Cross

Une histoire d'après une vidéo
de Christophe Guérin

Qu'est-ce qu’on garde d’une ville qu’on harcèle
Quand on y passe
Qu’est-ce qu’on chérit des vitres…
Les secousses ?

Qu’est-ce qu’on garde quand on chasse,
Au vélo sans haleine
Le blanc le blanc le blanc

Qu’en est-il des mâts des bateaux ?

Peu de serpents
Jamais d’impasses,
Quelques rondeurs
Pas de parvis ni de reflets
Et très peu d’eau.

Qu’est-ce qu’on garde d’un flottement qu’on martèle
Sur une ville vieille de son futur ?
Pas de plafonds mais quelques cônes, pas de toits plats
Seulement des grilles
Et cette lumière

Des grilles à l’infini, sous les arcanes
Près du cratère aux petites fentes
Et là des tiges, des presques-grottes
Des façades et ces rectangles
Comme les touches d’un orgue.

Qu’est-ce qu’on garde endigué dans les voies
Qu’est-ce qu’on garde de ses désirs et de ses joies ?
Où dorment ceux qui défilent, recroquevillés,
Dans cette grande gueule ?

Ville émaciée, ville dégrossie,
Ville de fontaines qui deviennent folles,
Comme des tunnels qui bout à bout
Se tendent et se distordent.

Enfilades de fenêtres
Végétations dressées
Bagnoles perdues dans les legos

Qu’est-ce qu’on garde quand on oscille
Tout autour d’un octogone qui s’endort ?

Des morceaux qu’on effondre
Des hurlements de machine
Des espaces mobiles
Des manèges qui s’enrayent

Qu’est-ce qu’on garde quand on file dans un gros port de France ?
Qu’est-ce qu’on éprouve de solide quand on marche si vite,
Quand on écharpe les façades en les frottant ainsi à nos obliques ?

On garde peut-être,
Quand on traverse
Cette ville blanche comme une péloche qui brûle,
Le regard aux pieds des pluies tues,
Les buildings qu’on démantibule.

Mais qu’est-ce qu’on en garde
Sinon des patchs qu’on arrache
Au kaléidoscope du cerveau ?

Qu’est-ce qu’on garde
Qu’est-ce qu’on loupe
Des artères qu’on s’enfile
Comme les diapositives striées
D’un Rubik’s cube à deux niveaux ?

Comme si le soleil fusionnait les structures

Qu’est-ce qu’on regarde ici quand il fait beau ?

Christophe GUÉRIN, CROSS , 2014, photogrammes d'une vidéo, 04:56 min., MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre © MuMa Le Havre / Christophe Guérin

Auteur du texte :

Jeanne-Marie Huet


© Tous droits réservés aux auteurs

Le Projet :


En 2017-2018, le service numérique du MuMa musée d'art moderne André Malraux a proposé aux étudiants du Master de Création littéraire de l'Université du Havre et de l'ESADHaR de participer à un projet d'écriture à partir d'une ou plusieurs œuvres de son exposition Comme une histoire... Le Havre.

Une quinzaine de textes ont été produits par les étudiants. Une sélection de ces textes a ensuite fait l'objet d'une captation sonore, interprétés par les étudiants eux-mêmes au studio Honolulu. Ces récits sonores sont diffusés sur l'audioguide du musée, accessibles directement et gratuitement pour les visiteurs du musée depuis leur smartphone. Ils sont également disponibles à l'écoute sur le site et les réseaux sociaux du MuMa de même que l'ensemble des textes produits.