Guerre en Syrie : ils ont pris tous les risques pour témoigner

Leurs photos, leurs vidéos, leurs témoignages sont les seuls documents sur cette guerre, les journalistes étrangers ne couvrant pas le conflit en Syrie. Cinq jeunes syriens, Zakaria, Ismail, Ameer, Omar et Rami ont parcouru les rues dévastées de leur ville, Alep. Ils racontent les reportages réalisés au péril de leur vie. 

Ameer était en voiture avec un ami lorsqu'une bombe est tombée à quelques centaines de mètres : "Nous nous sommes rendus sur place immédiatement. Il y a avait plus de 15 personnes blessés ou mortes. Trois minutes plus tard, une seconde bombe est tombée au même endroit. Tous les blessés sont morts. J'ai eu beaucoup de chance ce jour-là, c'était un miracle." Ce jeune homme de 21 ans est originaire d'Alep, ancienne ville économique dans le nord de la Syrie. 

Avant la guerre, Ameer était étudiant et vivait avec ses parents et sa petite sœur. Il rêvait de devenir un jour psychologue. Visage enfantin, cheveux longs, Ameer, 18 ans à l'époque, semble tout droit sorti d'un film d'aventure. Décidé à montrer les atrocités de la guerre, il s'équipe rapidement d'un appareil photo. La guerre l'a entraîné vers un métier qu'il n'avait jamais envisagé, où il doit "courir sous les bombes" larguées par le régime de son pays et l'aviation russe. Reporter, journaliste citoyen, photographe de guerre, il est un peu tout cela à la fois. Aujourd'hui réfugié à Paris, Ameer vit avec sa mère dans une petite chambre mise à disposition par une association d'aide au logement. Son père, lui, est mort. "Il travaillait avec la défense civile syrienne. Il a été tué pendant son travail", se remémore le jeune homme. 

Des documents pour l'histoire

En 2011, la révolution éclate en Syrie lors d'une "manifestation pacifique" à laquelle Ameer participe. Un an plus tard, touché de deux balles lors d'une autre manifestation, il est arrêté avant d'être libéré. À mesure que la répression s'intensifie, les images basculent dans l'horreur. "J'ai commencé à prendre des photos". La plus connue d'entre elle, celle de deux pères fuyant les bombardements et portant à bout de bras leur bébé dans un décor de pierres et de poussière. 

Les journées à Alep se suivent et se ressemblent. Fonçant dans les rues de sa ville dévastée, Ameer se souvient d'un enfant, effrayé, avec un cartable, qui "déambulait entre les corps". Les journalistes étrangers n'ont pas couvert le siège d'Alep. Ameer n'est pas photographe professionnel mais il a choisi de témoigner à sa manière. De jeunes syriens sont devenus les témoins de cette guerre. Leurs photos, leurs vidéos sont les seuls documents sur la guerre à Alep et dans toute la Syrie. Ils resteront dans l'histoire. Certains seront repérés par des agences locales (Aleppo Media Center, Edlib Media Center, Al Jazeera Syria, RFS Media Office...) puis internationales, comme l'AFP, agence française, avec laquelle Ameer a collaboré ou encore Reuters

Ameer a conscience d'avoir pris tous les risques : "J'ai eu de la chance, je suis encore en vie!"

REPÈRE

211. C'est le nombre de reporters et journalistes citoyens tués en six ans de conflit, pris en tenaille entre les forces du régime d'Assad et ses alliés russes, l'Etat islamique, la diversité de groupes djihadistes et les forces kurdes. Un terrain hostile où règne intimidations, arrestations, enlèvements et assassinats. En 2016, ils sont 19 à avoir trouvé la mort. 


PORTRAITS

"Nous sommes fatigués"

Activiste, acteur médiatique, casque blanc, Ismail s'est retrouvé dans cette guerre. À 29 ans, cet ancien professeur d'anglais s'est mué en photo-reporter et vidéaste pour montrer le quotidien de la population d'Alep. 

Ismail parcourait les rues de sa ville dévastée. Dans les derniers jours du siège, il se trouvait dans son quartier, dans la partie est d'Alep. Il était souvent réveillé par le bruit des bombardements. Un matin, un ami l'a appelé après qu'une bombe est tombée tout près de là : "Il m'a dit qu'il y avait une attaque au chlore dans le quartier. Nous nous sommes précipités pour apporter notre aide", témoigne-t-il. Ses clichés et vidéos montrent comment vit la population, sans nourriture ni médicament. Dès qu'il en a l'occasion, Ismail porte secours à ceux qui l'entourent. 

Dans le fracas des obus, malgré son rôle de casque blanc, il décide de tourner quoi qu'il arrive. "Un jour, j'ai perdu ma caméra durant les bombardements", se remémore le jeune homme. Sa priorité est d'informer le monde. "Il y a un risque de non-retour", estime-t-il. Après l'attaque au gaz à Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, Ismail est terrifié : "Ce pays est fatigué. Nous sommes fatigués de tout : du sang, des gens qui meurent, des enfants qui meurent". 

Aujourd'hui, Ismail a quitté Alep et vit dans l'ouest du pays, près de la frontière turque qu'il souhaite traverser. 


"J'ai fait mon maximum pour aider les gens"

Avant la guerre, Zakaria, 31 ans, était photographe amateur et étudiant. "Ma seule arme, c'est mon appareil photo", affirme-t-il. Sauver des blessés, aider la défense civile, prendre des photographies, Zakaria a développé un activisme à son image pour s'opposer au régime. Touché de près par les horreurs, il a décidé de faire tout ce qu'il pouvait pour aider les civils et dénoncer les actions du régime. "J'ai fait mon maximum pour aider les gens là-bas", raconte-t-il. La peur est omniprésente. Impossible de savoir où et quand les avions vont lâcher leurs bombes. 

"Je travaillerai aussi longtemps que je vivrai pour dénoncer les crimes de ce régime", s'énerve-t-il. Il ne pourra pas oublier ce qu'il a vu. Pourtant, la vie continue. "On peut mourir n'importe où, n'importe quand. Malgré cela, les gens travaillent et les enfants vont à l'école, aménagée en sous-sol. Il y a toujours des concerts, des mariages. La vie est très difficile. Mais les gens aiment la vie et luttent pour vivre", se console Zakaria. Selon lui, la guerre n'est pas prête de se terminer. Syrien de naissance, il vit actuellement à Paris et travaille pour l'AFP. Ses photographies, comme celle du CRS transformé en torche vivant lors de la manifestation du 1er mai 2017 à Paris, ont été reprises dans de nombreux médias. 


"J'ai vu la mort à l'oeuvre à Alep"

Omar a 30 ans. Il vit l'horreur perpétrée par le régime d'Assad et ses alliés russes. Originaire de Binnish, dans le nord-ouest de la Syrie, ce photographe s'est engagé d'abord comme militant lors de la révolution, puis son appareil photo ne l'a plus quitté. Son quotidien est rythmé par les bombes. "Chaque jour, dès mon réveil, je sors pour couvrir les bombardements effectués par les avions d'Assad et les avions russes. Parfois, je photographie aussi ce qu'il se passe la nuit", raconte-t-il. 

Son avis sur Bachar al-Assad est sans appel : "C'est un criminel de guerre et il doit être jugé par les tribunaux internationaux. "Cette guerre a fait beaucoup de morts et de blessés parmi les civils. "Je le déteste parce que ses forces ont tué mes amis et mes proches!", s'énerve-t-il. Il ne pense pas que la guerre puisse se terminer un jour. Avec son appareil photo, il agît à sa façon et avec ses moyens. Les images ne s'effaceront jamais : "J'étais photographe et j'ai vu la mort à l'œuvre à Alep". 


"Mes amis ont été gazés"

Rami, 25 ans, est photographe freelance et travaille pour l'agence Reuters

Depuis 2011, il s'oppose au gouvernement d'Assad au péril de sa vie. "C'est la première fois que je faisais un acte aussi dangereux. Car vous pouviez être tué par les forces d'Assad à ce moment-là, juste pour avoir filmé ou fait des lives", confie-t-il. Rami a protesté dès les premiers jours contre le pouvoir en place. Ce photographe a mis sa vie en danger pour que l'information "survive". Avec les bombes, l'évacuation, ce jeune photographe a vécu l'horreur au cœur de la Syrie. "J'ai eu les circonstances les plus extrêmes à Alep", se rappelle-t-il. La plupart de ses amis ont été "gazés à Khan Cheikhoun" et "bombardés à Hama". 

Entre les groupes terroristes, comme l'Etat islamique, et les forces d'Assad, les journalistes sont pris en étau. L'assassinat et le kidnapping sont courants. C'est pourquoi Rami a décidé de quitter la Syrie pour rejoindre la Turquie. "C'est très difficile. Dès que les plates-formes pour lesquelles je travaille font des erreurs, cela me met en danger", conclut-il. 

SPÉCIALISTES

"HÉROS DE L'INFORMATION"

Des journalistes "citoyens" ou "improvisés", ce sont les termes qui reviennent le plus souvent pour désigner ces jeunes qui filment les atrocités de la guerre, smartphone en main. Avec ce conflit, tout va très vite. Les rôles et les métiers changent. "Des étudiants en médecine ont remplacé les médecins qui manquaient. Ils se sont mis à opérer des blessures de guerre", témoigne Marie-Claude Slick, ancienne grand reporter pour TF1, membre de l'association Souria Houra (Syrie Liberté). 

Au départ, leurs vidéos sont postées sur les réseaux sociaux pour alerter sur ce qu'il se passe. Hala Kodmani, journaliste franco-syrienne*, les définit ainsi : "Ces jeunes sont des manifestants qui se sont transformés en citoyen reporter et qui ont ensuite travaillé pour les médias." Elle a d'ailleurs organisé des formations à la frontière syrienne. 

Beaucoup ont déserté la Syrie pour se réfugier en Turquie dès 2012. Certains ont continué vers l'Europe. Nombre d'entre eux sont morts en essayant de diffuser cette information ou en portant secours. Et pourtant, Hala Kodmani n'est pas pessimiste : "Il y aura toujours de l'information car le mouvement se renouvelle. Les habitants aussi s'y mettent." Marie-Claude Slick ne tarit pas d'éloges sur ces militants, ces démocrates, ces jeunes journalistes qui ont porté le message de toute une population : "Sans eux, on ne saurait pas ce qu'il se passe."

*Responsable de la rubrique Syrie pour Libération, fondatrice de l'Association française Souria Houra, et auteure du livre "Seule dans Raqqa"

                                                                          Geoffrey Henriot et Julie Fortun