Classes inversées

Des profs repensent leurs méthodes

Enquête réalisée par Laura Buratti

Et si les cours étaient préparés à la maison 
et les devoirs réalisés en classe ? 
C'est le pari qu’a fait une enseignante d’un lycée bressuirais. Et ça marche !

Scène banale dans un lycée ordinaire, un matin de janvier 2017. Trente-cinq élèves de seconde du lycée Maurice-Genevoix de Bressuire entrent en classe de physique-chimie, s’installent à leur table, sortent leurs affaires en bavardant. Sauf qu’en s’approchant un peu, les discussions qui animent les adolescents ont de quoi surprendre : pas de récit du week-end ou du dernier potin mais des « on commence par quel exercice ? » ou encore des « j’ai enfin compris les conversions, tu veux que je t’explique ? ». Tout compte fait, d’autres détails sautent aux yeux : les élèves sont installés par îlots de 4 et n’hésitent pas à sortir leurs portables ou tablettes pour vérifier une information. 

" Les élèves n’ont pas besoin de nous
pour copier un cours "

La classe de Florence Raffin n’est pas tout à fait ordinaire, elle est même inversée. Partant du constat que les inégalités scolaires se nouent en partie au moment des devoirs à la maison, selon si l’élève reçoit ou non un coup de main, la classe inversée propose aux élèves de découvrir le cours chez eux. Le temps en classe est mis à profit pour travailler les exercices, par équipe et avec un professeur dont le temps est mieux utilisé à guider, rectifier et expliquer qu’à déverser un cours théorique. « Le but est de dégager du temps en classe, explique Florence Raffin. Les élèves n’ont pas besoin de nous pour copier un cours. »

Chaque chapitre du programme commence par un module vidéo de 5 minutes environ, concocté par la professeure, à regarder chez soi. Les élèves doivent ensuite remplir un petit questionnaire en ligne pour vérifier qu’ils ont compris. « Cela me permet d’avoir un retour direct. Ensuite, en classe, je peux prendre à part le petit groupe qui n’a pas compris ou revoir un point avec toute la classe. » Les élèves reçoivent ensuite une fiche de suivi, qui détaille le but du chapitre (ce qu’il faut acquérir et le projet à mener à bien), des exercices à faire et des défis d’équipe. Sujet de ce début d’année : envoyer une lettre à Steven Spielberg pour lui expliquer les erreurs scientifiques commises dans son film E.T. In english, please

" Je ne sais pas, regarde sur Wikipédia "

« Peut-être que Spielberg parle français ? », tente un lycéen. « Je ne sais pas, regarde sur Wikipédia », lui suggère Florence Raffin. Et le jeune garçon de sortir son portable pour vérifier. Il ne se fera pas confisquer son appareil, l’utilisation des outils numériques fait partie intégrante de la méthode. Ce n’est pas pour autant qu’ils restent scotchés sur leurs écrans : une fois l’information trouvée, chacun revient naturellement au papier et au crayon.

Florence Raffin encourage l'utilisation pédagogique du smartphone dans sa classe de physique-chimie au lycée Maurice-Genevoix de Bressuire.

« Qui veut tenter un défi ? » Quand une équipe se sent prête, elle peut demander à passer le défi. Les membres de l'équipe sont séparés, avec un petit exercice à résoudre. Chaque élève doit réussir pour que l'équipe obtienne les points, ce qui oblige chacun à s’investir. Peut-on pour autant parler de « solution miracle » pour lutter contre le décrochage scolaire ? « Il est difficile de dire si le niveau global a augmenté, relativise Florence Raffin, mais l’implication et le bien-être des élèves, aucun doute ! » Les principaux intéressés paraissent conquis.

Obligés de travailler en classe

« On apprend à gérer notre temps, explique Rudy. Si on ne bosse pas pendant une séance, on sait qu’on n’aura jamais le temps de finir. » Hugo se souvient : « On était un peu perdus au début. Ce qui surprend le plus, c'est qu’on est obligés de travailler en classe… »

Les autres professeurs du lycée ont rapidement été intrigués par le concept. « J’ai commencé seule il y a 3 ans et l’année d’après, mes 7 autres collègues de physique-chimie m’ont suivi », se réjouit Florence Raffin. Reste que la charge de travail est conséquente : tourner des vidéos, scénariser les chapitres, corriger et analyser les quiz… Florence Raffin y passe au moins 15 h par semaine, week-end et vacances compris, en plus de ses 15 h de cours hebdomadaires.

Peur que le bruit en classe ne passe
pour un manque d'autorité

Pourtant, il y a quelques années, sa manière d’enseigner était plutôt
« traditionnelle ». « C’est un inspecteur qui m’a parlé de cette méthode. Je me disais :
" ce n’est pas possible, les élèves ont besoin du prof à côté… " J’ai fait des tests, j’avais peur de la réaction des parents ou que le bruit en classe passe pour un manque d’autorité. Au début, je n’en ai parlé à personne »
, se souvient-elle, avant de poursuivre : « Mais finalement je me suis rendue compte que les élèves s’adaptent à tout. »

" Ce qui est nouveau, c'est la vitesse à laquelle ça se diffuse. "

Tablette et cahier se complètent.

« Le travail en groupe, la pédagogie active sont des choses qui sont connues depuis très longtemps, explique Sophie, bénévole de l'association Inversons la classe. Ce qui est nouveau, c'est la vitesse à laquelle ça se diffuse. »

La méthode a été inventée aux États-Unis, en 2010, par deux professeurs de physique-chimie, Aaron San et John Bergman. Ils tournaient de petites vidéos pour que les élèves absents à cause des compétitions sportives puissent rattraper leur retard. Ils se sont finalement rendus compte que tous leurs élèves les regardaient.

Depuis, en France les initiatives qui s’en inspirent se multiplient. L’association Inversons la classe a vu son nombre d’adhérents multiplié par 4 entre 2015 et 2016, sans qu’il soit possible de chiffrer précisément combien d’enseignants fonctionnent en classe inversée. « C’est une initiative venue des enseignants, qui souvent se plaignent d’être solitaires, ajoute-t-elle. La différence avec la classe inversée, c’est que c’est porté par un collectif, qui permet le partage et l’échange. »

Du 30 janvier au 4 février 2017 se tient la semaine de la classe inversée, la Clise 2017, pour permettre aux professionnels et particuliers de découvrir cette méthode pédagogique. Des conférences, rencontres et portes ouvertes sont organisées un peu partout dans les Deux-Sèvres.

S'inspirer de la méthode,
sans forcément se convertir

Simon Tournerie, professeur de Sciences de la vie et de la Terre au lycée de la Venise verte à Niort.

Professeur de SVT à Niort, Simon Tournerie pioche des idées dans la classe inversée pour compléter ses propres méthodes. 

Simon Tournerie parle vite et parle beaucoup. Jargons éducatifs et numériques se mêlent naturellement pour ce professeur de Sciences de la vie et de la Terre au lycée Venise verte de Niort, 33 ans, également passionné de pédagogie, d'anglais et d’informatique. « J’ai toujours voulu être prof, raconte-t-il. Je lis beaucoup et je me suis toujours efforcé de m’enrichir auprès des collègues. » Quitte à rencontrer un professeur d’EPS, des instituteurs de primaire et même de maternelle, pour comprendre comment ils gèrent les interactions sociales entre les élèves. 

Il en a tiré des méthodes qui permettent de constituer des groupes de travail par affinités et par niveau. « Grâce à un questionnaire, j’identifie les leaders positifs, les leaders négatifs, les isolés, les élèves ressources, etc. pour composer des groupes harmonieux, qui font augmenter le niveau de toute la classe », explique-t-il. 

" Pas une fin en soi " 

Il a découvert les classes inversées il y a 3 ans, au hasard de ses nombreuses lectures, puis d’un MOOC, un module de cours en ligne. « Ce n’était pas une révolution pour moi, je travaillais déjà en groupes, par projets, les SVT s’y prêtent. Les classes inversées m’ont permis de formaliser mes méthodes et d’échanger avec une communauté. » Le professeur était déjà « sensibilisé à la différenciation pédagogique. Les classes inversées sont un nouvel outil pédagogique, pas une fin en soi. J’ai essayé beaucoup de choses, j’ai toujours aimé proposer des contenus et des supports variés. » 

Malgré son enthousiasme, il perçoit aussi certaines limites à la méthode : « Le problème de commencer chaque chapitre par un module vidéo, c’est qu’on apporte une information à l’élève sans questionner ses conceptions initiales. » En clair, plutôt que de partir des idées préconçues des élèves pour les démonter et reconstruire, l’information est donnée telle quelle. Du coup, difficile de savoir si elle se superpose aux acquis ou les remplace. Interroger ses idées, les confronter à l’expérience, formuler des hypothèses… C’est là toute la démarche scientifique !

MILIEU RURAL,
FRACTURE NUMÉRIQUE

David Claude, professeur d'éducation musicale au collège Voltaire à Airvault, a commencé à fonctionner en classe inversée il y a deux ans, en tournant de petites vidéos pour ses élèves.

« Je me suis rapidement rendu compte qu'en milieu rural, tous les élèves ne sont pas équipés de la même façon », remarque-t-il. Le collège a mis en place le projet AVAN (Apportez vos appareils numériques), pour permettre aux élèves d'apporter tablettes et smartphones en classe, pour un usage pédagogique.

Le but est de diminuer les inégalités en permettant un large accès aux outils numériques au sein de l'établissement. « J’ai créé un site internet, que les élèves peuvent consulter en étude. Mais petit à petit, je supprime tout travail à la maison. L’équité est une chose importante pour moi. En classe, au moins, tous les élèves ont les mêmes outils. »

Le numérique permet la création musicale sans avoir besoin de maîtriser un instrument.

20.000

C'est le nombre d'enseignants adeptes de la classe inversée en France d’après les estimations de l’association Inversons la classe. Plus d’un million d’élèves seraient concernés, du primaire au supérieur. 

Ce chiffre reste approximatif, aucun fichier ne les recense.
Liberté pédagogique oblige !

L'administration suit le mouvement

Pour amorcer de petites révolutions, le soutien de la hiérarchie est incontournable. « Nous sommes totalement derrière nos professeurs, affirme Marie-Véronique Chaudun, proviseure-adjointe au lycée Maurice-Genevoix de Bressuire. Cela a des conséquences sur l'aménagement des salles, nous nous sommes arrangés pour qu’elles puissent rester en place d’un cours sur l’autre. » 

" Il faut prendre le temps d'expliquer "

Au collège Voltaire d’Airvault, les outils numériques étaient déjà présents, « il faut les faire vivre », encourage Béatrice Nicolas, la principale. Mais les procédures administratives et les directives nationales ralentissent parfois les processus. « Je préfère les tablettes de la marque Apple, parce qu’il n’y a pas de latence quand on appuie sur une touche, c’est important en musique, illustre David Claude, professeur d’éducation musicale à Airvault. Mais le rectorat préfère d’autres marques, parce que c’est moins cher… Il faut prendre le temps d’expliquer. » 

« Toutes les expérimentations au service des apprentissages sont encouragées », défend Bruno De Martel, inspecteur pédagogique de l’académie de Poitiers. Selon lui, il n’y a pas de mauvaise initiative : « Je me demande si le simple fait qu’ils expérimentent ne suffit pas à ce qu’il se passe quelque chose. » 

Car quand les professeurs s’interrogent sur leurs propres pratiques pédagogiques, la classe commence déjà à changer.

Dossier réalisé par Laura Buratti