Carole Bo Ram Autret : 
la voie du tatami

La petite Brestoise devenue championne du monde

"Pour moi, petite Bretonne, petite Brestoise, aller à un mondial ça me dépassait complètement", lâche Carole Bo Ram Autret. Confortablement installée dans un canapé rouge, voici déjà une bonne demi-heure que la jeune femme, née Coréenne et élevée Brestoise, détaille son parcours sportif.

Plusieurs médailles dorées autant que de titres mondiaux au compteur, c'est au sein de l'École Wushu Brest que la sportive reçoit. D'emblée, elle s'excuse si elle ne s'exprime qu'à demi-voix, la faute à une légère toux.

Le lieu est atypique, plusieurs salles d'entraînement aux riches décorations orientales se succèdent. Dans un coin du tatami, un dragon de carnaval chinois se repose. Derrière lui dans l'encadrure d'un rideau, quelques sportifs sont venus pratiquer leur art au rythme des instructions de leur enseignant.

"Aussi curieux que ça soit, on est ici au bout du monde et on a un panel martial qui est très représentatif", s'étonne-t-elle. Il faut avouer qu'avec deux clubs d'arts martiaux vietnamiens à Brest et une dizaine de dojos dans le Finistère, la région est amplement servie en disciplines martiales.

"C'est comme si on avait allumé un feu dans ma tête,
je voulais matcher.
"

Carole, elle, s'est spécialisée en technique à mains nues, à l'éventail et à l'épée. Les trois disciplines qu'elle pratique n'ont rien d'un hasard. Elle s'est spontanément tournée vers la première, qui représente pour elle"un art naturel, étape liminaire pour apprendre les arts martiaux". Elle a choisi la seconde par goût esthétique, charmée par la grâce de l'instrument. Et enfin la dernière car "sa philosophie est plus féminine que le sabre".

Dans le salon où Carole explore ses souvenirs, de petits bonhommes potelés en kimono et position de combat surveillent l'interview. D'un ton posé, la jeune femme déroule ses premiers pas sur le tatami. "C'est très trivial", amorce-t-elle. Après 13 ans de gymnastique en tant que compétitrice, monitrice et juge, l'adolescente d'alors cherche un nouveau souffle à son parcours sportif. "Je suis tombée sur une ancienne coéquipière qui pratiquait les arts martiaux. Comme j'entrais en classe préparatoire maths sup / maths spé, je savais que j'avais besoin d'un défouloir."

Quelques cours au Chuong Quan Khi Dao Club Brestois suffisent à la convaincre qu'elle a trouvé sa voie. Carole commence alors à s'exercer au Quan Khi Dao, séduite par le côté traditionnel et authentique de la discipline vietnamienne. "Ce n'était pas encore trop perverti par l'aspect sportif et fédéral comme le judo et le taekwondo", estime-t-elle.

Après un an de pratique en club, elle se voit proposer de participer à sa première compétition : la coupe de Bretagne de Rennes. Peu exaltée à regagner les tournois sportifs, ce challenge va pourtant l'embarquer durant 12 ans. "C'est comme si on avait allumé un feu dans ma tête, je voulais matcher", raconte-t-elle, sourire aux lèvres. Elle retrouve ses réflexes de gymnaste dans la forme de la compétition, le salut, les prestations solos en partie technique, puis monte sur la deuxième marche du podium en combat et sur la seconde ou la troisième en technique - elle hésite, sans parvenir à se rappeler.

"Ce qui me motive à la base, c'est la compétition, l'adrénaline, l'endorphine après la perf', la médaille... Ça occupe tout le temps que je ne passe pas à mon travail." Car en plus de s'escrimer sur le tatami, Carole est ingénieure de profession. Un choix qu'elle considère parfois avec regret. Poussée par ses parents dans une voie qui paye, elle aurait préféré consacrer sa carrière au sport.

Voir Marina di Carrara et matcher

Après sept années de compétitions passées à affiner ses katas - on dit "Quyên" pour les initiés - et ses compétences sur les tatamis de l’Hexagone, ses coachs lui lancent un défi d'envergure : concourir à la première édition du championnat de WTKA, la coupe du monde d'arts martiaux vietnamiens en Italie. Dans le petit salon, son regard part en l'air quelques instants le temps de collecter ses souvenirs, dont les deux mois d'entraînement intensif pour que ses enchaînements deviennent instinctifs.

Arrivée à Marina di Carrara, Carole "matche" avec la championne italienne en titre, Fabiola Tortora, qui concourt à domicile. "Ça a été très dur", confie-t-elle en riant, "une concurrente de taille et un super bon esprit !" Face à la compétitrice latine, elle finit deuxième en arme, mais remporte la compétition en mains nues. Une victoire qui ne lui apporte "ni surprise, ni bonheur, juste de la stupeur".

Ce mondial ne la laissera partir qu'après quatre jours éprouvants, à cause d'une organisation laissant à désirer. "On ne savait jamais à quelle heure on allait passer : les plannings étaient ajustés au dernier moment." Des désagréments qui ne l’empêchent pas de retourner en Bretagne avec le souvenir d'une "super expérience", trois médailles d'or et une d'argent.

Un succès qu'elle réitérera un an plus tard, même si pour l'athlète, "ça sentait le déjà-vu, le même type de concurrente que l'année passée, une routine".

Vers de nouveaux horizons martiaux

C'est à la même époque que la sportive décide d'arrêter les arts martiaux vietnamiens pour des raisons personnelles, autant que par volonté de changement. Son visage se serre quand elle aborde le sujet. "La dernière saison où j'ai pratiqué ce style-là, je m'entraînais toute seule à cause de problèmes avec mon ancien club. Pour me former, il fallait que j'aille en stage sur Paris, Marseille, Rennes... ça devenait épuisant."

Elle délaisse alors le Quan Khi Dao aux Quyên trop rigides et son ancien dojo pour s'orienter vers d'autres horizons martiaux. La rencontre au détour d'un stage avec Franck Ropers - expert français du Penchak Silat - sera la charnière vers cette nouvelle discipline. "Le Penchak Silat associe ce côté très efficace qu'on retrouve dans le Krav Maga et le côté plus martial et esthétique de la gestuelle", explique-t-elle. Un art de self-défense aussi pratiqué par les aspirants soldats vietnamiens durant leur service militaire. Elle qui a passé "de longues années à pratiquer en compétition avec un règlement sportif, pour faire de la médaille, pour faire de la performance, quitte à y laisser l'aspect pur martial" y trouve un nouveau souffle.

Ses explorations des courants sud-asiatiques l'emmènent vers une discipline supplémentaire, le Võ Cổ Truyền, avec lequel la compétitrice se fixe un nouvel objectif : intégrer l'équipe de France.

L'équipe de France ?
"Par fierté et pour boucler
la logique des arts vietnamiens"

C'est une question de fierté personnelle, mais aussi de logique : "pour boucler la logique des arts martiaux vietnamiens", comme elle le dit. Le refus qu'elle essuie en 2012 lui laissera un goût amer envers ses entraîneurs de l'époque et la mènera à démissionner du club en 2013.

Carole apprend qu'une nouvelle équipe sera formée pour l'édition 2014. Elle s'investit alors dans tous les stages possibles de Võ Cổ Truyền, se faisant conseiller par des maîtres de Marseille et du Nord. Puis viennent les compétitions obligatoires pour intégrer l'équipe qu'elle convoite : la Coupe de France de Võ Cổ Truyền, où elle décroche deux médailles d'or, et le championnat de France des arts martiaux vietnamiens. Ses efforts portent leurs fruits : elle reçoit enfin la lettre rédigée par la Direction Technique Nationale qui l'accepte dans l'équipe, va s'entraîner en stage intensif à Toulouse, avant de s'envoler au Championnat international de Võ Cổ Truyền au Vietnam.

"Il faut savoir que les organisations à l'asiatique,
c'est très très kitsch."

Quand on lui demande à quoi ressemble l'univers des grandes compétitions, la réponse fuse du tac au tac : "C'est le bordel !" éclate-t-elle de rire. "Il faut savoir que les organisations à l'asiatique, c'est très très kitsch. Les symboles traditionnels, les danses du dragon, les danses de la licorne, les musiques et les costumes, les cérémonies d'ouverture avec de très longs discours dithyrambiques qui s'éternisent, le gymnase non climatisé, les 40 degrés ambiants... On porte les polaires de l'équipe de France, on frise la crise d'apoplexie et la déshydratation. Voilà à quoi ça ressemble une compétition à Hô Chi Minh." Des conditions qui ne l'empêcheront pas de remporter une troisième place en technique à l'épée. "Cet enchaînement d'épée, je ne veux plus jamais le refaire tellement j'ai dû le décortiquer, le répéter... Je crois que c'est l'enchaînement que j'ai le plus réalisé dans ma vie", déclare-t-elle.

Le voyage sera marqué par d'autres déceptions. Autant la compétition se passe bien, autant le fonctionnement des instances vietnamiennes ne la satisfait guère. "C'était une désorganisation totale", déplore-t-elle, "je ne voyais pas comment les arts martiaux vietnamiens pourraient obtenir un jour une reconnaissance structurée. Sans structure figée et fonctionnelle au niveau mondial, il ne peut y avoir de dynamique sur les continents et les pays. À partir de là, je pensais 'à quoi ça sert ? J'ai été au plus haut qu'on puisse aller en France'."

Après s'être entraînée sur place et avoir rencontré divers maîtres, la Brestoise se rend compte qu'elle a poussé la logique jusqu'à son paroxysme. "Il était temps de tourner la page et de passer à autre chose", se souvient-elle.

Mais sa saison blanche 2014-2015 se passe mal. "Ça faisait 25 ans que je faisais du sport et de la compétition, je commençais à tourner en rond." Il faudra l'intervention de RenPing Goarzin, petite dame chinoise et enseignante de l'école Wushu, pour lui remettre le pied à l'étrier et commencer à pratiquer quasi exclusivement son art, seule discipline chinoise de sa panoplie martiale.

La trentaine sereine

Aujourd'hui, l'ingénieure s'est détachée des arts martiaux des années précédentes. Carole a repris la compétition et ajouté quelques médailles nationales de plus à son palmarès. Mais quand on lui parle de projets futurs, la réponse se teinte de retenue. "Tant que je ne suis pas trop vieille, je me demande 'pourquoi pas essayer une place d'équipe de France de Wushu pour le tai-chi ?' Après, j'ai 31 ans dont 26 de compétitions, j'ai pas mal voyagé... Je passerai vétérante dans trois ans, donc je me dis que mes belles années sont passées."

Pas de quoi la décourager pour autant, le tatami n'est pas son seul lieu d'expression. L'écriture aussi, la musique encore plus, la composition parfois. Sans doute des restes du conservatoire de violon, qu'elle a fréquenté plusieurs années à partir de ses cinq ans.

Avant de nous quitter, elle conclut sur un conseil pour les jeunes qui voudraient s'initier aux arts martiaux. "La pratique peut paraître ingrate au départ, mais il ne faut jamais abandonner. Le résultat est toujours très, très beau ensuite. Travailler les arts martiaux, c'est apprendre à mieux se connaître, à sentir le lien entre l'esprit et le corps. C'est ce qui fait la richesse de ces sports."