Les drones de l'Armée de l'Air française

Base aérienne de Cognac, février 2016.  C'est ici que se trouve l'escadron 1/33 Belfort, le seul escadron de drones de l'Armée de l'Air. À côté des pistes d'atterrissage, se trouve un enclos très sécurisé avec une grande parabole satellite et juste à côté, une sorte de préfabriqué. À l'intérieur, on découvre un poste de pilotage. Si l'endroit peut faire penser à un cockpit d'avion traditionnel, l’équipage pilote un drone. L'engin commandé d'ici survole actuellement le Mali, à plus de 4000 kilomètres de Cognac. 

Le lieutenant Philippe, officier de renseignement, décrit le poste du pilote, qui tient une sorte de joystick entre ses mains : 

"Le pilote est responsable de la sécurité de l'appareil au même titre qu'un avion avec un équipage à bord. Il est non seulement en charge du pilotage de l'avion mais également du pilotage des caméras." 

Ce que filme le drone est ensuite transféré directement à la spécialiste de l'image qui se trouve à côté du pilote. Cette dernière scanne et compare, grâce à des cartes et des photos satellites, le terrain observé par le drone, pour détecter s'il y a eu des changements, par rapport aux autres jours, par exemple. Elle peut effectuer un arrêt sur image, si besoin, et faire ressortir des détails intéressants. 

Derrière se trouve l'officier de renseignement, aussi appelé le "coordinateur tactique". C'est le chef d'orchestre de la mission :

 Ce poste est surnommé "Huston" car il y a des écrans un peu partout. Le coordinateur tactique reçoit le flux vidéo, ce qui est filmé par le drone. Il peut enrichir ces images de données, et communique en temps réel avec les structures de commandement. 

Ce dispositif permet de survoler à distance des zones de conflits. Depuis qu’on les utilise, les drones ont considérablement changé la nature même de la guerre sur le terrain. Autant les raids aériens sont épisodiques et donnent des moments de répit aux djihadistes. Autant avec ces engins au-dessus de leur tête, les mêmes djihadistes vivent sous une pression permanente :

"Parmi les djihadistes, il peut y avoir une forme de psychose. Ils pensent toujours être suivis par des drones. Et c'est un atout considérable pour nous dans la lutte anti-terroriste. Ils ne pourront jamais se protéger des drones." 

Lieutenant Ben, officier de renseignement et coordinateur tactique.  

Crédit : Armée de l'air/Phototèque SIRPA Air.

L'embuscade d'Uzbin : le déclic

La France a d’abord acheté quatre drones Harfang de fabrication israélienne en 2006. Puis, elle a acheté trois Reapers aux Américains, en 2014. À titre de comparaison, les Etats-Unis en ont une centaine, à quoi il faut ajouter environ 150 drones Predators, le modèle précédent.

Comment expliquer un tel retard français ? D'abord, les Etats-Unis sont bien plus puissants militairement que la France. Autre élément d'explication : l'armée française achète les drones, quand eux les fabriquent. Mais la véritable raison est ailleurs. Les industriels français sont passés à côté de l’enjeu que représentaient les drones : ils ont tout simplement loupé le coche. L’armée française n’a pas non plus vu, à l'époque, l’intérêt qu’il y avait à utiliser ce type d’armement. La France n’a donc pas investi dans ce secteur.

Puis, en août 2008, c'est l'électrochoc : l'embuscade d'Uzbin, en Afghanistan, entraîne la mort de dix soldats français. 

Le commandant de l’escadron des drones, le lieutenant Ben, revient sur cet événement tragique : 

"Si on avait eu des drones en appui de cette opération, elle se serait passée différemment. Si on a des gens au sol, pris à partie, qu'on est capable de leur donner la vue du ciel, ça leur permet de se protéger et d'être plus efficaces pour réagir."


Il y a eu plusieurs phases, dans l'utilisation des drones : une première d'expérimentation, de 2006 à 2009, avec les drones israéliens. Puis une plus opérationnelle, après 2009. Des drones ont été utilisés en Afghanistan puis en Libye. Mais ils n’avaient pas suffisamment d’autonomie, et leurs caméras n’étaient pas assez précises. L'armée a alors décidé d'acheter des drones américains. 


Des drones non armés 

Les drones actuels ne font que de l’observation, ce qui est un handicap pour les militaires. Lorsqu’un drone survole une zone et détecte une cible potentiellement dangereuse, ou une cargaison d’armes qui peut servir à des attentats, il ne peut que filmer. Pour intervenir, il faut faire appel aux avions de chasse, ce qui fait perdre un temps considérable et diminue l’efficacité des forces sur le terrain.

Les militaires souhaitent donc acquérir des drones armés. Le général Lanata, Chef d’État-Major des armées, l’a clairement exprimé. D’autant plus que la France est à la traîne par rapport à d’autres pays alliés, comme le rappelle le commandant de l’escadron des drones, le lieutenant Ben :

"Les Américains, les Britanniques, les Italiens, ont des drones armés. Les Allemands ont décidé d'armer leurs futurs drones, tout comme les Canadiens. Le point de vue de l'Armée de l'air sur ce sujet est en faveur de l'armement des drones que nous mettons en oeuvre aujourd'hui."

Le général a été entendu puisque la France a annoncé le lancement d'un programme franco-britannique de fabrication de drones de combat, à l’horizon de 2030.


Éviter les erreurs des Américains

Aux Etats-Unis, certains pilotes de drones développent des troubles psychologiques, car ils sont basés à côté de leur domicile, ce qui crée une confusion entre leur vie militaire et leur vie civile. La France va essayer de ne pas copier le modèle américain, explique le lieutenant Ben :

"On veut absolument conserver en France le modèle déployé : quand on est en opération, on est en escadrons constitués, on ne pense qu'à sa mission, on n'a pas le souci d'aller chercher ses enfants à l'école. On est 100% disponibles pour la mission." 

En attendant, c'est aux Etats-Unis que sont formés les pilotes français, car seuls les Américains ont des simulateurs de vol adaptés aux drones. Ils forment aujourd’hui plus de pilotes de drones que de pilote d’avions. Mais envoyer des Français en formation là-bas, est très compliqué car les Britanniques, les Italiens, les Australiens et les Hollandais s’entraînent aussi aux Etats-Unis. Les délais d'attente sont donc longs, et les pilotes sont formés au compte-goutte.