13 novembre 2015 : l'horreur jusque dans la Vienne

Plusieurs milliers de Poitevins se sont réunis au lendemain des attentas en silence devant l'hôtel de ville, comme ils l'avaient déjà fait par deux fois en janvier.
 (Photos Patrick Lavaud)

Une farandole triste en mémoire des victimes

Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées le samedi 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris. devant la mairie de Poitiers. Triste écho du mois de janvier.


Une jeune femme prend la main de sa voisine, qui saisit celle d'un autre et ainsi de suite... Une longue file se forme. Ça ressemble à une farandole. Une farandole triste. Une façon de montrer que les Français, dont trois ou quatre mille se sont réunis devant l'hôtel de ville de Poitiers, sont toujours vivants.

Juste ce geste symbolique et quelques fleurs. Pas de prise de parole. Les principaux élus du département, de gauche comme de droite, sont là, sur le perron de la mairie mais aucun n'a à cœur de s'adresser à la foule. Décence dans le malheur partagé.

Les attentats : une tragédie européenne

Et par-dessus tout ça un sentiment atroce de déjà vécu. Beaucoup de ceux qui sont là en ce bel après-midi d'automne, tandis que d'autres foules envahissent magasins et terrasses de café comme si rien ne s'était passé, comme si la France était la même que 24 heures plus tôt, s'étaient déjà retrouvés au même endroit, après les drames de Charlie Hebdo et de l'Hyper casher.
A l'époque, ils criaient « Plus jamais ça », en se doutant bien qu'ils se trompaient. En janvier, Alexandra et Valentin n'étaient pas là. Ces deux lecteurs espagnols affectés depuis la rentrée dans des lycées de Poitiers vivaient encore de l'autre côté des Pyrénées. Ils avaient vécu, de loin, la tragédie de Charlie Hebdo. Le terrorisme islamiste, pour eux, c'était d'abord les attentats de mars 2004 dans le métro de Madrid. Aujourd'hui, ils sont en France, aux côtés des Français, solidaires. « Quand j'ai appris la nouvelle, je me suis connectée sur la télé espagnole en streaming, parce que je ne comprends pas encore très bien le français... » explique Alexandra, qui n'a pas été excessivement surprise par la terrible nouvelle : « Quand j'ai su que la France bombardait en Syrie, je me suis dit qu'il y aurait des répercussions. »

Vincent Buche


Chloé pleurée à Château-Larcher


Deux cents Castelachardiens rendent hommage lundi 16 novembre à Chloé Boissinot, l'enfant du village, décédée lors des attentats de Paris, à l'âge de 25 ans.


Aujourd'hui, on partage l'horreur. Nos cœurs saignent... Devant la mairie de Château-Larcher, ce lundi 16 novembre, Ghislaine Bounilliau partage la même peine que 200 autres habitants de la commune. 

Elle pleure Chloé Boissinot. L'enfant du village, la petite de l'école primaire Langevin-Wallon, l'adolescente de la cité Fonrable, l'ancienne joueuse de volley du club vivonnois. Chloé, employée dans une épicerie parisienne, devait souffler sa 26e bougie le 20 novembre 2015. Sa vie a été fauchée d'une balle en pleine tête par les barbares de l'État Islamique, le 13 novembre, à 21 h 15, à la terrasse du Carillon, rue Alibert, dans le Xe arrondissement de Paris.

" Ils attaquent les jeunes, la liberté "

L'horreur parisienne a subitement ricoché jusqu'aux rues du village rural de 968 âmes (*). « On jouait ensemble dans la cour d'école avec sa sœur jumelle, Julie, se souvient Marie Joly, 26 ans, venue déposer une rose blanche. Elle était toujours souriante. Ce week-end, au début, je n'y croyais pas et puis... »
Et puis Elisabeth et Bernard Boissinot, les parents de Chloé, ont eu confirmation de la mort de leur fille dimanche. Une épreuve pour cette famille nombreuse qui a perdu l'un de ses six enfants. « Il faut soutenir cette famille, c'est important, explique Eliane Rivalière, une autre habitante. Il faut être solidaire avec ce qui vient de se passer. C'est horrible. Il n'y a pas de mot pour décrire ça. Quand on a des enfants, on imagine que ça pourrait être eux. » 

Ce 16 novembre, dans un silence pesant, l'humanité a porté la mémoire de Chloé. La peine était immense. Mais la colère était palpable. Elle « abreuvait les sillons » de cette Marseillaise improvisée par l'assemblée. Et transpirait dans les mots du maire, Francis Gargouil. « Ils attaquent les jeunes, la liberté, c'est abominable. C'était une fille amicale, pacifique. C'est encore plus injuste. Maintenant, il faut passer aux actes. Depuis le mois de janvier, nous n'avons rien fait. Moi, l'état d'urgence pendant plusieurs mois, ça ne me dérange pas. Je suis en colère. »

Xavier Benoit

(*) Frédéric Gervais, petit-fils de Gaëtan Gervais, ancien maire de Château-Larcher, présent hier au rassemblement, est un rescapé du massacre au Bataclan.

La mort du professeur d'université

Le décès de Matthieu Giroud, agrégé de géographie, le 13 novembre dans la salle du Bataclan, à Paris, a été annoncé lundi 16 novembre, vers midi, dans la cour du bâtiment de l'Université à Poitiers par Yves Jean, son président. Une annonce qui a ému les 500 étudiants, enseignants et membres du personnel rassemblés pour l'hommage aux victimes des attentats.

Matthieu Giroud était originaire de Jarrie, en Isère. Agé de 39 ans, il était père d'un garçonnet de 3 ans, son épouse est enceinte. La famille réside à Paris. Il avait débuté sa carrière d'enseignant-chercheur à Poitiers en 2003 et soutenu sa thèse de doctorat en 2007. Docteur de l'université de Poitiers, Maître de conférence à Paris-Est Marne La Vallée, étudiant à Poitiers du master « Migrations internationales », il était attaché temporaire d'enseignement et de recherche au département de géographie. Il avait publié de nombreux articles ainsi que des livres collectifs. « Nous perdons un collègue reconnu pour ses grandes qualités académiques et humaines », déclarait Yves Jean. « Il se battait pour une ville partagée et humaine », lit-on sur le site internet de Géoconfluences, « une publication à caractère scientifique pour le partage du savoir et pour la formation en géographie ». Sur rumor.hypotheses.org (Recherches urbaines au Moyen-Orient), « des collègues et amies », soulignent qu'il aimait passionnément la musique, le foot mais aussi la vie, ses proches, ses amis, Grenoble et Lisbonne où il avait fait sa thèse, les villes qu'il arpentait pour en explorer toutes leurs contradictions et les luttes qu'il faut y mener pour construire un monde meilleur.

M.-C. Bernard

Près de 2.000 lycéens ont manifesté pacifiquement leur soutien aux victimes des attentats, lundi 16 novembre 2015 à Poitiers. (Photos Patrick Lavaud)

2.000 lycéens serrent les rangs contre " la peur de l'autre "

Comme au mois de janvier, les lycéens poitevins font entendre leur propre voix en se rassemblant devant la mairie le 16 novembre. Pour refuser à la fois la peur et les amalgames.


Hier j'étais Charlie, aujourd'hui je suis Paris, et demain je serai quoi ? Écrit sur un carton, porté à bout de bras par une lycéenne, le message résume la motivation des 2.000 élèves des lycées poitevins qui se rassemblent ce 16 novembre devant l'hôtel de ville de Poitiers.

Rassemblés comme le 8 janvier dernier, après les attentats contre Charlie Hebdo. Rassemblés par les quatre mêmes potes du Bois-d'Amour et de Victor-Hugo. Le 14 novembre, Émilien, Antoine, Erwan et Quentin ont très vite lancé l'invitation sur Facebook. « On l'avait déjà fait en janvier, expliquent-ils. La réaction a été automatique, c'est dans la continuité. »

“ Lutter contre les amalgames ”

Ils ont pris contact avec la préfecture et la police pour prévenir qu'ils appelaient à un rassemblement le 16 novembre, et ont passé la matinée à négocier avec les chefs d'établissements, sans obtenir d'assentiment officiel, évidemment. « Le lycée a appelé chez moi, mais mes parents m'ont donné leur accord, se rassure Laure. C'est quand même normal d'avoir envie de partager cette émotion, non ? » L'unité nationale passe aussi par les lycéens, estiment-ils. « On a le droit d'exprimer notre propre voix sur ce sujet, explique Erwan. Ce qui s'est passé est terrifiant. On est là pour montrer qu'on n'a pas peur et qu'on luttera contre les amalgames, les récupérations politiques, et tout ce qui peut nourrir la peur de l'autre. »
Comme en janvier, ils ont lu quelques discours rédigés pendant le week-end et chanté la Marseillaise. Puis ils ont desserré leurs doigts mêlés pour mieux applaudir. Enfin ils sont allés jusqu'à la préfecture pour partager une minute de silence avec les adultes. Certains y ont même croisé leurs parents. Ceux-là auront un motif d'absence circonstancié à présenter au proviseur.

Philippe Bonnet

Un millier de Châtelleraudais devant l'hôtel de ville

A l'appel de la municipalité, un millier de personnes se rassemble le 16 novembre à Châtellerault à la suite des attentats de Paris.

A l'occasion de la minute de silence nationale demandée par l'État à la suite des attentats de Paris, un millier de personnes se rassemblent lundi 16 novembre devant l'hôtel de ville de Châtellerault. Là même où, depuis trois jours, s'amoncellent fleurs, messages de solidarité...

" Fiers d'être Français "

Initié par la municipalité pour éviter que d'autres regroupements se forment spontanément ailleurs, ce moment de recueillement a volontairement aussi été très bref.
Pour Jean-Pierre Abelin, qui a dit quelques mots en préambule, il n'en était pour autant pas moins nécessaire. « C'est l'expression de notre volonté collective de défendre les valeurs de la République, de nous tenir debout et de ne pas avoir peur. Nous sommes fiers d'être Français et nous le resterons », a souligné le maire, qui a aussi eu une « une pensée pour toutes les forces de l'ordre qui sont aujourd'hui au travail, qui sont mobilisées dans leur mission ».
Avant de se séparer, les Châtelleraudais présents, de tous âges, ont été invités à chanter la Marseillaise. Des Châtelleraudais entre indignation et colère. « Il va falloir se battre, faire quelque chose », considère Jean-Pierre Roy. « C'est malheureux pour ceux qui sont décédés, estime un autre, Gérard Roux. Il faut couper court à tout ça. »