Toulouse les Orgues, vingt ans et toutes ses dents !

Cette année, le festival Toulouse les Orgues n'a pas lésiné sur les surprises. 1996 - 2016, vingt ans, ça se fête dignement et nous avons eu une belle part du gâteau.

Etudiants en Master 1 de musicologie à l'université Toulouse Jean Jaurès, nous avons suivi la programmation de cette année avec enthousiasme et nous faisons durer le plaisir en vous proposant des articles de notre confection. 

Pour apporter un nouveau regard sur cet événement, nous avons assisté aux concerts, interviewé les artistes, recueilli les impressions du public. Avec cette belle récolte, nous avons conçu ce journal de bord qui reflète notre aventure. Chacun d'entre nous a mis la main à la pâte et nous espérons que vous trouverez plaisir et intérêt à la lecture de nos articles.


#Toulouselesorgues

#desetudiantspartout

ÉLIXIRS SONORES

Photo Hannah Rodrigo

Soirée étudiante À la Dalbade

ou l'art et la manière de bousculer les clichés...

Pour son vingtième anniversaire, le plus grand festival d'orgue d'Europe commence sur les starting-blocks. Il ouvre ses portes avec un concert déroutant. 

Expérimentation totale : une soirée spéciale étudiants, organisée de A à Z par des étudiants en communication de l'Université Toulouse 1 (Capitole),  pour les étudiants. Le concert est gratuit et les jeunes sont au rendez-vous, prêts à tenter l'expérience. Pour eux, Toulouse les Orgues propose une soirée sur mesure en mélangeant deux univers bien opposés : celui de l'organiste classique Virgile Monin et celui de la chanteuse pop Anna Von Hausswolff.

Dès le début, une atmosphère particulière se répand dans la salle. L'église est un lieu de concert inhabituel pour une grande partie de la jeunesse toulousaine. Surtout pour la majorité des étudiants présents au concert, qui ne sont pas nécessairement spécialistes de la musique classique et encore moins de l'orgue.

Le public est assis face à un mur. Devant lui, des projections lumineuses. L'artiste joue derrière, en hauteur, il fait noir. Le son vient de partout, les gens ne savent pas vers où se tourner, ni vers où regarder... Le spectacle peut commencer.

Sarah Brault

Une (ré)initiation à la musique classique

Les organisateurs du festival ont voulu montrer l'étendue des possibilités de l'orgue en proposant aux étudiants cette soirée très contrastée.


Virgile Monin a ouvert la soirée avec une première partie composée exclusivement  d’œuvres du répertoire organistique classique. Il le sait, c'est à chaque fois un challenge qu'il accepte en composant pour ce public un programme allant du XVIIIe siècle au XXe siècle pour démontrer à ce public de jeunes, pour la plupart néophytes, que la musique classique ne se résume pas seulement à celle du XVIIIe siècle ni à la musique religieuse.

Il propose alors une transcription de Jean-Sébastien Bach d'une œuvre pour  petit ensemble d'Antonio Vivaldi, en passant par une transcription personnelle de la Petite suite orchestrale de Claude Debussy ou encore par de la musique d'ensemble, en duo avec une caisse claire sur rythme de Boléro de Pierre Cochereau (1924-1984). L'auditoire fut attentif à découvrir et même redécouvrir ces grands chefs-d'œuvres de la musique classique, avec une touche "orguanique". Le constat final après ce beau moment : le pari est réussi !

Une étudiante en droit à Toulouse Capitole :

"J'étais venue pour écouter la seconde partie mais j'ai préféré la première !  "

Yui Chabot

  

"Un résultat assez différent de ce qui était annoncé [...] c'était de la pop ?! "

Que de surprises encore, quand commence la deuxième partie du concert avec Anna Von Hausswolff arrivée directement de Suède. Une musique annoncée comme pop, avec une chanteuse qui s'accompagne à l'orgue à tuyaux. 



Le résultat se trouve être assez différent de ce qui était attendu, les étudiants en témoignent à la sortie: « c'était de la pop ?! » Nous nous retrouvons face à une musique quasi exclusivement instrumentale qui mélange drone (longues plages musicales, avec tenues de sons) et expérimentation, et qui côtoie les frontières du psychédélique. Dans ces morceaux issus de son dernier album Miraculous, Anna chante assez peu, mais elle chante avec profondeur et émotion. Elle et ses musiciens semblent chercher à étirer le temps et mélanger les sons pour nous emmener ailleurs. Les projections sonores contribuent à ce voyage, en faisant chavirer les murs et les statues.

Un étudiant en biologie à Paul Sabatier :

"Super soirée, je ne m'attendais pas à ça !"

Deux ambiances opposées, une soirée pleine de diversité, de style comme de public. Les étudiants sont venus de différentes universités et domaines d'étude, pour découvrir un lieu, un instrument, du répertoire, et vivre une soirée hors du commun.

Sarah Brault


Dans les tuyaux de l'organiste Virgile Monin


Virgile Monin nous a chaleureusement reçus à l'église de la Dalbade, avant que la foule d'étudiants ne vienne l'écouter. Originaire de Bretagne, il étudie le piano et l'orgue au conservatoire de Nantes, part étudier à Paris, puis dépose ses valises à Toulouse pour profiter de la richesse du patrimoine organistique. 

Titulaire d'une licence de musicologie et d'un Diplôme d'État de professeur d'orgue à l'isdaT, il donne des cours à des enfants dès leur plus jeune âge ; un espoir grandissant pour que l'image "poussiéreuse" de l'orgue disparaisse. Il insiste sur le fait que l'apprentissage du piano n'est pas obligatoire auparavant. À bon entendeur ! Pendant ses études d'écriture, Virgile Monin développe son goût pour la transcription, c'est pourquoi ses programmes en sont imprégnés. Il aime tout d'abord faire plaisir à son public, avec l'idée permanente d'attirer l'attention ne serait-ce que pour les visiteurs curieux et pressés. Il façonne ses pièces de manière à intéresser les auditeurs.

Pour cette soirée d'ouverture, le duo avec Vincent Kau aux percussions est une belle surprise, d’autant plus que Virgile Monin nous a confié préférer travailler le répertoire soliste au répertoire d’ensemble. Il aime être seul derrière son orgue même s’il aime aussi l'idée d’être filmé et retransmis sur écran.

Il partage la pensée de Sergiu Celibidache selon laquelle l’orgue est une machine et nous explique que son instrument n'est que transmission de son et non façonneur de son. Selon lui, peu importe le toucher sur le clavier, le son reste le même. Ce qu'il aime avant tout pour s'exprimer, c'est jouer rubato (jouer librement). Malgré la connotation religieuse de son instrument, Virgile Monin distingue la musique sacrée de ses convictions et joue davantage en concert que pour les messes et les mariages.

Noélie Rolland

MAGNIFICAT À LA CHAPELLE ROYALE

Répétition du concert au temple des Carmes
Photo Tom Sarrail-Brassens

La passion, selon Jean-Marc Andrieu


Pour ce concert d'ouverture, Toulouse les Orgues s'unit avec l'orchestre des Passions, dirigé par Jean-Marc Andrieu et le chœur de chambre des Éléments – Joël Suhubiette.  Le programme, autour du baroque méridional, nous permet de (re)découvrir deux compositeurs injustement tombés dans l'oubli.

Musicologue, chef d'orchestre, flûtiste et directeur de conservatoire, Jean-Marc Andrieu fait beaucoup pour la musique baroque française du XVIIIe siècle. Grâce à ses recherches, le public a pu entendre pour la première fois à Toulouse deux motets à grand chœur de Antoine-Esprit Blanchard : le Magnificat et In exitu, respectivement composés en 1741 et 1749. Plongé dans les manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, Jean-Marc Andrieu a effectué « un travail pharaonique » dit-il, pour reconstituer la partition. En effet, ces deux motets sont écrits pour ensemble de cordes et de vents, avec basse continue. Malheureusement, n'ont été conservées pour l'essentiel que les parties des dessus de violons et des dessus de basses.

« C'est comme un travail d'harmonie », explique-t-il en rigolant. 


Antoine-Esprit Blanchard est le compositeur qui fait le lien entre Delalande et Mondonville. Et on peut d'ailleurs se rendre compte de l'évolution de son langage entre le Magnificat, qui respecte plus les codes établis par Delalande, et In exitu, plus théâtralisé, italianisé. Si le nom de Blanchard n'a pas traversé les siècles, c'est qu'il a été occulté par ses contemporains, jugés meilleurs que lui, nous raconte Jean-Marc Andrieu : « Et il est vrai qu'on ne peut quand même pas dire que Rameau est moins bon que Blanchard !"

« Fêter notre anniversaire avec Blanchard, c'est emblématique de notre démarche de recherche. On prend le risque de ne pas jouer une musique connue. Depuis deux ans que je travaille sur ce compositeur, c'était une opportunité de le présenter au public. C'est le hasard mais un hasard plutôt heureux, ça valait le coup, le public a été assez surpris. »

Cette année c'est également les trente ans de l'orchestre des Passions. Et c'est une fierté pour eux de partager cet anniversaire avec ce festival, dont ils sont régulièrement les invités. Jean-Marc Andrieu continue ses recherches sur Blanchard. Il a bon espoir de proposer d'autres motets inédits parmi les 43 grands motets composés. Peut-être même avant les quarante ans de l'orchestre !

Krystie Bricquet, Tom Sarrail.


La deuxième partie du concert était consacrée au Requiem de Gilles. Mais qui était Jean Gilles ?

Jean Gilles, un génie français

Jean Gilles, maître de musique et compositeur du XVIIIe siècle, a débuté dans les chœurs de la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence. À l'âge de vingt ans, il devient maître de musique de la cathédrale d'Agde. Peu de temps après, en 1697, il reçoit la proposition de remplacer Monsieur Farineli, maître de musique de la basilique Saint-Étienne de Toulouse. Il accepte.


Il est reçu à Saint Étienne par l'abbé d'Aussone, qui est immédiatement charmé par sa musique et lui propose de composer et d'interpréter ses œuvres au sein d’un chœur. Il devient ainsi maître de musique de la cathédrale Saint-Étienne, lieu où il va mener une belle carrière.

Dans les premiers temps, Jean Gilles bénéficie d’un soutien important de la part de la cathédrale. Son contrat prévoit des clauses qui lui permettent d'avoir à sa disposition différents musiciens instrumentistes pour exécuter ses oeuvres. 

Jean Gilles se trouve à la tête d'une des plus grandes et prestigieuses maîtrises du Midi de la France. Il compose sa musique, constituée de motets pour solistes, chœur et orchestre, des motets à une et deux voix et le Te Deum, œuvre qu'il a créée dans un laps de temps très court et qui connaît un grand succès public. Les cérémonies de la cathédrale Saint-Étienne n'avaient en réalité rien à envier aux plus grandes, comme celle de Paris.

La présence de princes dans la ville a fait que le nom de Jean Gilles est désormais connu dans tout le Midi de la France, et bien au-delà. Son contrat sera renouvelé plusieurs fois, ce qui lui a permet de continuer à composer, dont son Requiem ou Messe des Morts, joué pour la première fois à son enterrement.

En effet, Jean Gilles refusa de jouer son Requiem de son vivant à cause d’une mauvaise expérience dont nous avons connaissance par le récit qu'en fait Antoine Jacques Labbet :

« Deux fils d'un Capitoul de Toulouse commandent un Requiem pour la messe de leur père défunt. Lorsque le Requiem fut terminé, plusieurs mois après le décès de leur père, les deux fils n'étaient plus si empressés de payer le compositeur. Celui-ci, furieux, décida de ne pas le faire jouer et de le réserver à ses propres funérailles »

Jean Gilles est mort à l'âge de trente-six ans à Toulouse, le 5 février 1705. Ainsi, le Requiem fut joué pour la première fois à ses obsèques, dans la cathédrale Saint-Etienne même. Ce fut le début pour cette oeuvre d'un immense succès puisqu'elle sera donnée ensuite pour les enterrements d’autres grands compositeurs de l’époque comme André Campra, Nicolas Pancrace Royer et même Jean-Philippe Rameau, ainsi que pour les funérailles de Louis XV. 

Pour la messe funéraire de Rameau, le Requiem de Gilles fut adapté et remanié par les compositeurs Jean Féry Rebel et François Francoeur, qui ont lui incorporé des extraits d’opéras de Rameau.

Paola Martinez

ROCK THE ORGAN

L'orgue de la Dalbade
Photo Joris Duhagon

La métamorphose de l'orgue

Du rock ? À l'église ? C'est possible. À Notre-Dame de la Dalbade, un trio bouscule les conventions.

1. Le défi

L'organiste Yves Rechsteiner s'est lancé en compagnie du percussionniste Henri-Charles Caget et du guitariste Frédéric Maurin le défi de jouer du rock progressif dans les églises. Le trio, qui se décrit comme un groupe aux sonorités nouvelles, rattaché à aucune mouvance et sans style préconçu, a proposé une soirée inhabituelle à l'église Notre-Dame de la Dalbade.

Ce fut une surprise et un plaisir pour beaucoup d'entendre des titres d'Emerson Lake and Palmer, Pink Floyd, Zappa ou King Crimson réarrangés autour de l'orgue d'église. Point de chanteur ce soir-là, simplement un trio instrumental interprétant ce répertoire à la manière d'un groupe de rock. Chaque musicien a  apporté sa touche personnelle, sans interférer avec l'objectif : créer une sonorité d'ensemble.

2. Le projet

Faire redécouvrir le son de l'orgue d'église, ce n'est pas à la portée de tout le monde, et autant dire que le trio a su tenir la réputation qu'il s'était faite il y a quelques années avec The FZ Project, projet articulé autour du répertoire de Zappa.

Tout en restant fidèles à la magie primaire du rock, ils ont su apprivoiser avec brio l'énorme bête à tuyaux. En effet, Henri-Charles Caget, caméléon de la percussion, secondé par Frédéric Maurin et son sens de l'à-propos, n'ont pas manqué de répondant face à la richesse et la puissance sonores de l'orgue, et ont su se placer au creux du son pour souligner les basses, harmonies et mélodies de ces titres mythiques.


3. Le pari

Aux dires de ces trois rockeurs, il semble très compliqué de trouver un son agréable dans une église, en raison de la puissance de l'orgue et de la réverbération naturelle du lieu. Travaillant sans le confort que l'on peut avoir sur une scène sonorisée avec un système de retours, les musiciens doivent s'écouter, s'entendre et surtout se faire entendre par le public, ne pouvant compter sur le soutien d'un sonorisateur. 

Là aussi, pari tenu, et pour le plaisir de nos oreilles. L'éclairage ne pouvait bien entendu pas rivaliser avec celui d'un Zénith mais collait parfaitement avec le lieu et la soirée. En revanche, le fait de ne pas vraiment voir les musiciens, perchés aux côtés de l'orgue, était surprenant mais pas dérangeant. Le petit plus fut la diffusion sur écran géant qui permet de se rendre compte du travail physique impressionnant de l'organiste.

Même si ce projet pouvait sembler complètement fou il y a encore peu de temps, il est possible grâce à un certain assouplissement du clergé, qui autorise de plus en plus souvent ce genre d'événement. Cette évolution encourageante pousse ces trois musiciens à transformer cette aventure en véritable groupe et donne même des idées d'écriture au guitariste. Il ne leur reste plus qu'à se trouver un nom (un look peut-être ?) et le tour est joué.

Souhaitons-leur le même succès que celui des groupes qu'ils interprètent !

Marc, Joris, Marion, Paola, Fiorella

LES ANDALOUSES

Marc Loopuyt
Photo Patrick Vincent

Marc Loopuyt,
 musicologue routard


Cette année, Toulouse les Orgues propose un véritable voyage dans le temps et dans l'espace avec Marc Loopuyt. À travers son projet, il présente une rencontre entre les répertoires andalou et arabe. Qui d'autre que lui pour proposer une telle journée ?

Marc Loopuyt a compris les mondes anciens après avoir séjourné en Andalousie, au Maghreb et vécu au sein d'une tribu berbère loin de toutes commodités. Grand connaisseur de l'histoire de l'orgue et d'une multitude d'autres instruments, il est actuellement l'un des musiciens les mieux placés pour nous faire découvrir les répertoires d'une autre époque.

Pour ce projet, Marc Loopuyt s'est entouré du oudiste Thomas Loopuyt, de la chanteuse Abdellatif Bouzbiba, du cantatore flamenco Lorenzo Luiz et de l'organiste Thilo Muster. Spécialement pour Toulouse les Orgues, ils nous proposent une redécouverte du répertoire des « Deux Andalousies », oublié voire méconnu par la plupart d'entre nous. Ils ont interprété les pièces avec énergie, enthousiasme et sincérité. Ce concert a surpris par son originalité, autant dans le choix du répertoire que dans celui des instruments. En osant marier l'orgue positif aux instruments orientaux, les musiciens nous ont fait découvrir une autre facette de ce petit clavier transportable. Ainsi, le public a voyagé le temps du concert,  au son des sonates baroques, des complaintes flamenco et des mélodies berbères.

En complément, Marc Loopuyt  a donné sa version de l'origine de l'orgue lors d'une conférence. Sa présentation de quelques instruments anciens comme l'aulos (genre de flûte à deux tuyaux) et sa démonstration des techniques du souffle continu ou circulaire fut très instructive. Il a expliqué de façon concrète le fonctionnement de l'orgue, le plus puissant des instruments à vent. Durant ce court voyage dans l'Antiquité, il a replacé l'orgue, utilisé par les Romains dans les amphithéâtres mais aussi par les Arabes sur le terrain militaire, dans un contexte historique.

Ce fut très certainement une des surprises de ce festival, qui a à coup sûr, permis de réchauffer l'atmosphère en cette fraîche matinée d'octobre.


Valentin et Marc

L'orgue du Sultan

Répétition l'orgue du Sultan
Photo Joris Duhagon

Un temps entre Orient et Occident

Musiques élisabéthaine et ottomane se sont rencontrées l'espace d’un concert, à l'auditorium de Saint-Pierre des Cuisines, le 9 octobre 2016.

Certaines histoires valent la peine d'être racontées, ainsi les curieux et les avertis ont pu assister à la représentation de "l'Orgue du Sultan". Retracer le parcours de Thomas Dallam, un facteur d'orgue qui voyagea jusqu'à Constantinople, c'est ce qu'Andreas Linos, directeur artistique du projet, a brandi comme "prétexte" pour mêler musique élisabéthaine et ottomane. "Prétexte" car le programme en lui-même n'est pas narratif mais purement musical, le récit est une toile de fond, un contexte, justement pour mieux apprécier le programme...

La répétition

La veille de la représentation, les deux ensembles ainsi qu'Amel-Brahim Djelloul répétaient à l'auditorium. Ce fut l'occasion d'observer leurs échanges, leurs manières de communiquer (parfois en anglais) notamment lorsque certaines transitions n'étaient pas au point. Les deux ensembles, bien que distincts, veulent se réduire en un seul, dans un souci d'homogénéité. Ainsi le Sultan Veled propose à l'Achéron tel tempo, tel timbre afin de "jouer ensemble" et inversement, ce dialogue entre les deux formations est le pilier du projet.

Ce fut également l'occasion d'interviewer François Joubert-Caillet, dessus de viole et directeur de l'Achéron.

Les pièces choisies sont-elles arrangées ?

"Il y a plusieurs types de pièces, certaines sont jouées fidèlement à la partition, qu'elles soient élisabéthaines ou ottomanes. D'autres sont jouées par les deux formations où, l'une des deux, selon la pièce, fait l'effort de venir vers l'autre et essaie de jouer "comme l'autre", tout en gardant son identité. Il y en a aussi où par exemple je prends une mélodie ottomane et je l'anglicise, je la baroquise, c'est aussi une manière de m'approprier leur musique et Sultan Veled fait bien évidemment la même chose avec des mélodies baroques, auxquelles ils changent un peu l'intonation et la manière d'organiser la gamme pour qu'elles sonnent plus "à eux". On essaie de développer ce rapport dans les deux sens." 

(voir interview complète)

La performance

Le concert se déroule parfaitement, le lieu est à propos et l'éclairage chaleureux. On aurait de prime abord pensé que la puissance sonore des instruments, faute d'amplification, n'aurait pas contenté les personnes n'ayant pu se trouver une place proche, mais l'acoustique de l'auditorium a balayé ce problème d'un "reverb" et c'est à une présentation de qualité, sur tous les plans, que nous avons eu droit.

On peut discerner la volonté d'une certaine authenticité, notamment par la tenue revêtue par la chanteuse mais plus généralement par le choix des instruments et leurs fonctions. Et la démarche est fructueuse, autant dans le fond que dans la forme, puisqu'elle permet à la fois une fidélité dans l'interprétation, pour le plaisir des oreilles, tout en conservant l'aspect spectaculaire de la représentation, pour le plaisir des yeux.

L'après-concert

Le concert fini, les musiciens rangent soigneusement leurs instruments et semblent ouverts aux questions et remarques des spectateurs. Dans cette ambiance conviviale, Johanne Maître (flûtiste et hautboïste), ainsi qu'Andreas Linos (basse de viole et directeur artistique du projet), tous deux membres de l'Achéron, ont accepté de répondre à quelques questions. Cette interview est improvisée, elle se présente sous la forme d'un échange.

Que remarquez-vous par rapport au public et les concerts de musique ancienne ?

J.M : Il y a quelques années, le public était un public initié, mais depuis quelques temps je remarque que grâce à la politique culturelle et le fait que le prix de la place soit abordable il y a une réelle démocratisation de la musique ancienne.

Combien de temps avez-vous répété avec l'ensemble Sultan Veled ?

A.L : La création a eu lieu à Royaumont où nous avons fait quatre jours de test, qui nous ont servi de laboratoire de timbres. La scénarisation du programme est venue ensuite, nous avons eu besoin de trois jours.

(voir interview complète)

Un point abordé et très intéressant est la remarque d'Andreas Linos quant à la difficulté d’idiomatiser la musique élisabéthaine vers l’Orient.

Après cette foule d’informations (voir interview complète) et pour ne pas abuser du temps et de la gentillesse des musiciens, l'interview prit fin. Il fut agréable de constater directement leur propension à l'échange, musical bien sûr mais aussi verbal. Car ce dernier participe également à la bonne réception de la représentation, en ce qu'il nous fait prendre conscience de l'absence de décalage entre ces hommes (et femmes) de spectacles et leur personnalité

Joris Duhagon, Anne-Lise Panisset

DE LA TABLE RONDE AU CONCERT : THÉORIE ET PRATIQUE DE LA MUSIQUE

Quelle expérience enrichissante que de passer d'un univers à un autre ! Avant la découverte du kannel (qu'est-ce donc), les auditeurs sont invités à découvrir ce qui se trame, autour de la Table Ronde des Chevaliers de l'Orgue. Yves Rechsteiner, le directeur artistique du festival anime un débat sur les "contenants" et "contenus" des concerts d'orgue aujourd'hui.


La salle Mistral reçoit ce samedi 15 octobre une drôle de séance. « Comment programmer l'orgue aujourd'hui ? » Je me demande si beaucoup de mes concitoyens se posent cette question en se levant le matin, juste avant de faire un saut sous la douche....

D'un côté de la table ( plutôt en « U » que ronde) prennent place les chevaliers de l'orgue : Yves Rechsteiner, Benjamin Righetti, Pierre-Yves Fleury, Jacob Lekkerkerker, Johan Luijemes, Lionel Avot, Michel Bouvard et Jan Willem Jansen.

De l'autre côté, les intéressés par le sujet et moi-même, curieuse de savoir ce qui va se passer dans cette réunion. Le président de séance, Yves Rechsteiner, met en place tout un dispositif de questionnement qui jalonne le chemin de cette véritable quête qu'est la programmation de l'orgue aujourd'hui.

Tout d'abord, la direction artistique du festival s'inscrit dans une lignée, laquelle? Celle de Xavier Darasse qui n'hésitait pas à dire: « je suis un musicien qui joue de l'orgue », sous-entendu, l'instrument est un moyen, la musique est une fin. Si on se pose la question de l'ouverture à d'autres instruments dans le festival et si on suit la lignée de X. Darasse, alors il n'est pas difficile d'y répondre...

La parole est donnée ensuite à Michel Bouvard qui nous régale d'anecdotes concernant la naissance du festival. On a l'impression de plonger dans un album photo-famille et de revivre moult rebondissements. En ressort le rapport avec la politique de la Ville de Toulouse.

La première série de questions concerne le public. Quel public attire naturellement le festival ? Comment fait-on pour fidéliser et renouveler le public ? Quels moyens de communication mettre en oeuvre ? 

La seconde salve de questions est orientée sur la philosophie même du festival et de ses acteurs : « Pourquoi faisons-nous des concerts d'orgue ?» (Yves Rechsteiner); la problématique du lieu et de l'instrument; peut-on envisager qu'un lieu de culte puisse aussi être un lieu de culture ? Quelles relations établir avec le clergé ? Comment se positionne le clergé face au festival ? L'instrument est-il voué à rester en place ? Utopie ou futurisme, Yves Rechsteiner rêve d'un orgue-mobile, quand Jan Willem Janssen voulait installer un orgue en béton sur la place Saint Georges...

L'imaginaire ouvert par l'instrument-machine donnerait matière à écrire un livre (si j'étais auteure...) Mais déjà je vois Yves Rechsteiner qui s'agite sur sa chaise. L'heure du prochain concert approche, mettons la théorie en pratique !

L'ENTRETIEN DES MUSES OU L'ART DE LA CONVERSATION ENTRE CLAVECIN ET KANNEL

Le concert a lieu à 11h30, dehors il fait si doux, et si frais dans la chapelle Sainte Anne. Ce concert sera décidément une histoire de contraste. Le kannel, proche du psaltérion, enchante l'auditoire qui découvre un timbre rare, aux reflets perlés.


Quel bonheur d'entendre de la musique et de laisser un peu de côté des questions bien rationnelles. Le concert débute avec deux pièces de Girolamo Frescobaldi, jouées à l'orgue par Yves Rechsteiner. Le son nous enveloppe, il nous prend un peu comme dans une couverture.

Le contraste qui suit est frappant. Anna-Liisa Eller joue sur un kannel une suite de Louis Couperin. La finesse et la douceur qui se dégagent de l'instrument sont très touchantes. Le son est subtil, ténu. Il demande toute l'attention de l'auditeur qui doit aller chercher le son, dans cette chapelle finalement pas si petite.Le kannel d'Anna Liisa Eller est un instrument typique traditionnel d'Estonie, de la famille des psaltérions. Il y a des instruments cousins, en Finlande, Lituanie et Russie. Pour décrire son timbre, il faudrait imaginer le mélange du son du clavecin et de celui de la harpe. La technique de jeu consiste à faire participer tout le corps pour aboutir au pincement des cordes du bout des doigts.

Anna Liisa Eller est la première musicienne de son pays à tenter l'expérience d'interpréter le répertoire de musique baroque/classique de Couperin, Storace et Mozart, sur cet instrument. Il faut dire qu'actuellement, on ne compte que cinq joueurs de kannel professionnels en Estonie, car cet instrument traditionnel s'oublie peu à peu.

La première partie se termine par un duo de kannel et clavecin de Bernardo Storace, qui met en lumière la complicité des deux musiciens et la différence de relief des sons des deux instruments qui dialoguent.

Dans la 2e partie du concert, le répertoire convoque Mozart, qui encadre François Couperin et Jean-Philippe Rameau. L'orgue commence à jouer cette fois-ci dans le registre aigu. On sent le Mozart enfant, joueur, intrépide. Anna-Liisa Eller va pour sa part interpréter Les Sylvains de François Couperin, puis L'entretien des Muses  de Jean-Philippe Rameau. C'est une surprise d'entendre ce répertoire joué au kannel ; on entend la musique différemment, elle nous dévoile d'autres secrets. La toute dernière pièce, jouée en duo, est une variation sur La ci darem la mano,  chantée dans l'opéra de Mozart Don Giovanni.

La musique de Mozart se fait ici invitante, grâce à la complicité des instruments

ou plutôt des musiciens.

La fin du concert est déjà là, le temps a filé très vite!

Dernière curiosité, aller voir de plus près le Kannel. La facture artisanale donne l'impression à la fois de fragilité et d'une grande poésie. Je ne suis pas étonnée qu'il puisse attirer des musiciens aux coeurs tendres.

Anne-Lise Panisset

TOULOUSE LES ORGUES A VINGT ANS

L'orgue Cavaillé-Coll de Saint Sernin
Photo Lilian Farrié 

L'art de l'Orgue

Ancré dans cette envie de faire découvrir l'orgue à un public jeune, Michel Bouvard nous a fait visiter l'orgue Cavaillé-Coll de St Sernin. Lors de cette visite, il nous a expliqué comment il interprète à l'orgue symphonique les Variations sur le Veni Creator de Maurice Duruflé. Grâce à cet entretien, nous avons d'autant plus apprécié le concert des vingt ans du festival.

La visite commence par une petite porte discrète près de l'imposante entrée de la basilique. Derrière cette porte se trouve un escalier étroit qui mène à la tribune de l'orgue. Arrivés en haut, Michel Bouvard nous présente cet orgue créé en 1889 par Aristide Cavaillé-Coll. La particularité de cet orgue romantique est d'essayer d'imiter l'orchestre symphonique. Muni d'une clé, il nous invite à entrer et découvrir la console de l'instrument.

La console, là où se trouvent les différents claviers, n'a subi ni dommages, ni modifications depuis sa création. Elle comporte trois claviers, le récit, le positif et le grand-orgue. Situé sous la console, le pédalier ainsi qu'un clavier, d'une grandeur disproportionnée, sont utilisés par les pieds du musicien. Les trois claviers sont manœuvrés par une pédale de nuance. Celle-ci est appelée "champignon", le gros poussoir rouge au milieu du pédalier (voir photo ci-dessous).

Michel Bouvard explique que pour lui, l'organiste peut être considéré comme chef d'orchestre. C'est pour cela que son but, va être de créer une osmose entre les jeux et une unité du son.

Michel Bouvard dit, à ce sujet que :

« Le seul moyen d'agir sur le son, pour le rendre expressif, vient d'une part par la durée du son qui s'amplifie naturellement dans l'acoustique de l'église et qui donne cette impression de crescendo, et enfin, la manière de quitter la touche du clavier pour aller sur la suivante. Le travail passe avant tout par un travail du son. Il n'y a aucun intérêt de jouer de manière solfégique même si c'est important pour un travail de base, pour structurer le discours, mais ne concerne en rien l'art de l'orgue. »



Vingt bougies et des siècles de musique d'orgue


Le public a retrouvé de célèbres organistes comme Laszlo Fassang, Jan Willem Jansen, Charles Balayer et bien d'autres encore. Grâce à ces différents musiciens nous avons pu apprécier l'orgue à travers les âges et l'histoire de la musique. Partant de l'époque primitive jusqu'à Jehan Alain en terminant par la toccata de Jean-Sébastien Bach, le pari de nous émouvoir a été relevé. C'était également un concert anniversaire placé sous le signe de la fête et de l 'humour qui nous a réservé beaucoup de surprise. Cette invitation à voyager, dans le temps et les timbres, est une véritable réussite qui met à l'honneur les vingt ans de ce festival qui n'a pas fini de nous étonner. 

L'orgue de la basilique St Sernin est l'un des plus bel instrument que Toulouse peut compter au sein de la ville. Nos oreilles sont toujours émerveillées à l'écoute de ce bel instrument. C'est ainsi que cet hommage a eu lieu pour nous rappeler que l'orgue n'est pas dénué d'intérêt afin d'en faire profiter la belle ville de Toulouse et ses habitants pour qu'ils découvrent ou redécouvrent les joyaux qu'elle cache.

Victor Cazal, Lilian Farrié, Pauline Martin

Contrastes/Récital croisé

Concert au temple du Salin
Photo Krystie Bricquet

L'électronique Jacob Lekkerkerker 

Le Récital croisé de Jacob Lekkerkerker et Bernadetta Šuňavská , programmé samedi 15 octobre a tenu toutes les promesses de son titre. Contrastes et mélange des genres étaient au rendez-vous. Allant de Byrd jusqu'aux très récentes études de Jacob Lekkerkerker, en passant par Mozart et Pousseur, ce récital nous a plongés dans un océan de styles différents.

La volonté de Toulouse Les Orgues de renouveler son public nous a permis de découvrir l'orgue sous un nouveau jour. Les études électroniques proposées par Jacob Lekkerkerker ont pu dérouter ou enchanter les auditeurs présents ce jour. Ce passionné d'orgue classique aurait pu s'en tenir aux dimanches matins dans les églises hollandaises si seulement il n'était pas tout autant passionné d'électronique. En effet, Jacob Lekkerkerker nous confiait sur les bancs du temple du Salin que ces deux disciplines étaient ''en lui, dans son système'' et que la fusion des genres avait été très logique. Il se souvient précisément de l'occasion ;

''Je travaillais avec une chanteuse qui faisait des sons expérimentaux avec sa voix. J'étais incapable de les reproduire à l'orgue alors j'ai pris une pédale d'effet de guitare et j'ai réussi à l'imiter.''



Et c'est cette occasion précise qui nous amène aujourd'hui à pouvoir entendre ces trois études où Jacob Lekkerkerker mêle électronique, acoustique et improvisation libre. Lors de la phase de création, Jacob Lekkerkerker pense à la forme et aux différentes idées qu'il souhaite énoncer. Il nous confie cependant qu'il réfléchit aussi beaucoup à ''l'espace'' dans lequel il joue car l'acoustique d'un lieu peut lui donner de l'inspiration. En effet, ''l'orgue est le seul instrument qui est conçu pour un endroit en particulier''. Il doit donc s'adapter à l'acoustique et être flexible face à d'innombrables imprévus.

C'est aussi grâce à son ingénieure du son que nous avons la chance de découvrir ces pièces inédites. Jacob Lekkerkerker nous avouait : ''elle est très importante, sans elle je ne peux pas le faire, parce qu'en bas le son diffère complètement d'en haut.'' Nous avons donc affaire pendant ce concert à un organiste et une ingénieure du son qui, au préalable, pendant une journée entière, ajustent et règlent chaque détail.

Jacob Lekkerkerker prépare actuellement une tournée européenne avec son projet ''Cathedral Mobile'' qui mélange improvisation et électronique à l'orgue. Nous lui souhaitons autant de succès que pour ce Récital croisé.

Krystie Bricquet et Tom Sarrail Brassens

LA NUIT DE L'ORGUE

L'orgue de Saint Sernin
Photo Lilian Farrié

Six interprètes, quatre univers : Un concert sous le signe de la diversité

Ainsi s'achève le festival Toulouse les Orgues par ce concert intitulé « La Nuit de l'Orgue », où l'orgue apparaît sous toutes les coutures. Une soirée qui propose l'évasion sous le regard et les sentiments de chacun, des interprètes venus d’ailleurs mais pas si loin…

La basilique Saint-Sernin s’était transformée en véritable mélange culturel. Six interprètes de différentes nationalités ont été conviés pour ce concert et ont partagé à leur façon des morceaux de tous genres auprès d’un public passionné et curieux de découvrir un nouvel usage de l’orgue aujourd’hui. La présence d’un saxophoniste, Antoine Auberson, accompagné de Benjamin Righetti à l’orgue pour un voyage vers une musique psychédélique ; l’essence de la culture japonaise transmise par un échange entre un taiko, instrument de percussion traditionnel par Leonard Eto, et l’orgue joué par Jacob Lekkerkerker qui rappelle les musiques traditionnelles du Japon et leur poésie ; sans oublier Bernadetta Sunavska et Andrew Dewar qui ont interprété des transcriptions de musique classique comme du W.A. Mozart, du M. Moussorgski ou encore du C. Hampton.


Ces six interprètes, venus de pays internationaux, faisant partager un regard sur l'orgue tout à fait neuf et novateur.

Encore une fois, le festival Toulouse les Orgues offre une richesse culturelle immense. En effet, de nombreux artistes internationaux viennent chaque année depuis vingt ans, partager leur talent dans l'idée d'une mixité des genres, des styles et des cultures. Ce concert clôt ce festival par l'idée principale : orgue et échanges culturels.

Victor Cazal, Lilian Farrié, Pauline Martin

Fin des festivités !




Comme tout a une fin, l'heure de la conclusion a sonné. Toulouse les Orgues a révélé différentes facettes de cet instrument au travers de divers projets. Certains plus ou moins fous nous ont fait voyager et d'autres plus traditionnels ont remis des répertoires au devant de la scène. Il faut retenir de cette vingtième édition la mixité des genres, des styles et des cultures. Discuter avec les musiciens, assister aux répétitions et aux concerts a permis d'approcher cet instrument de valeur ancestrale. Finalement, ce monstre à tuyaux n'est pas si austère qu'il y paraît et peut aussi faire preuve de modernité.