La mission Rosetta, c'est fini

L'heure du premier bilan au
Cnes de Toulouse

Après le crash ultime de la sonde Rosetta sur la comète Tchouri le 30 novembre 2016, l’heure est au premier bilan de la mission spatiale. Selon Philippe Gaudon, chef de la mission au Cnes de Toulouse, il faudra des années pour analyser les données recueillies.


Le crash final s’est produit le 30 novembre à 12h39. Au terme de douze ans de bons et loyaux services, la sonde Rosetta de l’Agence spatiale européenne a atterri à la surface de la comète Tchouri. À 13h19 très précises (40 minutes plus tard sur la planète bleue), la sonde a cessé d’émettre, marquant la fin de la mission. Elle y a rejoint le robot Philae, lui aussi inactif depuis plusieurs mois.


Philippe Gaudon a pu suivre les derniers instants de la sonde depuis la Cité de l’Espace. Pour le responsable de la mission Rosetta au Cnes de Toulouse, le crash s’est déroulé en suivant le plan de travail établi.

« Je n’avais pas beaucoup d’appréhension, car la veille le centre de contrôle de l’ESA avait fait une manœuvre d’orbite mettant Rosetta directement sur l’orbite de collision. On a eu le temps de vérifier la manœuvre, ce qui nous a permis d’avoir une grande précision sur la trajectoire de descente. Nous pensons d’ailleurs que la sonde est tombée à seulement quelques mètres de l’endroit visé, contre 118 pour l'atterrissage du robot Philae », raconte-t-il à la rédaction d’Univers-Cités.


14 heures pour une chute de 20 kilomètres

Pendant la descente de la sonde vers la comète Tchouri, les six instruments de Rosetta ont continué à fonctionner, permettant à la sonde de réaliser sa dernière image dix mètres avant l’impact. « L’image était un peu trouble, car les caméras d’Osiris ne sont pas faites pour filmer de près », précise l’ingénieur du Cnes. Au total, la sonde a chuté sur une distance de vingt kilomètres, pendant quatorze heures. Le tout avec une vitesse moyenne de 1,5 km/h. « Nous n’avons pas donné d’accélération pendant la manœuvre, c’est la gravité et la légèreté de la comète qui ont attiré Rosetta vers le sol », complète Philippe Gaudon.


Lors de l’impact, fatal pour Rosetta, la structure de la sonde s’est déformée. « L’électronique de la sonde n’étant pas prévu pour ce choc, les panneaux solaires se sont cassés. On pense que c’est d’abord un panneau qui a touché le sol, et que l’antenne de communication avec la terre a dû faire basculer Rosetta », indique le scientifique toulousain. Aucune chance de survie possible pour la sonde, ce qui a d’ailleurs incité l’équipe projet à employer le mot « crash » pour désigner cet atterrissage.


La fin du voyage pour Rosetta, mais pas pour tous les scientifiques de la mission : les laboratoires se retrouvent à présent avec deux années de données à analyser, en plus de celles récoltées le jour du crash.

« Pour ce qui concerne le moment de la descente, seules les images ont pu être exploitées rapidement. Mais le meilleur de la science va prendre quelques temps. Pour les données qu’on a récupéré depuis deux ans grâce à Rosetta, il y en a pour des années d’exploitation », annonce Philippe Gaudon.


À présent, les laboratoires, dont celui de l'IRAP à Toulouse, vont devoir intégrer l’ensemble des données pour pouvoir obtenir une vue globale de la comète Tchouri. « Il va falloir croiser les mesures des instruments : la composition du gaz et des poussières recueillies, le flux du gaz de la comète en fonction du temps et de la forme de la surface», poursuit le chef de projet. À l’IRAP, une dizaine de personnes s'attellera à la tâche, certains étant impliqués sur plusieurs instruments. Une manière de faciliter le croisement les résultats. Au total, sur une communauté Rosetta de 400 personne, plus d’une centaine de chercheurs sont français.

Un « melting pot » de chercheurs en novembre prochain à Toulouse

Du 14 au 18 novembre, un grand colloque sera organisé à Toulouse, afin de réunir une importante communauté scientifique autour de l’aventure Rosetta. En plus des scientifiques directement impliquées dans la mission, des spécialistes d’astéroïdes, des observateurs de la comète et des chercheurs extérieurs à la mission vont ainsi échanger autour de Tchouri.

« L’idée, c’est qu’il y ait de grands colloques comme celui-ci. C’est en entendant les exposés de certains que les autres vont réagir. C’est un peu un melting pot, ceux qui ont des résultats dans les mêmes thèmes commencent par se rapprocher entre eux. »


Les ingénieurs savaient déjà qu’une comète est composée de glaces d’eau, de monoxyde et de dioxyde de carbone. La découverte majeure permise par la mission Rosetta, c’est la présence de molécules organiques complexes, avec quelques surprises comme la détection de l’oxygène moléculaire en grande quantité ou l’absence de magnétisme.

« C’est vraiment fondamental. On espérait trouver ces molécules organiques mais nous n’en étions pas sûrs. Elles ne donnent pas le vivant dans l’espace, mais on pense que si elles rencontrent les mêmes conditions que sur terre, à savoir l’eau liquide à bonne température, elles s’associent entre elles pour former des molécules encore plus complexes et cela permet le début de la chaîne d’évolution aboutissant au vivant. Quand on analyse une comète, on revient au début du système solaire avant sa formation. Avec Rosetta, on a établit que les comètes avaient des éléments favorisant la vie. »


Tchouri, une comète « barbe à papa »

Contrairement aux attentes des responsables de l’instrument, le radar qui a analysé l’intérieur de la comète a également révélé que Tchouri était homogène, sans trous et sans couches. Une découverte que Philippe Gaudon s’amuse à vulgariser à travers une comparaison étonnante :

« Une comète, c’est une sorte de barbe à papa mise au congélateur, quelque chose de très dur sur lequel on peut se poser, mais qui est très léger. La densité de Tchouri est de 0,54. Pour vous donner une idée, c’est la densité d’un polystyrène. »


Quant au robot Philae, inactif mais toujours posé sur Tchouri, il aura permis prendre des mesures à l’intérieur et l’extérieur de la comète. Sur les seize molécules complexes récoltées, quatre n’avaient jamais été observées dans l’espace. Le petit robot a également vu un sol de comète noir, composée de galets à l’intérieur, et sur laquelle il faisait une température glaciale (moins 140 à moins 180 degrés). Philae a également permis de mettre en évidence un sol composé de deux couches, l’une molle en surface, et l’autre dure en profondeur.


Malgré ces succès, la mission Rosetta a-t-elle déçu les scientifiques sur certains points ? « On a comparé l’eau de la comète avec celle de la Terre. Ceci nous a permis de dire que ce ne sont pas des comètes de type Tchouri qui ont tapé la Terre pour former l’eau et les océans. Les comètes qui ont frappé la Terre étaient certainement nées plus près du soleil dans le système solaire », avance Philippe Gaudon.


Après s’être retrouvés pour fêter la fin de la mission Rosetta, les ingénieurs du Cnes se dirigent vers de nouveaux horizons. Philippe Gaudon, lui, travaille déjà sur la programmation de missions scientifiques semblables à celle de Rosetta dans le futur.

« Pourquoi ne pas aller voir ou détecter des exoplanètes ? Chercher la vie sur Mars ou Europe, un des satellites de Jupiter ? Dans mon équipe, plusieurs ne travaillaient déjà plus à 100% sur Rosetta, mais sur d’autres missions d’exploration. Par exemple, Curiosity, le rover martien. Ce sont des métiers qui ne sont finalement pas très loin les uns des autres et la reconversion n’est pas difficile. Mais en finir avec Rosetta, après lui avoir consacré quinze ans de sa vie, ça c’est difficile ! », conclut le chercheur.


Crédits première photo  : CNES/ill./Ducros David, 2014