Les sites devant lesquels on passe sans les connaître

Jean Hiernard et Jacques Pasquier (auteurs du livre Histoire de Poitiers, Geste éditions)

La Pierre-Levée surgie de la nuit des temps

La Pierre-Levée aujourd'hui.

Le dolmen de la Pierre-Levée aurait près de 5.000 ans. Classé monument historique en 1862, il est emblématique de la cité.

Situé sur le plateau à l'est de la vallée du Clain, un peu à l'écart du promontoire poitevin, le dolmen représente ce qui reste d'une tombe à chambre, à l'origine enfouie sous un tumulus. Il fait partie du groupe des « tombes à couloir » de type angoumoisin.

Le monument de pierre remonte au néolithique, dans sa phase chasséenne : il est daté du début ou du milieu du 3emillénaire avant notre ère. Il aurait donc entre 4.500 et 5.000 ans. Dans l'imaginaire populaire, il a été longtemps associé aux Gaulois et aux rites des druides, ce qui était faux.

Érigé par Pantagruel ?

La pierre est austère mais elle présente tout de même une décoration simple gravée sur la dalle. Y est probablement figurée une hache de combat. La gravure a été dégradée par les siècles et par les intempéries. A un moment de son histoire, le dolmen s'est écroulé. La table s'est brisée entre 1747 et 1769.
La Pierre-Levée doit sa célébrité à Rabelais et à son fameux géant. Dans son livre Pantagruel (1532), l'auteur explique comment son héros « prit d'un grand rocher qu'on nomme Passelourdin une grosse roche, ayant environ de douze toises en carré, et d'épaisseur quatorze pans, et la mit sur quatre piliers au milieu d'un champ ». Selon une autre légende, c'est Radegonde qui aurait édifié la Pierre-Levée.
Quoi qu'il en soit, le dolmen s'est taillé une belle place dans la tradition estudiantine de l'université de Poitiers fondée en 1431. Rabelais parle (toujours dans Pantagruel) des « écoliers » qui passent « temps à monter sur ladite pierre, et là banqueter à force flacons, jambons et pâtés, et écrire leurs noms dessus avec un couteau ». Pour mémoire, de nos jours, la Pierre-Levée est toujours une étape pour les dignitaires de l'Ordre du Vénéré Bitard (loué soit-il) lors de la semaine estudiantine annuelle.

Des étudiants d'Anvers à Poitiers au XVIe siècle

Le rituel de l'inscription de noms sur cette « matricule de pierre » est notamment illustré dans deux œuvres. Une aquarelle de 1699, du fonds François-Roger de Gaignières (conservé à la Bibliothèque nationale de France). Et surtout une gravure de la fin du XVIe siècle de Joris Hoefnagel, peintre d'Anvers, publiée dans le Livre des villes de Georg Braun et Franz Hogenberg (Civitates orbis terrarum, Cologne, 1596/97).
Sur cette dernière, on voit quatre personnages en train de graver leurs noms sur le dolmen de la Pierre levée, tandis qu'un cinquième, debout sur la pierre, pointe du doigt la ville de Poictiers figurée à l'horizon. Ces noms, assurément, n'y ont jamais été inscrits : on ne repère de nos jours que quelques graffitis remontant vraisemblablement au XIXe siècle.
Hoefnagel a fait œuvre d'artiste en mettant en scène quatre jeunes anversois (dont lui-même), qui sont réellement venus étudier à Poitiers avec leur précepteur Giphanius (le personnage debout). La gravure illustre la peregrinatio academica qui dispersait alors par les routes d'Europe de jeunes nobles et bourgeois fortunés à la recherche du savoir et d'un métier.



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Au bord de la route de Bourges

> Mentionné par plusieurs voyageurs au fil des siècles, le dolmen a, de longue date, été un repère dans le paysage poitevin ; il figure sur le tableau de François Nautré, Le siège de Poitiers de 1569 (un must des musées de Poitiers).
> Le cimetière gallo-romain des Dunes a été aménagé non loin du monument. Au Moyen Âge, une foire importante a prospéré dans le secteur, avant d'être transférée sous les anciennes halles (dans l'actuelle rue Carnot).
> Le dolmen, « lieu de mémoire », se trouvait à l'origine au bord de la voie antique de Bourges. Depuis le décalage de cet axe à la suite du percement de la rue du Faubourg-du-Pont-Neuf, il est isolé parmi les habitations, dans un quartier où le nom de Pierre-Levée se retrouve dans l'identification de plusieurs lieux (prison, cimetière moderne).
> Et qui se souvient aujourd'hui de la Ferme aux fraises, un ancien café très fréquenté qui se dressait face au dolmen, à l'orée de la ville ?

Jean Hiernard Jacques Pasquier Auteurs du livre « Histoire de Poitiers », Geste éditions

L'amphithéâtre romain : un fantôme de pierre

Il ne subsiste que quelques voûtes et pans de pierre, rue Bourcani.

A l'époque romaine, un vaste amphithéâtre se dressait sur le promontoire rocheux, au sud de la ville. 33.000 spectateurs auraient pu y prendre place.

Les vestiges de plusieurs monuments romains constituent l'héritage de Limonum, le nom antique de Poitiers. Le moindre n'est pas l'immense amphithéâtre dont ne subsistent malheureusement que quelques voûtes et pans de pierre calcaire. Il remonte à l'époque julio-claudienne (première moitié du Ier siècle de notre ère, entre Auguste et Néron) et il se classe parmi les plus vastes amphithéâtres de la Gaule romaine. Le monument s'élevait au sud et à l'extérieur de la ville antique, qui ne l'a d'ailleurs pas inclus ensuite dans son enceinte du Bas-Empire (construite à la charnière des IIIe et IVe siècles).

Des combats de gladiateurs

Selon les études des spécialistes, la plus grande longueur de son emprise aurait atteint quelque 155 mètres et la largeur de sa cavea (les rangées de gradins) près de 41 mètres. On estime que plus de 33.000 spectateurs auraient pu se presser sur les bancs de pierre.
Accordée aux goûts de l'élite gallo-romaine et aux desseins du pouvoir impérial romain, l'arène de Poitiers, monument « venu d'ailleurs », a connu des combats de gladiateurs ainsi que des chasses aux animaux (sangliers, ours, plutôt que lions).
Qu'en reste-t-il en 2017 ? Des vestiges du « béton romain » (constituant le blocage des murs) subsistent dans la rue Bourcani. On y voit quelques voûtes qui appartenaient aux substructions de la cavea. Ces vestiges sont protégés depuis 1961. Reste à recréer, voire à imaginer, l'histoire du monument à travers les documents et les études.
En 1418, l'amphithéâtre était appelé « l'hostel des Arènes ». Il figure aussi – comme celui de Bordeaux – sous le nom de « Palais Galien » dans un document de 1442 (une « enquête » d'abord conservée dans les archives de l'abbaye de Nouaillé, puis recueillie par le moine érudit dom Fonteneau).

La pierre de taille transformée en chaux

Une gravure de 1641 de Claude Chastillon (Topographie françoise) montre que la belle façade de pierre de taille de l'édifice était alors déjà entièrement détruite : les blocs ont été démontés et ont été utilisés pour faire de la chaux. Plusieurs impasses actuelles – telle l'impasse Tiraqueau, donnant dans la rue Rabelais – rappellent l'activité des chaufourniers.
En 1699, un dessin aquarellé de Louis Boudan (conservé dans le fonds Gaignières à la Bibliothèque nationale de France) situait des jardins et des arbres à l'intérieur du monument.

« L'Hôtel… des Vreux »

Une photo d'Alphonse Hivonnait de 1857 (Médiathèque François-Mitterrand de Poitiers) a révélé à son tour l'intérieur de l'amphithéâtre en ruines. Des jardins occupaient toujours l'emplacement de l'arène. Du côté du square de la République actuel, se dressait l'Hôtel d'Évreux, construit par un évêque d'Évreux, abbé de Nouaillé. De là est venue la tradition populaire qui, entendant « Hôtel des Vreux », a fait de vreux le synonyme de ruines.
Au milieu du XIXe siècle, les ruines de l'amphithéâtre étaient encore impressionnantes, comme le montre l'iconographie. L'essentiel en a disparu sous la pioche des démolisseurs entre 1857 et 1860, laissant la place à des immeubles privés et au marché public couvert dit « Marché Saint-Hilaire ». Il sera remplacé à son tour par un grand immeuble.

à suivre

Les rues du quartier s'en souviennent

> La ville moderne donne encore à voir l'empreinte de ce géant de pierre aujourd'hui pratiquement disparu. Quelques maisons particulières du quartier conservent dans leur structure des éléments de l'amphithéâtre.
> Mais le géant de pierre « vit » toujours aussi dans le tracé des rues du quartier qui ont épousé sa forme ovale, comme le montre déjà le cadastre de 1837, pour les rues des Arènes, du Petit-Bonneveau et Bourcani.
> Fait notable également, l'actuelle rue Carnot (anciennement rue des Halles) s'enfle, et la rue Rabelais (ex-rue Corne-de-Bouc) se courbe nettement : toutes les deux suivent le mouvement des façades des maisons construites contre l'amphithéâtre dont elles perpétuent ainsi le souvenir.

Jean Hiernard Jacques Pasquier auteurs du livre " Histoire de Poitiers ", Geste éditions

La tour du Cordier, ultime vestige des fortifications

La tour du Cordier plus connue aujourd'hui sous l'appellation de porte de Paris. - (Document médiathèque de Poitiers).

Difficile d'imaginer qu’au milieu de la circulation automobile et où résonne le passage des trains se dressait, à la Porte de Paris, un château de légende.

L'automobiliste venant de Paris découvre, après être passé sous le moderne pont du chemin de fer, une simple tour médiévale au milieu d'un carrefour, la tour du Cordier, au nom inexpliqué. C'est un vestige de l'enceinte de la ville, à l'endroit où elle se rattachait au château comtal triangulaire édifié au confluent du Clain et de la Boivre et détruit en 1591.

Une mystérieuse tour comtale disparue

On attribue la construction d'une première tour, sans doute assimilée à un château-fort, au comte Guillaume VII, au début du XIIe siècle. Par sa situation, elle permettait de verrouiller le point de fragilité constitué par le franchissement de l'étroite Boivre par la chaussée menant vers le nord, au pied de la falaise du Porteau, dans le quartier Saint-Ladre (ou Lazare) qui devait son nom à la présence d'une léproserie. Elle permettait ainsi de contrôler, par le biais d'un pont-levis sur le Clain, le trafic de la route menant du Pont-Joubert à Dissay, sur la rive droite.
Lorsque, à la fin du XIIe, début du XIIIe siècle, fut entreprise la construction de l'« enceinte de réunion » enserrant la vieille Cité romaine et les bourgs de Saint-Hilaire et de Montierneuf, le dispositif de défense du confluent y fut rattaché.

Une demeure de contes de fées

La tour dite du Cordier, qui faisait partie de cette enceinte, fut sans doute rehaussée, ou modifiée par la suite, comme le reste de la muraille, car elle porte le blason de Jean Macé qui fut maire de 1407 à 1408. Entre-temps, le vieux château, dont on peut penser qu'il avait déjà la forme d'un triangle, avait été considérablement remanié sur ordre de Jean de Berry, comte apanagiste du Poitou.
Ce prince amateur d'art, un des humanistes avant-coureurs de la Renaissance, a fortement marqué de son empreinte Poitiers, l'une de ses capitales. Il a embelli le palais et la tour Maubergeon au sommet du promontoire, fait ériger le Gros Horloge devant l'église Notre-Dame-la-Grande et, donc, transformé le château du confluent en résidence de plaisance, tout en achevant les travaux de l'enceinte.

Les Très Riches Heures du duc de Berry

Il reste bien peu de vestiges de ce château rénové, élevé de 1383 à 1385 : deux tours très abîmées, appelées tour du Sanitat et tour « vers Rochereuil », se voient encore au bord du Clain, à chaque extrémité du square de la Petite-Vilette, ainsi nommé à l'époque moderne à cause de la proximité des abattoirs (démolis en 1957). Ce jardin immortalise le fameux plan triangulaire.
Pour imaginer la splendeur de cette demeure, il faut se reporter aux célèbres Très Riches Heures du duc de Berry (mois de juillet) (Musée Condé, à Chantilly). On y distingue parfaitement les trois ailes flanquées de trois grosses tours. On devine le fossé entourant l'édifice et l'on aperçoit au premier plan le pont-levis de bois qui permettait de rejoindre la campagne.
Il y a quelques décennies, on pouvait encore voir dans le Clain plusieurs restes des piles de maçonnerie qui le supportaient. Les comptes du duc permettent aussi de se représenter l'ampleur du décor intérieur et attestent même l'existence d'un pavillon en forme de navire.
On imagine facilement, qu'entre bals et festins divers, on écoutait la lecture du roman de Mélusine, récemment commandé à Jean d'Arras par le duc Jean de Berry en personne qui revendiquait ainsi l'héritage prestigieux des Lusignan.
Épisode moins glorieux, mais tout aussi évocateur : en juin 1453, Jacques Cœur sera tenu prisonnier dans cette geôle dorée d'où il s'évadera en octobre 1454. Au XVIe siècle, le château sera la résidence du gouverneur de la ville.


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Une forteresse vulnérable

> L'emplacement des châteaux successifs, aussi stratégique soit-il, n'a pas empêché le comte de Derby, en 1346, de s'emparer de la ville… en passant par la chaussée du moulin Cornet !
> Lorsque l'usage des canons devint courant dans le siège des villes, comme en 1569, le château, dominé par les coteaux de la Roche et des Couronneries, ne fut plus d'aucune utilité.
> En janvier 1591, les ligueurs, maîtres de Poitiers, l'enlevèrent au gouverneur fidèle à Henri III et commencèrent à le démolir.
> Désormais, ce ne fut plus qu'une vaste carrière d'où l'on tira les pierres qui servirent à construire, entre autres, l'établissement des charitains sur la place Montierneuf.

Jean Hiernard Jacques Pasquier (auteurs du livre Histoire de Poitiers, Geste éditions)

Drôle de cuirasse pour un Amiral

Le rocher de la retombe en surplomb du pont Joubert.

1569 : des canons viennent troubler la torpeur estivale. Un Amiral protestant fait l'ascension des Dunes. Le Clain charrie cuirasses et cadavres.

Au-dessus du pont Joubert, sur la falaise des Dunes, se dresse une aiguille de pierre où l'on se plaît à reconnaître « le rocher de Coligny ». Selon la tradition, l'Amiral Gaspard de Coligny, commandant les troupes protestantes lors du siège de Poitiers en 1569, s'en serait servi de protection contre les tirs d'arquebuses, et pour ajuster le tir de ses canons – mais on n'en possède aucune preuve.

Le siège de 1569 renvoie à la troisième guerre de Religion, époque où l'Ouest du royaume fut ravagé par les opérations militaires. La Rochelle était devenu la capitale d'un véritable État dans l'État, avec à sa tête la reine de Navarre Jeanne d'Albret, son fils Henri (16 ans), futur Henri IV et son cousin, le jeune prince Henri de Condé (17 ans).

Le renfort du Balafré

Des troupes de reîtres et de lansquenets venues du Saint-Empire avaient fait leur jonction en Limousin avec les huguenots et s'étaient dirigées vers Poitiers, avant-poste catholique dans l'Ouest, dont les richesses et l'importance stratégique suscitaient toutes les convoitises. Parmi eux, le prince Guillaume d'Orange, qui serait plus tard surnommé le Taciturne, et ses deux frères, de la noble maison de Nassau.
La ville fut totalement encerclée : Coligny, de son Q.G. de Saint-Benoît, lui fit subir un siège de sept semaines (24 juillet-7 septembre 1569) pendant lesquelles la canonnade ne cessa guère et les assauts succédèrent aux assauts. À l'intérieur, les Poitevins casqués avaient reçu le renfort des soldats du jeune Henri de Guise (19 ans !), surnommé le Balafré, et d'un contingent d'Italiens envoyé par le pape Pie V.

Une chapelle évanouie

Les assiégés se battirent farouchement, protégèrent les rues de la visée des canonniers en tendant des draps au-dessus, et, bouchant les arches du pont de Rochereuil, provoquèrent l'inondation du pré l'Abbesse, mettant au défi l'Amiral de « naviguer sur cette mer-là ». Les combats les plus durs eurent lieu au bas de Montbernage, en face de la tour dite de « la Bénisson », lors de tentatives infructueuses de franchissement du Clain. La ville ne fut pas prise et les troupes royales conduites par le duc d'Anjou (futur Henri III) avaient entre-temps atteint Châtellerault.
Le siège levé, en guise de remerciement, les autorités civiles et religieuses firent édifier sur le pont Joubert une chapelle à Notre-Dame-des-Anges, où Louis XIII devait se recueillir en 1622. De nombreuses gravures en reproduisent la silhouette. Elle sera démontée en 1900 et installée derrière l'église Sainte-Radegonde, au bord du boulevard, puis détruite lors de la création du square du chanoine Aigrain (et non dans les années 1930…).

Le tableau de Nautré

Le siège est immortalisé par le grand tableau commandé en 1619 par le Corps de Ville au peintre François Nautré que l'on peut voir au musée Sainte-Croix. Il fourmille de détails sur la topographie urbaine – avec quelques anachronismes (la chapelle des Jésuites qui y figure n'était pas construite en 1569…) – et comporte de multiples inscriptions de lecture parfois difficile faisant écho au récit de Marin Liberge, édité l'année même du siège.

L'étrange rituel de la retombe

Curieusement, on n'y reconnaît pas l'aiguille rocheuse qui nous intéresse, mais, surplombant le pont Joubert, une sorte de table plate, « un gros rocher dit la retombe, vulgairement cuirasse de l'Amiral », comme l'indique l'inscription. Le mot retombe désignait, selon le chroniqueur Jean Bouchet (1644), un étrange rituel commémorant les souffrances des chrétiens de Syrie du fait des Infidèles : il avait lieu lors de la procession des Rogations, et consistait à jeter une fiole de vin du haut des rochers sur le reliquaire des barbes de saint Pierre qu'on transportait vers Saint-Cyprien.
C'est le crieur public (la huche) qui procédait à ce jet : s'il touchait la châsse, il « aurait la valeur de tout ce qu'il mouillerait », mais serait excommunié, pour symboliser les grandes persécutions par la projection de ce « verre d'orgueil ». Tout cela ne nous est plus guère transparent, à vrai dire. Le choix de cet emplacement par l'Amiral, suppôt d'une hérésie du temps, a-t-il pu être interprété comme une nouvelle manifestation d'orgueil, justiciable de damnation ? Nous l'ignorons.


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" Voie d’accession "
aux Dunes

> Une municipalité n'a pas hésité, avec quelque malice, n'en doutons pas, à baptiser du nom de Coligny le boulevard menant du faubourg du Pont-Neuf aux casernes nouvelles (Aboville). On l'appelait la « voie d'accession » aux Dunes, au pied même de la statue de la Vierge érigée en 1875 par les partisans du cardinal Pie.
> Mais le tumulte est depuis longtemps apaisé. Connaît-on bien aujourd'hui Gaspard de Coligny ?

Jean Hiernard Jacques Pasquier (auteurs du livre « Histoire de Poitiers », Geste éditions)

Aux morts de la guerre de 1870

La statue de bronze d'un fantassin blessé, la tête inclinée, à demi couché sur un canon. - (Document médiathèque de Poitiers)

Le monument aux morts de 1870, square de la République montre un fantassin blessé. Les Prussiens étaient parvenus à moins de 100 km de la Vienne.

La guerre franco-prussienne de 1870 est aujourd'hui renvoyée aux livres d'histoire. Elle a pourtant marqué à son heure le passé de Poitiers. C'est ce que rappelle de façon spectaculaire le monument aux morts qui occupe une place centrale dans l'actuel square de la République (ex-place du Lycée), récemment réaménagé rue Magenta.

Le regard est immanquablement attiré par la très réaliste statue de bronze que surmonte un obélisque de marbre : un fantassin blessé, la tête inclinée, à demi couché sur un canon, le fusil Chassepot abandonné sur un genou, tend une main ouverte en signe d'imploration.

" Un va-et-vient perpétuel de troupes "

L'œuvre a été signée par le sculpteur parisien Jules-Félix Coutan. Le monument a été élevé en 1895 – durant le mandat du maire Georges Servant – « à la mémoire des enfants de la Vienne morts pour la patrie 1870-1871 ». Deux vers de Victor Hugo sont gravés sur l'une des faces du socle : « Gloire à notre France éternelle/Gloire à ceux qui sont morts pour elle ».
Ce conflit de la fin du XIXe siècle débute le 19 juillet 1870 par la déclaration de guerre de la France à la Prusse. Poitiers connaît alors les heures fiévreuses de la mobilisation. Comme en témoigne le 23 juillet Le Courrier de la Vienne, journal de tendance royaliste : « Une quantité considérable de militaires de toutes armes affluent ces jours-ci dans notre ville. Ce va-et-vient perpétuel de troupes sans chef et sans discipline, passionnées par le patriotisme du chant et des beuveries, altère sensiblement la physionomie et la placidité traditionnelle de Poitiers ».
La capitulation de Sedan le 2 septembre marque la fin du Second Empire et du règne de Napoléon III. La République est proclamée deux jours plus tard. La guerre est désormais poursuivie par le gouvernement de la Défense nationale. La garde nationale mobile assure la défense du territoire. Elle est composée de réservistes, parmi lesquels figurent des Poitevins.

Les Prussiens à moins de 100 km

Poitiers résonne des échos de la guerre. Comme à d'autres reprises dans sa longue histoire, c'est alors une ville de l'arrière. Des blessés et des malades y trouvent refuge. Ils sont accueillis et soignés à l'Hôtel-Dieu ainsi que dans d'autres établissements : lycée et grand séminaire que Mgr Pie, évêque du diocèse, a mis à disposition.
Le 21 décembre, le département est placé en état de guerre. Les Prussiens sont parvenus à moins de 100 kilomètres de la Vienne ! Le 13 janvier, l'armée française prend le contrôle de la garde nationale qui se regroupe à Poitiers. Le bataillon de Civray est logé dans la salle des Pas Perdus du palais de justice tandis que celui de Montmorillon stationne à la caserne de Montierneuf.
La guerre prend fin après l'armistice qui est signé le 26 janvier 1871.

Les documents photographiques et illustrations des articles nous ont été aimablement proposés par Olivier Neuillé, photographe à la médiathèque, Christian Vignaud, des musées de Poitiers, et Daniel Proux, photographe à la mairie de Poitiers.



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Les zouaves pontificaux

A l'automne 1870, d'anciens zouaves pontificaux français s'engagent et forment la Légion des volontaires de l'Ouest. Ce sont, en effet, des volontaires – souvent très jeunes – qui ont pris part jusqu'en 1870 à la défense des Etats du pape menacés par l'unification de l'Italie. D'anciens élèves du collège Saint-Joseph de Poitiers sont du nombre.
Les zouaves rejoignent l'armée de la Loire. Ils participent aux combats d'Orléans. En décembre, ils se replient à Poitiers où ils se retrouvent dans le collège Saint-Joseph, avant de repartir pour Le Mans en janvier. La légion des anciens zouaves pontificaux sera dissoute après l'armistice
de 1871.

Jean Hiernard Jacques Pasquier (auteurs du livre Histoire de Poitiers, Geste éditions)

Aux marches du Palais

Reconstruite à l'époque de Jean de Berry, la tour Maubergeon est ornée de 19 statues.

Place Lepetit, les marches conduisent au palais médiéval des comtes de Poitiers. Avant 1821, on entrait par l'étroite Échelle du Palais côté rue du Marché.

Réaménagé et embelli au début du XIIIe siècle, le palais des comtes de Poitiers-ducs d'Aquitaine est actuellement le cœur judiciaire de Poitiers (qui sera bientôt transféré dans l'ancien lycée des Feuillants).

Pour accéder plus commodément aux juridictions, une entrée moderne a été construite en 1821, sous la Restauration, à l'ouest de l'édifice. L'architecte Vétault en a signé les plans.
De larges volées de marches mènent aujourd'hui à la majestueuse façade composée de quatre grosses colonnes soutenant un fronton qui surplombe la place Alphonse-Lepetit. Il est orné de la charte de 1830 sous la Monarchie de Juillet, ainsi que des armes de Louis-Philippe, roi des Français.

La grande salle embellie par Jean de Berry

A l'intérieur, la grande salle des Pas-Perdus fait brusquement changer de siècle et renvoie au Poitiers médiéval. L'univers est là celui des comtes de Poitou qui étaient également ducs d'Aquitaine.
Au XIe siècle, un vieux palais occupe le cœur de la cité pictave. Il se dresse sur une butte et il est flanqué d'un donjon, reconstruit après l'incendie qui l'a dévasté en 1018.
Vers l'an 1200, la grande salle du palais (l'aula) est entièrement repensée. Avec ses dimensions impressionnantes – 50 mètres de long sur 17 mètres de large –, elle est l'une des plus vastes de France. Elle est aménagée par Aliénor d'Aquitaine de 1192 à 1204, avec des arcatures aveugles et des culots sculptés représentatifs du gothique Plantagenêt.
Plus tard (de 1388 à 1416), le mur sud est reconstruit par le duc Jean de Berry. Sa décoration harmonieuse est marquée par la présence de trois cheminées monumentales, elles-mêmes surmontées par trois verrières que souligne une fine ornementation de pierre. Les ouvertures laissent largement entrer la lumière du jour dans la grande salle. Tout en haut se dressent les statues du roi Charles VI et d'Isabeau de Bavière son épouse, ainsi que celles de Jean de Berry et de sa deuxième femme, Jeanne de Boulogne. Une balustrade est ajoutée au XIXe siècle au-dessus des cheminées.

La tour Maubergeon : un donjon du XIIe siècle

Ce mur méridional donne à l'arrière sur la tour Maubergeon. Il s'agit du donjon construit vers 1104 par Guillaume IX, dit le Troubadour, promoteur de la poésie courtoise. La tour est, elle aussi, reconstruite à l'époque de Jean de Berry, sur trois étages voûtés d'ogives, éclairés de fenêtres à vitraux. Le sommet était orné de dix-neuf statues.
On a souvent dit que le nom Maubergeon viendrait du germanique mahlberg. Mais l'appellation n'apparaît qu'au XIVe siècle seulement, et elle pourrait être due à la malice populaire et empruntée au nom de la maîtresse de Guillaume le Troubadour, Amauberge de l'Isle-Bouchard.
Ces lieux étaient assurément ceux du pouvoir et de la justice, pendant des siècles. Mais où résidait la culture courtoise ? Où se tenaient les réunions poétiques chères à Guillaume IX et à Aliénor ? Cela reste en grande partie du domaine de la fable.

Les documents photographiques et illustrations des articles nous ont été aimablement proposés par Olivier Neuillé, photographe à la médiathèque, Christian Vignaud, des musées de Poitiers, et Daniel Proux, photographe à la mairie de Poitiers.


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Un pont pour franchir la douve sèche

Dès le Moyen Âge, le palais et le donjon sont isolés sur leur butte, à l'écart des habitations. Une douve sèche les entoure du côté de la cité, et ils sont séparés de Notre-Dame-la-Grande par une vaste place (platea ante palatium).
L'entrée dans le groupe palatial se fait alors par l'est en franchissant la douve sur un pont – le Pont de la Salle – qui est aujourd'hui bien dissimulé, mais néanmoins en partie visible dans un magasin de la rue du Marché, dans l'étroite Échelle (c'est-à-dire escalier) du Palais.
Ici sans doute a cheminé Jeanne d'Arc en 1429. La douve, quant à elle, a été remblayée plus tard et bordée de maisons qui toutefois ne sont jamais accolées au palais.
> L'église Notre-Dame la Petite. En face du palais à l'est, s'élève au début du XVe siècle l'église Notre-Dame la Petite (pour la distinguer de la Grande). Une inscription en rappelle encore lapidairement l'existence en haut de la rue de la Cathédrale. Elle sera vendue comme bien national à la Révolution et transformée en boucherie publique. La rue descendant à la cathédrale reliait le lieu du pouvoir seigneurial au second pôle de la ville, cœur du diocèse catholique.

Jean Hiernard Jacques Pasquier (auteurs du livre Histoire de Poitiers, Geste éditions)

Du pilori à la Liberté

La statue de la Liberté éclairant le monde, œuvre d'Auguste Bartholdi.

Créé vers 1159, le Marché Neuf est devenu place du Pilori au XIV e siècle, puis lieu de la guillotine à la Révolution avant d'être dédié à la Liberté.

La place de la Liberté est un véritable témoin de l'histoire de Poitiers. La reine Aliénor d'Aquitaine y implante vers 1159 le Marché Neuf. Par opposition au Marché Vieil, l'actuelle place du Maréchal-Leclerc. A l'époque, elle est bordée au sud-est par une porte de l'ancienne ville gallo-romaine de Limonum (dont l'entrée se situait rue des Flageolles actuelle) et au sud par les étals des bouchers (aujourd'hui évoqués dans l'appellation rue des Vieilles-Boucheries). Le bourg de Montierneuf est aussi tout proche.


" Place de la Guillotine " à la Révolution

Le pilori y est installé en 1396 sous le gouvernement du maire Taveau. Cet appareil de bois est un carcan où sont exposés les condamnés de l'Ancien Régime. Appelé « place de la Guillotine » sous la Révolution, le lieu voit l'exécution d'une trentaine d'accusés, en particulier des nobles et des prêtres réfractaires.
La guillotine y fonctionne même après la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) qui marque la fin de la Terreur : c'est ainsi qu'accusés d'accaparement de denrées de première nécessité et antérieurement condamnés, Mme de Chasteignier et ses deux domestiques sont exécutés trois jours plus tard.

1822 : le général Berton exécuté

Sur cette même place est guillotiné le 3 octobre 1822, sous la Restauration, le général de brigade Jean-Baptiste Berton, accusé de complot et d'attentat contre la sûreté intérieure de l'État, et condamné à mort. Il meurt en criant : « Vive la liberté ! Vive la France ! »
Pour Jean-Baptiste Breton – dit Berton –, né en 1769 dans les Ardennes, la carrière militaire se confond surtout avec l'épopée napoléonienne. Il combat aux batailles d'Austerlitz, de Friedland, il prend part à la guerre d'Espagne… Il sera l'auteur d'un Précis historique de la bataille de Waterloo, rédigé après la défaite de l'empereur.
Le général d'Empire est mis à la retraite d'office en 1815. Il entre alors dans l'action politique contre la monarchie incarnée par Louis XVIII. Inspirée par le mouvement clandestin de la Charbonnerie (issue des carbonari italiens), une conspiration s'organise dans l'ouest de la France en 1822.
Le général Berton est chargé de l'action sur le terrain. Le 24 février, il s'empare de la ville de Thouars dans les Deux-Sèvres et proclame un gouvernement provisoire. Mais la conspiration échoue : Jean-Baptiste Berton et d'autres conjurés sont arrêtés et jugés à Poitiers par une cour d'assises dont les 12 jurés sont des aristocrates et des bourgeois.

Une réplique de la statue de la Liberté

Au milieu de cette place où le général Berton a été guillotiné, est érigée en 1903 une réplique (en réduction) de la statue de New York « La Liberté éclairant le monde » (œuvre du statuaire français Auguste Bartholdi). L'œuvre, offerte à la Ville, est dédiée « aux défenseurs de la Liberté ». Elle est inaugurée le 14 juillet 1903.
L'initiative en revient à deux loges maçonniques – La Solidarité de Poitiers et La Solidarité sociale de Neuville-de-Poitou – qui ont lancé une souscription.
Se démarquant des tristes souvenirs de son passé et se tournant vers un idéal, la place du Pilori est désormais baptisée place de la Liberté.

Les documents photographiques et illustrations des articles de la série nous ont été aimablement proposés par Olivier Neuillé, photographe à la médiathèque, Christian Vignaud, du musée de Poitiers, et Daniel Proux, photographe à la mairie de Poitiers.

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L'explosion du mulet

La petite histoire n'est pas non plus absente de la place du Pilori. Un fait divers du 3 juillet 1733 a alimenté un récit colporté ensuite par la tradition populaire. Il s'agit à l'origine d'une explosion accidentelle qui a causé la mort de deux voituriers et de six mulets sur la place.
L'affaire est notamment rapportée en 1907 par l'auteur Raoul Brothier de Rollière dans son Nouveau Guide du voyageur à Poitiers. Il raconte : « Vers 1775, un mulet chargé de barils de poudre fit explosion à l'angle de la rue Cloche-Perse. Un bruit formidable s'ensuivit, l'animal disparut, mais une de ses jambes enfonça la fenêtre du 2eétage, dont le fer reste incrusté dans la pierre. Ce fer se voit encore auprès d'une petite fenêtre carrée, près de la tourelle d'un petit pavillon ».
Selon l'auteur, « la maison voisine […] qui possédait sur sa façade l'image de la Vierge, fut criblée des projectiles de l'explosion » mais sans « aucun malheur à déplorer ». D'où le sentiment de reconnaissance des Poitevins du quartier qui ont fait « élever un monument à la Mère de Dieu » : une « grande statue placée au fond d'une niche que décoraient des bouquets et des cierges », et aujourd'hui déplacée.

Jean Hiernard Jacques Pasquier (auteurs du livre Histoire de Poitiers, Geste éditions)