Dans le quotidien
des Urgences de Chinon

La NR a passé la blouse blanche pour vivre de près les réalités de ce service hospitalier à part

Depuis la départementale qui mène de Chinon à Tours, difficile d'ignorer la devanture siglée de lettres couleur sang plantée dans les bois. Pourtant, impossible de prendre le pouls du service des urgences du Centre hospitalier du Chinonais sans en pousser les portes.

A Saint-Benoît-la-Forêt, médecins-urgentistes et infirmières veillent 7 jours/7 sur les patients de l'arrondissement. Un service public essentiel pour un territoire à la population vieillissante. Les statistiques l'attestent : près de 45 personnes y ont recours chaque jour. Une fréquentation en hausse régulière, où qualité des soins doit rimer avec rentabilité financière. Immersion dans les coulisses de ce service hospitalier à part entière.    

"Notre hantise, c'est de passer à côté d'une urgence vitale parce que le patient n'aura pas su bien décrire ce dont il souffre"

Lundi, 10 h. Le docteur Thierry Schweig, chef des urgences à Chinon, est sur le front depuis 1 h 30. Les premières minutes de 24 h de garde dont il ignore, pour le moment, tout du scénario. Seule certitude : si la semaine ne fait que commencer, l'équipe se prépare à une journée chargée. "Beaucoup de patients attendent le lundi matin pour se déplacer, ils n'osent pas déranger leur praticien le week-end et terminent parfois aux urgences", explique l'urgentiste. Sans compter les éventuels dossiers admis la veille, encore en observation ou en soin.

Dans la salle d'attente, où débarquent les petits bobos ou les grosses urgences, pas l'ombre d'un malade. Seules les sonneries du téléphone des infirmières de l'accueil viennent rompre la paisibilité des lieux. "C'est exceptionnellement calme pour un lundi", témoigne l'une d'elle.

Trompeur, car en coulisse, on s'active. Ici, "ça n'arrête jamais vraiment", souffle Thierry Schweig. La preuve par les chiffres, que détaille le patron des urgences...

Quarante-cinq patients poussent chaque jour les portes des urgences. Si le délai d'attente se situe autour de 2 h 44 (en dessous des statistiques nationales), la moyenne d'activité pointe à la hausse de 2 % chaque année. En 2015, 16.376 patients y ont été soignés. 12.305 dossier sont répertoriés "non suivis d'hospitalisation". L'objectif affiché par Christine Malbec, cadre de santé aux urgences ? "Atteindre 12.500 pour 2016". L'enjeu est de taille puisque de ce pallier de personnes hospitalisées dépendront l'octroi ou non d'allocations supplémentaires pour le Centre hospitalier du Chinonais.

"Des gens prennent les urgences pour une consultation médicale. Quant à ceux qui se plaignent d'attendre
4 heures en expliquant qu'ils pourraient mourir
sur place, je leur dis : si vous étiez vraiment en train
de mourir, vous auriez été traité de suite."

Aux urgences, la philosophie est claire : "prise en charge immédiate". Pour fluidifier le service, une infirmière dédiée, appelée d'accueil et d'orientation, s'affaire à "trier" les dossiers. Avec attention souvent, pédagogie parfois, c'est elle qui collecte les premières informations. Un matériau essentiel à la bonne prise en charge et au fonctionnement optimal du service. 

Identité, âge, motif d'hospitalisation, planning des examens... Tout est consigné sur le "tableau". "Nous les classons de 0 à 4, explique l'infirmière Doriane Salmon. Quatre correspond aux pathologies qui ne présentent pas de risque vital. Zéro ? C'est l'urgence absolue."

« On accueille tout le monde, on fait le tri mais pas question de refuser des patients », explique-t-elle. Mission de service public oblige. Son premier diagnostic sera essentiel dans la rapidité de la prise en charge.

AVC, infarctus, péritonites, grossesse extra-utérine… Chaque minute compte. «Notre hantise, c’est de passer à côté d’une urgence vitale », reconnaît Thierry Schweig. Service mobile d'urgence et de réanimation (Smur), cardiologie, consultations, pédiatrie... "Notre activité est plus diversifiée ici que dans les grands centres d'urgence où c'est davantage cloisonné", témoigne un cadre de santé.

"Aux urgences, il n'y a pas une journée qui ressemble à une autre. Venir travailler dans un hôpital périphérique comme celui de Chinon, c'est un choix."

Le "tableau" en est la preuve. S'il peut se fier aux statistiques, selon lesquelles l’entorse à une cheville reste le motif principal d’admissions aux urgences, Thierry Schweig et ses deux acolytes du jour ne connaissent rien du scénario de la garde dans laquelle ils se sont engouffrés ce lundi matin.

Nicolas Maillot, lui, est déjà en alerte. Deux patients sont alités dans la salle dite de « déchocage ». « C’est ici que nous prenons en charge les cas lourds, qui nécessitent des geste de réanimation (massages cardiaques, défibrillations...) », détaille Thierry Schweig.

" En salle de déchocage, il s'agit de cas lourds.
Les patients peuvent, d'un moment à l'autre, voir leur état de santé se détériorer "

Ces dossiers nécessitent une attention de chaque instant. A tout moment ils menacent de s'enfoncer. Alors, même s'ils doivent jongler entre les dossiers, les urgentistes gardent toujours un œil sur les "scopes".

Radiologie, viscéral, orthopédie… "Ça va à la clinique si un geste chirurgical s'impose ; s'il s'agit de pathologies trop lourdes, on évacuera vers le CHU à Tours", explique le chef.

Un psychologue de l’hôpital est dépêché sur les lieux à la hâte après une tentative de suicide, un retraité attend dans le hall d’admission avant d’être suturé. La journée n'a pour le moment rien des périodes de pics, mais le ballet de blouses blanches semble ne jamais s’arrêter.

Le signe d'une activité qui ne se dément pas. La faute, aussi, à une sur-consommation des urgences, pensée comme un réflexe qui pallierait une pénurie de médecins ? La réponse de Thierry Schweig

La priorité de l'équipe médicale est d'apporter des soins de qualité mais le soucis de rentabilité n'est jamais loin des esprits.

Un médecin travaille d'ailleurs à temps plein au codage des actes. Sur ses épaules repose la charge de détailler et d'inscrire minutieusement les opérations réalisées aux urgences. Autant de démarches synonymes de rentrées financières pour l'hôpital.

"Nous ne sommes pas là pour gagner de l'argent mais les impératifs financiers sont une réalité, alerte Didier Guilbault, cadre de santé supérieur responsable du pôle "court séjour".

Depuis la "T2A" pensée par l'Assurance maladie, une pathologie c'est une durée de prise en charge donc une tarification. "Si elle s'avère plus longue que prévu, médicalement ce n'est pas grave, c'est l'état clinique qui prime. Mais financièrement, si cela se reproduit trop souvent, cela peut nous pénaliser", poursuit Didier Guilbault.

La discussion se poursuit au détour d'un couloir tandis que le docteur Antoine Pornin doit intervenir. Une ponction pleurale l'attend. Doriane Salmon, elle, vaque à ses occupations. Direction la salle de sutures...