Still life

Une histoire d'après une vidéo
de Dana Levy

Elle enfile les gants que je sens glisser à la surface de ma peau. Je lui fais peur dans les miroirs, au-dessus des armoires, aux dentelles des céramiques. Je ne suis pourtant pas méchante, légère même, mais, comme beaucoup, elle trouve que je fais négligé. Elle me traque aux plis des ailes d'oiseaux pendus et desséchés, sur le dos de coquillages empilés sur les étagères. Me souffle par à-coups, je l’inspire. Je lui façonne une attitude, un tempo qu’elle rattrape plutôt qu’elle ne suit. La poussière est plus rapide qu’il n’y paraît. Elle l’apprend à mesure de ma dispersion dans la maison de poupée cirée qu’elle lustre à la pulpe de coton.

Je particule, elle me chasse dans le vide.

Elle ne me laisse pas tranquille, mais dans le fond, je sais qu’elle tient à moi. Du reste, moi aussi, c’est plutôt un bon compromis. Elle n’aimerait pas que je la laisse seule, au milieu des trophées de chasse et des trésors importés d’un temps hors d’usage qu’elle accommode au présent, comme elle peut. Je crois qu’elle les prépare à un futur qu’elle ne connaît pas encore. Elle les habille d’attentions, je les recouvre d’un pelage gris-brun. Elle cherche leurs secrets sous le manteau que je déploie. Ses gestes s’appuient à ma présence. J’assure ses prises, son aventure immobile.

Je suis une habitude logée dans une habitante assignée à résidence.

Elle sait qu’on se regarde. Elle n’est pas dupe, mais je la soupçonne parfois de faire semblant. D’aller ici et là, d’ouvrir et refermer, de retourner, replacer, ajuster. Elle s’applique vraiment, mais je ne suis pas sûre qu’elle sache faire autrement. Elle a appris son rôle et je tiens compagnie à ses répétitions. Je la vois de tous les angles du décor qu’elle travaille à maintenir d’aplomb. À travers les fenêtres qui percent la colonne vertébrale de l’espace, nous jouons un cache-cache dont personne ne sortira vainqueur. En vase clos, tout doit tenir entre les murs. Entre silence et suspension, continuer à exister, comme possible. On apprivoise le temps et l’espace avec le corps de l’autre.

Dans l’attente d’un événement, la mise en scène d’une fiction est une hypothèse comme une autre.

Dana LEVY, Dead World Order, 2012, photogrammes (vidéo), MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre © Dana Levy

Auteur du texte :

Elsa Escaffre


© Tous droits réservés aux auteurs

Le Projet :


En 2017-2018, le service numérique du MuMa musée d'art moderne André Malraux a proposé aux étudiants du Master de Création littéraire de l'Université du Havre et de l'ESADHaR de participer à un projet d'écriture à partir d'une ou plusieurs œuvres de son exposition Comme une histoire... Le Havre.

Une quinzaine de textes ont été produits par les étudiants. Une sélection de ces textes a ensuite fait l'objet d'une captation sonore, interprétés par les étudiants eux-mêmes au studio Honolulu. Ces récits sonores sont diffusés sur l'audioguide du musée, accessibles directement et gratuitement pour les visiteurs du musée depuis leur smartphone. Ils sont également disponibles à l'écoute sur le site et les réseaux sociaux du MuMa de même que l'ensemble des textes produits.