Carré lunaire III

Une histoire d'après des photographies
de Corinne Mercadier

Sans voir ni savoir – à regarder partir au loin ; ici comme ailleurs – ici : et maintenant ?
Choses figées : il n'y a rien à raconter. Entre les deux, un homme. Comme surface mouvante entre les choses coulées. On lui a demandé du temps, il ne répond pas il tend le bras. Les formes s'élancent en particules rebondissantes. Avec tout le sel de la mer et tout celui de la lumière. On lui a demandé, combien de temps ? Pour que la peau s'érode, pour que le corps se ronge ? Je suis arrivée là par hasard. Le sable comme finalité. Ton corps repose au bord de l'eau. Après ça il n'y a plus rien. Le vent pourrait s'arrêter là. Et se cristalliser dans une forme ahurie. Celle que tu lances avec tes yeux, à la question : combien de temps ? Évidemment, sans nom, sans regard, sans bruit. Sans odeurs, sans parfum, sans caresse. Comme une tentative de communication, faite en silence et presque sans espoir, avec la résignation qu'on a pour les pluies fines et les fleurs orphelines. Attendre. Dans l'attente toujours se creuse l'absence d'une chose possible. Elle crée dans la matière qu'elle ôte au monde une béance. Il faut attendre alors. Les vagues s'éclatent et le bruit qui se fige est le silence de leur éternité. Le corps finit par oublier qu'ici, et maintenant, tout ce qu'il y a derrière est ce qu'il y a potentiellement devant. Où est l'est ? C'est l'histoire sans récit d'un écoulement : comme celui dans le béton dur de l'eau, de la peau, d'une écaille. Passivité mourante.
Contemplative. L'eau n'est pas belle. Elle est seulement possible. Les choses ne réussissent pas. Les choses n'avancent pas. Le ciel est passé là. Venu seulement pour s'arrêter. J'ai cru entendre des mots. Des paroles. Ouvertes comme un champ. J'ai oublié qu'il n'y avait rien derrière. Plus rien que du mouvement.


Corinne MERCADIER, Carré lunaire III, série « Longue Distance », 2005, tirages numériques sur papier baryté, 70 x 120 cm, MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre © Corinne Mercadier

Auteur du texte :

Marjorie Ricord


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Le Projet :


En 2017-2018, le service numérique du MuMa musée d'art moderne André Malraux a proposé aux étudiants du Master de Création littéraire de l'Université du Havre et de l'ESADHaR de participer à un projet d'écriture à partir d'une ou plusieurs œuvres de son exposition Comme une histoire... Le Havre.

Une quinzaine de textes ont été produits par les étudiants. Une sélection de ces textes a ensuite fait l'objet d'une captation sonore, interprétés par les étudiants eux-mêmes au studio Honolulu. Ces récits sonores sont diffusés sur l'audioguide du musée, accessibles directement et gratuitement pour les visiteurs du musée depuis leur smartphone. Ils sont également disponibles à l'écoute sur le site et les réseaux sociaux du MuMa de même que l'ensemble des textes produits.