Ecran total

Le monde du cinéma compte quelques figures de taille à Poitiers. 
Revue d'effectif en cinq épisodes.
Par Bastien Lion

1. L'espoir féminin

A peine la première saison terminée, sa web-série était déjà devenue culte dans le milieu. Rencontre avec une valeur montante de l'audiovisuel poitevin.

Mon équipe de tournage, c'est un peu ma petite famille. Avec cette phrase, Claire Eveillé, réalisatrice de la web-série Le Régi. G, résume parfaitement l'esprit qui règne sur la production audiovisuelle à Poitiers. Au fil des années, cette régisseuse générale de formation (et de cœur) a développé son réseau, jusqu'à participer à la construction du noyau dur de l'audiovisuel à Poitiers.

Passée par le parcours cinéma du lycée de Loudun, Claire Eveillé a d'abord commencé par filmer des représentations de théâtre.


" Les anecdotes du Régi. G sont véridiques "

Son premier contact professionnel avec le cinéma, elle l'a eu en rencontrant l'équipe de La Mouette à 3 queues, association poitevine que vous découvrirez ici même dans quelques semaines. C'est d'abord en tant que régisseuse adjointe, puis régisseuse tout court, qu'elle s'est mise à écumer les tournages, tout en multipliant les petits boulots : « J'aime bien vaquer à droite et à gauche, explique t-elle. J'ai travaillé au TAP, j'ai été intervenante technique dans mon ancien lycée de Loudun… » Jusqu'à la série Régi. G, en 2013.

Fine équipe

En 13 épisodes, tournés entre la fin 2013 et juillet 2014, on suit donc le récit des multiples galères que doit affronter Roméo, régisseur général, c'est-à-dire homme à tout faire, sur le tournage d'un film. « Au début, j'avais juste dans l'idée de parler de mon métier », souligne Claire Eveillé. L'option web-série est intervenue quand elle a découvert Le Visiteur du futur, premier grand succès du genre diffusé sur France 4 depuis, et dont le tournage s'est en partie déroulé à Ligugé. Pour l'écriture, rien de bien compliqué : tout est véridique. « Il nous arrive des trucs qui sortent vraiment de nulle part, des histoires improbables, sourit la réalisatrice. Je voulais montrer toutes ces situations, l'ambiance sur les plateaux. » La constitution de l'équipe technique s'est faite sans difficulté, tout comme la recherche descomédiens, pour lesquels elle a fait ses choix « un peu à la tronche ».
Au final, c'est donc une équipe talentueuse mais entièrement bénévole qui s'est attelée à la création du Régi. G. Pour autant, Claire Eveillé est loin d'être satisfaite. Plus qu'une saison 2, celle-ci est décidée à « refaire » les épisodes déjà existants, de manière plus professionnelle, « tout en restant 100 % poitevin ». Avant une vraie suite ? « Il me reste encore plein de thèmes à aborder », remarque-t-elle. Le rendez-vous est pris.

Retrouvez les épisodes du " Régi. G " sur http://bit.ly/1LjhQGr.

2. L'hyperactif

Dessinateur, comédien, accessoiriste, chef décorateur… Aurélien Bordes, alias Aurel McNitro, est un peu le couteau suisse du cinéma poitevin.

Aurélien ? Il a environ 1.000 idées à la minute, c'est complètement fou. La réalisatriceClaire Eveillé (voir le portait de la semaine dernière) savait à quoi s'attendre quand elle a choisi Aurel McNitro pour tenir le rôle principal du Régi. G. Véritable touche à tout, ce personnage haut en couleurs de 31 ans possède plus d'une corde à son arc.

" Un décor de cinéma doit raconter une histoire "

Il faudrait d'ailleurs un journal entier pour faire l'inventaire de ses travaux. Pêle-mêle, on y trouve un mémoire sur l'architecture des parcs Disneyland, une maison d'édition, Fantastic Lab, créée vers 2005, des bandes dessinées d'heroïc fantasy pour enfants mettant en scène des pingouins chevaliers, une boutique de t-shirt, et des dizaines de rôles dans des productions locales comme le Régi. G, Avaliëa ou encore Throwback.




« Mon père, Yves Bordes, était lui-même dessinateur » précise t-il pour expliquer l'origine de cette créativité débordante. « Il a dessiné pour Pilote ou des maisons comme Dargaud, surtout sur des thématiques historiques. Du coup j'ai toujours baigné là-dedans. La preuve ? J'ai un petit carnet de dessin qui me suit partout où je vais. »
Originaire de Dax et passé par Cognac avant d'entrer en licence d'histoire de l'art à Poitiers, Aurélien est également un grand passionné de cinéma et de théâtre. Membre d'une compagnie nommée Claque Taloche, il pense pourtant arrêter le jeu pour se consacrer à la BD. Mais il y a trois ans, Claire Eveillé le contacte pour lui proposer le rôle de Roméo, héros d'une web-série se déroulant sur un plateau de tournage, à qui il arrive des péripéties en tous genres. L'aventure du Régi. G était lancée.

L'aquarium poitevin

Ensuite, les rôles s'enchaînent à mesure que la famille s'agrandit. Sur Avaliëa, web-série d'héroïc fantasy, il peut même se livrer à une autre passion, la création de décors et d'accessoires : « Pour moi, le décor doit raconter une histoire. Je préférerais toujours les effets traditionnels bien faits aux numériques mal faits. C'est ce que j'ai mis en pratique sur cette web-série. On a fait plus de 200 accessoires en trois jours. »
À Poitiers, Aurélien a retrouvé « les mêmes sensations qu'à [ses] débuts dans la BD. L'impression que, oui, on peut faire plein de choses. Ce qui est génial ici c'est qu'il y a deux bulles distinctes : les amateurs passionnés comme les créateurs de Throwback ou Avaliëa, et les professionnels comme la Mouette à 3 Queues. Et tous ces petits mondes se croisent et se nourrissent les uns des autres, les anciens, les nouveauxIl y a une vraie ouverture. »

3. Les professionnels

Cela fait maintenant plus de dix ans que la Mouette à 3 queues survole Poitiers, apportant son aide et son expertise aux jeunes pousses de la culture locale.

O n se connaît depuis la seconde, on a même eu un groupe de musique pendant quelque temps. Une histoire de potes. Voilà la façon la plus évidente de décrire l'histoire de la Mouette à 3 queues.
De la petite structure bénévole fondée en 2004, il reste cet ADN inaltérable qui fait de l'association, passée professionnelle en 2007, ce qu'elle est : un formidable support pour les jeunes créateurs poitevins. Mais pas que.

Efficacité, bienveillance et humanité

« Aujourd'hui, on a deux pôles bien distincts, expliquent Richard Béguier et Alexis Blithikiotis, deux des quatre membres fondateurs de la Mouette. D'un côté, on s'occupe de la production et du développement d'artistes de musiques actuelles à un niveau régional et départemental. De l'autre, on se consacre à la réalisation audiovisuelle et à l'éducation à l'image. » Assistanat de réalisation, organisation de tournages, recrutements d'équipes… La Mouette est au four et au moulin avec toujours les mêmes valeurs : efficacité, bienveillance et humanité.



« Les gens ont tendance à penser qu'une association est forcément moins sérieuse qu'une société de production, poursuivent-ils, nous, on s'efforce de prouver que cette idée est fausse. »
Et ça marche. De nombreux types de structures font de plus en plus appel à la Mouette, de la simple boîte de production de court-métrage aux agences web en passant par les publicitaires.

Sage comme une image

Enfin, la Mouette à 3 queues est aussi une accompagnatrice dans la découverte de ce formidable médium qu'est l'image.
Présente aussi bien en école primaire qu'en collège ou lycée, l'association déploie même, pour les touts petits, sa « boîte à balbu-ciné », dispositif initié en 2005 par la Région et qui permet à ses spectateurs de comprendre le fonctionnement du cinéma dans toutes ses étapes. « C'est un peu une malle aux trésors pour les enfants » sourient nos deux compères, « plus ils grandissent, plus ils s'intéressent à la technique.
On a refait une scène du film West Side Story avec des écoliers. Ils ont formé une véritable équipe de cinéma. La régie était tenue par quatre petits CM, et ils l'ont super bien fait ! »
Qui sait, les futurs Spielberg et Tarantino vont peut-être dans votre école de quartier.

4. La professeure

A la tête du master pro Assistant réalisateur depuis 2012, Laurence Moinereau fait partie de ceux qui, à Poitiers, forment les futurs artisans du 7 e art.

Pousser les étudiants à mettre les mains dans le cambouis, pour les transformer en véritables couteaux suisses. C'est ainsi que Laurence Moinereau définit sa tâche et celle de son équipe au sein du master pro « assistant réalisateur ». Avec le temps, cette normalienne s'est affranchie d'une certaine rigidité universitaire, qui, au moins à la première impression, transparaît encore aujourd'hui, pour aller vers des méthodes plus artisanales mais plus en prise avec le terrain.

" Des étudiants créatifs et pragmatiques "

A l'Ecole normale supérieure, elle avait d'abord commencé par étudier l'histoire. Mais déjà, le 7e art constituait un cheval de bataille pour celle qui proposa alors une maîtrise sur la représentation de la banlieue dans le cinéma français des années 60 à 80, un diplôme d'études approfondies sur celle des femmes dans les scénarios Gaumont, et, une fois arrivée en fac de cinéma à Paris 3, une thèse sur les génériques de films.



À la fin de ses études, il y a une quinzaine d'années, c'est à Poitiers qu'elle débarque, d'abord en tant que chargée de cours avant de passer maître de conférences. Et, en septembre 2012, elle devient la directrice du master pro « assistant réalisateur », sur la base d'une maquette réalisée par un collègue ayant abandonné le navire en cours de route.
« L'assistant réalisateur, explique-t-elle, c'est le métronome d'un tournage de film. Il gère les équipes, fait le plan de travail, et constitue le lien entre la production et le réalisateur. Du coup, on forme nos étudiants à une certaine forme de pragmatisme, tout en cultivant leur sensibilité artistique, dont ils auront bien besoin. » D'autant que la formation, menant vers un métier finalement peu connu puisque les assistants sont souvent des « hommes de l'ombre », est unique en France.

Des salles de classe aux salles obscures

En tout, dix-sept étudiants constituent les deux promos actuelles, en master 1 et 2. Entre théorie et pratique, ils sont entre autres amenés à collaborer avec des metteurs en scène professionnels, dans des projets étudiants, associatifs (avec l'association du master), ou dans des stages. L'an dernier, ces activités avaient même mené les étudiants au festival de Cannes, pour le long-métrage La Fille et le fleuve d'Aurélia Georges : « On est partis en minibus super U, raconte Laurence Moinereau. Une fois sur place, on s'était changé sur le parking de la gare de Cannes, tenue de soirée obligec'était cocasse. » C'est aussi ça, avoir une vision réaliste du cinéma ?

5. Jean-Yves, le patriarche

Du haut de sa carrière riche en rebondissements, Jean-Yves Lissonnet est un peu l'ancien de la bande, le patriarche sympa aux anecdotes inépuisables…

J'ai 58 ans, mais on m'en donne six de moins quand je suis rasé, et six de plus quand je laisse pousser ma barbe. Cigarette au bec, chapeau vissé sur la tête, écharpe très « artiste » autour du cou, pilosité faciale pour le coup assez développée… Jean-Yves Lissonnet est assez facilement repérable dans la rue. Et pourtant, sur les plateaux, il peut être un véritable caméléon.

" Le cinéma m'a retiré un poids "

Directeur pendant trente ans d'une compagnie de théâtre mise à mal par des problèmes juridiques, ce passionné de cinéma a été poussé vers celui-ci par les événements, mais vous ne l'entendrez pas s'en plaindre : « Etre comédien, c'est quand même plus facile que d'être en charge de cette toile d'araignée qu'est l'organisation d'une troupe de théâtre, explique-t-il. Le cinéma a été un choix de carrière un peu forcé, mais cela m'a également permis de retirer un poids très lourd. »



Depuis son entrée dans l'univers du 7e art, vers 2003, ce comédien multifacette varie les expériences et les rôles, de plateaux en plateaux. Instituteur pour un clip de rap, président d'un club de retraités pour la web-série Le Régi. G, roi viking pour une autre web-série, Avaliëa, grand-père atteint d'Alzheimer pour un projet étudiant, il a même été le « fournisseur officiel d'injures » de l'équipe du Visiteur du Futur, célèbre programme de science-fiction, passé entre autres sur la chaîne France 4, et a carrément interprété Dieu dans un court-métrage pour une école parisienne.

L'avocat de la jeune génération

Cette hyperactivité, il affirme en puiser la plus grande partie dans l'énergie des jeunes talents éparpillés un peu partout à Poitiers : « Je n'aime pas que l'on casse du sucre sur le dos des jeunes. Ils ont une vraie belle énergie, celle des gens qui font beaucoup de choses très intéressantes à partir de pas-grand-chose. Je retrouve chez eux le comédien de théâtre novice que j'étais à mes débuts. Sauf qu'à l'époque, c'était beaucoup plus simple que maintenant. Donc je tire mon chapeau à cette génération qui fonce et ose malgré les difficultés. »
Ce cri du cœur illustre parfaitement ce statut de patriarche, qu'il revendique dans un sourire : « Partout où je vais j'essaye d'apporter un plus. On m'a beaucoup aidé durant ma carrière. Aujourd'hui, je veux juste pouvoir rendre ce que l'on m'a donné. »