Le scandale des seringues abandonnées du quartier Figuerolles

En septembre 2017, un parent d'élèves diffuse une photo de seringues usagées et jetées sur le bitume place du Lavoir jouxtant la maternelle Docteur-Roux, quartier Figuerolles. 


La mairie, alertée, promet d'accentuer l'action de la police municipale. Des interpellations sont enregistrées. Un effort sécuritaire supplémentaire est annoncé : trois fonctionnaires auront pour mission spécifique de patrouiller, plusieurs fois par jour et jusqu'à tard dans la nuit, dans le voisinage immédiat de la maternelle. L'affaire semble close... 


Dimanche 11 mars 2018, un enfant joue dans le parc de la Guirlande avec ses parents. Il ressent une douleur au pied. Une seringue usagée et abandonnée a traversé la semelle de la chaussure et piqué le pied de l'enfant. Aux urgences, les tests hépatites et VIH sont négatifs. 

Le père de l'enfant envisage un recours au civil contre la mairie. Delphine, une habitante de la résidence La Guirlande : "J'en ai vu jusqu'à huit ou neuf ( seringues ) abandonnées la semaine dernière. C'est de pire en pire !" 

Henri de Verbizier, adjoint délégué aux espaces verts rétorque : "Les agents de nettoyage ramassent des seringues chaque matin. Mais certaines peuvent passer à l'as. Il faut faire attention quand les enfants jouent". 

Le père de la petite victime, riverain du parc de la Guirlande, va contacter des associations s'occupant des problèmes de toxicomanie à Montpellier : "Je veux les prévenir, leur dire qu'il y a des actions à mener. J'ai également appris qu'il avait existé une salle de shoot dans les années 1990..." 

L'enfant piqué est sous trithérapie prescrit par le médecin infectiologue d'Arnaud-de-Villeneuve, en attendant les résultats de l'hépatite C. Il peut néanmoins retourner à l'école. 


Mardi 13 mars 2018, la police municipale a arrêté quatre toxicomanes dans le parc de la Guirlande. Mais les habitants du quartier ne comptent pas en rester là. Une réunion entre la mairie, les responsables des espaces verts, la police municipale, les habitants du quartier se tenait jeudi 15 mars pour tenter de désamorcer la tension (voir l'article de Frédéric Mayet du vendredi 16 mars 2018).

Texte tiré des articles publiés dans Midi Libre par Frédéric Mayet (septembre 2017 et mars 2018)

Article de François Barrère publié dans Midi Libre le 1er novembre 2012

Une salle de shoot a fonctionné en 1994 et 1995 à Montpellier. L'association Asud-Montpellier distribue alors seringues et kits de prévention aux toxicomanes. La salle de shoot finira par fermer après le malaise d'une adolescente en juillet 1995.


A Montpellier, Estelle Dolé, 51 ans, n’a pu s’empêcher de sourire en entendant il y a dix jours l’annonce choc de Marisol Touraine sur les salles de consommation de drogue : "J’espère que des expérimentations pourront être lancées avant la fin de l’année." (La première "salle de shoot" en France sera inaugurée par Anne Hidalgo et Marisol Touraine en octobre 2016 à l'hôpital Lariboisière à Paris, NDLR)

" Ok, c’était un peu branquignol, notre truc "

Car il y a dix-huit ans, Estelle a déjà mené cette expérience éphémère à Montpellier : créer une salle de shoot, la seule jamais ouverte en France. "On l’a fait à un moment où les politiques n’étaient pas prêts. Ok, c’était un peu branquignol, notre truc. Mais, au moins, on a essayé, en sachant bien qu’à la moindre faille, on allait se casser la figure."


Retour en arrière. A la fin des années 80, l’épidémie de HIV frappe de plein fouet les toxicomanes français, contaminés en partageant les seringues, dont l’achat était interdit jusqu’en 1987. En avoir une sur soi est alors suspect : "A l’époque, les flics de Montpellier cassaient les seringues quand ils contrôlaient un tox."

"On ne pouvait pas laisser les gens se shooter dans la rue"

A la tête d’Asud-Montpellier, Estelle s’installe, le 26 décembre 1993, rue de la Loge, avec une table, et distribue seringues et kits de prévention à ceux qui osent s’approcher. "On est restés là, dignes, dans le froid", se souvient-elle. Asud multiplie ensuite actions de rue et contacts avec les pharmaciens, les policiers.

A l’époque, Médecins du Monde veut installer un bus d’échange de seringues aux Arceaux, le CHU travaille sur un programme méthadone. A Asud, on pousse la logique jusqu’au bout : "On ne pouvait pas donner des seringues et laisser les gens se shooter dans la rue."



A l’été 1994, Estelle Dolé et d’autres membres d’Asud partent s’informer en Suisse et en Hollande où existent déjà les salles d’injection. "On a trouvé un vide juridique qui existe toujours : en France, il n’est pas illégal de s’injecter un médicament de substitution."

"Il aurait fallu être plus diplomate, mais l’urgence était là"
Estelle Dolé

L’idée est de réduire au maximum les risques encourus par les toxicomanes, et de leur offrir une pause dans leur vie précaire. "C’était simplement une mesure d’hygiène. Le consommateur n’a pas envie d’être vu en train de se faire son shoot, et les gens ne veulent pas le voir."

Début octobre, à l’occasion d’un important colloque sur la toxicomanie, Estelle Dolé créée l’événement : "On a annoncé qu’on ouvrait ce jour-là la salle de shoot." Elle se trouve dans une petite maison, au 28 de la rue du Pont-de-Lattes, près de la gare. Une bâtisse léguée en héritage à la mairie par une retraitée, à condition qu’elle ait un usage humanitaire. "Aides avait renoncé à y faire un lieu d’accueil. On a récupéré le lieu."

Entre 70 et 100 personnes par jour

Une simple pièce au rez-de-chaussée, avec une sortie de secours. Une table, un container de récupération de seringues. "Les gens venaient de 13 h à 18 h, ils attendaient leur tour, faisaient leur truc, avec du matériel propre. Bien sûr, on n’allait pas vérifier ce qu’il y avait dans leur seringue. Quand ils avaient fini, ils buvaient un café, prenaient une douche, mangeaient un bout. Ils pouvaient papoter, refaire le monde, ou piquer du nez." Selon Estelle Dolé, "entre 70 et 100 personnes" passaient chaque jour. "Des femmes, des hommes, des gens qui connaissaient bien la rue" et la drogue. "Depuis, la majorité d’entre eux sont décédés."

La salle de shoot fermera en juillet 1995, après le malaise d’une adolescente. Asud mettra la clé sous la porte trois mois plus tard. "Je ne regrette pas et s’il le fallait, je recommencerai", estime Estelle Dolé. "Il aurait fallu être plus diplomate, mais l’urgence était là. Vingt ans après, il semble qu’il y a une ouverture, et c’est tant mieux."

Réalisation webdoc Michel Pieyre, articles Frédéric Mayet et François Barrère, photographies Jean-Michel Mart/Richard de Hullessen/Michel Pieyre