La cathédrale de Poitiers
dévoile ses trésors

A l'occasion de la Nuit des cathédrales, la cathédrale de Poitiers présente les peintures murales récemment mises au jour

1. La découverte

Photo Patrick Lavaud



Des fabuleuses découvertes ont été mises au jour dans le transept sud de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Poitiers. Une découverte due au hasard.

Recouvertes d'un badigeon blanc depuis 1783, ces peintures ont été redécouvertes en 2012, à la suite d'une infiltration d'eau.

Avant de lancer des travaux de maçonnerie, et sachant que la cathédrale devait abriter des décors peints, les services de la Direction régionale des affaires culturelles avaient fait procéder à des sondages. Ceux-ci ont révélé la présence de peintures sur l'ensemble du transept, absolument partout de la voûte jusqu'en bas des murs. Soit 900 mètres carrés... dont les deux tiers sont désormais dégagés, de la voûte jusqu'à la balustrade.



Anne Embs, conservateur des Monuments historiques, détaille la richesse des peintures de la voûte... tout en maintenant secrètes, pour l'instant, celles découvertes un peu plus bas.

Si les infiltrations d'eau ont fortement abîmé certaines zones, la plupart des décors révèlent une conservation impressionnante. « Les quatre voûtains présentent des scènes alternativement sur fond bleu ou rouge, décrit-elle. Deux thèmes célestes se font face: un couronnement de la Vierge face à un cortège d'anges. Sur les deux autres voûtains, ce sont des thèmes liés au Jugement dernier, avec deux grands personnages de trois mètres de haut: un Christ juge entouré de la Vierge et de saint Jean, et d'anges qui sonnent les trompettes de la résurrection, face à un thème extrêmement rare, le sein d'Abraham, qui le montre accueillant les âmes des élus. »

Un décor commandé par un proche du roi


Ces peintures frappent par la qualité de l'iconographie et la force des couleurs. « Cette découverte majeure en France est remarquable par la densité du décor et la qualité des pigments utilisés, souligne Anne Embs. Ce sont des pigments rares et précieux, notamment le cinabre (rouge) et l'azurite (bleu). On a aussi dégagé des étoiles en feuille d'étain avec une superposition d'or et d'argent. Cela témoigne d'un approvisionnement en argent conséquent et donc d'une commande de grande importance, émanant de l'entourage royal ou d'un haut dignitaire. »

En parallèle aux travaux de restauration, un comité scientifique composé d'historiens de l'art et de spécialistes de la cathédrale mène des recherches pour déterminer qui pouvait être ce commanditaire. La date de réalisation des peintures a été estimée vers 1250 à 1300 (soit un siècle après Aliénor d'Aquitaine). Pour l'instant, les auteurs ne sont pas identifiés non plus: « On voit une grande sûreté dans le dessin, admire Anne Embs. Plusieurs styles ont été identifiés: il y a eu au moins trois ou quatre artistes qui ont travaillé en même temps. » Abraham et les anges musiciens ont encore quelques secrets...

2. La restauration

Photo Patrick Lavaud

Débuté en janvier 2015, le chantier a duré plusieurs mois.

Le cinabre utilisé pour le rouge et l'azurite pour le bleu sont apparus particulièrement éclatants sous le badigeon enlevé patiemment centimètre par centimètre – par une équipe qui a compté jusqu'à huit personnes – depuis la découverte d'un ensemble dont le point de départ remonte à 2012.


« Il y avait des problèmes d'infiltration d'eau qui nécessitaient une opération de maçonnerie, explique Anne Embs. On a alors commandé des sondages muraux qui ont révélé la présence de peintures partout dans le transept. »

Le dégagement des peintures murales sur 24 mètres de hauteur est alors décidé et aujourd'hui réalisé sur 600 des 900 m2. « La phase 2  concerne la restauration des peintures mises au jour, en dialogue avec le comité scientifique constitué d'historiens de l'art et de membres du CESCM. »

3. La présentation

Photo Elisabeth Royez


« Un décor de cette ampleur est assez unique en France, analyse Anne Embs, conservateur des Monuments historiques. On peut citer le palais des papes d'Avignon ou la cathédrale d'Albi, au décor plus tardif, mais il n'y a pas vraiment d'autres exemples. »

Dégagées tout au long de l'année 2015, puis restaurées début 2016, elles sont désormais visibles de tous depuis la première semaine de mai. Hormis le panneau de chantier toujours en place, rien n'explicite jusqu'à présent ces décors.

Mais cela va très vite changer, comme l'explique Paul Mantrant, de la paroisse de la Trinité : « Lors de la Nuit des cathédrales, le 21 mai, une visite et une table ronde présenteront le chantier et les peintures. Une exposition restera en place jusqu'à la fin de l'année, sur les arcades qui forment la travée côté sud.» Montée avec la Drac, cette exposition présente des photographies en très grand format : les quatre voûtains, des détails des voûtes et plusieurs des saints représentés de part et d'autre des vitraux. 

Un texte d'introduction explicitera ces peintures, en les replaçant dans l'histoire de la cathédrale et en précisant leur sens chrétien. En lien avec la Ville, la paroisse va aussi remplacer les fiches cartonnées que les visiteurs peuvent emprunter à l'entrée de la cathédrale.

Cependant, la Drac a annoncé qu'elle ne communiquerait aucun autre détail sur cette découverte avant l'automne. Un comité scientifique a été constitué pour mener des recherches complémentaires. Pour sa part, la Ville de Poitiers indique qu'elle « fera en sorte de mettre en valeur cette découverte majeure aussi vite que possible à travers ses supports de communication et qu'il s'agira d'un des points d'attractivité touristique de Poitiers ». Quant aux guides ou sites internet, comme le guide vert Michelin ou Trip advisor, on n'y trouve encore aucune allusion aux nouvelles peintures murales: la cathédrale y est certes citée, mais la vedette y revient à Notre-Dame-la-Grande.

••• Que voit-on sur les peintures? 


Les peintures murales dévoilées, après leur restauration, se situent dans le transept sud de la cathédrale, sur plus de 600 m. La bâche de protection a été retirée mais deux échafaudages sont toujours en place, dans le cadre de la restauration de vitraux. De ce fait, les visiteurs ne peuvent pas avancer dans le transept, fermé par une petite rambarde, mais ils peuvent observer la majeure partie des peintures, qui datent de la fin du XIII siècle.


> Sur la voûte. En novembre dernier, Anne Embs expliquait: « Les quatre voûtains présentent des scènes alternativement sur fond bleu ou rouge. Deux thèmes célestes se font face: un couronnement de la Vierge face à un cortège d'anges. Sur les deux autres voûtains, ce sont des thèmes liés au Jugement dernier, avec deux grands personnages de trois mètres de haut: un Christ juge entouré de la Vierge et de saint Jean et d'anges qui sonnent les trompettes de la Résurrection, face à un thème extrêmement rare, le sein d'Abraham, qui le montre accueillant les âmes des élus. » Les parties dégradées par des infiltrations d'eau n'ont pas été comblées.

> Sur les murs. La Drac ne souhaite pas communiquer « avant l'automne » sur cette partie. Plusieurs figures sont visibles de part et d'autre des vitraux: il s'agit de représentations de saints. Les noms de certains sont lisibles dans des cartouches. Par ailleurs, tous les arcs, chapiteaux et colonnes sont polychromes et présentent des motifs.

> Des sondages réalisés ailleurs dans la cathédrale ont révélé la présence d'un décor antérieur (datant probablement du début du XIIIe siècle), sur la voûte à la croisée des transepts, avec trois figures monumentales: le Christ, saint Pierre et saint Paul. Des personnages peints prolongeraient également les petites têtes sculptées, comme les peintures déjà visibles à l'entrée de la nef. Il faudra un autre chantier pour les dégager, qui n'est pas encore programmé.

Ouverture pour la nuit des cathédrales samedi


Proposée par le diocèse de Poitiers, la Nuit des cathédrales se déroulera samedi 21 mai. 

> 18h: ouverture au son de l'orgue Clicquot. 

> 18h30: « La cathédrale: peinture et sculpture en résonance », visite guidée selon trois parcours: le porche central, les peintures murales récemment mises au jour, les stalles. 

> 19h30: table ronde: « découverte et dévoilement des peintures murales », avec Brice Moulinier, restaurateur, Anne Embs, conservateur des Monuments historiques, Marie-Thérèse Camus, professeur.

> 20h45: concert d'orgue. 

> 21h20: prise de parole par Mgr Wintzer. 

> 21h30: conférence « Voilement dévoilement: le paradoxe de la Révélation, selon la Bible », par le père Blanchard. 

> 22h45: chant des complies. 

> 23h15: chant médiéval.

4. Et ensuite ?

On devine une main sur un pilier près du transept nord. C'est une petite partie dégagée par l'entreprise Molinier après la mise au jour des peintures dans la chapelle sud. - (Photos NR, Patrick Lavaud)

Depuis une semaine maintenant, les peintures du transept sud de la cathédrale peuvent être contemplées par le public. Un pur chef-d'œuvre, soulignent tous ceux qui ont travaillé à cette restauration. On n'en est qu'au début d'un vaste programme si l'on veut mettre ces peintures en valeur (animations, conférences…) et prolonger l'exploration de la cathédrale.


Dans les derniers jours de leur chantier, les ouvriers de l'entreprise de Brice Moulinier (Blois), restaurateur et chef de chantier, ont découvert d'autres peintures sur d'autres murs et piliers de la cathédrale. A la croisée des transepts, par exemple. Ainsi que sur les clés de voûte.

Du côté du transept nord, plus abîmé, un décor médiéval est recouvert par des personnages peints à l'huile au XVIIe siècle. Sur les nervures de plusieurs travées, des motifs géométriques et héraldiques ont commencé d'être dévoilés. Plus discrètes : des petites scènes historiques rehaussées à la feuille d'or. Sur la voûte de la chapelle sud, il y avait des étoiles, en or et en argent au milieu de tous les personnages (Christ, Marie, les apôtres, les anges). Il n'a pas été possible de les retrouver : elles ont laissé la place à des taches noires.


D'autres découvertes ne sont pas à écarter. La poursuite du travail s'annonce donc très intéressante. A condition de trouver les financements. L'État, dont l'engagement sur la première phase de l'opération de mise au jour est salué, est déjà intervenu sur les vitraux non historiés (purement décoratifs) et prévoit de le faire sur les vitraux historiés (qui évoquent des passages de la Bible). C'est la priorité. La mise au jour de nouvelles peintures n'interviendra qu'après.

De son côté, la mairie de Poitiers ne cache pas son intérêt. Alain Claeys, député-maire : « C'est magnifique. Un film a été tourné durant le travail des entreprises. Nous cherchons une chaîne de télévision publique susceptible de le diffuser et ainsi de donner une dimension nationale à la découverte. »

Crédits textes et photos : Marie-Laure Aveline, Elisabeth Royez, Jean-Jacques Boissonneau, Patrick Lavaud