"La maison bleue" de Monique et ses colocataires

Elle existe vraiment rue Clémentville à Montpellier

Atmosphère, atmosphère… ils ont tous une tête d'atmosphère un peu bohèmes, un peu artistes, un peu cabossés. Ils auraient même tous du génie. Florent, Jean-Luc, Fantine et Victor sont les quatre colocataires de la Maison des vignes, au 20 de la rue Clémentville, là où il y a « le portail en bois avec la clochette » indique l’affichette de l’exposition. Ne manque que le vieil arbre tordu au milieu. 




Du 14 au 29 avril (les vendredi, samedi, dimanche de 10 h 30 à 20 h), ils présentent la 3e édition de leur Nomad Expo où sera dévoilé en musique aussi, ce que la maison recèle d’œuvres rupestres (placoplatresques en l’occurrence) réalisées par tous ceux qui sont passés par là avec leurs pinceaux. Les artistes qui exposeront : Noon, Lost, Arcke, Veda, Twoz'n pour les graffeurs et pour les peintres et autres sculpteurs Sarah Champignac, Lucille Bréard , Francis delmas, Stéfan ziljak.

Moi, ça m’amuse, ça me plaît. Mais je ne pourrais pas y habiter ! 

Ni squat pompeux à la sauce résidence d’artistes, ni résurgence hippie, plutôt république autonome se partageant des murs et un idéal au sein d’une administration éthique. Ici, chacun paie le loyer de sa piaule à Monique Pellecuer dont le mari devint l’héritier en 1971. 

La fringante septuagénaire vit à l’autre bout du terrain dans une autre maison. " Moi ça m’amuse, ça me plaît même si je ne pourrais pas y habiter ! Pourquoi les empêcher de faire ce qu'ils aiment, du moment que ça se passe dans le calme, sans drogues et tous ces trucs. Ce ne sont pas des jeunes à problème ", justifie la mamie qui fait de la résistance tranquille face aux promoteurs excités par son enclave boisée de 500m². " Dans ce quartier, on est une soupape ", estiment-ils de concert. 


Montpelliéraine taillée dans le cep des vignes qui jadis occupaient le secteur, sa famille s’était vue contrainte à la cession des terrains d’où a jailli le béton de la cité Astruc. Un crève-cœur. En 2010, au décès de son mari, elle met cette maison à étage en colocation après avoir pensé la faire démolir, " mais j’ai renoncé à l’idée qu’un autre immeuble puisse sortir de terre ". Ce qui aurait fait voler en éclats cette jeunesse foisonnante qui va et vient dans ses doubles foyers. Ce qui aurait bouché cet horizon de verdure cher à son cœur. 


Et Monique aime " tout ce qui est ouvert. Ni mécène, ni musicienne, ni peintre, mais mon mari chantait. L’art pour moi c’est l’expression au sens large ". Il court, il court le bail du bois joli. Monique promet. " Du moment qu’ils m’assurent de refaire tout en blanc à leur départ, ils peuvent peindre sur les murs ". Ce qu’elle ne veut pas, que cette maison se transforme en sanctuaire. " Pour moi, c’est une parenthèse artistique dans sa déjà longue histoire ". 

Un état dans l’état au cul de la cité Astruc 

Alors pour Florent, aux manettes, " être ici, c’est un cadeau ". Débarqué il y a trois ans, suite à la proposition d’une coloc sur Le bon coin, il est tout de suite happé " par l’énergie des lieux ". Quand il n’est pas au skate-park à donner des cours, il expose et customise des planches deux jours par semaine au pied de la rue de l’Aiguillerie, relooke tout objet qu’on lui confie. " Je suis celui qui expose le plus à Montpellier, se marre-t- il. Ma galerie, c’est la rue. Tout le monde me connaît ». Il a bien demandé une autorisation, mais « ils préfèrent que ça reste illégal. Bon ! ". 


Dans la rue, il se sent serein, " je vois des bons, des brutes, des truands, des gens qui ont perdu la sensation d’exister, on discute, je peins ", et ainsi va la dolce vitta. À 33 ans, c’est grâce à l’ensorceleuse bicoque qu’il reprend goût à la vie, engrangeant des forces pour un corps d’apparence solide mais poreux à la violence du monde. À se taper la tête contre les murs. Les repeindre devient alors une option. " Je vivais reclus, on me diagnostiquait suicidaire, bipolaire, antisocial ou que sais-je. En arrivant, j’ai arrêté tout ce qui était toxique. " 

Florent quitte un système qui ne peut rien pour lui, se rebaptise Twoz’n, abandonnant le moule sans se considérer en échec, à la recherche de modes de vie plus humains, communautaire et écolo. En 2017, il orchestre la fresque sportive commandée par le lycée Joffre que ses potes réalisent, intitulée " Nouvel espoir ". 


La maison des vignes est ainsi ce minuscule état dans l’état qui mène sa révolution pacifique au cul de la cité Astruc, quartier d’habitat social avec une dominante bourgeoise en poursuivant sur Clémentville, Assas et au-delà vers les Arceaux. " La même maison là-bas prendrait 10 % ou 20 % de sa valeur ", se marre Monique. Bref, dans ce Liechtenstein peuplé de voisins au tempérament méditerranéen, on est bien dans ce qu’il y a de plus petit et de plus riche, question créativité. " Le quartier n’est pas facile mais les curieux viennent, on a enfin fait connaissance. Cette année il y a un apéritif spécialement pour eux. À 21 h 30, c’est fini, la musique s’arrête, plus de bruit. Tout est positif , reconnaît Monique qui trépigne d’impatience. ça met une petite ambiance "autre". C’est un très bon voisinage ." 



A l’étage plusieurs chambres, trois peut-être, au rez-de- chaussée un salon dédié à la permaculture ou poussent des variétés anciennes de légumes " à partir de graines non dégénératives et hyper résistantes ", une cuisine du passé en devenir, une salle de bains sur le miroir de laquelle est inscrit Soyez fou ! Sinon, vous allez devenir dingue… Autant d’espaces où Noon, Lost, Nuts, Veda et Twoz’n ont fait parler les murs dans une poésie qui s’exprime jusque dans les sous-couches et les plafonds. " Quand un mur est plein, que des dessins sont restés inachevés ou ne nous plaisent plus, il peut nous arriver de le repeindre en blanc pour libérer de l’espace utile "



Le Bédouin futuriste du salon ou le masque totem de Noon à l’étage ont fait reculer le plus hardi des rouleaux. À la peinture et à la sculpture Sarah Champignac, Lucille Bréard, prof d’arts plastiques à Joffre, Francis Delmas ou Stéfan Ziljak alias Lüfüfü dont un splendide portrait pointe à l’arrière du frigo. À la photo, bientôt Victor avec ses clichés de football populaire... Dans leur fabrique du tout-à- l’instinct aux moyens ultra-dérisoires, on est sous le charme de ces passeurs d’art qui n’ont rien à marchander et qui semblent avoir réussi là où les institutions auraient raté un petit quelque chose. 


Quant à Florent, il se voit bien exporter l’idée à Palerme dans une coloc à l’italienne. " Mais je ne veux pas partir sans dire ce que j’étais venu faire ici, le transmettre ". L’heure du départ n’a pas sonné. Les street artistes sont loin de se retrouver à la rue. Un comble.

Texte Valérie Marco / Photos et vidéos Michel Pieyre

Des ateliers pour les enfants dans la coloc' 

 Animée par Margot, Sadia et Armand, l’association ADE (Amis des étudiants) organise un accompagnement scolaire et des cours d’alphabétisation pour les habitants du quartier, pour que " l’école ne finisse pas à la sortie de l’établissement ", indique Armand. 


" Nous sommes tombés amoureux de cette maison qui apporte un peu de chaleur humaine et visuelle dans un environnement terne ", explique Sadia. Avec leurs élèves, cela fait trois ans qu’ils participent à l’expo Nomad de la coloc’. 


« L’énergie de cette maison a déclenché une envie de créer chez les enfants et c’est une fierté pour eux d’exposer chaque année leurs chefs-d’œuvre, un rendez-vous qu’ils ne rateraient pour rien et qui contribue à améliorer leurs résultats scolaires, on en est sûrs ! », 

 Margot, animatrice ADE