La Lumière

Une histoire d'après une photographie
de Bernard Plossu

Je pense … Du moins, oui il me semble, que ... c'est une question de lumière. Vous voyez, mais si ... là juste là dans le coin … en bas à droite … C’est, comment dire … Hum … c’est la lumière émise par le mur … Enfin s’il vous plaît ne soyez pas comme ça regardez. La façade est lumineuse et ce n'est pas le ciel qui fait source. Mais … Je pense, les fenêtres … C’est éclairé de dedans voyez-vous. Si, si, approchez, l'image est minuscule. Allez savoir pourquoi ils ont fait … Enfin ça n’a pas d'importance mais un tirage de cette taille. Vraiment ? Sans doute … Il aurait été difficile de faire plus grand sans aveugler … Non pas vous, je ne vous ferai pas cet affront … vous et moi c’est de l’histoire ancienne et on ne va pas se disputer pour ce petit tirage. Simplement j'essaie de dire qu'un regard … moins, moins, alerte que le vôtre. Oui ce serait laisser, aveugler par une image plus grande. Car au fond … Et quelqu’un comme vous ne saurait en disconvenir un tirage plus grand serait ... une débauche de clarté ! C’est les fenêtres … quoi vous dites ? Les hublots oui pardon, c’est leur rondeur, je ne sais jamais … Il y en a huit effectivement mais je ne vois pas où … À oui oui bien sûr pourquoi sont-elles encore allumées … j'espère qu’ils ne font pas comme ces enseignes qui reste éclairées toute la nuit. Ma femme va faire ses courses dans une épicerie nocturne elle me raconte toujours comment les mannequins éclairés dans les boutiques vides ne sont pas les mêmes que ceux du jour. Je te dis ça bien sûr. Mais … Non, Non ne le prend pas mal. Je sais que cette photo n’a rien de trivial mais admets que le thème est un peu … Oui c’est bien ça, pauvre. Mais non tu sais bien que ça ce n’est pas une critique. Je l’aime bien moi cette minuscule image … sa lumière me plaît, surtout quand on pense qu’elle vient de dedans, dernières les vitres rondes des hublots. Mais … c’est les voitures. Si si regarde de plus près … Ha ! Ha ! HO OUI Tu Le vois toi aussi maintenant ! Elles sont triviales ! … Je me demande un peu comment elles sont arrivées sur le cliché. L'image n’est vraiment pas grande et déjà avec la façade et la lumière l’espace est bien plein … il aura fallu qu’on vienne y introduire des voitures … banales … c’est pour ça que la lumière ne s’y attarde pas … Oui d'accord mais là tu exagères elle est "à peine" éclairée ! D’ailleurs tu te tiens trop près … ne te vexe pas comme ça mais admets … Oui admets un instant qu’il te faut du recul. On ne peut pas regarder une photo pareille en étant aussi proche … La bonne distance ? La même que celle qui sépare la source lumineuse des hublots ! Tu me trouves péremptoire ? Oui sans doute un peu mais regarde, prends le temps de regarder et le ciel et le mur et chaque hublot, un à un … C’est peu banal ça tout de même. On vient nous déranger même ici … dites-lui de partir … Je te laisse je … je dois y aller mais regarde de plus près dans la lucarne …

Un temps très long

Tu es encore là … désolé ils sont partis … je voulais, vraiment te remercier … La lumière j’ai trouvé, j’ai trouvé pourquoi elle vient de l'intérieur et se reflète sur le mur et comment en prenant une loupe on peut voir les étoiles dans le ciel … En fait les étoiles sont juste les reflets minuscules de la façade ! Tout vient d’elle depuis le début … le photographe c’est … c’est un ami à moi tu sais … Non pas un ami comme toi je n’ai pas d’autre ami comme toi … Mais un proche … Il est … Il a un vrai regard, comme peu de gens. Et je crois qu’il voulait en définitive prendre les étoiles …

Bernard PLOSSU, Le Havre. Mars 2014, 2014, tirage argentique noir et blanc, MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre

Auteur du texte :

Joseph Fabro


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Le Projet :


En 2017-2018, le service numérique du MuMa musée d'art moderne André Malraux a proposé aux étudiants du Master de Création littéraire de l'Université du Havre et de l'ESADHaR de participer à un projet d'écriture à partir d'une ou plusieurs œuvres de son exposition Comme une histoire... Le Havre.

Une quinzaine de textes ont été produits par les étudiants. Une sélection de ces textes a ensuite fait l'objet d'une captation sonore, interprétés par les étudiants eux-mêmes au studio Honolulu. Ces récits sonores sont diffusés sur l'audioguide du musée, accessibles directement et gratuitement pour les visiteurs du musée depuis leur smartphone. Ils sont également disponibles à l'écoute sur le site et les réseaux sociaux du MuMa de même que l'ensemble des textes produits.