La Sneakers

du ghetto aux podiums

- Par Wail El Azrak et Sophia Haimeur -

Avant de commencer, cliquez sur la vidéo d'Oxmo Puccino 

(qui n'a absolument rien à voir avec le sujet, mais dont la version instrumentale s'accorde parfaitement à la lecture de cet article). 

Vous verrez, ça met réellement dans l'ambiance !


Ô adepte de la game boy et du walkman. Oui, vous qui avez éreinté vos Superstar sur le trottoir dans les années 90. Ou encore vous, les héritiers d'une époque révolue, qui jouissez des rééditions des paires de Sneakers les plus emblématiques d’une époque. Cet article retrace l’histoire de votre vie, l’histoire de votre passion : la Sneakers.

Piqure de rappel pour ceux qui débarquent. Au commencement, la Sneakers n’était ni plus ni moins qu’une simple chaussure de sport. La recherche de l’excellence des deux grands pontes du business, Adidas et Nike, a mené la chaussure de sport dans une autre stratosphère.

L’esthétique a pris de l’importance pour se démocratiser dans notre quotidien.

Meilleur exemple pour étayer mon propos : l’arrivée de Tinker Hatfield chez Nike. Le célèbre designer est à l’origine de la technologie Air Max et la fameuse bulle d’air apparente. Mais aussi co-fondateur de la branche Air Jordan chez Nike.

L’histoire de la Sneakers démarre sur les terrains de courses. Elle investit les parquets des breakdancers de Brooklyn dans les années 70, pour se retrouver sur les parquets de la NBA et finir sur les podiums de la Fashion Week.

La Sneakers, qui était un objet pour simples amateurs et connaisseurs, s’est transformée en icône et symbole d’un mouvement underground, devenu populaire.

Avec l’avènement de la culture Hip-Hop, la starification de certains sportifs et artistes issus des ghettos, la Sneakers a cassé les codes de tout ce que l’on connaissait de la mode jusqu’à présent. Son importance stylistique a pris de l’ampleur quand les marques de luxe ont pris conscience de l’ampleur du phénomène et de l’engouement pour ces nouveaux leaders.

Comment cette sous-culture a su aller au-delà de ses limites et se démocratiser en l’espace d’une cinquantaine d’années ?

Une culture Street

Fin des années 70, le mouvement émerge de l’underground de Brooklyn. Le Hip-Hop est né. La jeunesse New-Yorkaise se créée une identité autour de la rime et la danse.

Très vite des codes d’appartenance à cette nouvelle culture apparaissent. Fini les «pattes d’eph», les ambassadeurs de la rue ne jurent que par leur Levi’s 501, leur bombers et évidemment... leurs Sneakers.

Cette culture de rue se transforme rapidement en culture du mix, de la collection, de l'objet rare à conquérir. La danse, la musique, la rue. C'est un véritable univers qui se développe avec ses propres codes, ses propres règles. Dans un monde qui est encore celui de la rareté, sans les playlists Spotify et les boutiques d'e-commerces, les vinyles deviennent des pépites et les vêtements des signes de reconnaissance. La nouvelle quête démarre. Qui aura la plus belle paire de chaussures ? Et surtout, qui saura se différencier en dénichant le Graal ?

Malgré le rejet de la société pour ce mouvement, celui-ci se renforce, et se politise. Les Etats-Unis sortent légalement de la ségrégation. Mais les démons de plusieurs siècles de souffrance de la population Afro-américaine sont toujours présents. Ils doivent se reconstruire, mais les maux restent . Drogues, alcoolisme, gangs, violences policières et ghetto sont leur quotidien.

Moyen d'expression, le rap est vu comme un mouvement marginal. Il réussi pourtant à franchir les barrières et, progressivement sort des ghettos pour se retrouver dans les grandes villes, dans les studios et exploser les "charts". Les radios mainstream commencent alors à s'intéresser à ce mouvement. La culture de la rue gagne son pari. S'étendre et se faire entendre dans toute la société.

Des groupes alors inconnus du grand public, comme Public Enemy, NWA ou Run-DMC entrent dans la légende en devenant des artistes connus internationalement. Les textes permettent alors de mettre en avant les problèmes d'une population que l'on entend peu. Ils deviennent les représentants légitimes de toute une jeunesse en recherche de repères.

Fort de leur succès commerciaux et de leur influence, les marques s'intéressent au phénomène. Cassant les codes établis, les membres de Run-DMC sont les premiers non sportifs à conclure un contrat avec le géant de la Sneakers, Adidas. Suite à cet énorme coup marketing, ils écrivent un hymne aux Sneakers qu’ils portent constamment : My adidas.

Après Hymne à l'amour et Edith Piaf, voilà les New-Yorkais de Run DMC et leurs Adidas.

Bang.

Du terrain à la rue

La Sneakers entre alors dans une nouvelle ère. 

Après les sportifs pour promouvoir des paires spécialisées, des artistes pour lancer des tendances, quelle marque saura attraper dans ses filets un ambassadeur qui boostera les ventes ?

C'est dans cette nouvelle guerre marketing que les marques se lancent.

Finalement c’est Nike qui déniche la perle rare : Sa Majesté, comme on le surnomme, Michael Jordan. Encore inconnu des foules, le jeune basketteur a des demandes à la hauteur de son génie.

Pour l’engager, la marque à la virgule sort le porte-feuille et s’entoure des meilleurs créatifs pour respecter les termes du contrat.

C'est simple. La future poule aux oeufs d’or réclame 2,5 millions de Dollars sur 5 ans, des royalties sur chaque produit vendu et surtout une image de marque, le fameux logo du « Jumpman ». La firme Jordan Brand est née.


De cette association apparait la toute première paire de Sneakers à l’image du joueur : la Air Jordan I. Seul bémol, la ligue de basketball américaine interdit au jeune joueur de porter sa nouvelle paire de Sneakers, sous peine de devoir payer une amende de 5 000 dollars pour chaque match qu'il dispute avec. 

Le problème vient de la couleur de sa paire. Elles sont rouges et blanches. Or, les couleurs de son équipe sont le rouge et le noir.

Ce n’est pas sans compter sur l’équipe marketing et publicitaire de Nike.

La marque originaire de l’Oregon décide de sortir à nouveau son chéquier. Ils decident alors de payer les amendes et de tourner en dérision cette interdiction de la Ligue.

C’est le premier plus grand coup marketing de l’histoire de la Sneakers. La campagne de pub est à la fois pertinente, en avance sur son temps, drôle et surtout intelligente à souhait.

Sur le spot, on reconnait les jambes du jeune prodige des Chicago Bulls, mais ses Sneakers sont masquées. La photo est accompagnée d’un commentaire : «La NBA l’a interdit, mais rien ne vous empêchera de porter les nouvelles Air Jordan».

Le succès est planétaire. Nike a su trouver les mots justes pour toucher les masses et surtout toutes les classes. Les résultats obtenus vont bien au-delà de leurs espérances.

Nike avait dans l’idée d’arriver à un chiffres d’affaire de 3 millions de dollars. Les ventes en décident autrement, 153 millions de dollars en seulement une année. Les jeunes du monde entier se l’arrachent. Avec cette paire de Sneakers aux pieds dans la rue, chacun porte, en lui, un peu de Michael Jordan au quotidien.

Cette paire pose les fondements d’un nouvel empire. La saga commerciale du «Jumpman» et du «Swoosh» est en marche.

Bon alors là, normalement, Oxmo Puccino c'est fini. Je vous avais dit que ça vous plongerait dans une ambiance ! Bon alors, maintenant que vous avez confiance en moi, pour la suite de l'article, je vous propose ce morceau. Cliquez !

DE LA RUE AUX PODIUMS

Nike a gagné son pari. Désormais la Sneakers est un outil de mode à part entière. Les règles du jeu ont changé. La compétition entre les marques se fait sur le terrain des campagnes publicitaires, des tendances, et surtout de l'esthétique et de la technologie plus que de la pratique.

Mais il ne faut pas oublier d’où vient le phénomène. Il s’est créé dans la rue, et la rue a changé au fil du temps. Le mouvement Hip-Hop n’est plus le même.Tout comme la Sneakers, il a évolué et ses codes aussi.

Les voyous d’hier sont les businessmen d’aujourd’hui. Le mouvement n’est plus du tout aussi marginal qu’à ses débuts. Dorénavant, les artistes, ainsi que leur audience, sont plus nombreux.

Eux aussi cherchent l’excellence stylistique. En observant des success-stories comme celles de Jay-Z ou P. Diddy, on se rend compte de l’importance de la mode dans le mouvement.

Ils ont tous les deux démarrés en bas des tours à New-York. Ils se sont fait leur place dans un milieu hostile. Leur musique grandit autour des trafiques de drogues et des règlements de comptes. Malgré tout, ils ont su gravir les échelons. Ils sont désormais à la tête d’empires. Leurs investissements sont à leur images, divers, et leur succès est assuré.

P. Diddy par exemple, investit dans la vodka, Ciroc, et crée sa propre ligne de prêt-à-porter « Sean John ». 

Jay-Z, quant à lui, est le créateur de la marque de vêtement Roca Wear. Il investit aussi dans de nouvelles technologies, comme Tidal récemment.

Ce star système naissant dans le milieu urbain participe à l’expansion du phénomène de la Sneakers.Les codes, ainsi que le style vestimentaire, évoluent dans le Hip-Hop.

Des artistes comme Kanye West ou Pharrell Williams sont des précurseurs. Tant musicalement, qu'au niveau vestimentaire, ils ont apporté un vent de fraîcheur au mouvement Hip-Hop. 

Leur musique est diffusée partout. Fini l’époque du rappeur en proie avec la justice. Bonjour au rappeur gentil, drôle, avec du style. Fini le XXL. Désormais le bon style à adopter c'est le petit Polo, un jean, et surtout, le plus important, la bonne paire de Sneakers !

Qui dit démocratisation du mouvement, dit transformation en culture de masse. Et qui dit culture de masse, dit revenus importants pour ces voyous rangés.

Les rappeurs investissent alors un milieu qu’aucun d’entre-eux n’auraient pu imaginer un jour côtoyer: la Haute Couture entrouvre ses portes à ces nouveaux riches médiatisés.

Celui qui accueille ce mouvement urbain n’est nul autre que le jeune créateur italien Ricardo Tisci, nouveau styliste à la tête de Givenchy. Il a senti l’ampleur du phénomène et a su être apprécié de ces nouvelles idoles des jeunes. Il réalise la direction artistique de la pochette de l’album des deux plus grand rappeur, Jay-Z et Kanye West, pour leur album commun « Watch The Throne ».

C’est ainsi que la maison de Haute Couture parisienne a tout naturellement habillé les deux artistes pour leur tournée mondiale.

Coup de poker gagnant. Grâce a cette association du luxe et de la culture street, Givenchy connait un regain de popularité auprès des jeunes. Les emblèmes du créateur, que sont la madone ou les étoiles du drapeau américain, sont arborés fièrement par les deux natifs de la Côte Est Américaine. Le jeune italien lance alors une ligne de sweats qui va connaitre un énorme succès commercial. Et c’est tout naturellement qu’il collabore avec Nike, pour dessiner une paire de l’emblématique Air Force 1, déclinée en 3 coloris.

Une page se tourne et la tendance du « street-luxe » est née.

Les marques de luxe, conscientes de leur retard, se ruent sur ce nouveau marché. Tout le monde s’arrache les stylistes et designers issus de cette culture urbaine pour se moderniser. Des maisons, jusque-là réticentes à toutes nouveautés, se mettent à dessiner leurs propres Sneakers. Chanel, Yves Saint-Laurent, Martin Margiela, c’est l’engouement total.

Désormais, non seulement les sportifs, mais aussi les artistes, ainsi que les stylistes des maisons de haute couture travaillent main dans la main avec les leaders de marques de Sneakers. Amateurs de Sneakers, voici venu le temps des collaborations et des paires ultimes, que certains attendent depuis les années 70.

De Stella Mc Cartney à Alexander Mc Queen, en passant par Eminem, Kobe Bryant ou Kanye West, tout le monde se prête au jeu.

Bon toujours rien à voir avec le sujet mais c'est pour finir en beauté ! Cliquez ! 

La Sneakers devient un investissement

Mais tout cela à un coût. Les prix augmentent et certaines paires ne sont plus à la portée de tous. La mutation de la Sneakers en mouvement populaire a changé la donne.

La Sneakers est devenue un investissement à part entière. Elle a son propre marché avec des prix qui varient en fonction de la demande. Des marchés parallèles, où certaines paires peuvent atteindre des sommes astronomiques, émergent.

Malgré cela, un passionné se donne les moyens d'atteindre son objectif et de devenir le détenteur d’une paire unique.

Désormais l’émergence d’internet et des magasins spécialisés lui en donne les moyens.

La Sneakers s’impose aujourd’hui comme un basic du quotidien, portée par tous, homme ou femme, sans distinction sociale, culturelle, ethnique ou religieuse. Accessoire de mode à part entière, équipement sportif pour certains, objet de collection pour d’autres, la Sneakers est maintenant un attribut identitaire, qui permet à chacun de s’affirmer et de raconter sa propre histoire.

Par Wail El Azrak et Sophia Haimeur

Ce n'est pas fini!  

Pour accompagner notre article, nous avons réalisé, à partir d'un iPhone uniquement, l'interview de Karyne Serra, gérante de CARAVAN Paris. Lieu incontournable pour tout Sneaker Head parisien qui se respecte. Chez elle, de nombreuses exclusivités et des paires introuvables ailleurs. 

Sa boutique se situe 5, rue des Pastourelles, 75003 Paris.  

Par Wail El Azrak et Sophia Haimeur