Une ville, des écrivains

Poitiers a une longue histoire avec les écrivains. Ils l'ont écrite, décrite, aimé... ou pas
Par Jean-Michel Gouin

Emile Zola et les pèlerins s'arrêtent en gare

L'entrée de la gare des voyageurs de Poitiers, telle qu'elle apparaissait au tout début du vingtième siècle.

En 1894, l'auteur de l’Assommoir publie « Lourdes », un roman nourri par une enquête de terrain. Pour lui, Poitiers est une étape sur le chemin des pèlerins.

C'est aussi le propre des grands écrivains que de décrire un lieu qu'ils n'ont jamais fréquenté. Dans « Lourdes », publié en 1894, le célèbre romancier Emile Zola (1840-1902) met en scène un jeune abbé, l'abbé Pierre, qui accompagne Marie, une amie de jeunesse, dans cette ville qui draine chaque année des milliers de pèlerins. A l'époque, Poitiers constitue une halte que font tous les trains descendant de Paris. L'occasion pour l'auteur alors en pleine gloire de laisser libre cours à son imagination et à son sens aigu de la description…

" Chaque wagon avait lâché sa misère "

On sait que pour écrire ce livre, après la série des Rougon-Macquart, Zola, fidèle à sa méthode, a entrepris un voyage d'études à Lourdes, pour voir et comprendre ce qui se joue de la foi et de la dévotion affichée en cette ville des Hautes-Pyrénées. Pourtant, on sait que le grand romancier n'a pas voyagé à bord d'un tel train. Pour se rendre à Lourdes, il a emprunté un sleeping-car et ne s'est pas arrêté en gare de Poitiers. Ce qui ne l'empêche pas de se livrer à de vastes descriptions de la cohue qui règne à l'arrêt du train en ville. «…C'était inimaginable ; le flot vivant, les éclopés et les gens valides, que le train avait vidé là, plus de huit cents personnes qui couraient, s'agitaient, s'étouffaient. Chaque wagon avait lâché sa misère, ainsi qu'une salle d'hôpital qu'on évacue ; et l'on jugeait quelle somme effrayante de maux transportait ce terrible train blanc, qui finissait par avoir, sur son passage, une légende d'effroi ».
Quid de Poitiers ? Pas grand-chose. On devine. L'auteur esquisse et suggère un décor, un arrière-plan : « une verdoyante échappée de paysage » ou, suivant ce cortège « Marie écoutait son père, ravi d'être allé au bout de la gare, jusqu'à un poste d'aiguilleur, d'où l'on découvrait un paysage vraiment agréable à voir. []
Dans ce long chapitre consacré à cette pause des pèlerins, quelques personnages secondaires évoquent Poitiers, Vivonne ou encore le curé de Sainte-Radegonde… L'architecture de ces pages n'en reste pas moins riche et savoureuse mais pour le grand Emile Zola, Poitiers ne resta assurément qu'une ville étape...


repères

Toute la ville dans un livre

Une centaine d'auteurs, plus de cent trente textes, cinq nouvelles complètes, de nombreux extraits de romans. A l'arrivée, vous voici avec entre les mains un pavé de 800 pages qui avoisine le kilo. Voilà bien de quoi meubler votre été à l'ombre d'un arbre, affalé dans un canapé ou sur une chaise longue. « Qu'a donc Los Angeles de plus que Poitiers ? » n'est pas un livre comme les autres.
C'est une somme de promenades historiques et littéraires réunies et présentées par Jean-Paul Bouchon et Alain Quella-Villéger qui propose une autre approche de la ville.*
On retrouve dans tous ces textes le Poitiers qui rit, qui pleure ou se met en colère, selon l'humeur des auteurs. De l'emblématique Place d'Armes à la place du Marché en passant par les quartiers et les communes qui la bordent, Poitiers se révèle ainsi au fil des pages, avec ses joies, ses douleurs et ses secrets.
Un bonheur de lecture qu'à travers ses propres choix, La Nouvelle République vous fait partager chaque semaine durant l'été.

* Editions de l'Actualité scientifique Nouvelle-Aquitaine. Prix : 28 euros.

Jean-Michel Gouin

Quand Mascarpone mène l'enquête à Poitiers

Le temps de trois livres, le romancier Pierre D'Ovidio a promené son héros détective Mascarpone d’un bout à l’autre de la campagne poitevine. En ville aussi.

Né au lendemain de la Seconde Guerre à Paris où il a longtemps vécu, Pierre D'ovidio est depuis une vingtaine d'années un Poitevin d'adoption. C'est là, entre Touraine et Poitou, qu'il a situé voici quelques années les aventures de son héros, Jean Mascarpone, correspondant de presse à La République nouvelle et enquêteur à ses heures…
Après « La Vie épatante », son premier et beau roman édité en 1995, il publia dans les années 2000 une trilogie policière dans laquelle Mascarpone tenait la vedette.
Si l'essentiel des intrigues se déroulait dans ce qu'il est convenu d'appeler le monde rural, Mascarpone faisait parfois escale à Poitiers, comme dans « Pertes et profits » (*), « une ville rusée qui se protège, qui cache son cœur, le vieux centre, au premier venu ».

" Un lacis de rues étroites où parfois de petits jardins se dévoilaient "

En quelques lignes, le romancier capte l'atmosphère d'une ville qu'il affectionne et transforme son héros en guide touristique : « Il ne faut pas craindre de monter et de redescendre les collines sur lesquelles elle s'est bâtie. Nous nous y étions perdus, Giulia et moi, circulant au hasard, passant et repassant par les mêmes avenues bordées d'austères immeubles bourgeois qui se ressemblent tous. Nous avancions dans un lacis de rues étroites où parfois de petits jardins se dévoilaient par la grâce de portes cochères ouvertes, nous retrouvant invariablement devant la cathédrale gothique et Notre-Dame-la-Grande, romane au tympan superbe où subsistent quelques couleurs du Moyen Âge ».
Attentif et curieux, le narrateur promène son personnage et son lecteur avec plaisir et jusqu'à lui rendre familiers de multiples lieux du centre-ville : « Après des lustres d'errance, j'avais fini par prendre la mesure de la ville, par l'acclimater. Et si je m'y paumais encore, c'était plus pour le plaisir de la rencontre inattendue avec un bâtiment jusque-là ignoré et qui me ravissait.
J'aurais aimé savoir dessiner pour conserver dans un album secret tel ou tel détail d'une corniche, d'un balustre. Les cariatides aux visages impassibles de la poste principale, très années trente, m'enthousiasmaient toujours.
Je ne manquais jamais une petite visite à ces dames et sœurs jumelles en charge d'étages lorsque le temps tournait pour moi à la nostalgie. »

(*) Pertes et profits (2002) est disponible aux éditions Phébus. Les derniers livres de Pierre D'Ovidio sont notamment disponibles aux éditions 10/18.

Pierre Vignaud : les flâneries du piéton solitaire

« Jusqu'à l'étrange rue des Caillons. dans cette ruelle […], on s'attend à rencontrer une vieille Poitevine, coiffée du caillon […]. »

Pierre Vignaud parcourt la ville au fil des saisons. Ses chroniques poitevines témoignent de son affection pour sa cité d'adoption.

Deux-Sèvrien de naissance, Pierre Vignaud a adopté Poitiers voici plusieurs décennies. Cet ancien instituteur devenu rééducateur en psychopédagogie, passionné de jazz a aussi, depuis les années 2000, publié une quinzaine d'ouvrages, des recueils de poèmes aux souvenirs de la France paysanne de son enfance et des chroniques sur sa ville d'adoption. C'est là qu'il excelle à décrire ici une rue, un ciel d'automne, là un « jour qui fête sa fin », « une lumière qui exhale un goût d'horizon inconnu » ou encore un chat lézardant sur un mur…

Avec les poètes

Dans " Le Boulevard des Chats " notamment (2011) et un joli texte intitulé « Les saisons des poètes », l'auteur entreprend une déambulation dans les rues du centre-ville. Il propose de suivre le fil peint sur le macadam ou les dalles de pierre qui va guider le touriste dans sa découverte de la ville. Le rouge pour traverser « tout le Plateau, de l'église Saint-Porchaire au parc de Blossac ».
« S'il est bleu, note Pierre Vignaud, à vous les célébrités architecturales… S'il est jaune, vous plongez dans le nord du vieux Poitiers… »
Mais le chroniqueur suggère un quatrième fil, qui serait blanc, « le blanc du E des voyelles de Rimbaud. Blanc comme la page blanche devant soi. Le E des écrivains, codeurs des souvenirs, éclaireurs des futurs ».
Victor Hugo, Henri Barbusse autrefois, Georges Bonnet, Odile Caradec aujourd'hui accompagnent aussi cette invitation à la promenade. On sent que l'auteur aime parfois se perdre et quitter les sentiers battus.
Descente vers le Clain, le chevet de Sainte-Radegonde contre le chevet duquel « s'abrite un délicieux jardinet ». Le voici plus tard guidant nos pas : « NE pas perdre le fil. Rue du Pigeon Blanc. Rue des Herbaux. Jusqu'à l'étrange rue des Caillons. Dans cette ruelle qui traverse des jardins, on s'attend à rencontrer une vieille Poitevine vêtue de noir, son panier d'osier au bras, coiffée du Caillon, coiffe ancienne que les aïeules réservaient pour les grandes occasions ».
Et le voyage continue. Jusqu'à un « terminus » que l'auteur situe au Jardin des Plantes : « Là tout s'ordonne, se classe, se répertorie. Et en même temps, le dessin des allées, la pente du terrain, les aménagements des promenades offrent des échappatoires à une quelconque planification jardinière… ».

Dans le Poitiers secret de Maurice Fombeure

« Sainte-Radegonde qui attire en septembre, par pleins autocars, les pèlerins qui viennent enrichir sa collection d'ex-voto… »

Le poète écrivain rendit souvent hommage au terroir poitevin ainsi qu'à la ville chef-lieu. Son " Mystère de Poitiers " en témoigne.

Même s'il passa une grande partie de sa vie loin de son Poitou natal, Maurice Fombeure (1906-1981) garda pour lui une tendresse particulière. Le « poète de Bonneul-Matours » malgré une vie littéraire parisienne très active, chantait fréquemment les louanges des terres de son enfance.
Dans un très joli texte intitulé « Mystère de Poitiers », il dépeint une ville et une société pleines de vie. Les églises ont sa faveur car toutes « sont admirables et quasi uniques en leur genre, comme on dit ».

" Ô fortunés Poitevins "

L'auteur de « Silence sur le toit », de « A dos d'oiseau » et encore de « Sous les tambours du ciel » chante Notre-Dame-la-Grande, « si petite, mais rayonnant d'un éclat non pareil » et Sainte-Radegonde qui, dit-il, « attire en septembre, par pleins autocars, les pèlerins qui viennent enrichir sa collection d'ex-voto, de cœurs et de jambes de cire, de plaques de marbre gris ou rose qui témoignent de l'aide qu'elle a apportée dans la réussite d'un examen ou bien qu'elle est parvenue à boucler un mariage inespéré et à faire le bonheur ou le malheur de deux éphémères créatures. Au seuil de tels sanctuaires meurent tous ces innombrables bruits de la vie qui ne durent qu'un jour… » Mais Fombeure, en bon vivant, sait aussi apprécier les nourritures terrestres et célébrer la vie, la nature, et ce « Clain vert et coulant doux, avec ses barques entrechoquées et les rires des filles heureuses… » Plus loin, il célèbre le climat « sédatif » de la ville qui « porte invinciblement au sommeil ».
Il se promène, il flâne dans ces rues où « dorment encore les maisons, au fond de cours surprenantes comme des cavernes de verdure, séparées de la rue " sans joie " par un mur gris, revêche, bourgeois, anonyme… »
Chroniqueur du temps qui passe, ce « temps qui est le meilleur ami de l'homme puisqu'il apaise tout », il conclut son Mystère de Poitiers par un ultime hommage au temps qui passe : « Ici, cependant, il semble dormir et allonger le laps de votre vie, ô heureux provinciaux, ô fortunés Poitevins. C'est pourquoi, croyez-moi, ne quittez pas cette ville qui nous est si chère. Car vous ne seriez pas longs à la regretter. Comme tant d'autres ».

La mauvaise humeur de monsieur Hippolyte Taine

La maison de la rue des Carmélites où vécut l'écrivain durant son séjour à Poitiers.

En 1852, l'écrivain philosophe et historien Hippolyte Taine n’apprécie guère les mœurs de la société de l’époque. Il décrit une ville repliée sur elle-même.

Une ville dévote, arriérée, figée dans les convenances et l'ennui. Au 19e siècle, nombre d'intellectuels et d'écrivains font de Poitiers et de ses habitants des descriptions fort peu flatteuses. Parmi eux, on compte un certain Hippolyte Taine (1828-1893), un peu oublié aujourd'hui, qui vécut quelques semaines à Poitiers au milieu de l'année 1852. L'auteur dune « Philosophie de l'art » (1882) et des « Origines de la France contemporaine » (1893) arrive alors de Nevers après un échec à l'agrégation de philosophie. Blessé, amer, il va exercer en qualité de professeur suppléant de rhétorique. Si la chambre qu'il occupe au 6 de la rue des Carmélites trouve grâce à ses yeux, il en va tout autrement des élèves dont il a la charge, de la ville et de ses habitants…

" Le tempérament du pays est mollasse et inerte "

La charge est parfois féroce. Taine répertorie « quatre ou cinq sociétés distinctes et fermées : la noblesse, la magistrature, les autres administrations, le haut commerce, le bas commerce » et puis « des jeunes gens nigauds et encroûtés ». Il déplore encore « cette espèce d'inertie morale qui se lit sur les visages » et surtout ce « tempérament du pays mollasse et inerte ; personne ne se remue, ne s'expose ou ne s'impatiente ».
Dans une lettre à sa nièce Virginie (28 avril 1852), il note le poids de la religion « toute puissante » : « Cette ville est ultra-vertueuse… Notre honnête cité est encore un peu plus bête que Nevers. On y regorge de couvents et de nobles. Et entre tous les pays de la terre, c'est un des moins pensants. » Fermez le ban !
Le jeune Taine ne fait pas dans la nuance. Comme nombre d'écrivains de son siècle, il participe à ce qu'on appellera la légende noire de Poitiers. A l'image d'un Jules Sandeau, d'un Huysmans ou encore d'un René Boylesve, il brocarde une ville et des habitants qu'il soupçonne de vivre encore dans un siècle qui n'est pas le leur.

Le jeune professeur a toujours la dent dure. Ou presque. En 1864, revenant à Poitiers, qu'il avait trouvé « si laide, si déplaisante à habiter », il se montrera plus indulgent.

Se promenant alors avec un ami à Blossac, il décrit « un grand terrain planté de charmilles hautes et épaisses, avec des terrasses d'où l'on voit le Clain et toute la plaine. A cette heure (neuf heures du soir), la ville a l'air d'une cité enchantée, la cité de la Belle au Bois dormant, longue rue déserte sans une âme vivante, avec deux lumières qui vacillent aux deux extrémités… ».

" Un pays heureux et qui cache ses trésors "

La maison de l'écrivain sur les hauteurs de Poitiers devrait être transformée en résidence d'artistes. La Ville envisage de la restaurer en 2018.

Figure du XX e siècle, l'écrivain Jean-Richard Bloch habitait la Mérigote. Il a souvent chanté les charmes de sa maison et de la ville " capitale de l’Ouest ".

Homme multiple, essayiste, écrivain, journaliste, éditeur de revue, Jean-Richard Bloch, bien qu'un peu oublié aujourd'hui, reste pour beaucoup une figure intellectuelle majeure de l'entre-deux-guerres.
En 1908, jeune marié et agrégé d'histoire, il arrive à Poitiers où il acquiert trois ans plus tard, « un lopin de terre austère au bout d'un chemin défoncé », la Mérigote.

La Mérigote devrait revivre

Commence alors une véritable histoire d'amour avec une maison et un territoire, maintes fois suggéré, décrit, célébré dans plusieurs de ses écrits, lettres, romans ou nouvelles.
En 1911, dans une lettre adressée à son ami Romain Rolland, il dépeint ainsi son nouveau refuge : « C'est une petite maison accrochée au-dessus de la vallée où passe la ligne de Bordeaux, quand on quitte Poitiers en allant vers le Midi. Peut-être avez-vous remarqué les rochers que le chemin de fer coupe à cet endroit ? Le passant n'en remarque que le pittoresque.
D'en haut ce qui frappe c'est l'harmonie, la paix et la mélancolie de cette vallée monacale. La violence du vent qui dit l'Océan proche sauve seule ce pays admirable de l'excès de retirement ».
Dans une autre lettre, adressée en 1912 à l'écrivain Henri Ghéon, Jean-Richard Bloch élargit le propos et célèbre une nouvelle fois le charme discret du Poitou : « Sa beauté se cache. Les vallées, ses oasis, sont creuses et éloignées, mais d'incomparables merveilles. Et ce grand fait humain des passages se sent ici plus qu'ailleurs.
C'est un col de la civilisation alors que le port de Vénasque n'est un col que pour la contrebande ».
Bien qu'à l'écart de la ville, au bout de l'actuel Chemin du Bas des Sables, la Mérigote, cette « retirance » sert de retraite studieuse mais grouille aussi d'une vie intellectuelle intense - la maison a vu passer Pierre Jean-Jouve, Georges Duhamel, Jules Romains, Diego Rivera, André Maurois, Louis Aragon et bien d'autres… Une ville que l'écrivain qualifie de « dernier œillet à la ceinture de l'Europe. Ville qui serait en selle, si, fatiguée, elle ne s'était couchée dessous. Beau ciel aquitain sur des prairies d'Ile-de-France. Au reste un pays heureux et qui cache ses trésors ».
Aujourd'hui, la maison de Jean-Richard Bloch revient dans l'actualité poitevine. La ville de Poitiers, propriétaire des lieux, envisage en effet de la restaurer pour 2018 et d'en faire une résidence d'artistes. Comme un juste retour des choses…