Ces Justes
du Livradois-Forez opposés à l'horreur
du nazisme

Albert et Marie-Louise Rozier. Marius, Amélie et Jean Imberdis. Marie et Marius Pillière. Eugénie et Pierre Rolhion. Antonius Delaire. Marius Péraudeau. 

Des noms qui n'évoquent rien pour beaucoup. 

Pourtant, ils sont tous inscrits sur le mur d'honneur du Jardin des Justes parmi les Nations de Yad Vashem à Jérusalem. Des femmes et des hommes, vivant dans le Livradois-Forez, qui ont, au risque conscient de leur vie et de celle de leurs proches, aidé, caché, sauvé une ou plusieurs personnes juives pendant la Seconde Guerre mondiale. Sans contrepartie. 

4.055 Justes parmi les Nations en France.
200 en Auvergne.

Albert et Marie-Louise Rozier, un couple uni pour sauver et protéger des enfants

Albert Rozier, directeur du Cours complémentaire de Courpière pendant la Seconde guerre mondiale, et sa femme, Marie-Louise, ont hébergé, protégé et sauvé plusieurs enfants juifs. Ils ont ainsi reçu, en 2010, le titre de Juste parmi les Nations.

« C’est la période la plus noire de ma vie et je pense que c’est pourquoi j’ai voulu tout oublier. J’ai quand même eu plus de chance que d’autres qui n’ont pas survécu », écrit Jules Kozlowski, dans une lettre envoyée à Paul et Colette Valaude. Si sa mémoire a essayé d’occulter certains souvenirs, la douleur, elle, ne peut le quitter. La douleur d’avoir été séparé des personnes qu’il aimait. Son père, déporté à Auschwitz. Sa mère, assignée à domicile dans la Drôme mais qu’il a dû quitter pour se cacher. 

« Je me souviens de mon arrivée au Cours complémentaire, un soir. M. Rozier, le directeur, a été gentil et compréhensif avec moi. Il a parlé assez librement avec mon accompagnateur et c'est ainsi que j’ai compris qu’il y avait d’autres enfants dans mon cas. » 

Lors de leurs recherches sur Albert Rozier et sa femme, Marie-Louise, Paul et Colette Valaude ont retrouvé la trace de plus d’une dizaine d’enfants cachés entre 1939 et 1945. Michel et Maurice Adler, 16 et 8 ans, Jacques Dancyger, 10 ans, Renton (*), 8 ans, Komenko (*), 10 ans, Abraham (*), 17 ans…

« Mais il est difficile de savoir vraiment combien sont passés par le Cours complémentaire », explique Colette Valaude. Elle relit une nouvelle fois la lettre de Jules Kozlowski. Devant elle, des centaines de documents sur les Rozier et des dizaines d’histoires

Un réseau de Résistance

« Les enfants arrivaient à Courpière par un réseau de Résistance ou par des connaissances. On leur fournissait de faux papiers [Jules Kozlowski est ainsi devenu Jules Coste, ndlr]. Les Allemands étaient surtout à Thiers et ils n’avaient aucune raison de venir au Cours complémentaire. Ils étaient donc globalement assez tranquilles. » Les Rozier accueillent également des Républicains espagnols fuyant Franco et un déserteur de l’armée allemande.

« La première chose qu’ils disaient aux enfants, quand ils arrivaient au cours complémentaire, c’était : "Tu ne dis jamais que tu es juif. Tu ne parles jamais ta langue, même avec les autres enfants". Ils vivaient ensuite, comme si de rien n’était, avec les autres élèves », raconte Colette Valaude.

Dénoncés en 1944

Mais en 1944, le couple Rozier est dénoncé. « Ils n’ont jamais su qui leur avait fait ça, assure Colette Valaude. Heureusement, ils ont été prévenus avant d’être arrêtés et ils ont pu se mettre à l’abri jusqu’à la fin de la guerre. On ne sait pas où ils sont allés. Mais quand ils sont revenus, c’était uniquement pour prendre leurs meubles. Albert Rozier, en colère et écœuré d’avoir été dénoncé, ne voulait plus rester à Courpière. »

(*) Seuls leurs noms de famille ont été retrouvés.

« Il y a quelques années, une réunion des anciens élèves du Cours complémentaire a été organisée. Il y avait un couple venant de Tel Aviv : Juliette et Michel Adler. Lui, était ancien élève à Courpière. Il nous a raconté l'histoire du couple Rozier. Personne à Courpière n'était au courant. Le secret avait été bien gardé. »

Deux familles cachées par le père imberdis

Deux familles juives, au moins, ont reçu l’aide de Marius Imberdis, prêtre à Domaize, pendant la guerre. Il leur a ainsi trouvé des abris, notamment chez ses parents, Jean et Amélie Imberdis.

« Marius Imberdis était un brave homme. Dévoué. Grand ami des Juifs. Un homme de cœur qui nous a aidés dans un but humanitaire, sans être intéressé et sans arrière-pensée », assure Willy Rosenthal dans un témoignage recueilli il y a plusieurs années par Yad Vashem. Car si le père Marius Imberdis, prêtre à Domaize, était son ami, il est surtout l’homme qui l’a sauvé, lui, mais aussi sa femme, Régina, et son fils unique, Henri.

Une famille cachée chez ses parents

« Marius Imberdis a rencontré Willy Rosenthal pendant la guerre [en 1941, ndlr]. Le prêtre donnait des cours à Clermont-Ferrand et, en discutant ensemble, ils ont sympathisé », raconte Christophe Gathier, qui a fait différentes recherches sur le père Imberdis lorsqu’il était conseiller municipal à Domaize. « Je pense que c’est vraiment comme ça qu’a débuté son engagement. »

Car lorsque Willy Rosenthal lui demande, en 1942, de cacher son fils, l’homme d’Église, n’hésite pas. Et après lui avoir fourni de faux papiers, il confie le jeune Henri, dans un premier temps, à une famille de paysans de Domaize : les Guillaumont. Puis à ses parents, Jean et Amélie Imberdis, qui vivent dans une ferme du hameau de Leuteyras, où Willy et Régina Rosenthal avaient déjà trouvé refuge.

« C'était périlleux de cacher quelqu’un.
Les gens étaient un peu les uns sur les autres. Et avec la guerre, les tensions, les colères et les haines entre habitants étaient cristallisées. C’était très tendu dans le bourg. Il y avait de nombreuses menaces de mort. »

Malgré les risques, Marius Imberdis cache également la famille Nordon. Il héberge alors chez lui deux fillettes, Yvette et Thérèse, avant qu'elles ne puissent rejoindre leur père, Georges, dans un abri qu’il leur a trouvé. Le père de famille, dans un autre témoignage, explique que le religieux ne se contentait pas de leur soutenir le moral mais leur apportait également des fruits et des légumes de son jardin.

« Personne, à l’époque, n’a jamais rien vu »

« On ne sait pas vraiment combien de personnes il a pu aider. Il n’y a pas beaucoup de témoignages écrits ou oraux. Mais on sait qu’il a sauvé au moins ces deux familles : les Rosenthal et les Nordon. Il y en avait sûrement d’autres. » Et autour du prêtre, un véritable réseau de sauvetage et de Résistance semblait exister. 

« Les personnes que Marius Imberdis a pu aider n’étaient pas forcément au presbytère, ou alors elles restaient très peu de temps. Le père devait les cacher chez des habitants de Domaize ou des alentours. » Le prêtre a ainsi pu venir en aide à des jeunes de Domaize souhaitant échapper au STO (service du travail obligatoire qui réquisitionnait et envoyait des milliers de jeunes travailler en Allemagne) mais également à des aviateurs alliés en attendant qu’ils puissent s’enfuir. 

« On a su, après la guerre, que plusieurs personnes juives lui avaient confié des objets de valeur. Imberdis cachait ces biens dans l'église, au-dessus d’une poutre. Et à la Libération, il leur a tout rendu. »

Marius Péraudeau

Marius Péraudeau, qui est à l’origine du musée du papier Richard de Bas à Ambert, a obtenu le titre de Juste parmi les Nations en 1992. Cet Ambertois a sauvé deux personnes : Germaine Detey (née Neumann) et Pierre Tanenbaum.

La famille Tanenbaum (les parents et leurs fils Georges et Pierre) vit à Paris pendant les premières années de la guerre. Un troisième fils, Émile, est prisonnier en Allemagne.

Le 16 juillet 1942, les parents Tanenbaum et leur fils Georges sont arrêtés lors de la rafle du Vél d’Hiv. Si Georges réussit à s’enfuir dans un premier temps, il est repris et déporté avec ses parents. Ils ne survivront pas. Pierre, lui, se trouve chez un ami de la famille au moment de la rafle. Cet ami le confiera par la suite à Marius Péraudeau à Ambert qui s’en occupera jusqu’à ce qu’Émile Tanenbaum vienne le chercher à la fin de la guerre.

Les couples Pillière et Rolhion 

À Vertolaye, deux couples ont été reconnus Justes en 1998 : Marius et Marie Pillière (première photo) ainsi que Pierre (le frère de Marie Pillière) et Eugénie Rolhion (deuxième photo). Ils ont sauvé deux enfants : David Szyfer, 10 ans, et Martinette Kupfermunz, 2 ans.

À partir du printemps 1943, les Pillière s'occupent de David, tandis que les Rolhion accueillent Martinette. Leurs parents, des Juifs de Belgique, avaient été internés au camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales. C’est grâce à une organisation juive que les deux enfants ont pu être placés à Vertolaye.

Les couples Pillière et Rolhion, de fervents catholiques, étaient agriculteurs dans le hameau de Lachamp. Les Pillière avaient quatre enfants : deux étaient prisonniers de guerre et deux autres vivaient à la ferme.

Pierre, alors conseiller municipal, et Eugénie Rolhion avaient trois enfants qui vivaient avec eux.

Jusqu’à la fin de la guerre, les deux couples cachèrent l’identité des enfants et les protégèrent. Après la libération, David et Martinette retrouvèrent leurs parents. Dans un témoignage, David assura avoir été traité « avec affection et chaleur ». 

Antoine Girardin 

Antoine Girardin a été le prêtre de Saint-Jean-la-Vêtre à partir de 1936. Il a sauvé René Bloch.

La famille Bloch avait un magasin à Metz. En 1940, René Bloch, sa femme et ses deux enfants, accompagnés des deux frères de René Bloch et leurs familles, décident de partir à Roanne. Ils y réinstallent leur magasin de textile.

Mais en 1943, ils sont menacés par la milice. La famille se disperse alors et demande de l’aide à une des employées de leur magasin : Mme Jacquet.

Elle hébergea ainsi Mme Bloch et sa fille Suzanne dans sa maison de campagne et elle confia René Bloch à son oncle, le Père Antoine Girardin. L’homme d’Église accepta de cacher le père de famille dans les combles du presbytère de Saint-Jean-la-Vêtre. Il y resta jusqu’à la Libération. 

Les conditions étaient strictes : René Bloch ne devait pas être aperçu et ne devait donc pas quitter sa chambre. Aucun bruit ne devait trahir sa présence. Il devait donc éviter de faire craquer le parquet lorsqu’Antoine Girardin avait des visiteurs à l’étage inférieur. Seuls le neveu du prêtre et sa bonne étaient au courant de la présence de René Bloch.

Antoine Girardin a été reconnu Juste en 2003.

Antonius Delaire 

Albert et Marie-Louise Rozier n’ont pas été les seuls instituteurs courpièrois à cacher des enfants juifs pendant la guerre. Antonius Delaire, directeur du collège catholique Saint-Pierre de Courpière, a sauvé également au moins trois personnes : Joseph Jonas, Maurice Jonas et Kurt Niedmaier.

Les enfants étaient confiés au père Delaire par l’Évêque de Clermont-Ferrand Gabriel Piguet et son représentant Virollo. Ils étaient donc plusieurs à se cacher dans l’internat du collège Saint-Pierre, sous de fausses identités. Parmi eux : Kurt Niedmaier (qui était arrivé en France illégalement en 1939 à l’âge de 15 ans) et les frères Joseph et Maurice Jonas. Antonius Delaire s’assuraient qu’ils ne participent pas aux offices religieux (avec la promesse de l’Évêque qu’ils ne seraient pas baptisés) et leur donnait tout ce dont ils avaient besoin.

Antonius Delaire a ainsi obtenu le titre de Juste en 2008.