Crédit Agricole,
un déménagement qui dérange

Le récit depuis 2012 jusqu'à aujourd'hui

► Episode 1 : 4 juillet 2012


Les salariés se rassemblent après l'annonce 

d’une possible fermeture du siège niortais.

L’intersyndicale fourbit ses armes pour la rentrée.

" J'ai tout donné pendant trente ans à cette entreprise. Je ne croyais pas qu'on en arriverait là. On fait vivre des régions, des familles, tout un environnement, il faut en avoir conscience ! "

Cri du cœur d'un salarié, ce 3 juillet 2012, boulevard Tardy, au siège niortais du Crédit Agricole. Ce siège qui pourrait bel et bien disparaître si se concrétise le projet mis à l'étude par la direction : rayer de la carte Niort et Saintes pour regrouper les services du siège dans un immeuble flambant neuf à La Rochelle. Entre 150 et 200 salariés se sont rassemblés à l'appel de quatre organisations syndicales (CGT, CFDT, Sud, FO) qui prévoient de frapper un grand coup en septembre. Ils étaient 200 le matin à Saintes.

A Saintes, le site emploie 270 personnes, le Crédit Agricole est le quatrième employeur de la ville. Pour le bassin d'emploi niortais, la fermeture se traduirait par le départ de 230 foyers.

Ce jour de manifestation, la banque n'a pas pris sa décision. « Aucun terrain n'a été acheté, aucun site n'a été vendu », répète Philippe Laparra, secrétaire général de la caisse régionale. Vaut-il mieux bâtir un siège tout neuf que rénover deux sites datant de 1954 et 1975 pour celui de Niort ? C'est la question à laquelle devra répondre l'étude lancée.

► 3 septembre 2012

Parole tenue, la manifestation annoncée réunit entre 150 et 250 salariés à Saintes.

Ce 3 septembre, la manifestation est la première centralisée à Saintes pour exprimer le refus du projet de fusion. L'intersyndicale se réjouit de la présence d'élus : le maire de Saintes, des conseillers municipaux de l'opposition, le député. Dans un communiqué, la direction indique avoir constaté « la participation de 139 salariés, soit 8,7 % des effectifs de la Caisse régionale ». Elle justifie ainsi son projet : « Le cœur économique et démographique du territoire se renforce sur La Rochelle. Son attractivité se développe. Il s'agit donc de donner tous les atouts à la caisse régionale pour accompagner durablement ses clients, en renforçant l'expertise et les services que ceux-ci attendent ».

La volonté de la direction est que « l'ensemble des salariés accompagne l'entreprise sur La Rochelle. Il n'est envisagé aucun licenciement économique ».

► 11 janvier 2013 :
Le Crédit Agricole vote
son départ pour La Rochelle

Scène déroutante, ce 11 janvier 2013, au siège du Crédit Agricole, boulevard Tardy, à Niort. Pendant que les administrateurs de la caisse régionale achèvent leur déjeuner, derrière les vitres une centaine de salariés les observent manger en s'époumonant. « Administrateurs complices ! Vous enterrez le mutualisme par votre silence ! »

A 14 h 30 est programmé un conseil d'administration extraordinaire : à l'ordre du jour, la fermeture des sites de Niort et Saintes. Les administrateurs pénètrent dans le bâtiment de direction, les salariés sur leurs talons. Un cordon de sécurité bloque l'accès aux étages.

« On est encore chez nous ici, on veut entrer ! », protestent les manifestants. 

Tout le monde finit par s'engouffrer dans les escaliers. Ils scandent : « Non à Chagnolet ». Chagnolet, c'est le site de la banlieue rochelaise pressenti pour le nouveau siège. Il faudra moins d'une heure pour que tombe le verdict : les administrateurs donnent leur feu vert au projet.

Le front syndical s'est fracturé depuis l'été sur le sujet. La CFDT reste hostile au projet mais a accepté de négocier des mesures d'accompagnement des salariés touchés, dans l'espoir de sauver les meubles. FO, Sud et la CGT ont refusé de s'asseoir à la table des discussions et jugent aujourd'hui les mesures proposées insuffisantes.

►FÉVRIER 2013 

Les paroles de la direction blessent certains élus      du territoire

A l'heure des comptes, le déménagement programmé des sites de Niort et Saintes vers La Rochelle est le gros challenge de la colonne « investissements ». Mais Jean-Guillaume Ménès, directeur général, et Alain Minault, président, assurent pouvoir rester " ambitieux. Nous allons travailler dès à présent avec tous nos collaborateurs pour fluidifier les conséquences de ce transfert. " La direction a déjà pensé à un système de navettes entre Niort et le futur site rochelais, à la prise en charge des abonnements de train, la création de postes en télé-travail… 

« Trouverons-nous des solutions parfaites pour tous ?, s'interroge le directeur général. Je n'en sais rien. Mais nous avons quatre ans pour aider chacun à trouver sa place dans ce mouvement. Et pour cela, nous comptons sur toutes les intelligences… »

Ce jour-ci, le directeur et le président s'expliquent sur le choix de La Rochelle.

La direction affirme d'abord que s'offrir un bâtiment flambant neuf à La Rochelle ne coûtera pas plus cher que de rénover Niort (270 employés) et reconstruire Saintes (230 personnes). Ensuite, la banque réalise en Charente-Maritime les deux tiers de son chiffre. Enfin, les dirigeants invoquent « l'attractivité de l'agglomération rochelaise », « le potentiel de son bassin étudiant », « la symbolique forte » d'«une zone d'activités qui se développe » et « l'effet vitrine » qui en découle… 

« A La Rochelle, il y a un projet d'agglomération que nous n'avons vu ni à Niort ni à Saintes », glissent-ils.

La phrase va crisper les relations avec Pascal Duforestel, vice-président de la CAN. Le lendemain de la parution de l'interview dans la Nouvelle République, il dit ne pas apprécier la " leçon " d’économie donnée par les dirigeants de la caisse régionale. L'élu niortais n'apprécie guère la comparaison des deux territoires : [...] « Qu'est-ce qui les autorise à parler d'attractivité comparée des territoires ou d'une zone d'activité qui se développe, alors qu'ils n'ont jamais pris connaissance du schéma de développement économique et commercial de la CAN et qu'ils s'aventurent dans une future zone dont ils n'ont jamais dit le coût final ? […] »

Pour le vice-président de la CAN, l'histoire du Crédit Agricole « est intimement liée à celle de l'agglomération niortaise » : « Et même si la coloration mutualiste a perdu des couleurs, si la crise des subprimes est passée par là, les enjeux internationaux de la grande banque verte ne peuvent faire oublier le poids qu'un natif de Coulon, Louis Tardy, qui en deviendra maire, a eu dans la structuration de ce monstre de la bancassurance. »

L'affaire prend un nouveau tournant, et ce même mois, Pierre Moscovici, alors ministre de l'économie, appelle dans un courrier adressé à Geneviève Gaillard, maire de la ville, à « un dialogue constructif » entre la caisse régionale et les collectivités locales concernées. Les deux parties doivent se réunir le 4 février.

Nouveau bras de fer

Les patrons de la caisse régionale du Crédit Agricole doivent « revoir leur copie ». C'est la motion votée à l'unanimité, le 22 février, pour tenter une nouvelle fois de faire revenir la banque sur sa décision.

Déjà, le 15 février, à l'unanimité, les élus du Conseil régional avaient voté un vœu condamnant la décision de la banque.

► 21 février 2013

Emotion lors de l'assemblée générale

Arborant leur écharpe tricolore, plusieurs dizaines d'élus sont alignés dans la salle de l'Espace Tartalin d'Aiffres. Drapeaux des partis de gauche, élus distribuant une lettre ouverte, représentants de l'intersyndicale sont là pour le comité d'accueil. Des sociétaires, aussi, font entendre leur voix à cette assemblée générale.

« Je n'ai connu qu'une seule banque dans ma vie : le Crédit Agricole. Quand j'ai appris la nouvelle, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose », témoigne l'un des sociétaires, venu de Saintes. Un autre, Deux-Sévrien, ancien salarié de la banque « parle d'aberration ».

« Toutes les possibilités d'amélioration immobilière sur Niort n'ont pas été réellement explorées. Une telle décision tournerait le dos à la tradition mutualiste de Niort », estime un collectif de sociétaires hostiles au projet.

Pour Geneviève Gaillard, un « tournant territorial » s'est opéré dans ce qui « désormais oppose le directeur régional et le président du CA, aux populations du territoire, aux salariés du CA, à l'intersyndicale, à une très large majorité des sociétaires, aux militants de formations politiques de tous bords, aux collectifs de sociétaires et à de très nombreux élus locaux ».

► Mars 2013 
La pression continue de croître

Si les patrons du Crédit Agricole pensaient en être quitte après la manif des élus à Aiffres le 21 février, c'est raté. Le Conseil général unanime, droite et gauche confondues, appelle le 6 mars la banque à faire marche arrière. Puis, l'établissement public foncier de Poitou-Charentes monte à son tour sur le ring. L'EPF Poitou-Charentes est le bras armé des collectivités dans leurs stratégies foncières. En l'occurrence, c'est lui qui, pour le compte de la communauté d'agglomération de La Rochelle, va acheter le terrain où le Crédit Agricole compte faire bâtir son siège controversé. 

On imagine le malaise. Car sur les 31 membres du conseil d'administration de l'EPF, 25 sont des élus locaux, départementaux ou régionaux : les mêmes qui, par ailleurs, condamnent le projet de la banque !

Le 9 avril 2013. Nouvelle manifestation, à Bressuire. 70 salariés grèvistes, sociétaires et élus locaux manifestent devant Bocapole où a lieu l'assemblé générale du Crédit Agricole Charente-Maritime-Deux-Sèvres.

« On est en guerre, regrette Stéphanie Roy, délégué CGT. On nous écoute de moins en moins, voire plus du tout. »

Les manifestants restent déterminés à s'opposer à ce projet. « Nous avons fait valoir notre droit d'opposition à l'accord signé par la CFDT et la CGC. On nous a dit de " faire notre deuil rapidement ". C'est non », affirme Christine Listl-Biojout, déléguée FO.

► 23 mai 2013

Le Crédit Agricole

lance son déménagement


Le projet de déménagement vient de franchir « une nouvelle étape majeure », annonce la banque, qui indique que le « projet de nouveau siège social est maintenant lancé ». Les travaux préparatoires qui permettent de lancer le concours d'architecte s'achèvent et « le dispositif social d'accompagnement » pour les salariés concernés « se finalise ».

Après plusieurs échanges avec l'agglomération de La Rochelle, le Crédit Agricole a définitivement fixé le lieu d'implantation des nouveaux locaux : ce sera sur la commune de Lagord, où est en train de se créer une zone économique dédiée au tertiaire, à la recherche et à l'enseignement. Une solution proposée par la communauté d'agglomération. Le terrain, dont la collectivité est d'ores et déjà propriétaire, est situé à l'entrée nord de l'agglomération, au sein du futur parc Atlantech. Il s'agit d'un projet estimé à 50 M€, dix-huit mois de travaux sont prévus pour construire un immeuble de 20.000 m2. C'est-à-dire moitié de la surface totale deux sites actuels de Niort (7 ha de superficie) et de Saintes (4 ha) qui ont été mis en vente. Le planning prévoit une installation dans les nouveaux locaux en septembre 2016.

9 août 2013

Le projet à Lagord a-t-il du plomb dans l'aile ?

Le Crédit Agricole va-t-il maintenant abandonner la solution trouvée à Lagord ? Plusieurs sources, aussi bien à Niort qu'à La Rochelle, font écho à la rumeur. Des élus rochelais croient même savoir que la banque régionale recentrerait totalement sa stratégie, en mettant à l'étude une solution niortaise. Ce qui serait pour le coup un vrai rebondissement.

Au siège régional de la banque, on dément formellement. « Nous confirmons le futur site. Les travaux sont en cours sur ce dossier. Il n'y a pas d'abandon de quoi que ce soit. Toute autre information est démentie. » Une pétition hostile au projet reste en ligne sur le site internet de la Ville. Avec d'ailleurs un résultat assez mince : 250 signatures au 1er juillet.

► 8 décembre 2014

Le coup de théâtre, signé Ségolène Royal

Photo d'archives Patrick Lavaud - 2016
Je vous demande de prendre toutes les dispositions pour empêcher la délocalisation interne vers La Rochelle du Crédit Agricole en provenance de Niort et Saintes. 

Dans une lettre envoyée, le 3 novembre 2014 à la préfète de Charente-Maritime Béatrice Abollivier, Ségolène Royal rouvre de façon inattendue le dossier du nouveau siège de la caisse régionale du Crédit Agricole.

« Vous voudrez bien me rendre compte de vos initiatives pour mettre fin à ce projet contraire à l'intérêt général du territoire », précise la ministre.

Mais le projet de siège est déjà bien avancé. Reste la question du permis de construire. La communauté d'agglomération de La Rochelle instruit la demande. Date-butoir pour une réponse : le 24 janvier 2015. La ministre de l'Écologie peut-elle bloquer la procédure et à quel titre ?

18 décembre 2014. La communauté d'agglomération de La Rochelle valide finalement l'implantation de la banque à Lagord. Et le maire signe le permis de construire. Les travaux du futur siège vont pouvoir démarrer dès janvier.

► 20 février 2015

La première pierre est posée

Sous des trombes d'eau, dirigeants du Crédit Agricole et élus lancent officiellement le chantier de 50 M€. Passée l'étape du permis de construire obtenu malgré la demande de Ségolène Royal, place au chantier concret.

Si le site de Saintes sera conservé pour une activité téléphonique de 60 salariés, celui de Niort sera destiné à être vendu. Les 500 employés de Niort et de Saintes seront appelés à intégrer leurs nouveaux locaux à la rentrée 2016 à Lagord. Les conditions de ces mutations ne sont pas du goût des organisations CGT, FO, Sud et de l'association saintaise Aremut qui ont organisé hier, avec une vingtaine de personnes, un filtrage à l'entrée du site pour rappeler leurs revendications, à l'heure de la cérémonie.

La CGT demande un Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).

"Les négociations ont duré une quarantaine d'heures, chacun des salariés a été reçu pendant 1 h 30 entre novembre et janvier, un accord a été signé. S'il faut quelques mesures à la marge, des réajustements, on les étudiera. Mais il n'y aura pas de PSE parce qu'on ne supprime pas d'emploi", répond Jean-Vincent Boulai qui évoque notamment l'aide au covoiturage et même des navettes collectives entre les sites.

► Janvier 2016 

La construction du siège

Crédit Agricole entre dans sa dernière

ligne droite

Le chantier titanesque est dans les temps et sera livré comme prévu en juillet 2016. Et quelle construction ! Même chez Eiffage, maître d'oeuvre, on n'avait pas orchestré pareil chantier depuis longtemps.

« C'est un site ultramoderne dont la conception va délibérément favoriser le travail en openspace. »

Site de Niort : quatre touches sérieuses

Lorsqu'on évoque avec lui l'avenir du site de Niort, Jean-Vincent Boulai, directeur du marketing et de la communication est très optimiste : « C'est sûr, on va le vendre. Nous avons quatre touches très sérieuses, avec à chaque fois d'importantes délégations qui se sont déplacées et qui portent de beaux projets. » Mais on ne saura ni qui ni quoi…

Pour la direction du Crédit Agricole, le transfert prochain vers le futur siège de Lagord des salariés « ne doit pas se faire à la légère. » Pour ceux qui ne souhaitent pas partir sur Lagord, « nous avons mis en place des mesures de formation et d'accompagnement pour qu'ils puissent intégrer, s'ils le souhaitent, notre réseau d'agences locales ». Il y a aussi la mise en place d'un réseau d'une dizaine de sites de travail à distance. Jean-Vincent Boulai précise également que, outre la création d'un site internet de covoiturage « maison », " six navettes quotidienne seront mises en place gratuitement pour les salariés qui resteront sur Niort."

Du côté de l'intersyndicale CGT-FO-Sud, les choses ne sont pas aussi roses que celles décrites par la direction. "50 % des salariés, soumis à une clause de mobilité, vont recevoir une simple lettre les informant de leur transfert ", précise Laurent Hay, chez Sud.

► 10 septembre 2016

Une trentaine de salariés ne suivront pas

Les premiers occupants, ceux de Saintes, sont arrivés ce lundi 12 septembre. Lundi 19 septembre, ils seront rejoints par leurs collègues du site de Niort (230 salariés). Evoquant ce déménagement sur Twitter, le président du Département de Charente-maritime a évoqué ces derniers jours « un cortège de licenciements » ; Dominique Bussereau parle même de « scandale ».

La position de l'ancien ministre étonne Serge Lebrun, représentant CFDT au Crédit Agricole :

« Je rappelle qu'un plan de sauvegarde de l'emploi a été signé par quatre syndicats sur cinq et a permis à un maximum de salariés de garder leur poste de travail. »

Ainsi, sur les 500 salariés des sites saintais et niortais, « une trentaine de personnes a refusé de déménager, dont les deux tiers sont à l'aube de la retraite. Au bout du bout, il n'y a que quelques cas de collègues qui sont dans des situations compliquées ».

► 20 SEPTEMBRE 2016

Crédit Agricole : le siège est opérationnel

Le siège régional du Crédit Agricole maintenant installé à La Rochelle accueille depuis le lundi 12 septembre les salariés de Saintes et ce lundi les collaborateurs niortais. Au total, ce sont 550 personnes qui travaillent dans ce bâtiment exemplaire, sis exactement à Lagord. Exemplaire, ce projet l'est à plus d'un titre. Tout d'abord écologique, puisqu'à énergie positive grâce à l'utilisation de la géothermie et de panneaux photovoltaïques. Professionnellement, car la qualité de vie au travail des salariés était au cœur des volontés de la direction. Enfin, la conception en X du bâtiment principal favorise les échanges et le travail en équipe. Des salariés ont avoué s'être rencontrés pour la première fois cette semaine alors qu'ils se parlaient pratiquement chaque semaine au téléphone.