieux…

Une application smartphone spécifique permet, en rentrant le maximum de données (températures du corps et ambiante, poids, humidité de l’air, tenue vestimentaire…), d’avoir une première estimation quant à cette information primordiale pour l’enquête. « On obtient une fourchette de deux à trois heures, précise Frédérique Papin-Lefebvre. Ce n’est pas à la minute près, comme dans les feuilletons américains… » 

À 4 heures du matin, sur les petites routes de la Manche

La levée du corps, aspect méconnu du métier de médecin-légiste, offre parfois des moments de stress. Il arrive que le téléphone sonne en pleine nuit et il faut alors prendre la route pour se rendre sur les lieux d’un possible meurtre. « Je me souviens d’une fois, dans la campagne de la Manche, sourit le Dr Papin-Lefebvre. À quatre heures du matin, seule sur les petites routes, mon GPS ne captait plus. Je me suis perdue, j’étais un peu angoissée. » Monter à pied les dix étages d’une tour de cité à l’ascenseur récalcitrant n’a pas grand chose de réjouissant non plus. Les scènes auxquelles elle est alors confrontée peuvent faire monter les émotions. « On peut réagir de manière affective. En salle d’autopsie, avec notre matériel et notre tenue, c’est différent. On intellectualise l’acte, il y a une distance. Contrairement à un médecin traditionnel, nous ne sommes pas des soignants, donc on ne ressent pas la souffrance du patient. » Il est trop tard. 


Mais la véritable adrénaline, c’est devant la Cour d’Assises que Frédérique Papin-Lefebvre la ressent. Le médecin-légiste est obligatoirement amené à témoigner au cours des procès des affaires dont il a effectué l’autopsie. « C’est la première fois qu’on se trouve face à l’auteur présumé des faits, note-t-elle. Il faut verbaliser les actes que l’autopsie a révélés. On se demande parfois comment un être humain peut commettre de telles barbaries, comme dans certains cas de violences sexuelles. Et on est parfois malmené par les avocats de la défense. »

« Envie de choses légères »

Pour résister à cette proximité constante avec la mort, il est important de pouvoir s'appuyer un socle solide. S’il est parfois seul, comme lors de la levée du corps, le médecin-légiste n’est pas un professionnel isolé. « On fait un travail d’équipe, insiste Frédérique Papin-Lefebvre. Je peux compter sur des collègues compétents. » Ne serait-ce que pour manipuler le corps inerte, très lourd, l’assistance des « agents d’amphithéâtre », comme on appelle les techniciens d’autopsie, est primordiale. « Ce sont eux qui mettent le matériel en place, puis désinfectent et nettoient les locaux. » 


Leur expérience est souvent précieuse. Il y a quelques années, c’est l’un d’eux qui avait compris, en observant ses lésions, qu’un homme avait été étranglé avec des câbles de chaîne hi-fi. 

L’équipe de l’IML de Caen se répartit les autopsies, autant que faire se peut. « Les jeunes parents ne pratiquent pas les autopsies d’enfants, explique cette mère de famille. C’est irrationnel, mais ça fait forcément écho en nous. » Impossible d’être totalement blindé. Les soupapes s’avèrent donc nécessaire. La dérision permet d’évacuer des situations insupportables. Et la vie personnelle d’avaler de grandes goulées d’air frais, pour oublier un moment l’odeur entêtante de la mort. « Quand je rentre chez moi, j’ai envie de choses légères, ne cache pas Frédérique Papin-Lefebvre. J’aime cuisiner, jardiner, voyager, faire du bateau en famille ou entre amis. On profite des bons moments et on apprécie d’être en bonne santé. On a besoin de voir autre chose pour reprendre de la vie.» Inutile de préciser que la médecin caennaise ne lit plus de polars, et ne regarde jamais de séries policières.

"On a besoin de voir autre chose pour reprendre de la vie." 
Dr Papin-Lefebvre