Un refuge face à l'exil

Le Centre d'accueil pour demandeurs d'asile d'Onet-le-Château

Ils ont fui leur pays, la guerre, les persécutions. Ils sont arrivés en France il y a plusieurs années, pour les plus anciens, ou seulement quelques mois pour les autres. Ils ont tout quitté. Certains sont arrivés avec leurs enfants, dans ce pays qui leur est étranger, où la culture, les coutumes et la langue leur sont étrangères. Ils ont fui pour une vie meilleure, dans le pays des Droits de l'Homme. Un seul but maintenant : obtenir l’asile.

Dans ce Centre d'accueil pour demandeurs d’asile (Cada), situé à Onet-le-Château, en Aveyron, ils sont près de 80 résidents étrangers, expatriés, exilés des quatre coins du monde. Ici, les religions, les langues, et les cultures se mélangent. Dans le long couloir où s’enchaînent les logements des résidents, on aperçoit quelques paires de chaussures, devant certaines portes. « S’il y a des chaussures, dans le couloir, à l’extérieur du logement, c’est qu’il est occupé par des Tchétchènes ! Question de culture. », indique Maryvonne Vernhes, chargée de l’ensemble du suivi de la vie quotidienne des familles. « Parfois, ce sont les femmes de ménage qui rouspètent un peu ! », plaisante-t-elle.

Ici, le quotidien des demandeurs d’asile, c’est surtout l’attente. Une attente qui peut durer jusqu’à plusieurs années pour certains. L’attente d’une convocation au tribunal par l’Ofpra, (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides), qui va statuer et trancher sur la demande d’asile. L’attente d’un éventuel recours par la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile). L’attente de connaître le sort que leur réserve ce pays, qui les accueille. Une attente, rythmée par la vie du Cada, où le personnel s’efforce de leur maintenir un contact humain, d’installer une relation de confiance, d’assurer leur suivi, leur accompagnement, et d’apporter leur soutien tout au long de leur instruction.


« Notre but, c'est de les rassurer »

Les résidents sont pris en charge par le personnel du Cada, de leur arrivée, et jusqu’à leur sortie. « En général, ils arrivent par la gare. Nous nous chargeons d’équiper l’appartement avant leur arrivée, puisque nous savons toujours à l’avance combien de personnes compte la famille, et s’il y a des enfants. », explique Maryvonne. « Nous leur préparons le linge, les produits de premières nécessité, nous leur faisons les courses et composons un "panier d’accueil"  ». Logés dans des appartements T2 ou T5, selon les familles, ils se chargent ensuite de leur présenter l’établissement. « Le premier jour, lors de leur accueil, nous ne faisons que ça. Nous les faisons visiter, leur montrons l’environnement du Cada, leur expliquons les consignes de sécurité : qui appeler en cas de problème, etc. Nous essayons de ne pas trop les assaillir d’informations. Ils sont assez désorientés, et doivent déjà commencer leur procédure de demande d’asile, d’autant plus qu’à leur arrivée, ils ne parlent généralement pas encore la langue, donc nous évitons de tout leur expliquer d’entrée de jeu. Notre but, en premier lieu, c’est de les rassurer. », ajoute-t-elle. 

A partir du second jour, les informations commencent à s'enchaîner. « Nous leur présentons le personnel, l’équipe : qui est en charge de quoi, à qui il faut s’adresser s'ils ont tel problème, etc. ». Par ailleurs, chaque résident possède sa propre boîte à lettre. « Nous leur expliquons le fonctionnement de la poste, et comment retirer leur courrier dans leur boîte aux lettres. Nous devons bien insister sur le fait que nous devons pouvoir avoir accès à leur courrier, pour être averti lorsque l’Ofpra leur envoi des documents et convocations. ». Les résidents doivent ensuite fournir leur récépissé, qui fait office de seul document d’identité. « A leur arrivée, il est de 6 mois, puis il passe ensuite à 3 mois renouvelable. ». A partir de là, Mayvonne, secondée par Marine, a pour mission d’accompagner ces familles dans leur vie quotidienne, ainsi que sur le plan médical et scolaire. « En premier lieu, ils ont tous droit à la CMU, donc nous nous chargeons de cette partie administrative, pour l’obtention de l’attestation ». S’ensuit toute une série d’examens médicaux à l’hôpital. « Cela commence par des dépistages : une radio pulmonaire, un tubertest pour la tuberculose. Puis c’est des prises de sang, pour détecter les MST : le VIH, les hépatites, etc. Il faut ensuite faire une mise à jour de leurs vaccins, et faire d’autres examens complémentaires si besoin. ». Des rendez-vous éprouvants, surtout lorsque l’hôpital ne met pas systématiquement un interprète à leur disposition. « Nous nous chargeons de prendre tous les rendez-vous. Au début, nous allons toujours avec eux, pour les aider, leur expliquer. Mais avec le temps, quand ils ont appris un peu la langue, et qu’ils sont capables de se débrouiller, nous les laissons y aller seuls. Notre objectif aussi, c’est de les rendre autonomes. », souligne Maryvonne.

Le Cada travaille aussi en lien avec différents partenaires. « Nous avons une sage-femme, qui vient directement ici. C’est l’occasion notamment de faire de la prévention, de présenter aux femmes les moyens de contraceptions. De plus, nous avons également le planning familial pour cela. ».

Après les naissances dans le Cada, le personnel se charge de récupérer du matériel pour bébé auprès des associations caritatives : le Secours populaire, ou les Restos du cœur. « En fait, nous inscrivons chaque résidents dans ces deux structures, et nous faisons souvent appel à eux, que ce soit pour l’alimentation ou les vêtements. Le secours populaire propose même quelques activités, et sorties pour les enfants, donc c’est intéressant pour eux. Cela maintien des relations sociales, et c’est important pour leur intégration. »

La PMI (Protection Maternelle et Infantile), met également ses services à dispositions des résidents du Cada. « Ils sont chargés de suivre les enfants de 0 à 6 ans, et accompagnent les mamans sur l’alimentation de l’enfant, la prévention des risques, et évoquent les vaccinations. »

Des médiateurs

A proximité du Cada, se trouve l’école maternelle, l’école primaire, et le collège. L’une des missions majeures de Maryvonne et Marine, c’est aussi cela : scolariser les enfants. « Nous sommes en lien avec les écoles et le collège d’Onet-le-Château, ainsi qu’avec les deux lycées publics de Rodez, et nous devons assurer la scolarisation des enfants des résidents, de la maternelle au lycée », explique Maryvonne. Visites des établissements et inscriptions, la scolarisation est obligatoire. « Pour la maternelle et le primaire, c’est assez simple. Pour le collège, c’est plus compliqué. Il faut qu’ils passent par le CPO pour évaluer leur niveau. Ils ont des tests de français et de mathématiques. Pour les primo-arrivant, le collège d’Onet-le-Château propose des cours de Français langue étrangère (FLE), ainsi que des maths allégés, mais en général, ils perdent une année, et rentrent dans une classe qui ne correspond pas à leur âge », explique Maryvonne. Le Cada prend ensuite en charge toutes les formalités d’entrée à l’école : les dossiers de bourse, la demi-pension, les assurances scolaires, etc. « Nous assurons également le suivi de l’élève. Nous sommes en lien avec les instituteurs ainsi qu’avec l’assistante sociale. Ceux-ci nous préviennent dès qu’il y a un problème avec l’élève, et nous nous chargeons d’en informer les parents. Nous avons le rôle de médiateurs. »

C’est ce qui va se passer, un peu plus tard dans la journée. « Nous avons le cas du fils d’une résidente. La directrice du collège nous a contactés pour nous informer qu’il était particulièrement violent en classe. Je vais donc en informer sa mère, et nous allons discuter tous les trois de cela. Il faut qu’ils sachent que l’image qu’ils renvoient est également importante. Il faut les responsabiliser. », ajoute-t-elle.

L'asile : le parcours du combattant

Hébergés, suivis et accompagnés, il ne leur reste plus que du temps pour attendre. Attendre au rythme des procédures interminables d'un pays qui peut leur donner tant de choses, mais qui peut tout à coup, tout leur reprendre.

Aurore Grazelles connaît bien ces procédures. C’est elle qui est chargée de monter les dossiers de demande d’asile pour chaque résident. Dans son bureau, des jouets s’entassent, et des dessins d’enfants jonchent les murs. Sur l’un d’eux, on peut voir un bateau, à côté duquel plusieurs petits bonhommes à l'eau. Un peu plus bas sur le dessin, des hommes sont représentés sur terre, les attendant, armés. « C’est un petit Syrien qui a dessiné cela. Le bateau qui le transportait, lui et ses parents, a fait naufrage. ». Le ton est donné.

Dans son bureau, on imagine le nombre de familles venues là pour monter ou compléter leur demande d'asile, dans le but d’obtenir le statut de réfugié, c’est-à-dire une protection internationale, garantie par la Convention de Genève. A l’issue de cela, l’obtention d’un titre de séjour d’un an renouvelable. Ici, de longs entretiens sont menés. « Les personnes doivent raconter, décrire les persécutions qu’elles ont subies dans leur pays d’origine. », explique Aurore. Tout cela donne un récit, de plusieurs dizaines de pages parfois. L’histoire complète de gens, que la violence a fait fuir. « Ma mission, c’est de tout faire pour montrer les motifs qui ont fait que ces gens ont quitté leur pays, amener des éléments au dossier, prouver qu’ils sont en danger en cas de retour là-bas ». Sa principale difficulté : la confiance. « Certains ont du mal à reparler de tout cela. Premièrement, parce qu’ils ont vécu des persécutions terribles, et parce que, même en France, ils ont encore du mal à avouer certaines choses, opinion politique, orientation sexuelle, qui étaient mal vues, ou interdites dans leur pays. D’autant plus avec la barrière de la langue. C’est compliqué, cela prend du temps, mais nous devons arriver à gagner leur confiance, pour qu’ils arrivent à nous parler ». Dans ces conditions, Aurore avoue douter parfois, de certaines versions données par les nouveaux arrivants. Un doute dû à cette peur qui pousse les résidents à lui cacher certains éléments. «Nous devons les inciter à nous dire la vérité sur leur identité. Je me souviens d’une fois où je recevais un homme, venu d’Albanie. Celui-ci me disait qu’il était militant d’un parti d’opposition au pouvoir en place. Mais son histoire ne me paraissait pas cohérente. Par ailleurs, je le trouvais efféminé. Je savais que l’homosexualité était punie en Albanie. J’aurais pu me tromper en pariant qu’il était homosexuel. J’ai tenté ma chance et le lui ai demandé. Il m’a finalement avoué la vérité, et nous avons pu établir une version crédible et qui aura donc plus de poids pour l’Ofpra ».

Savoir gagner leur confiance, mener l’entretien de manière à savoir, à comprendre pourquoi telle personne est amenée à mentir. Le travail d’Aurore n’est pas toujours évident. « Il faut que nous rassemblons un maximum de preuves qui vérifient leur version. Ce qui pèse pour l’Ofpra, en général, ce sont les coupures de presse. Parfois c’est plus compliqué. J’ai eu, un jour, un homme Centrafricain. Il avait dû quitter la Centrafrique du jour au lendemain, donc sans documents d’identité, sans rien. Sans même sa propre femme et ses enfants. Comme la Centrafrique est aujourd’hui classée comme un pays " dangereux ", il fallait pour ce monsieur, pour obtenir son statut de réfugié, arriver seulement à prouver son identité, sa nationalité. Mais comment arriver à prouver qui on est ? Sans documents d’identité ? Comment prouver sa nationalité ? Parfois, l’Ofpra peut poser des questions surprenantes pour cela : quel était le prix du pain au moment où la personne a quitté le pays par exemple. Cela peut être une preuve. ». L’asile : le parcours du combattant ? « En France, on est innocent tant que l’on n’a pas prouvé que l’on est coupable. Ici, l’Ofpra considère que l’on est coupable, et il faut tout faire pour prouver son innocence ».

En moyenne aujourd’hui, la procédure de demande d’asile dure environ 18 mois. « Avant, il n’était pas rare que l’on garde certains résidents plus de trois, voire quatre ans. Maintenant, il y a vraiment une volonté du gouvernement d’accélérer les procédures », explique Aurore.

« J’ai choisi d’être ici »

18 mois. 4 ans. Cela reste long. Long pour les résidents du Cada, qui attendent sans savoir ce qui va advenir d’eux. Long aussi pour le personnel, qui suit ces dossiers de près. Un jour peut-être, sans prévenir, ils devront dire au revoir à ces gens, qu’ils ont hébergés pendant toutes ces années. « Il y a toujours ce problème du recul. Comment je me place face à un dossier. », explique Aurore. « Est-ce que je m’implique trop ? Ou suis-je trop en retrait, au point de ne plus me rendre vraiment compte de toutes les choses un peu " trash ", que l’on me dit lors des entretiens ? ». Pour parler de cela, Aurore consulte un psychologue, tous les mois au Cada. « C’est important d’avoir un regard extérieur sur tout cela. ». Au bout de toutes ces années d’accompagnement, il reste forcément des attaches, difficile à gérer parfois. « Pour les déboutés que l’on a suivi pendant tout ce temps, ce n’est pas toujours simple. Ils ont 30 jours pour sortir du Cada, et puis plus rien. D’un coup, tu ne peux plus rien pour eux ». Difficile de gérer ses réactions, face à des décisions qui ne leur reviennent pas. Des décisions de l’Ofpra, qu’il est parfois difficile de comprendre. « Il y a parfois des incompréhensions face à certains refus de l’Ofpra. C’est difficile, surtout lorsque l’on s’implique trop. J’étais, une fois, en charge d’un dossier. J’étais persuadée que cet homme aurait une réponse favorable. J’étais confiante. Finalement, sa demande a été rejetée. Forcément, il y avait de la déception. Mais cet homme m’a regardé et m’a dit : "ne sois pas déçue, ce n’est pas de ta faute, ce n’était pas ta décision. C’est moi, j’ai choisi d’être ici ". Depuis, j’ai noté cette phrase : “ j’ai choisi d’être ici ”, je l’ai accroché dans mon bureau, et je la montre quelquefois aux résidents ». Car si Aurore est chargée de les accompagner administrativement, dans leur procédure de demande d’asile, elle essaie également au maximum de les responsabiliser. « Il faut les mobiliser, les mettre acteurs de leur dossier. J’essaie de leur faire comprendre que ce n’est pas gagné d’avance, que ce n’est pas moi qui prend les décisions, et qu’à partir de maintenant, il faut qu’ils se prennent en main, que c’est leur dossier et que nous n’allons pas tout faire. Car c’est eux qui ont choisi d’être ici », insiste-t-elle, avant de conclure, « Nous n’avons pas vraiment de sortie difficile. Cela se passe plutôt bien en général, puisqu’on les a préparés à l’éventualité que leur dossier puisse être refusé ».


Géonne, est arrivée au Cada d'Onet-le-Château, avec son mari, il y a 3 ans. Ils sont tous deux originaires du Kosovo. Ils ont envoyés leur dossier à l'Ofpra, qui n'a pas validé leur demande. Depuis, ils ont entamé une procédure de recours auprès de la CNDA (Cours Nationale du Droit d'Asile). Ils attendent toujours une convocation. Malgré l'angoisse de l'attente, Géonne, avoue vivre ici, en paix, et en harmonie.  

Ahmed et Madonna sont dans le Cada depuis quelques mois, mais vivent en France depuis près de 3 ans. Venus d'Arménie avec leurs deux enfants, ils ont déménagé 13 ou 14 fois, avant d'arriver ici, à Onet-le-Château. Ils attendent maintenant une convocation de l'Ofpra. Mais Ahmed se dit fatigué d'attendre, et ne souhaite qu'une seule chose maintenant, pouvoir travailler, pour rembourser, selon lui, la "dette", qu'il a envers la France. 

Un quotidien animé pour une vie en harmonie

Dans les longs couloirs du Cada, Maryvonne fait du porte à porte. « Bonjour, pour la journée du 4 juillet, nous aimerions savoir si vous comptiez apporter un plat pour manger ? ». La journée du 4 juillet, c'est la journée porte ouverte du Cada. L’occasion de faire découvrir aux gens comment y vivent les réfugiés, faire découvrir chaque pays, ses coutumes et visiblement aussi, leurs spécialités culinaires ! Tandis que Maryvonne continue de frapper à toutes les portes pour cette simple question, nous nous apercevons vite aussi, que les prétextes des résidents ne manquent pas pour discuter un peu, nouer du lien malgré parfois, la barrière de la langue. Bref, passer le temps. « Entrez, entrez ! Venez vous asseoir ! », insiste un couple. Nous rentrons dans le petit appartement. Un petit garçon, tout sourire vient visiblement de sortir de sa sieste, dans les bras de son papa. « Oh mais c’est le petit Merlin, Merlin l’enchanteur ! » glisse Maryvonne. Sa maman, allongée sur le canapé, enceinte de plusieurs mois, nous salue chaleureusement tandis que le petit Merlin descend des bras de son père, pour nous faire des câlins. Maryvonne s’enquiert de la santé de la maman, tandis que le papa en profite pour lui demander des explications pour un courrier qu’il n’a pas compris. Explications faites, et après avoir souhaité bon courage à la jeune maman, nous sortons de l’appartement. « Cette femme est obligée de rester allongée. Elle attend un bébé qui risque d’être un grand prématuré, et elle s’ennuie beaucoup. Elle n’en peut plus. En général, on évite de s’arrêter comme ça dans tous les logements, sinon on ne s’en sort pas ! Mais là, elle a vraiment besoin de voir du monde », confie alors Maryvonne. Dans un logement un peu plus loin un jeune couple venu du Bangladesh nous accueille avec bonne humeur. Malgré un anglais que l’on ne comprend pas très bien, la discussion va bon train, et la jeune femme nous présente Aïsha, son petit bébé, de seulement quelques mois, endormi dans ses bras.

Nous continuons notre tour. « C’est aussi cela notre métier. Etre au contact des gens, prendre de leur nouvelle, leur demander ce qui va et ce qui ne va pas. C’est un vaste quotidien. Même si eux, peuvent venir nous voir dans notre bureau quand ils ont un problème, c’est toujours agréable aussi pour eux de voir qu’on descend les voir ! ». Oui, parce que même au bureau, on s’inquiète de l’état de santé de certains. De retour dans celui-ci, Marine interroge Maryvonne sur l’éventuelle perte de poids d’une résidente. A côté d’elles, Aurore ajoute par contre, qu’un autre résident aurait plutôt tendance à prendre du poids. « On est parfois obligé de suivre de près leur régime alimentaire, leur demander comment ils mangent, s’ils ne mangent pas n’importe quoi et n’importe quand, leur dire de faire attention à certaines matières grasses, etc. Parce qu’en général, pendant la procédure de demande d’asile, ils ont soit tendance à perdre du poids, soit à se " défouler sur la nourriture ". », indique cette dernière. « Tout à l’heure, le laboratoire d’analyse médicale m’a appelée. Un résident est passé pour aller chercher ses analyses de sang. Pendant que la personne à l’accueil cherchait dans l’ordinateur, celui-ci est parti fumer une cigarette à l’extérieur. Puis il n’est plus revenu. C’est fou de se dire qu’ils ont tellement de chose en tête, qu’ils sont tellement stressés par l’attente, qu’ils en oublient ce pourquoi ils avaient rendez-vous à la base ! », informe Maryvonne, tout en rappelant, pareillement, qu’un jour, une résidente en avait oublier d’aller chercher son enfant à l’école. C’est aussi pour cela que le personnel du Cada met tout en œuvre pour leur faire oublier ce quotidien angoissant, par diverses activités.

« Comme des enfants »

Dans le bureau d’Aurore, c’est atelier découpage. « Nous allons faire des posters, que nous allons afficher, pour présenter certains pays des résidents. Ils ont choisi ce qu’ils voulaient y mettre dessus : les textes et les photos. Il ne manque plus qu’à tout mettre en forme ! », explique-t-elle. Tout en travaillant sur la fiche pays de la Géorgie, elle informe Marine, venu la rejoindre dans son bureau : « Tu savais que le rugby est un sport qui se développe de plus en plus en Géorgie ? Et que beaucoup de joueurs géorgiens sont sélectionnés dans des équipes françaises ? Ce qui est bien quand on fait cela, c’est qu’on apprend plein de trucs ! ». Marine, quant à elle, prépare son animation du lendemain. « Nous allons fabriquer de petits objets avec des matières de récupérations. Le but ce sera de les vendre lors de la journée porte ouverte du Cada. Et avec l’argent qu’on aura récolté, nous organiserons des petites sorties ». Sorties, activités, la vie des résidents est aussi beaucoup animée. Ahmed et Madonna le confiait lors de notre entretien. « Ils font beaucoup de choses pour nous occuper. C’est pour moi comme à la maternelle ! Nous sommes comme des enfants. Nous avons été voir le viaduc de Millau, et il y a aussi beaucoup de choses pour les femmes, des ateliers coiffure, pédicure, manucure… ». Maryvonne se charge également d’inscrire les volontaires, et notamment les enfants, au centre social, tout proche du Cada. « Ils proposent pas mal de choses pour les enfants le mercredi après-midi et pendant les vacances. Il y a aussi de l’accompagnement scolaire ».

Le mercredi, c’est également le jour des animations au Cada, initiées par Marine. C’est aujourd’hui que les résidents vont commencer à fabriquer leurs petits objets, pour la journée porte ouverte. Dans la salle d’animation, les tables sont remplies de tissus, papiers, perles, laines, scoubidous, peintures, vieilles bouteilles, bouchons de liège, bougies, feutres, stylos, colle, ciseaux, bref, un bric à brac de matériaux de récupération, qui vont être utilisés et recyclés, pour fabriquer des bijoux, objets de décorations et autres.

Autour des tables, un groupe d’une petite dizaine de résidents, des femmes surtout, et quelques enfants, sont déjà à pied d’œuvre. « Je ne leur impose rien à faire, en particulier. Je les laisse bricoler ce qu’ils veulent. Cela doit être un moment de détente avant tout. Je me contente juste de leur montrer quelques exemples de petites choses à faire, que j’ai moi-même appris sur internet », indique Marine, tout en essayant de reproduire une petite poupée, faite avec un bouchon de liège, décoré avec de la laine. Plus loin, un petit garçon, sur les genoux de sa maman, s’amuse avec un masque, qu’il vient juste de fabriquer. 


Un moment convivial où chacun réalise son petit objet. Un moment rien qu’à eux, loin du stress et de l’angoisse de l’attente des longues procédures du droit d’asile. A l’autre bout de la table, une jeune bangladaise semble très concentrée sur deux bouts de laine, qu’elle tresse, avec beaucoup d’attention. Après s’être saisie d’un fond de bouteille, elle s’affaire maintenant à coller ces fines tresses de laine, beige et marron, tout autour de celle-ci. Rapidement aidé par une jeune femme russophone, toutes deux échangent dès lors, sur la meilleure conduite à tenir. « Regarde, ces deux femmes parlent deux langues complètement différentes. Elles échangent chacune dans leur langue, et arrivent quand même à se comprendre, à faire de leur mieux pour que chacune puisse ajouter un petit quelque chose à l’objet. », observe Marine. Ces deux jeunes femmes se sont maintenant mise à la recherche d’un morceau de tissus, quelque chose pour coller à l’intérieur du fond de la bouteille, mais ne semblent pas en accord sur la bonne couleur. Tant bien que mal, Marine essaie de les renseigner. Finalement, après un court débat entre les deux résidentes, celles-ci ont finalement trouvé leur bonheur. Plus loin, une autre résidente s’attache à tricoter un collier de perles. Peu à peu, celui-ci prend forme, sous le regard admiratif de Marine, et des autres femmes, venues contempler celui-ci. 


A côté d’elle, deux femmes plus âgées, tricotent de petits napperons, avec une rapidité impressionnante. «A chaque fois, je suis épatée de voir à quelle vitesse elles font cela ! », s’extasie Marine.


De retour vers notre duo autour de leur petite bouteille, nous nous apercevons que celle-ci s’est littéralement transformée en un petit panier. « C’est pour mettre des petits bijoux ! », explique l'une d’elle à Marine. Celle-ci semble vraiment impressionnée. « C’est fou, la manière avec laquelle elles ont fait cela, avec ces objets-là. Moi je n’y aurais pas pensé ! ». A l’autre bout de la salle, une jeune femme, qui semble déjà avoir de l’expérience derrière elle, dessine, sur un « papier cuisson ». « C’est un papier que l’on va faire cuire. Il faut dessiner quelque chose de très grand dessus, parce qu’une fois cuit, il va diminuer, et cela va donner un petit objet : un porte clé ou un bijou par exemple », lui explique Marine. La jeune femme a choisi de faire un porte clé. En véritable artiste, celle-ci réalise de jolis graphismes, très colorés. « Cette résidente va nous faire aussi de la peinture sur le sol, pour la journée porte ouverte. J’aime beaucoup ce qu’elle fait », indique Marine.


Petit à petit, l’heure du déjeuner approche, la salle commence à se vider. Avant de partir, une résidente demande à Marine si elle pourrait proposer des tatouages au henné pour les portes ouvertes du Cada. A côté d’elle, une jeune femme lui montre deux grandes fleurs, qu’elle a elle-même réalisé, avec un papier spécial. Tout le monde regarde alors son travail, et de grandes exclamations admiratives se font entendre. 

Une matinée enjouée, avec de la bonne humeur et beaucoup de sourires, qui semble avoir ravie Marine. « Cela ne se passe pas toujours comme cela. Des fois, il n’y a pas beaucoup d’échanges, chacun est dans son coin. On sent qu’ils ne sont pas biens ».

Convivialité, créativité, bonne humeur, pour un instant chaleureux, au contact des gens. Oublier un instant les soucis administratifs et être ensemble, c'est aussi la volonté du Cada pour ces demandeurs d’asile. Ils ont fui leur pays, la guerre, les persécutions. Mais ils ont pu, grâce au personnel, trouver un accompagnement, une aide, une main tendue, de l’espoir, mais surtout, un refuge.