"The Clearing",
une fresque du XXIe siècle

Pierre Huyghe a créé son paysage poncé
chez un collectionneur belge.

Dans toute l'histoire de l’art, les artistes ont toujours créé des œuvres "in situ", des fresques, dans les maisons ou palais des princes ou chez de simples amateurs. Pierre Huyghe reprend cette tradition en créant chez les collectionneurs belges, Bruno et Gaëlle van Lierde, une version “The Clearing” de son “Shore” déjà créé dans plusieurs musées du monde (Centre Pompidou, Moca de Montréal ou Lacma de Los Angeles).

Un reportage de Johanna de Tessières (photos, sauf mention contraire) et de Guy Duplat (texte).

Une première
pour l'artiste
Johanna de Tessières

Pour Pierre Huyghe, il s'agit d'une première, même si celle-ci n'a rien de surprenant. Les oeuvres "décalées" de cet artiste conceptuel français né en 1962 parviennent en effet à toucher directement le grand public. Les grands succès qu’il a rencontré lors de ses récentes expositions à la Tate Modern, au Centre Pompidou, à la Documenta de Kassel et au musée Ludwig (on se souvient du chien égyptien à la patte rose qui se baladait dans l’expo et de l’essaim d’abeilles qui occupait la tête d’une sculpture) en sont autant de témoignages.

Figer le temps

 

 

Johanna de Tessières

Pierre Huyghe est obnubilé par le temps et la manière de le rendre en art. Pour l'exposition de Daniel Buren à Bozar qui s’ouvre vendredi, il a créé un de ses petits "Time Keeper" qu’il multiplie dans de nombreux musées depuis près de vingt ans. Il se pose sur les traces de la vie du lieu, transformant l’espace d’exposition qui n’est plus un endroit sans identité. “Time keeper” signifie “conserver le temps”. 

Comme sur un site archéologique, la surface picturale d’un mur de Bozar a été poncée, permettant de rendre apparentes les différentes couches de peinture appliquées au fil du temps, révélant l’histoire du lieu à l’instar des strates géologiques. Tels des anneaux de croissance d’un arbre, l’image prend une allure organique alors qu’elle résulte des traces muséographiques du passé.

La couche antérieure révélée
Bruno Van Lierde

A Beaubourg, Pierre Huyghe avait aussi réalisé un "Shore" : tout un mur avait été poncé par lui, révélant une couche verte antérieure, vestige de la présentation d'une œuvre de Guy De Cointet. Le résultat avec ses formes vertes évoquait les derniers nymphéas de Monet, disait à raison Pierre Huyghe. 

Bruno Van Lierde

Au sol, la matière du mur poncé qui en était tombée se répandait comme un sédiment précieux. Au pied du mur, un fossile de tortue était là, comme sur un rivage abandonné et sur lequel le public pouvait marcher, rappelant les rivages des îles qui n’ont cessé d’inspirer l’artiste.

La poussière,
sédiment précieux
Johanna de Tessières

Pour ce travail, Pierre Huyghe s'inspirait de la vision des marines par Gustave Courbet. Et le résultat chez les Van Lierde est à son tour une marine, surgie du passé du mur et du lieu. La poussière retombée fait partie de l'œuvre, signe du temps perdu, comme le silex ancien de plusieurs millions d’années posé au pied.

Une oeuvre inscrite
dans le bâtiment...
Johanna de Tessières
... et qui disparaîtra avec lui...
Johanna de Tessières