ORGUE'n'ROLL

Le Master Musique à Toulouse les Orgues

NUIT DE CLÔTURE ROCAMBOLESQUE POUR UN FESTIVAL DE FOUS

Dimanche 15 octobre se tenait le dernier concert du festival Toulouse les Orgues 2017. Retour sur cette soirée au programme éclectique dans la basilique St. Sernin, dernière rencontre entre les organistes toulousains pour cette saison : l’occasion de se dire au revoir.

La représentation commence avec un enregistrement énigmatique : des rires machiavéliques, des phrases sans queue ni tête, un baragouin incompréhensible. La folie. C'est elle, elle est là, insaisissable et mystérieuse, effrayante et sans raison. Elle nous a suivis pendant tout le festival, nous dévoilant ses facettes les plus intimes. Ce soir, ce sont les organistes qui s'expriment, ces êtres cachés derrière la machine. Marie Baltazar, ethnologue travaillant sur les organistes, a précieusement recueilli leur parole, et révèle leurs plus intimes secrets.

Le répertoire de la soirée est éclectique, chaque organiste a sélectionné l’œuvre majeure qui, pour lui, représente le mieux l'idée de la folie à l'orgue. Tubular bells de Mike Oldfield, des improvisations, un Volumina de Gyorgy Ligeti très puissant et de la musique jazz entraînante. Quelle surprise d'entendre Charles Balayer interpréter cette musique à l'orgue, répertoire peu commun pour l'instrument religieux. La Cantate en un acte de Jean-Claude Guidarini, moment parodique et humoristique, vise à la dérision de certains musiciens du festival Toulousain.

La parole est aux fous

Tout au long de la soirée des enregistrements truculents sont diffusés à l'auditoire entre deux morceaux. Les organistes racontent au public la fascination et l’obsession qui les a conduit à traverser le cheminement caché et mystérieux menant à la tribune. On apprend une succession d’anecdotes captivantes offrant un aperçu de leur intimité, de l’homme derrière la machine.

Un organiste peut tomber amoureux de son instrument. Même s'il se rend compte de ses défauts au début, avec le temps toutes les petites aspérités qui le caractérisent le rendent singulier à ses yeux. Les instrumentistes finissent par tomber dans la subjectivité et dans l'admiration totale pour leurs instruments.

Parfois ce sont même des cauchemars profondément angoissants que subissent les organistes. Ils rêvent que leur instrument se déforme, rapetisse. Qu'il devient injouable, impraticable. Ils rêvent, comme les autres musiciens, de perdre leur partitions, de devoir jouer en pyjama, ou encore que leur gigantesque instrument disparaisse sans laisser de traces...

On ne s'imaginait pas les blagues que se font les organistes entre eux. On les croyait sages à accompagner la messe, cachés derrière leurs tuyaux. Mais non ! Des histoires de capotes qui se dressent sur les tuyaux d'orgues « dont le diamètre correspondait parfaitement » et des lettres soit-disant « sérieuses » de la part « du maire » inculpant au son puissant de l’orgue la capacité de fissurer les murs de l'église… ils en ont de l’humour les organistes !

J-C Guidarini décrit l'orgue exceptionnel de St. Sernin, dont la dernière restauration complète date d'il y a vingt ans :

« L’orgue de St. Sernin est un orgue vraiment extraordinaire qui vient de bénéficier d’un relevage que j’ai suivi assidûment avec le facteur d’orgue, on s’est très bien entendus. C’est vraiment un instrument hors du commun. Déjà, il est dans un lieu hors du commun. Le reproche, entre guillemets, qu’on pourrait lui faire, c’est que c’est un orgue vraiment tout en puissance. Il y a des jeux doux, mais même les jeux doux sont plus tendus qu'au Taur, par exemple, parce qu’il y a 110 mètres de basilique à remplir derrière. Les Cavaillé-Coll les plus connus en France sont ceux de St. Sernin et St. Ouen de Rouen. À St Ouen, l'acoustique est très généreuse contrairement à St. Sernin, où elle est plutôt sèche. St. Ouen est un orgue plus dans le détail, St. Sernin, c’est vraiment un char d’assaut. C’est très agréable et grisant de jouer ça. En même temps, il y a des belles couleurs, surtout depuis le relevage. L'orgue a retrouvé une homogénéité qui était un petit peu perdue."

Le relevage est moins radical que la restauration. L'orgue de St. Sernin demande une attention particulière du fait qu'il sert beaucoup, plus que la moyenne des orgues. Effectivement, il est utilisé pour les messes hebdomadaires, par les élèves de la classe d’orgue du conservatoire et encore le soir par les titulaires.

L'homme derrière la machine

Lors de la seconde partie du concert (une fois le vidéo-projecteur réparé) le public aperçoit enfin ce qui se cache derrière la tribune : trois claviers, un pédalier et des dizaines de registres dévoilent l'envers du décor. Pendant que l'organiste joue, on perçoit des mains qui se croisent pour jouer, tourner les feuilles, activer des mécanismes, changer de registre. Des post-it sur les partitions informent les registrants des manœuvres qu’ils doivent effectuer. Des pieds, avec ou sans chaussures, glissent sans effort apparent sur le pédalier… L’organiste décide tout, contrôle la machine et produit ce son puissant qui remplit l’église et fait vibrer nos corps.

Une cantate parodique

En direct, Jean-Claude Guidarini entame sa cantate burlesque par une transcription de l'ouverture du Don Juan de Mozart. Cette Cantate en un acte raconte l'histoire d'Aurélie Mesmeaker et d'Yves Rechtibulle, qui consultent le père Loiga avant de se marier. Aurélie, libertine, se refuse à un amant unique. Yves désespéré sombre, et Amélie ne tarde pas à le rejoindre par le chagrin dans l'enfer avec l’Orphée d’Offenbach.

"L’idée était de faire un truc qui tienne la route au niveau du discours, mais en prenant des auteurs différents. C’est-à-dire qu’il y a du Mozart, Offenbach, Massenet et d'autres trucs qui n’ont vraiment rien à voir les uns avec les autres, mais qui font une histoire cohérente."

J-C Guidarini prend quelques risques avec sa cantate

"C’est un lieu de culte, un lieu sacré ; et avec ce qui a dans ma cantate le curé risque de passer par toutes les couleurs de l’arc en ciel. J’espère qu’il le prendra avec un grain d’humour." Il raconte une anecdote hilarante qui lui est arrivé avec le prêtre récemment : « Pour la messe du festival, que j’ai jouée aussi, je n'avais vraiment rien à jouer… et je joue une pièce de musique italienne, en plus qui est vraiment une pièce d’orgue. Et du coup, comme j’ai joué la messe du samedi soir, je la joue pour répéter, me la remettre dans les doigts. Puis à la fin, j’entends  : "Jean-Claaude ! Vous n’allez quand même pas jouer ça demain pour la messe du festival ?" Je dis au curé  "Mais si, je n’ai que ça dans les doigts’!" 

Le lendemain, je joue cette pièce et je vais voir le curé pour lui dire : "Je suis désolé, mais avec tout ce que j’avais à faire, j’avais que ça sous les doigts’" et il répond "Non ce n’est pas grave, Monseigneur a beaucoup aimé !" En effet, l’archevêque était là. J’ai été sauvé par Monseigneur ! »

Mais il rassure : « On a la chance d’avoir un curé qui aime l’orgue et qui apprécie ses organistes. Il y a parfois des endroits où l’organiste doit démissionner parce que le curé ne supporte pas l’orgue. »

Il espère un retour plus favorable de ses amis et du public : « Pour ma part c’est vraiment un délire d’organiste qui vise Yves et Aurélie, et le curé aussi, parce qu’il est dedans. Ce que je vise c’est de leur faire plaisir, j’espère que ça va les faire rire, ainsi que le public.»

Alors ? L'orgue rend-il fou ? « Mais oui évidemment ! Il fait voir le monde autrement, il ajoute de la magie », réponds sans hésiter l'ethnologue Marie Baltazar. Cette édition du festival s'achève donc avec une soirée rocambolesque, aux attraits atypiques et multiples. Nous vous donnons d'ors et déjà rendez-vous l'année prochaine, avec la nouvelle thématique top secrète : Sacré orgue ou orgue Sacré ?

                                                                      Romain Clary et Ana Beatriz Mujica

Les organistes, quel monde à part!

Marie Baltazar, une ethnologue en préparation de sa soutenance de thèse sur les organistes, et Jean Claude Guidarini, organiste et compositeur de la cantate jouée à La nuit des Fous, racontent les secrets des organistes et leur vie dans leur monde à part...

L’orgue rend-il fou ? Marie Baltazar et Jean Claude Guidarini n’ont pas hésité une seconde : oui, évidemment ! M. Guidarini affirme qu’il est bien connu que « les organistes sont un peu fous sur les bords ». Marie Baltazar pense qu’il y a, chez les gens en général, mais aussi chez les musiciens, toujours l’idée que les organistes sont bizarres, à part, fous. Elle a découvert lors de ses rencontres avec eux, que les organistes eux-mêmes récupèrent ce discours : « tu n'imagines pas le nombre de dingues que tu rencontres ! » Mais d’où vient cette folie ?


L’organiste tout puissant

M. Guidarini l’attribue à la « puissance extraordinaire » de l’orgue. Il a raconté comment, à l’époque où les américains refusaient que le Concorde atterrisse aux États-Unis (sous prétexte qu’il était trop bruyant), l’organiste de Notre-Dame de Paris avait dit que les Américains ne se sont jamais plaints de l’orgue, « qui crache à 111 décibels ! », alors que les avions sont limités à 108 db. « Ça veut dire que l’orgue de Notre-Dame fait plus de bruit qu’un avion qui décolle ! Il n’y a aucun autre instrument qui offre ce truc-là… » Là-haut, sur la tribune, « on a l’impression d’être un peu le Maître du Monde ».

Pour nous, simples mortels, l’accès à la tribune est interdit, et le monde qui l’entoure devient mystérieux et fascinant. S’ajoute l’aspect magique du lieu, de l’église que les organistes remplissent de sons, pendant la messe et les concerts bien sûr, mais aussi pendant la nuit lors de leurs répétitions solitaires. Marie Baltazar a osé franchir la porte et entrer dans ce monde à part :

« Quand j'avais dix-sept ans avec mes amis nous n'avions pas froid aux yeux et on était montés par les échafaudages, rentrés dans la cathédrale [Saint-Étienne de Cahors], fait le tour des coupoles en haut, et on a tout visité. C'était fantastique ! Et je me souviendrai toujours du moment où, sur la tribune on a traversé l'orgue, la console et le pédalier, il fallait glisser sur le banc et monter. Un moment  de silence : c'était la traversée de la bête, de la grosse machine. »

L’apprivoiseur jaloux

Les organistes doivent apprivoiser « la bête », à chaque fois différente et inconnue. Ils se déplacent pour des concerts ou pour visiter des instruments, et s’habituer à l’orgue devient leur quotidien. « Parfois on arrive sur des trucs… on se demande si on reste pour faire le concert ou si on repart », nous confie M. Guidarini. Le titulaire de l’orgue livre alors le mode d’emploi. Mais parfois, le titulaire ne veut prêter l’orgue à personne et veille jalousement dessus, comme s’il s’agissait de son orgue. « Si l’on y va jouer, c’est presque comme si on avait couché avec la femme de l’organiste, ou le mari, suivant le cas ». C’est une jalousie furieuse.

Mais le plus souvent ils s’entendent bien et la découverte du nouvel orgue se traduit dans de nouvelles rencontres. Marie Baltazar explique qu’« on imagine l'organiste solitaire, mais en fait pas du tout ! En voyageant il rencontre plein de gens qui lui font découvrir les spécialités locales. »

Bien manger, bien boire, bien rire

M. Guidarini explique qu’il y a deux sortes d’organistes, ceux qui se prennent très au sérieux, et ceux (dont il fait partie) qui aiment « bien manger, bien boire et bien rire ». Marie Baltazar avait déjà observé de son côté qu’il s’agit de quelque chose que les organistes ont en commun entre eux : « Ils aiment bien manger ! Moi aussi d'ailleurs […]. Ils aiment bien rigoler aussi, j'adore leur humour […] Ils aiment bien boire aussi. Je suis pareille ! J’apprécie beaucoup, après un concert, aller manger et boire une bière avec les organistes, nous marrer sur tout un tas de trucs… Je pense que tout simplement c'est le goût du monde. Explorer passe souvent par la bonne nourriture et les bons vins. »

De l’humour avant tout

« On aime bien faire des blagues », dis M. Guidarini. Marie Baltazar avait déjà raconté une de ses blagues : « Il a fait une lettre hyper sérieuse, faussement de Dominique Baudis, le maire de l'époque. » La lettre disait qu’une étude sismologique avait démontré que les fissures sur le parking de St. Etienne étaient apparues à cause du jeu de l’orgue, et que le jeu des tuyaux de seize et trente-deux pieds étaient dorénavant strictement interdits. « Il a fait cette blague à un copain organiste. Des fois ils se font des blagues entre eux, quand même ! ». C’est aussi M. Guidarini qui a mis des capotes sur les tuyaux de sol et fa# (les premières notes du concert) pour que le son ne sorte pas. Quand l’organiste qui allait jouer est allé vérifier quel était le problème, les capotes se sont dressées « et on a entendu un énorme éclat de rire ! ».

Mais M. Guidarini n’est pas le seul à faire des blagues. Il nous a raconté que pour l’inauguration de l’orgue de Taur en 1880, Guilmant avait fait une improvisation sur La Toulousaine, « une chanson à la mode à l’époque. Mais il a fait une improvisation tellement savante que personne n’a l'a reconnue ». L’organiste de St. Sernin, qui dirigeait une harmonie (de cuivres, bois et percussion), l’a entendue, et « le lendemain du concert ils sont allés sous la fenêtre de l’hôtel où étais Guilmant pour lui jouer La Toulousaine, pour lui faire comprendre que ‘La Toulousaine, c’est ça!’ Je trouve ça extraordinaire. C’est l’humour des organistes que j’aime bien. »

Les organistes utilisent l’humour même pour se venger.  M. Guidarini nous a raconté comment Francis Chapelet et André Isoir sont allés dans l’Eure depuis Paris pour visiter un orgue et, comme le curé ne les a pas laissé aller à la tribune, « pour se venger, ils ont inversé l’ordre des tuyaux de l’orgue du chœur ».

Folie ou passion

Marie Baltazar l’a bien exprimé : « si on peut parler de folie, c'est du côté de la passion. Ce sont des gens passionnés. Frédéric Chapelet dit ‘ on peut être fou amoureux d'un orgue’. Il m'a raconté qu'ils font des milliers de kilomètres pour voir un orgue, pour entendre un orgue. Ils en connaissent toutes les singularités techniques, tous les tuyaux ! La folie de leur métier aussi c'est qu'ils doivent être interprètes, improvisateurs, qu'ils connaissent leur ordres. Il y a toujours un problème à résoudre pendant la messe. Pour choisir le registre adéquat dans l'église ils doivent connaître l'histoire de la musique. Ils possèdent un bagage monumental. Ce sont des esthètes, quelque part, de la musique, de l’interprétation et de la machine. Les musiciens d'orchestre me disent que les organistes sont à part parce que ce sont ‘ des grosses têtes’ ».


Ces deux interviews nous rapprochent des organistes et de leur monde à part. Le regard de l’ethnologue et celui de l’organiste se rejoignent et se mêlent pour offrir un petit aperçu de ce monde caché derrière l’église fascinante, la machine puissante et l’organiste fou. Ce n’est qu’un hors-d’œuvre qui donne envie d’en découvrir davantage.

                                                                     Ana Beatriz Mujica et Romain Clary

CONCERT DE CLÔTURE BRASS BAND & ORGUE : DEUX EN UN !

Le Brass Band de Toulouse et Barbara Dennerlein se sont rencontrés pour « un concert deux en un » aux frontières du jazz et du classique à la cathédrale Saint-Etienne.

Perchée sur le grand orgue de tribune à plus de dix mètres au-dessus du public, Barbara Dennerlein prend la parole. Elle s'exprime en français et en anglais, traversant ainsi l’espace immense qui sépare l’audience des organistes et qui n’est habituellement comblé que par la musique. Mais après tout, n’est-elle pas sur le point d’ouvrir un concert inhabituel, avec du jazz à l’orgue à tuyaux et un brass band dans une cathédrale ? Toutes les folies sont donc permises.

Lorsque des notes de jazz s’échappent du grand orgue, l’interprète fait découvrir toute la subtilité des jeux que cet instrument peut offrir avec son premier morceau, Blues in the pipeline, qui laisse le public voyager dans les années cinquante et leurs blues aux lignes de basse jouées pizzicati à la contrebasse à cordes. L’équilibre est toujours étonnant et nous évoque au fil des œuvres tantôt un orchestre, tantôt le répertoire plus classique de l’orgue au gré de la ligne mélodique. Un rappel que l’orgue fut bien avant le jazz le lieu de nombreuses improvisations ! Il est ce jour-là l’instrument où tout se mêle.

Charnière du concert, placé entre orgue et public et au milieu de la programmation, le Brass Band de Toulouse entre en scène. Yves Rechsteiner, directeur artistique du festival, a prévenu : ils joueront « du gros son […] mais [seront] aussi parfois tendres et voluptueux ». L’ensemble de cuivres et percussions montre alors qu’il est capable des nuances les plus fines, dans une acoustique pourtant très complexe. Comme l’a confié Jean-Guy Olive, chef d’orchestre, il a fallu adapter la manière de jouer au lieu. « Qui dit orgue dit église, et qui dit église dit acoustique un peu trop généreuse… Ca nous oblige à être irréprochables sur la justesse, à baisser les tempi et à jouer beaucoup plus court. »

Le Brass Band arrive pourtant à créer des atmosphères emplies de magie sans faire oublier l’orgue. Lors de certains accords, notamment dans le « Benedictus » de The Armed Man de K.Jenkins, le public retrouve ce que l’ensemble s’était réjoui d’entendre en répétition : l’orchestre sonne comme un orgue. Mais malgré cette ressemblance, l’instrument à tuyaux mettait « la pression » au chef d’orchestre : « l’orgue avec les jeux de cuivres ouverts, c’est vraiment ce son-là, les gens vont le retrouver. […] Mais avec ce monument, impressionnant, au-dessus de nous, ça nous met la pression du son, de la justesse. »

Quand Barbara Dennerlein revient pour clore le concert à l’orgue Hammond, elle admet apprécier la proximité du public. C’est l’occasion pour ce dernier de découvrir son jeu de pédalier impressionnant, qui parcourt le clavier sans cesse. Les sonorités nouvelles sont en perpétuelle mutations, quasiment imperceptibles et pourtant très fortes, grâce à la dextérité de l’interprète qui actionne les jeux en même temps qu’elle joue.

On regrettera seulement l’absence de pièce commune entre l’orgue et le brass band. Les deux sont restés séparés mais nous ont offert un véritable concert « deux en un », aux frontières du jazz et du classique, symboliquement placé au centre d’une cathédrale dont la configuration évoque déjà cette dualité.

Mathilde Liffraud

SURPRISE ! CES INSTRUMENTS QUE L'ON N'ENTEND PAS SOUVENT

Retour sur le concert surprise du festival et notre rencontre avec Thomas Bloch à l’Église du Gésu. Il  fait découvrir ses instruments atypiques. Tandis que les spectateurs continuaient à rentrer dans l’Église, les instruments sur la scène : l’organiste Yves Rechsteiner a commencé à jouer à 17h17 précises, comme annoncé.

Dès l’arrivé, la surprise était évidente : un instrumentarium original constitué d'une harpe, des ondes Martenot et le cristal baschet. Malgré l’ignorance du public à propos du répertoire et des instruments , il a été au rendez-vous dans l’église. Après le premier morceau, les interprètes jusqu’à présent anonymes sont entrés en scène. Les auditeurs reconaissent alors Pauline Haas et Thomas Bloch.

La veille du concert nous avons pu interviewer Thomas Bloch, qui avoue son coup de foudre pour la sonorité de ces instruments rares :

« J’ai découvert les ondes Martenot quand j’avais sept ou huit ans, je les ai entendues à la radio. J’ai eu un coup de foudre pour le son de l’instrument. Je commençait la musique à ce moment-là par le piano. J’avais gardé toujours en tête les ondes Martenot, mais j’habitais à Colmar où il n’y avait pas d’enseignement. Très peu de conservatoires enseignent cet instrument. J'ai pu commencer plus tard à Strasbourg, puis au Conservatoire de Paris. Et à Paris, un  professeurs d’analyse fait entendre une œuvre à l’aveugle. C’était une œuvre de Mozart pour harmonica de verre et quatuor. Dans l’analyse il fallait identifier le compositeur et les instruments. Personne ne savait ce qu'était cet instrument, l’harmonica de verre. C’est juste au moment où je venais de le redécouvrir dans les années 80, c’est pareil j’ai eu un coup de foudre donc j’en ai acheté un tout de suite. J’étais le premier en Europe à avoir cet instrument. Ensuite on m’avait demandé d’organiser un tour avec ces instruments une exposition en Alsace. Après quelques recherches j’ai découvert aussi le cristal Baschet, c’était le début des années 90, un autre coup de foudre. »

Professeur d’ondes Martenot au Conservatoire de Strasbourg et à l’Académie Supérieure, il est un des rares musiciens à se consacrer à ces instruments. Il explique alors le fonctionnement du cristal Baschet :

« Il y a une cinquantaine de tiges en verre, toutes de la même longueur. Elles sont reliées à d’autres tiges en métal, de différentes longueurs, pour les différentes fréquences (les plus longues pour les graves, etc). Ces tiges verticales sont encastrées dans une plaque lourde en métal. Ensuite à partir de cette plaque le son est diffusé vers ces cônes en fibre de verre et cette plaque métallique pour les graves. L’instrument est chromatique. Il a des touches organisées comme celles du piano. Il y a des repères : les do en rouge et les sol en jaune. »

Comment fait-il pour pouvoir accorder le son de l’orgue avec la sonorité d'instruments plus subtils ? Yves Rechsteiner le directeur artistique du festival et lui se connaissent déjà depuis quelques années :

« On a eu un temps d’adaptation. Mais Yves connaît mes instruments, on a déjà joué ensemble, donc on ne part pas de rien. Je lui fais entièrement confiance. On travaille à l’oreille et on peut adapter le niveau sonore.»

Quelle chance d’assister à ce concert, surtout pour pouvoir entendre le cristal Baschet. Thomas Bloch nous explique de quoi sont constitués les répertoires pour ces instruments :

« Pour le cristal Baschet il y a très peu de choses vraiment écrites. Beaucoup d’interprètes écrivent eux-même les pièces. Il y a beaucoup de choses, par contre, au niveau de la musique de film. C’est souvent improvisé parce que les compositeurs ne connaissent pas forcément l’instrument, la sonorité et les possibilités. Donc ils font confiance aux interprètes. Récemment, un film est sorti la semaine dernière, Blade Runner, auquel j’ai participé sur la bande sonore avec le cristal Baschet. Il y a beaucoup de films comme ça, je suis assez sollicité. Pour les ondes Martenot, il y a plus de répertoire, l’origine c’est 1929, le cristal c’est 1952. A partir de 1928, quand les ondes ont étés présentées à Paris au public, il y eu beaucoup de répertoire pour cet instrument. Il y a eu Varese, Jolivet, Messiaen, Darius Milhaud, et d’autres, donc il y a un répertoire assez large. Il y a une quarantaine de concerto. Mais à partir des années 70 il y a eu une perte de vitesse. Mais je suis plus intéressé par ses capacités sonores, par ses possibilités techniques. On le redécouvre depuis peu de temps, il a un retour en grâce de l’instrument, par le biais de la musique pop, par exemple il y a un groupe qui l’utilise beaucoup, avec lequel j’ai eu l’occasion de travailler, Radiohead».

Il explique donc que ces instruments s’enseignent au même titre que les instruments traditionnels, constitués en cycles au conservatoire comme le piano et le violon. Nous lui demandons s’il connaît le thérémine un autre instrument à ondes conçu au XXe siècle :

« J’ai essayé un peu. Mais c’est beaucoup plus compliqué, beaucoup plus difficile, au niveau de la justesse. C’est extrêmement délicat à manipuler. Ici (dans les ondes) on a aussi ce côté lyrique, mais avec beaucoup plus de précision parce qu’on utilise une bague avec un fil, et en fonction de l’emplacement de la bague face au clavier on a la note qui correspond. On a un repère visuel, alors que dans le thérémine, c’est à l’oreille. »

Nous lui demandons ensuite s’il sait pourquoi sa participation au festival a été réclamée cette année, et comment ses instruments peuvent représenter la folie :

« Il y a deux ans j’étais venu avec l’harmonica de verre, qui rendait ses interprètes fous, il a cette réputation. Il a était interdit d’ailleurs par la police à l’époque. C’est un instrument en cristal qui a été inventé par Benjamin Franklin et qui a disparu vers 1935. Un des dernier à l’utiliser a été Donizetti dans un air qui s’appelle l’Air de la folie, et il a été remplacé ensuite par la flûte. Quand on l’a redécouvert, un des premiers à l'utiliser est Jack Nietzsche dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. Le cristal Baschet est un cousin de l’harmonica de verre. »


D’autres membres de l’équipe de rédaction ont assisté au concert jouant le jeu de la surprise. Ils reviennent sur le programme du concert : l'orgue n'a fait que trois apparitions, et c'est peut-être là que réside la surprise du jour. Entendu au premier, sixième et huitième morceau, il a surtout laissé s'exprimer les autres instruments qui, ensemble ou séparément, nous ont submergé d'atmosphères toutes particulières. Le choix du répertoire s'est concentré sur le milieu du XXe siècle. L'Adagio de Barber a annoncé la couleur du concert avec ses sonorités et ses harmonies envoûtantes. Des mélodie aériennes, produites par les ondes Martenot, ont alterné avec des œuvres à l'écriture contemporaine (Messiaen). Le septième morceau - Heroes die de Richard Wells, compositeur de musiques de film, fait de bruitages grâce à l'utilisation de bandes sonores enregistrées, a même plongé le public dans un climat angoissant de film d'horreur.

Quand on lui demande ce qu’il attend de la réaction du public lors du concert, Thomas Bloch nous avoue entre rires : « Je suis prêt à accueillir les tomates, tant qu’elles sont bio ! ». A la fin du concert le bilan était partagé. Entre les spectateurs curieux, qui n’ont pas attendu pour monter sur la scène voir de plus près les instruments, et ceux qui sont parti directement. Dans tous les cas, ce concert a été surprenant pour tous. Expérience intéressante à tous points de vue.

                                                                          Aitana, Romain, Laura et Gaëtan           

UN VOYAGE SONORE et COLORÉ


Lors d'une balade en musique, Loïc Mallié et Karsten Dobers emmènent le public vers un horizon qui rend hommage aux grands compositeurs du XIXe siècle.

Amis de longue date, l'organiste Loic Mallié et l’altiste Karsten Dobers se retrouvent pour un concert à l’Eglise Notre-Dame du Taur. Ils offrent au public les timbres contrastés de leurs instruments avec une large palette sonore. Les transcriptions pour orgue et alto rendent pleinement hommage aux œuvres de Hector Berlioz, Jean-Sébastien Bach, Gabriel Fauré et Maurice Ravel.

A la fois intimiste et captivante, la prestation commence par la Marche des pèlerins, de Berlioz et laisse entendre les chaudes couleurs de l’Italie. Le choral du veilleur de J-S Bach invite au recueillement. Loïc Mallié nous a livrés qu’il était toujours à la « recherche des contrastes de couleurs ». L’orgue à pleine puissance fait vibrer tout l’édifice avec une improvisation sur les thèmes d’Harold en Italie en hommage à Berlioz. En un feu d’artifice, l’organiste présente un moment unique rempli d’originalité, de fantaisie osée et de vivacité. L’alto rejoint l’orgue et les deux musiciens jouent ensemble les Pavanes de Fauré et Ravel avec une sensibilité proche de la musique de chambre.


« Nous jouons pour faire plaisir » disent les musiciens avec beaucoup d’humilité. L’église au complet accueille un public attentif. Bercés par la musique, certains auditeurs pianotent sur les stalles et d’autres balancent leur tête au rythme de la mélodie. Leur pari accompli, le public les acclame généreusement.

Beaucoup de partages, de surprises, de forces reflètent un long travail « d’adaptions aux circonstances » pour que « tout baigne dans l’huile ! » dit en souriant Loïc Mallié.

Amandine Honoré, Antoine Moulard et Quentin Moulard

UN CONCERT JEUNE PUBLIC MULTIGÉNÉRATIONNEL

Conteuse, projection et orgue, le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns / photo Amandine Honoré

Un public de tous âges a assisté au Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns représenté par un trio d'artistes.

L'église Saint Nicolas a accueilli pour une prestation hors du commun le dessinateur Jon Wirthner, la narratrice Leatitia Bos ainsi que l'organiste Ursula Heim.

Trois arts combinés, la musique, le dessin et la littérature ont produit une performance qui ne s'adressait pas seulement aux oreilles mais aussi aux yeux. « La musique appelle les images », nous raconte Ursula Heim. Le projet consiste à réaliser des petits dessins créés en « live » puis projetés en grand, qui suivaient la dynamique de la musique. La présence des images permet « de visualiser le caractère des animaux ». Jon Wirthner peint en direct les figures, assis devant sa table d'atelier avec son pinceau et son papier noir.

L’organiste a l’intention de toucher le plus possible de monde avec « le dessin du cœur émotionnel qui fait du bien à la musique ». La musique, le Carnaval des Animaux est une transcription d’orchestre pour orgue. C’est ce qui a rendu le travail « intéressant » et complexe selon l’organiste car cet instrument monumental est capable de reproduire et d’imiter les sonorités de l’orchestre.

Le lien entre le graphisme et la musique offre au public un travail soigneux. Quant à la narratrice, debout en hauteur, dans la chaire, elle contait l'histoire du carnaval des animaux. Le support littéraire apportait une dimension amusante et captivante.

Ce que voulait Ursula Heim, c'est « toucher un public composé de quatre générations ». Son projet est complètement réussi. L’audience était diverse et de tous les âges. Les trois artistes ont su tenir l'assemblée dans un moment ludique, de partage et plein de sensibilité. Les plus petits se retournaient en entendant les sonorités particulières et amusantes de l'orgue. Enfants et parents chuchotaient et cherchaient à deviner quel était l’animal représenté. Et tout ceci participait à l'émerveillement de tous et au charme du moment.

Le concert se termine avec un tonnerre d’acclamation du public.

« L’orgue pour toutes les générations »

Antoine Moulard, Quentin Moulard et Amandine Honoré

SILENCE, ÇA TOURNE ! 
Le souffle de l'orgue fait revivre le cinéma d'autrefois

Avec le film L’étroit mousquetaire de Max Linder le Festival Toulouse les Orgues a transformé la Basilique Saint-Sernin en salle de cinéma. La rencontre de l’organiste avec le grand comique français a fait résonner bien des fous rires dans la nef.

La longue queue à l’entrée de la Basilique laissait deviner l’envie du public toulousain pour ce concert. En collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse, l’organisation du Festival a pu, une nouvelle fois, programmer un concert d’improvisation sur un film. En improvisant la bande sonore du film L’étroit mousquetaire l’organiste Monica Melcova, professeur d’improvisation au Conservatoire Musikene de San Sebastián, a donnait une nouvelle vie à cette comédie.

Ce film de 1922 est l’œuvre du grand artiste Max Linder, qui démontre aujourd’hui comment faire une comédie sans effets spéciaux mais avec de l’imagination. La Cinémathèque de Toulouse a voulu mettre en avant ce comédien que Charles Chaplin reconnaissait comme son maître et qui pourtant a été oublié par le cinéma. La version qu’on a pu voir de L’étroit mousquetaire est une restauration de 1995 par la Stifung Deutsche Kinemathek, car la version originale de 1922 a disparu.

Monica Melcova a apporté la touche décisive à cette comédie burlesque avec son improvisation, à la manière des cinémas d’autrefois. Mais à la place du piano ou des orgues de cinéma, jeudi soir on a entendu le grand Cavaillé-Coll de la Basilique. Mercredi, Monica Melcova nous avait expliqué le procédé pour ce concert atypique et nouveau pour elle aussi. Habituée à improviser sur des textes ou des images fixes, l’organiste découvrait là une nouvelle contrainte : s’adapter au rythme de l’action du film. Pour cela, elle disposait d’un petit écran posé sur le pupitre de l’orgue pour regarder le film en direct.

“Je n’ai vraiment rien choisi, c’est le directeur du festival qui m’a proposé de faire un ciné-concert.  L’orgue de Saint-Sernin est un grand instrument, monumental, il offre au musicien une console comportant 54 jeux sur 3 claviers et pédalier, on peut vraiment s’amuser ! C’est une nouvelle expérience pour moi. Les responsables du festival ont mis beaucoup de temps pour choisir le film. Il faut considérer le thème du festival, la durée et l’action du film. Enfin nous avons trouvé ce film parfait, il dure 55 minutes et c’ est une vraie comédie. Ce film est parfait pour les spectateurs de tous âges.”


De cette manière, le public a eu le plaisir d’écouter une bande sonore sur mesure pour cette pellicule. L’ouverture du film avec une musique grandiose a mis tout le monde dans l’ambiance. Puis elle a illustré l’action avec différents thèmes : des habaneras pour les duels burlesques entre les mousquetaires, une valse caricaturale pour un ivrogne ou la mélodie des Valkyries de Wagner pour la bataille finale. L’organiste a joué aussi avec les différents registres de l’orgue pour créer un leitmotiv pour chaque personnage. Ainsi, elle utilise pour Constance, l’amour de Lindertagnan, un registre doux avec les jeux des flûtes. Un registre grave, employé pour créer une mélodie inquiétante, était réservé au Cardinal Pauvrelieu, pendant que les jeux en chamade illustraient la fanfare.

En définitive, nous avons été transportés dans le temps grâce à ce cinéma-concert. Bien que tous les ans le festival propose un concert de ce type, le public était une nouvelle fois surpris de voir un grand écran dans une église. Résultat de l’expérience : le rire des spectateurs pendant le film et l’ovation à la fin tant pour l’œuvre de Max Linder comme pour l’improvisation magistrale de Monica Melcova.

Aitana, Xiaoxu


ALCHIMIE ENTRE ORGUE ET CORNET À BOUQuin

L’organiste Jean-Luc Ho et la cornettiste Sarah Dubus se sont réunis pour donner un concert virtuose et époustouflant.

Les mains de Jean-Luc Ho parcourent à toute vitesse le clavier de l’orgue des Minimes. Cet instrument récemment reconstruit est unique. Avec ses tuyaux horizontaux d’inspiration ibérique, il figure dans la liste des orgues méridionaux. En même temps il est très européen grâce à ses jeux et couleurs germaniques. L’organiste nous livre que c’est un instrument “très dynamique”, “très tranchant”, mais “jamais agressif ”.

L’église Saint François de Paule a accueilli un concert prodigieux de deux musiciens talentueux, Jean-Luc Ho à l’orgue et Sarah Dubus aux cornets et à la flûte à bec. Les deux jeunes artistes nous ont gratifiés d’un programme audacieux autour d’œuvres extravagantes du XVIIe siècle, proposant des pièces de compositeurs italiens de la seconda pratica, tels que : G.P. Cima, G.B Fontana, B. Bovicelli, C. Monteverdi, C. Gesualdo, G.P. Del Buono et de S. Rossi. Une occasion pour les deux artistes de mener un programme qui “sort de la banalité”, dans une perpétuelle quête de l’originalité.

Le voyage musical débute tout en frénésie avec l’œuvre “Frais et gaillard” : les premières notes de l’orgue se font ressentir tel un appel à la concentration, juxtaposé à un apaisement. Les transitions et ruptures entre chaque partie ne se font pas sentir, car la communication a été bien établie entre les deux solistes et ils nous ont captivés jusqu’au bout. Sarah Dubus, au son unique, jonglait brillamment entre cornet traditionnel, cornet muet et flûte à bec. Une maîtrise de l’instrument qui nous a laissés pantois. D’autre part, les sonorités claires et profondes de l’orgue nous ont transportés dans les tourbillons des fugues, des danses et la rapidité des notes.

Les deux solistes ont su créer une prestation fantaisiste et pleine de surprises. Leur grande virtuosité est mise “au service de la musique et de l’émotion du public”, comme l’a bien dit Jean-Luc Ho, en répétition, la veille du concert.

Une performance musicale intense mais trop brève qui nous a laissés sur notre faim. Un déjeuner musical qui a, non seulement nourri nos oreilles, mais aussi éveillé notre esprit à une nouvelle perception de la musique ancienne du XVIIe siècle. Le duo a été acclamé par un public très enthousiaste, qui ignorait encore tout de cette alchimie.

Quentin, Hervé, Ken

LE MONDE À L'ENVERS

Un pendule, véritable troisième instrument du spectacle, est entouré par le public dans une atmosphère contemplative. Cette bouteille remplie de sable et percée à son extrémité est suspendue sous la voûte de l'église puis lancée par l'organiste pour produire des figures géométriques, principe inspiré par le travail du mathématicien Jules Lissajous. L’écoulement du sable et les mouvements continus du pendule créent des mandalas qui matérialisent le lien entre les deux mondes musicaux et offrent l'architecture au sol de ce "monde à l'envers".


Le concert mélange deux répertoires éloignés par le temps et par l'espace : les répertoires traditionnel japonais et de l'orgue européen. Cette union improbable sur le papier se manifeste dans les tuilages quasi imperceptibles des deux instruments, qui en viennent parfois à n'en faire entendre qu'un. Le premier coup donné sur le bol chantant marque le début d'une expérience sonore et visuelle continue où les répertoires se rencontrent et se mêlent. Comme nous l'a souligné Johan Luijmes, c'est bien "la combinaison de toutes ces choses [qui] donne l'ambiance de la pièce".

Les timbres, soient les "couleurs" des deux instruments utilisés, se sont unis pour ouvrir une porte vers une expérience hypnotique. A la première occurrence de cette fusion, on croirait presque que la flûte est capable de double-son. Il s'agissait pourtant bien de l’orgue qui prenait le relais avec le Ricercare de G. P. Cima superposé avec le répertoire traditionnel de la flûte, créant un nouveau morceau singulier. Lors d’autres tuilages, notamment de Tsuru no sugomori vers Le verbe d’Olivier Messiaen, on réalise tout le paradoxe de ce concert au sein de la structure harmonique. La dernière note du shakuhachi est le pivot entre deux échelles modales, réservoirs de notes différents qui vivent une rencontre aussi atypique que celle de ces deux cultures.


Pour Luijmes, des bâillements dans l'auditoire sont le signe d'un concert réussi ! En effet, le mot d'ordre de la soirée était l'expérience méditative, tant par le rapport au bouddhisme que pratique le flûtiste Harrie Starreveld, que par le mouvement hypnotique du pendule. Yeux fermés ou rivés sur le mandala, les échos inattendus de cette association semblent avoir résonné en chacun.

Ce moment fut donc une réelle "[guérison] de la folie du monde"... "J'en aurais bien pris quinze minutes de plus !" glisse une dame à son voisin en sortant.


Hannah Booth, Mathilde Liffraud, Vivien Maraval, Joabe Meira

EN IMMERSION DANS UNE CATHÉDRALE SONORE

L'orgue "en nid d'hirondelle" de la cathédrale Saint-Etienne Toulouse / photo Amandine Honoré

Cathedral Mobile, un concert à 360°

Ces mercredi 4 et vendredi 6 octobre, la cathédrale Saint-Etienne se porte témoin de la rencontre entre modernité et tradition, suscitant une interrogation : orgue et électro-acoustique résonnent-ils à l'unisson ?

Pour l'avant-première réservée aux étudiants de son 22e festival, Toulouse les Orgues ouvre ses portes avec Cathedral Mobile, œuvre composée par l'organiste Jacob Lekkerkerker, accompagné par Alfredo Genovesi au dispositif électronique et à la guitare, et Roger Redgate au violon. Une belle manière de faire découvrir cet instrument souvent méconnu, dont la ville possède pourtant un important patrimoine.

Cette pièce expérimente l'alliance de procédés électroniques à une instrumentation acoustique, conjugués à un dispositif de spatialisation sonore qui plonge l'auditeur dans un questionnement perpétuel quant à l'origine exacte de ce qu'il entend.

L’expérimentation et la prise de risque sont donc au cœur de la vie et de la musique de Jacob Lekkerkerker ; l'artiste nous explique dans une interview qu'il jouait de l'orgue de façon sérieuse mais "just for fun" en même temps que ses études d'histoire de l'art et de philosophie. L’organiste a dû inventer une technique très personnelle car il possède une particularité physique : sa main droite n'a que deux doigts ! L'idée d'une carrière d'organiste lui semblait folle : "à cause de mon handicap, c'était une idée idiote de vouloir être un organiste avec sept doigt donc c'était pour le plaisir"

Le concert débute sur quelques éléments bruitistes épars, alors que le public finit à peine de s'installer dans les stalles de la cathédrale Saint-Etienne, plongé dans un décor à couper le souffle. L’éclairage minimaliste met en lumière la pièce maîtresse de cette soirée : le grand orgue, mastodonte surplombant la nef. Son centre, nimbé d’une douce lumière, laisse deviner le siège du maître d’œuvre de cette soirée, l’organiste.

L'art de créer une atmosphère

S'en suit une heure de performance, où les trois acteurs explorent les possibilités de leurs instruments et s’approprient la totalité de l’espace qui leur est offert. L’œuvre en cinq parties est le théâtre de jeux sur les textures sonores, les variations de volume, les mouvements circulaires du son. En résulte une accumulation de tensions qui se fondent parfaitement dans l'impressionnante cathédrale. Peu à peu se construit un paysage, une atmosphère, où l'esprit vagabonde avec douceur et prudence, jusqu'aux multiples climax qui jalonnent la pièce.

La performance livrée par le violoniste Roger Redgate démontre sa maîtrise des codes de l'improvisation libre, à travers un jeu où frottent et s'entrechoquent les sons les plus bruts de son instrument.

Malgré l'intéressante spatialisation du son, l'absence de rythme et l’ambiance parfois austère n'ont pas conquis la totalité de l'auditoire. Trop expérimental et dissonant pour certains, d'autres ont apprécié le surprenant résultat final. Quoi qu’il en soit, il va sans dire que l'artiste n'aura pas laissé son public insensible !

Cédric, Hannah, Tom

Jean-Baptiste Dupont fait trembler les voûtes de la Dalbade


Le concert "Démesure & déraison" de l'organiste Jean-Baptiste Dupont a fait entendre les œuvres Petrouchka (Stravinsky), la Passacaille (Ravel) et l'Introduktio, Variationen und Fuge über ein Originalthema op.73 (Reger). Ces réécritures pour orgue se sont parfois révélées percutantes pour les oreilles. Le répertoire choisi appartient à différents styles du XXe siècle. Pourtant, le spectateur a eu la sensation que tout s'enchaînait, sinon sans interruption, du moins sans rupture franche.

Une fois l'organiste en place, la musique de Stravinsky heurte les murs de la Dalbade. Regard face à l'autel, un jeu de lumière reste la seule chose sur laquelle se concentrer. Le programme amène à une sorte de transe méditative atypique au cadre sacré de cette église. La musique est violente, le volume sonore intense. Petrouchka laisse place à Ravel, et nous permet de respirer, avant le monstre Reger. Le jeune organiste entre maintenant sur son terrain de prédilection, étant actuellement en train d'enregistrer l'intégral de ce compositeur. Après avoir fait vibrer les bancs de l'église, le public en demande encore. Il aura droit à une improvisation beaucoup plus éthérée, avant de pouvoir quitter les bancs et se remettre de ce concert.

Finalement, le programme de Jean-Baptiste Dupont relève presque du blasphème : on entendra dans l'église de la Dalbade la musique primitive de Stravinsky, les chants païens basques de Ravel et enfin la démesure de Reger. Un concert singulier qui a secoué son public.

Le concert exceptionnel de Kanaka Shimizu

La jeune Japonaise émerveille le public au Temple du Salin

Le temple du Salin, situé aux Carmes, ouvre ses portes à Kanaka Shimizu, jeune organiste tokyoïte venu perfectionner son art sur le sol français. Invitée au festival Toulouse les Orgues pour nous faire la démonstration de son talent, elle nous livre un récital romantique varié.

Les vitraux du temple du Salin filtrent la lumière d'une belle après-midi d’octobre, alors que le public prend place dans le décor épuré de l'édifice protestant. Le grand orgue, juché sur le balcon à gauche de l’autel, fait écho à la sobriété du lieu à travers une facture dépouillée d’artifice. Construit en 2004 par Jean Daldosso, il est composé de deux claviers et vingt-huit registres. Sa caractéristique principale réside dans la présence d’un combinateur électronique permettant douze mille combinaisons de registres.

"Au Temple du Salin, l'orgue est adapté pour la musique romantique allemande. Un autre orgue aurait amené une musique plus française. Ici l'orgue amène naturellement un répertoire allemand." K.Shimizu

Puis au balcon apparaît K. Shimizu, concentrée, prête à débuter son récital. Lauréate du concours de Béthune en 2016, elle débute le piano à l’âge de quatre ans, avant de s'initier à l’orgue au lycée: "Avant je travaillais principalement le piano. Mais la différence de son m'a plu." Diplômée de l’université des arts de Tokyo, elle s’exerce actuellement au conservatoire de Toulouse sous la direction de Michel Bouvard et se confie sur ses projets futurs: “J'aimerais continuer les concerts, mais je dois d’abord écrire mon mémoire, et c'est particulièrement difficile de concilier les deux pour l'instant. Plus tard, j'aimerais aller en Allemagne pour étudier le style romantique allemand.”

Le choix du programme de Kanaka Shimizu a une particularité intéressante : celle de présenter l'orgue comme un instrument intemporel. La sonate n° 4 pour orgue de Mendelssohn qui ouvre le concert fait entendre une pièce typiquement soliste, dans la tradition du clavier. Le dernier mouvement sort l'auditeur de sa rêverie, les différentes voix se distinguent bien, passant entre les claviers et le pédalier. L'étude n° 5 de Schumann maintient toujours le public dans cette humeur chatoyante de fin d'été. L'arrivée de la Passacaille de Reger nous transporte dans un tout autre monde. L'orgue orchestre, l'orgue imposant et ronflant a maintenant pris place dans le Temple du Salin. Pour finir, la transcription de Finlandia pour orgue est magnifiquement jouée, avec seulement deux claviers. Les flûtes répondent aux cordes, et les cors transportent dans l'immensité du paysage sauvage finlandais. Kanaka Shimizu nous a fait voyager à travers tout le XIXe et XXe siècle, passant des salons bourgeois aux fosses d'orchestre.

Les applaudissement nourris du public enthousiaste viennent clôturer le concert. A la sortie, nombreux sont ceux conquis par la performance de K. Shimizu, soulignant l'étonnement produit par "cette jeune fille, qui paraît si frêle, et qui pourtant joue d’un instrument si imposant". D’autres encore se montrent admiratifs de cette artiste venue du bout du monde pour saisir une culture si éloignée de la sienne. Quoi qu’il en soit, la qualité de sa représentation semble faire l’unanimité.

                                                                                     Laurie, Cédric et Georges

L'ART DE CONSTRUIRE UN ORGUE 

Les étudiants de l'unique école de facture d'orgue de France, située à Eschau en Alsace, sont venus montrer leur savoir-faire à l'église du Gesu.

Les apprentis facteurs d’orgue sont au nombre de douze pour toute la France. Avec leur responsable pédagogique Mickaël Walter, ils ont présenté leur travail lors de cette rencontre. Leur métier, "un travail d'artisan", se fonde sur un travail manuel du bois et des métaux ainsi que sur une oreille musicale. Leur activité se concentre essentiellement sur la restauration d’orgues déjà existants mais aussi  la fabrication de nouveaux instruments. Sur l'autel de l'église, les apprentis ont déposé des parties d'orgue. On y voit des tuyaux, des pièces de bois, des outils. Et autour des tables, le public observe et découvre leur savoir-faire.

Les facteurs d'orgue fabriquent peu de nouveaux instruments (dix commandes par an en moyenne). « Chaque orgue est une expérience » nous confie M. Walter. En effet un seul jeu coûte environs 15000 euros et se compte en milliers d’heures de travail. Les nouveaux orgues sont inspirés d’autres déjà existants mais en y ajoutant une touche de renouveau notamment sur le visuel. “On réinvente beaucoup ce que les anciens ont fait” affirme le professeur des apprentis. Un autre aspect primordial entre en compte : l'acoustique de la salle. Le facteur doit donc être attentif à de nombreux paramètres. Les facteurs jouent aussi sur les différents métaux et alliages tels que l'étain et le plomb, pour obtenir le son désiré. 

Mais la partie la plus importante de leur travail est la restauration d'orgues déjà existants. Cependant, la restauration ne permet pas toujours de jouer des musiques plus récentes sur des orgues anciens. Il est donc primordial que la fabrication de l'orgue perdure. Le public est ensuite invité à poser des questions aux apprentis.


Pacone, 21 ans, est passionné depuis son jeune âge. « J’écoute de l’orgue depuis petit et j’ai eu la chance de faire mon stage en entreprise en 3e dans cet atelier de fabrication d’orgue. Plus tard après avoir été formé en menuiserie, j’ai eu la chance d’être embauché comme apprenti facteur d’orgue. »


Arthur, 22 ans, musicien et guitariste fut tout aussi séduit par l’orgue. « C’est un instrument qui a de la puissance, qui résonne beaucoup, c’est toujours très impressionnant de l’entendre. »

D’autres sont en revanche arrivés dans cette voie par « hasard » comme Laurent, 24 ans. « Je suis ébéniste de formation et je me suis retrouvé dans cette entreprise car elle était tout près de chez moi. Je ne suis pas passionné d’orgue mais je suis content d’être dans la fabrication d’un instrument de musique, cela m'a toujours attiré. »

La rencontre entre le public et les apprentis de manufacture d’orgue est fructueuse. “Tout ceci permet de revoir les bases, de pouvoir expliquer notre savoir-faire. C’est une bonne expérience” explique un apprenti.

Georges, Antoine et Laurie.