Le Normandy, palace de rêve depuis 1912

L'hiver dernier, l'hôtel a opéré une mue spectaculaire. Rencontre privilégiée avec Jérôme Limoges, son directeur

La légende prétend que le duc de Morny, qui fit beaucoup pour la ville - l'une des places les plus importantes porte encore son nom - se serait exclamé, devant le magnifique site de Deauville "Quelle immensité et quelle beauté ! Nous allons bâtir ici le royaume de l'élégance". Rien n'était gagné, pourtant, en cette fin de XIX siècle. Le petite ville ne compte que quelques centaines d'habitations, pour la plupart nichées à flanc de coteau. Mais, de fait, l'immense plage de sable blanc a de quoi faire rêver les riches aristocrates et autres aventuriers, qui goûtent depuis peu aux plaisirs des bains de mer.

Grâce à une ligne ferroviaire toute dédiée à propager le tourisme, grâce à la volonté de quelques  hommes, les villas fleurissent. Le casino et l'hippodrome ne tardent pas, eux aussi, à sortir de terre. Toutefois, la mort préamturée du duc de Morny fait retomber Deauville dans un certain oubli. Trouville, à un jet de pierre, lui fait de l'ombre, les investisseurs s'en désintéressent.

Mais en 1910, c'est un autre grand chantier qui va redonner son lustre à ce coin de Normandie qu'on ne tardera pas à surnommer "le 21e arrondissement de Paris". C'est à Eugène Cornuché - fondateur du célèbre restaurant Chez Maxim's et à son ami François André que l'on doit le projet fou de faire sortir de terre l'un des plus luxueux hôtels que l'on puisse imaginer.

L'entrée de l'Hôtel Normandy, à sa création en 1912. Les lieux ont changé, l'âme est restée...

Le tout-Paris ne tarde pas à y débarquer et, dès l'année suivante, Coco Chanel inaugure sa première boutique au sein même de l'hôtel. Au fil des années, l'endroit ne perdra ni son lustre, ni son charme, accueillant les grands de ce monde, dont notre roi Albert Ier. 

Las!, La seconde guerre mondiale va faire du palace un des innombrables lieux réquisitionnés par les Allemands. "Il ne restait plus rien du mobilier ni même de l'argenterie. Même la cave à vin a été pillée", commente Jérôme Limoges, qui a pris la tête de l'établissement voici trois ans. Mais le Normandy panse vite ses blessures et retrouve ce charme un rien surrané qui plaît tellement. Winston Churchill choisit la plage fleurie pour passer ses vacances tout comme le roi Alphonse XIII d'Espagne. Le prince de Galles fête ses 30 ans au Normandy. André Citroën et Françoise Sagan feront les beaux jours du casino… Une icône est née, la légende commence.

Et puis, bien sûr, il y a, en 1966, le tournage du film le plus célèbre de Claude Lelouch, qui va faire de Deauville l'endroit le plus romantique que l'on puisse imaginer. "Lors des rénovations, nous avons tenu à ce qu'il y ait une suite Un homme et une femme dans l'hôtel", explique encore notre interlocuteur. "Comme il était en noir et blanc, nous avons demandé à notre décoratrice une toile de Jouy dans ces tons-là, ce qui en fait un endroit vraiment à part dans notre hôtel (à 2350 euros la nuit, le luxe a un prix...)

Depuis quelques années, toutefois, le besoin et l'envie se faisait ressentir de donner un grand coup de frais au Normandy. "Sans y perdre son âme", un mot qui revient souvent dans la bouche de Jérôme Limoges. "Certains de nos clients nous disaient que c'était bien... mais que les salles de bain étaient vieillottes, ou que le restaurant gagnerait à être plus lumineux". Alors il rentre un projet auprès du grand patron du groupe Barrière, Dominique Desseigne, qui lui donne le feu vert. "On n'aime pas tellement communiquer sur les chiffres, mais sur trois ans, nous avons investi quelques 20 millions d'euros", dit-il. Tout y est passé. Des kilomètres de tapis ont été déroulés, 160 tonnes de carrelage posés, une mosaïque de 55.000 carreaux installés au restaurant La Belle Epoque.

Aujourd'hui, l'hôtel compte 271 chambres (dont 31 suites). Soit 19 de moins qu'au début du siècle dernier. "Il y avait beaucoup de petites chambres aux troisième et quatrième étages, qui servaient aux cochers et aux gens qui accompagnaient des grandes familles". Le choix a été fait d'en sacrifier quelques-unes, donc, pour donner plus d'espace à celles existantes. Tout, jusqu'aux épis de faîtage - une spécificité des riches maisons normandes - a été remis à neuf. On a pu s'en rendre compte en montant - autorisation exceptionnelle - sur le toit, au petit matin... 

Au Normandy, 160 employés travaillent à l'année. Plus de 200 en haute saison. "On a d'ailleurs des petits logements pour le personnel dans les combles. Pendant le festival du Cinéma Américain, l'organisation est un peu différente. Ne serait-ce qu'au niveau de la sécurité", poursuit le directeur. "On renforce les équipes, pour être plus disponibles notamment au moment où les artistes arrivent, se préparent pour les projections, etc." Voici quelques jours, c'est l'ambassadrice des Etats-Unis qui était au Normandy. L'an dernier, durant un sommet européen dy G8, Angela Merkel a occupé la suite présidentielle. "On est habitués à recevoir les chefs d'Etat. Mais cela fait partie du charme de Deauville de pouvoir côtoyer des gens du show business, du cinéma, des chanteurs... du monde entier. L'an dernier, François Damiens logeait chez nous. Il était tellement sympa, tellement disponible. Les gens se sentent bien chez nous, ils sont prêts à faire une petite photo, signer une dédicace..." On confirme: voici deux ans, on prenait notre petit-déjeuner au côté de Pierce Brosnan. 

Enfin, parce que la demande était pressante, l'hôtel accueille depuis sa réouverture un spa basé sur le concept (venu des Etats-Unis) de régénération totale. En hommage à la fille du fondateur du groupe, Diane Barrière, disparue voici quelques années, le lieu porte son nom. Havre de paix dans un havre de paix, l'endroit incite à la rêverie. On en oublierait presque qu'il y a des films à voir, des acteurs à interviewer et des articles à écrire...

Chaque cabine de ce tout nouveau spa s'éclaire différement en fonction des souhaits des visiteurs...

Groupe Lucien Barrière