Star mutante

Daniel Radcliffe, 27 ans et mille vies

Vendredi 9 septembre 2016, hôtel Normandy, Deauville. Il est neuf heures du matin et deux femmes - probablement mère et fille - sont assises sur des pliants. Elles lisent et bavardent pour passer le temps. C'est qu'il va être long avant l'arrivée de celui qu'elles attendent. Très exactement huit heures et quinze minutes. Et tout ça pour quoi? Rien. Daniel Radcliffe sort de sa voiture et traverse, au pas de charge, la cour intérieure. Même topo une fois les portes franchies: il s'engouffre dans l'ascenseur, plantant là ceux qui espéraient un autographe. Il n'en faut pas plus à la presse régionale pour se déchaîner et faire du héros de Harry Potter le dernier des goujats.

Et pourtant, si elle savait... Pris en charge à Paris et à peine débarqué du train, l'acteur a filé plein ouest vers la côte normande. Soucieux de ne pas être en retard, il n'est pas passé au petit coin et ce que l'on a pris pour du mépris n'était rien d'autre qu'une envie pressante. A quoi tient une réputation... D'autant que moins d'une heure plus tard, remontant le tapis rouge pour assister à la première d'Imperium, il a donné sans compter. Autographes, selfies, photos par-ci, bisous par-là. Et qu'il a remis ça le lendemain, pendant plus d'une heure, sur les Planches, après avoir inauguré la cabine de plage qui porte désormais son nom.

"Une cabine à mon nom, au milieu de toutes ces stars, c'est assez irréel. Je n'y crois pas encore tout à fait..."
AFP

Si être mal jugé l'attriste un peu, l'acteur n'en montre rien. En dix-sept années de carrière, celui que l'on a vu grandir, mûrir, se former sous nos yeux, de film en film, a, par la force des choses, appris à gérer son image. "Je peux compter sur mes amis, sur ma famille et sur ma petite amie pour garder les pieds sur terre", dit-il. "De la même manière, je sais qu'ils ne mentiront pas sur mon travail". Ce fut manifestement le cas récemment avec un projet de scénario que Daniel leur avait donné à lire. Il se marre rien que d'y repenser.

Curieux, insatiable, généreux

Ce même vendredi, à Deauville, c'est à Clémence Poesy, sa partenaire dans trois des films de la saga Harry Potter, que le festival avait demandé de remettre le prix Nouvel Hollywood et de dire quelques mots sur Daniel Radcliffe. "C'est l'homme le plus curieux, le plus insatiable et le plus généreux avec lequel j'ai travaillé", dira-t-elle notamment, avant de lui tomber dans les bras. Emu mais fier - "Ce rouleau que vous voyez entre mes mains, c'est sans doute ce qui ressemble le plus au diplôme universitaire que j'aurais jamais" -, l'acteur en profite pour, humblement, remercier ceux qui l'ont aidé à en arriver là. "Je suis d'autant plus touché que je me rends compte de la confiance que l'on m'a accordée à l'époque. Parce que, franchement, je n'étais pas très bon acteur", rit-il. "Mais ce prix du Nouvel Hollywood me fait infiniment plaisir parce qu'il me laisse à penser que je suis sur le bon chemin."

L'appétit insatiable qu'il a pour ce métier, comme il le dit joliment, c'est aussi à Harry Potter qu'il le doit. Raison pour laquelle, et contrairement à ce que beaucoup pensent, il n'est pas lassé de parler de cette expérience et de ce personnage. "Je sais ce que je lui dois. Je vis avec lui depuis l'âge de dix ans. Grâce à ces films, j'ai rencontré des gens passionnants, inspirants." Et de citer, pêle-mêle, Gary Oldman, Alan Rickman, Chris Columbus ou Alfonso Cuaron.

En remerciant "tous les réalisateurs qui m'ont montré que je pouvais être plus que ce que je suis", en dédiant son prix à ceux qui lui ont fait confiance pour l'après-Potter, Daniel Radcliffe résume assez bien sa déjà longue carrière. Car une fois la baguette et les lunettes remisées au placard des accessoires, son avenir au cinéma était loin d'être tout tracé. 

La boule à zéro

Et pourtant: un an à peine après le dernier volet de la saga, il enterre son image de petit sorcier et apparaît à l'écran dans un thriller de James Watkins, La dame en noir. Puis il endosse le costume de l'écrivain Allen Ginsberg dans Obsession meurtrière de John Krokidas. 

Il s'essaie à la comédie dans Et (beaucoup) plus si affinités, puis dans Crazy Amy. Sautant d'un genre à l'autre, il sait que ses choix risquent de désarçonner ses fans. Mais puisque c'est de sa vie d'acteur - et de sa vie tout court - qu'il s'agit, il assume. Comme quand il décide de jouer Equus, de Peter Schaffer, à Londres, d'abord, à Broadway, ensuite. Dans la peau d'un adolescent sans désordre apparent qu'une incompréhensible démence va pousser à crever les yeux de six chevaux, Daniel Radcliffe se met à nu. Littéralement. Et fait un triomphe. 

Sa dernière mue en date, c'est pour le film de Daniel Ragussis que l'acteur l'a opérée. Dans Imperium, basé sur une histoire vraie, il se glisse dans la peau d'un agent du FBI qui infiltre un groupuscule néo nazi, aux Etats-Unis. La boule à zéro, s'il n'est pas méconnaissable, il est à mille lieues de l'image qu'il a portée durant des années. "C'était un moment assez amusant et en même temps stressant, de se raser la tête", dit-il. "Parce qu'on ne pouvait évidemment pas se permettre de faire plusieurs prises! On m'a dit "Action", je me suis lancé. Puis le réalisateur m'a demandé de le faire de manière plus violente... Je ne voyais pas vraiment ce qu'il voulait dire, mais je me suis mis à hacher mes mouvements et ça avait l'air de lui plaire..." Au final, il dit avoir éprouvé un certain soulagement à constater qu'il n'avait aucune bosse, déformation ou tache de naissance planquées dans sa tignasse. "Si ça n'avait pas d'incidence sur mes rôles, je pense que je me raserais plus souvent la tête. C'est tellement plus facile et franchement agréable".

Sur ce tournage dont le budget et l'équipe étaient plutôt réduits, Daniel Radcliffe se souvient aussi de moments épiques, voire angoissants. "Dans une scène, avec mon petit groupe de skinheads, nous défilons dans la rue. Comme il n'y avait pas quinze caméras autour, les gens que nous croisions ne comprenaient pas du premier coup qu'il s'agissait d'un film. Dans le regard de certains d'entre eux, on sentait une haine viscérale. Chez d'autres, qu'ils étaient prêts à en découdre.

"Ecoutez de la musique, visitez des expos et, surtout, lisez, lisez", sont ses conseils aux jeunes acteurs qui viennent le voir.

A 27 ans à peine, c'est lui aujourd'hui qui donne des conseils aux aspirants acteurs qui ne manquent pas de le bombarder de questions. "Je suis pourtant, sans doute, le plus mauvais conseiller qui soit. J'ai juste été terriblement chanceux, quand j'avais dix ans. Mais s'il y a une chose que je leur dis, c'est "Voyez autant de films que vous le pouvez, allez au théâtre autant que vous le pouvez, et surtout, lisez. Lisez! Les livres ont ce pouvoir de faire ressortir les émotions qui sont en vous, mais aussi cette faculté de vous faire voir le monde au travers des yeux de quelqu'un d'autre. Et je pense que plus vous comprenez un personnage dans un livre, plus vous avez de chance de comprendre un personnage dans un scénario", dit-il, de son débit incroyablement rapide, comme si trop d'idées, mises en mots, se bousculaient derrière ses lèvres. "J'étais pourtant un très mauvais lecteur, quand j'étais môme. Je n'aimais vraiment pas ça", avoue-t-il. "Et je suis un de ces enfants qu'Harry Potter a amené à la lecture. Mais pour être tout à fait  honnête, après avoir lu les deux premiers tomes, je n'étais pas aussi enragé que l'étaient beaucoup de mes copains de classe. Je pense que c'est parce que je n'étais pas un bon lecteur. Je veux dire que je n'y prenais pas de plaisir, ce n'était pas amusant.

Son livre préféré, quand il était enfant, était Holes (Le passage), de Louis Sachar. Et puis, à l'âge de 14 ans, en écoutant The Divine Comedy, il est tombé raide dingue d'une chanson: The book lovers. "Toute la chanson n'est qu'une liste d'auteurs, sur un fond de musique orchestrale magnifique. J'ai écouté ce titre mille fois et je me suis dit que je voulais savoir qui étaient tous ces écrivains..." A l'heure qu'il est, le pari n'est pas encore relevé mais son voyage dans littérature l'a emmené sur des chemins qu'il n'aurait jamais soupçonnés. 


Sa plus grande révélation, ces dernières années, sont le Japonais Haruki Murakami et l'Américain Kurt Vonnegut. "On ne peut difficilement concevoir deux auteurs plus différents que ces deux-là", sourit-il. "Chez Vonnegut, par exemple, il y a une vision de ce qu'est la masculinité - qui me semble perdue aujourd'hui - qui me fascine. C'est quelqu'un qui a traversé la guerre, qui a été prisonnier de guerre et qui en est revenu en pacifiste obstiné. La masculinité, aujourd'hui, semble définie par l'agressivité, le côté vainqueur. Chez Vonnegut, il y a de la force, mais aussi de l'intelligence et de la gentillesse. Ces qualités sont une part importante ce qui fait un homme, et elles ont tendance à se perdre."

"Force, intelligence, gentillesse: ce sont des qualités humaines qui ont tendance à se perdre..."
AFP