Je me souviens de Guernica

#MoocPicasso
Première partie

À l'automne 2015, La RMN - Grand Palais, le Musée Picasso et Orange ont proposé un MOOC dédié à Picasso, à l'occasion de l'exposition Picasso.mania visible au Grand Palais entre octobre 2015 et février 2016. Une séquence de ce MOOC, consacrée à l'engagement politique de Picasso, invitait les participants à réaliser l'activité suivante :

"En empruntant à Georges Pérec la forme de son Je me souviens, associez à Guernica un fait, un protagoniste, un évènement ou une image lié à un conflit qui vous a marqué ou dont vous voulez conserver la mémoire.

Commencez votre phrase par "Je me souviens" et publiez-la sur le Framapad du MOOC à la suite des autres contributions."

Plusieurs centaines de contributions ont ainsi été rassemblées. Organisées, mises en page et enrichies de documents médias, elles forment le récit collectif que vous vous apprêtez à découvrir.

Je me souviens de toutes les atrocités perpétrées ce siècle et le siècle dernier... Je me souviens de toutes les victimes qui n'ont jamais eu leur mot à dire. Je me souviens...

Je me souviens du visage de mon grand-père fracassé par un obus, en 1916, quelque part sur le front de la Somme,

Je me souviens de Tien An Men et de cet étudiant face à un char,

Je me souviens de l'assassinat de Luther-King,

Je me souviens des boat-people,

Je me souviens de Rostropovich et de son violoncelle sur le mur de Berlin,

Je me souviens de la visite d'Arafat à Jérusalem et de l'immense espoir soulevé,

Je me souviens de la mort d'un enfant,

Je me souviens … en latin : MEMENTO !

Je me souviens de Jan Palach et des bonzes s'immolant par le feu,

je me souviens du premier cri de mon fils, à sa naissance,

je me souviens de ces réfugiés cognant aux portes de l'Europe (leur ouvrira t-on ?),

Je me souviens de la jungle de Calais,

Je me souviens de Dien Bien Phu et de cette guerre perdue,

Je me souviens de ce car en feu piégeant ses passagers,

Je me souviens de Brel chantant l'amour "que peut une chanson contre un tambour"

Je me souviens de l'hiver de Valley Forge.

Je me souviens des familles pleurant dans les soutes des bateaux négriers.

Je me souviens des atrocités de la première guerre mondiale.

Je me souviens de tous les visages anonymes des poilus de la première guerre mondiale qu'on peut voir dans les archives du cinéma muet de cette époque et des regards apeurés, effarés mai si déterminés et je ressens toujours la même émotion face à ces hommes qu'on envoyait au casse-pipe.

Je me souviens de l'anneau de la mémoire à Notre Dame de Lorette, un anneau qui se souvient de ceux qui nous permettent aujourd'hui de profiter de notre belle et paisible campagne.... à quel prix !!!!!.

Je me souviens de Guernica.

Je me souviens d'un ami de mes beaux-parents, Corrado, qui arriva en France dans les années 30, qui passa des semaines sur une plage, dans un camp pour réfugiés espagnols, qui passa ensuite sa vie ici, en France, et qui fut reconnaissant toute sa vie à notre pays (même si la vie dans les camps l'avait marqué)... Ils furent, je crois, 450 000 comme lui à entrer en France et y rester... (les Français étaient-ils plus accueillants hier qu'aujourd'hui ?)


Je me souviens de mon grand-père, républicain espagnol qui a fui son pays en 1939, qui a rejoint la légion étrangère en Algérie pour combattre le nazisme pendant la seconde guerre mondiale et qui a refusé d'aller se battre en Corée.

Je me souviens de la maison familiale, où nous étions entassés dans la cave pendant la 2eme guerre mondiale, je me souviens de l'odeur très forte dégagée par les gens, du moment où ma mère me portant dans ses bras, poussa un hurlement lorsque, engagés dans la cage d'escalier, un obus pénétra par la fenêtre.


Je me souviens lorsque ma grand-mère maternelle, d'une famille prussienne immigrée au Luxembourg puis en France, me racontait le bombardement de Suresnes en 1942 par les anglais... Où elle avait perdu toute sa famille et donc la mienne et qu'elle avait dû aller chercher et reconnaître les corps...

Je me souviens, enfant sur les bras de ma mère, dans la cave sombre, sous les bombardements alliés en France occupée, les cris des voisins dans la cave mitoyenne.

Je me souviens de tous ces enfants déportés qui ont été séparés de leurs parents et qui dans le froid et la violence sont morts simplement par le désir fasciste des hommes. c'était il y a 70 ans. 

Je me souviens du récit de mon père me parlant de la faim cruellement ressentie et impossible à satisfaire pendant l'occupation nazie en France, alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent , à un moment de la vie où les besoins sont énormes.

Je me souviens de ma grand-mère qui disait qu'elle faisait tout pour nourrir ses enfants lors de la deuxième guerre mondiale.

Je me souviens d'une visite à l'ossuaire de DOUOMONT (le plus grand de la 2eme guerre mondiale). C'est comme si j'avais été transpercée par les âmes de tous ces soldats tombés sur le front... c'est inoubliable...


Je me souviens du Silence de la mer.

« Si j'avais un désir , c'était seulement le désir intarissable, interminable, le désir seulement de me coucher et de mourir. Mais je savais d'une science d'animal, d'une science de cheval dans ses brancards, que je ne pouvais ni me coucher, ni mourir... »


Je me souviens d'Oradour-sur-Glane, village martyr, préservé en l'état après les exactions nazies. Le temps semble s'être arrêté.

Je me souviens de la Shoah !

Je me souviens avoir lu le livre Elle s appelait Sarah.

« Des enfants avaient déjà quitté le camp, escortés par les policiers. Elle les avait suivis du regard, frêles créatures en haillons au crâne lisse. Où les emmenait-on ? Etait-ce loin ? Allaient-ils rejoindre les mères et les mères ? Elle en doutait. Rachel aussi en doutait. Si tout le monde devait aller au même endroit, pourquoi la police avait-elle séparés les parents des enfants ? Pourquoi tant de souffrance, tant de douleur ? C'est parce qu’ils nous haïssent lui avait dit Rachel de sa drôle de voix éraillée. Ils détestent les Juifs. Pourquoi cette haine ? »

Je me souviens d'Anne Frank et de "Nuit et brouillard"...

Je me souviens des images en noir et blanc de la découverte des camps de la mort.

Je me souviens être allée à Dachau, mon émotion fut immense devant le mémorial international.


Je me souviens des femmes tondues après la Libération, défilant dans les rues, souvent coupables d'avoir seulement aimé.


Je me souviens de l'atroce récit d'Hiroshima. De la catastrophe humanitaire.

Je me souviens du regard et de la tristesse de mon père lorsqu'on évoquait la guerre.

Je me souviens de cette photo... D'une petite fille complètement brûlée au napalm en 1972 courant avec d'autres enfants pendant la guerre au Vietnam.

Je me souviens de mon père me parlant de l'Indochine et de la perte de ses compagnons. Je me souviens avoir annoncé, petite, à ma mère qu'une guerre était finie. Je pleurais de joie car j'imaginais que toutes les guerres étaient finies pour toujours.

Je me souviens du massacre de My Lay. Ce jour là, le 16 mars 1968 une compagnie de l'armée américaine sous les ordres du lieutenant W. Calley a massacré 504 personnes, hommes, femmes et enfants de ce village, où il n'y avait pas un vietcong.

Je me souviens des Boat People arrivant du Vietnam en 1979.

Je me souviens du camp de torture de S21, Tuol Slang, tenu par les khmers rouges, à Pnom Penh, que j'ai visité, triste témoignage du génocide perpétré à l'encontre du peuple cambodgien. 

Je me souviens de ma visite à la prison de Tuol Seng, dans le centre de Phnom Penh. Transformée en musée, elle m'a violemment confronté au génocide perpétré par les Khmers rouges (1.7 million de morts, soit 20% de la population du Cambodge, entre 1976 et 1979).

Je me souviens d'un tyran nommé MAO responsable de 70 millions de morts et décrit dans le livre : Le singe et le tigre. Mao, un destin chinois.

Je me souviens, petite, avoir vu à la télévision un bâtiment exploser suite à un attentat...Mes grands-parents étaient dedans.

Je me souviens de Delphine Renard . Quatre jours avant l'anniversaire de mes neuf ans, le 7 février 1962, dix charges de plastique explosent à la porte du domicile parisien d’hommes politiques,d’intellectuels, de journalistes. Sept blessés. Parmi les blessés une fillette âgée de quatre ans et demi, Delphine Renard. Elle jouait dans sa chambre quand une charge de plastic destinée à André Malraux, qui habitait le même immeuble de ô-sur-Seine, explose devant ses fenêtres.

Je me souviens : 1961, Charonne, des amis de mes parents blessés, traqués.

Je me souviens de ma terreur de petite fille de 6 ans qu'on emmena rapidement rejoindre d'autres enfants dans un appartement sous bonne garde parce qu'un convoi de camions de fellagahs passaient sur la route tout près de notre cité.

Je me souviens de cet avion pose a Marseille en 1994 en provenance d'Alger, de l'intervention du GIGN et de la chute du pilote, tristement mis en parallèle 7 ans plus tard avec les images de personnes sautant des tours jumelles.

Je me souviens des moines de Tibhirine, assassinés en 1996.

Je me souviens de mon école, école française, quelque part en Orient, et les cours d'histoire de France,Clovis, Charlemagne, St Louis, Jeanne d'Arc, Louis XIV, 1789, Napoléon, Blum et Jaurès, ...mai 1968, Le Général de Gaulle, La mort de Pompidou et la minute de silence sous le préau. Puis la Révolution, le choc de la découverte de la vie réelle autour de moi... les chars, les massacres d'un certain vendredi noir, le bruit des kalachnikovs pointés sur mon frère et moi, gamins de 11 et 16 ans, l'ordre de ne pas tirer sur nous, les hommes cagoulés baissant leurs armes, penauds, saccageant tout dans la maison... le casse-tête du départ, découverte de cette France dont j'étais si éprise, de ses "valeurs" que j'avais déjà faites miennes avant que d'en avoir foulé le sol. Je veux oublier ceux qui ont oublié cette France que j'aime, qui parlent de races, d'exclusion, de haine...Je veux ESPÉRER LA PAIX UNIVERSELLE...

Je me souviens de la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.

Je me souviens de l'air hébété des gens de Berlin-Ouest voyant se construire un mur en pleine ville sous leurs yeux le 13 aout 1961, les séparant pour de longues années de leurs proches.

Je me souviens de ma visite de Berlin est en 1967.

Je me souviens de ce 10 Novembre 1989, la chute du mur de Berlin 28 années après son érection. Je me souviens le lendemain Mstislav Rostropovitch jouant du violoncelle au pied du mur afin d'encourager les démolisseurs.

Je me souviens partiellement de mon enfance où ma mère ma cachait dans un sombre placard alors que l'OTAN bombardait notre belle ville, Belgrade. Je me souviens et me demande encore pourquoi les hommes perdent tant de temps à faire le mal.

Je me souviens de l'arrivée des char dans Prague au beau milieu de l'été.

Je me souviens de ma première étape à Gdansk à l'été 1981 pour un séjour d'un mois en Pologne. J'avais l'impression d'un retour arrière de plus de 30 ans en regardant les maisons et les chevaux et carrioles, mais une fureur de vivre des jeunes de Varsovie et d'ailleurs et de leur forte culture pour les arts et la musique.

Je me souviens de Noël 1989 - j'avais 8 ans et demie, quand nous avons appris l'exécution de Ceausescu. Nous avons pensé très fort à nos amis à qui mes parents envoyaient des colis de nourriture.

Je me souviens des arbres de Guernica et d'Hiroshima, le chêne et le ginkgo, je me souviens de l'homme de Tien An Men, je me souviens du mur de Berlin...

Vous êtes arrivés à la fin de la première partie de ce récit.

La deuxième partie se trouve ici : https://social.shorthand.com/MoocAndCo/32POMSWdq1Y/je-me-souviens-de-guernica

Si, vous aussi, vous souhaitez apporter votre témoignage ou participer au Mooc Picasso, inscrivez-vous à partir de cette page : https://solerni.org/mooc/38/picasso/sessions 

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Crédits images première partie :

Page de titre : Mural del Guernika, Wikimedia Commons, Licence CC BY-SA 3.0

Page 2 : Alex Proimos, Flickr, licence CC BY-NC 2.0 

P.3 : Michale Mandiberg Flickr, licence CC BY-SA 2.0

P. 3 : The US Army, Flickr, licence CC BY 2.0

P. 4 : Valley Forge, Wikimedia Commons, domaine public 

P. 4 : Antoine Taveneaux, Wikimedia commons, licence CC BY-SA-3.0

P. 5 : Wikimedia Commons, Public domain, 

Page 7 : Photos Normandie, Flickr, Licence CC BY-SA 2.0 

P. 8 : Couverture édition originale Le silence de la mer : http://tpe-arts.e-monsite.com/pages/la-resistance-spirituelle.html

P. 9 : Alex Hudghton, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

P. 10 : Couverture Elle s’appelait Sarah : http://www.lecteurs.com/livre/elle-sappelait-sarah/430013

P. 11 : Davidlohr Bueso Flickr, licence CC BY 2.0 

P. 12 : Madame Grinderche, Public domain, via Wikimedia Commons 

P. 14 : Raphaël Labbé, Flickr, Licence CC BY-SA 2.0 

P. 16 : Yoshikazu Takada, Flickr, licence CC BY 2.0