Power to the people !

Il y a 50 ans, la révolution des sixties emportait tout

Le Victoria & Albert Museum à Londres célèbre la "révolution", celle des "disques et rebelles" des années 1966-1970.

Une exposition qui immerge dans ce bouillonnement contestataire et libertaire, où la musique était omniprésente et interroge sur ce qu'il en reste aujourd’hui.

par Guy Duplat, envoyé spécial à Londres (illu: UFO Mark II Poster, Hapshash and the Coloured Coat)

Et la jeunesse prit le pouvoir 
et imposa sa liberté
Woodstock Music and Art Fair, Bethel, NY, August 1969.

Préparez-vous à de grands moments de nostalgie en retrouvant les costumes des Beatles dans Sgt Pepper's ou en rêvant couché dans une grande salle baignée par le film et la musique de Woodstock, entouré de la guitare et du costume de Jimi Hendrix et du caftan de Joan Baez. On revoit plus de 500000 jeunes dans la plaine et Jimi Hendrix qui s’écrie : "500000 ont franchi la boue et l’histoire. Nous nous sommes lavés et avons bu dans de divines larmes de joie. Et pour une fois, et pour chacun, le vérité n’était plus un mystère".

C’était une époque où on était persuadé qu’il était possible de changer le monde, de secouer le conservatisme et de générer un monde meilleur.

Un parti libertaire résumait : "Notre culture, notre art, nos livres, nos posters, n’ont qu’un message : la liberté".

" Notre culture, notre art, nos livres, nos posters, 
n'ont qu’un message : la liberté"
On vous intoxique!, Atelier Populaire, France, 1968

De Carnaby street et du "Swinging London" aux communautés hippies de Californie et à l'invention d’Apple, l’exposition raconte ces 1826 jours qui révolutionnèrent totalement la société occidentale, et cela, sans le moindre mort.

L’expo rappelle qu’en 1965 à Londres, l’homosexualité et l’avortement étaient encore illégaux, une femme devait être mariée pour avoir la pilule, les femmes pouvaient être moins payées que les hommes, les discriminations raciales étaient partout, le théâtre était soumis à une censure officielle. 

Tout ce vieux monde fut balayé en quelques mois par la génération des baby boomers. En 1966, 50 % des Américains avaient moins de 25 ans. Ils savaient que cette révolution ne pouvait être arrêtée car elle se situait dans les esprits.

La montée des fondamentalismes
OZ no. 33, 1971 Editor Richard Neville, cover design


Cinquante ans plus tard, qu'en reste-t-il ? Toute notre société reste imprégnée par les acquis de cette jeunesse d’alors, mais notre modèle est maintenant mis en cause par la montée des intégrismes et des extrémismes de droite, un peu partout.

C’est plus qu’un détail : le directeur du V&A, l’Allemand Martin Roth, qui initia ce type d’expos sociétales et ouvertes sur le monde, vient de donner sa démission pour protester contre le Brexit et ce qu’il signifie comme repli de la Grande-Bretagne sur elle-même.

L’expo rappelle qu’elle ne vient pas de nulle part, cette révolution chantée par les Beatles, composée par John Lennon : "You say you want a revolution, well, you know, we all want to change the world". On y montre un exemplaire original de l’Utopie de Thomas More publié il y juste 500 ans à Louvain. On y rappelle les utopies de William Blake, Aldous Huxley et de la Beat Generation (Allan Ginsberg).

Mais il y eut dans ces années 66-70, une conjonction de faits qui a tout emporté. Une jeunesse qui a pris la parole et le pouvoir, une révolution musicale mondiale (Sgt Pepper’s fut le premier titre sorti simultanément partout dans le monde). Un monde politique décrédibilisé : de l’Affaire Profumo à la guerre au Vietnam quand les jeunes ne pouvaient accepter que le pays le plus riche du monde bombarde un pays pauvre pour aider un régime corrompu. L’anthropologue Margaret Mead avait bien vu que, grâce à la télévision, et pour la première fois, les jeunes pouvaient voir se faire l’Histoire avant qu’elle ne soit censurée par les aînés. On retrouve tout ça à l’expo avec Mai 68 et ses affiches ("Prenez vos désirs pour des réalités"), comme avec le nouveau féminisme militant de Kate Millett et Germaine Green.

Le "Je" prime désormais sur le "Nous"


Jamais, il n'était alors question de crise économique, de peur, de chômage, d’immigration massive. On avait foi en l’avenir et au progrès, on avait la générosité et l’ouverture en bannières, on inventait une contre-culture en y mêlant drogues et libération sexuelle.

On montre que ce furent aussi les années de l’essor de la consommation de masse (la première carte de crédit est crée par Barclay), du succès phénoménal des expos universelles de Montréal et Osaka (64 millions de visiteurs), de l’homme sur la lune (on expose la combinaison d’Aldrich et un rocher lunaire), etc.

Bien sûr, il y avait des contradictions entre cette soif de consommer et le rejet du consumérisme : Raoul Vaneigem enflammait la jeunesse avec son livre (qu’on voit à l’expo) « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations » où il montrait que le capitalisme aliénait l’homme de sa vraie vie et que le consumérisme amenait à survivre plutôt qu’à vivre, devenant des esclaves pour fabriquer des besoins et remplaçant le religion par l’argent.

(I can't get no) Satisfaction !

Les Rolling Stones pointaient ces contradictions dans (I can't get no) Satisfaction : "Quand j’ouvre ma télé, c’est pour voir un homme me dire comment ma chemise peut être plus blanche". L’expo pose des questions et laisse les réponses ouvertes. On a certes engrangé les résultats de cette révolution : multiculturalisme, mass-media, féminisme, libération sexuelle, souci de l’environnement, rejet des dogmes, mais le résultat est parfois ambigu. 

Les idéaux hippies du partage de la connaissance ont donné Steve Jobs et Steve Wozniak inventant Apple dans un garage en 1976 mais aujourd’hui cette informatique a aussi engendré une société de la surveillance et un "dark web". L’affirmation de la liberté de chacun a contribué à l’effondrement du communisme mais a engendré un individualisme qui élimine ce qui est "nous" au profit du seul "moi". Et ce souci de la Terre qu’on avait ces années-là n’a pas empêché notre environnement de continuer à se dégrader. 

Mais Dieu que ces années étaient belles quand on pouvait prévoir l’avenir en l’inventant !

Une grande expérience sensorielle

Save Earth Now, Hapshash and the Coloured Coat

Dans l'expo proprement dite, chacun reçoit un casque pour entrer et automatiquement celui-ci passe les textes et surtout la musique qu'il faut pour vivre une expérience sensorielle complète au contact des 350 objets et documents originaux. La musique répond à une riche collection de pochettes de LP d’alors.


 On démarre avec Carnaby street, le "Swinging London" les minijupes, Mary Quant, Twiggy, les tableaux optiques de Bridget Riley, les costumes de Mike Jagger et les reliques des Beatles prêtées par Yoko Ono : lunettes de John Lennon, une boîte de talc à l’effigie des Beatles, les manuscrits autographes avec les textes des « tubes », les costumes fous de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ou la sitar de George Harrison. 


On évoque le film Blow Up d’Antonioni qui décrit si bien ce monde. On passe à la contre-culture, aux magazines alternatifs, aux clubs et expériences de LSD, aux radios pirates et aux portraits "psychédéliques" des Beatles par Avedon. On continue avec le chapitre politique de la contestation contre la guerre au Vietnam, le mouvement Noir (Malcom X et le poing levé de Tommie Smith et John Carlos aux Jeux de Mexico) et mai 68, avec costume de CRS, affiches et chansons de Ferré. On se plonge ensuite dans la révolution consumériste avec les expos universelles, le design, les hôtesses de la Pan Am et les projecteurs de dias. 

La partie consacrée aux festivals (Monterey, Wight, Woodstock) est un grand moment où on peut s’affaler sur des coussins et suivre sur trois écrans cette grande fête à la liberté avec autour, les caftans de Jefferson Airplane et autres reliques. On y découvre les fiches des organisateurs de Woodstock : rémunérations des chanteurs, menus prévus, etc. 


L’expo se clôture par l’évocation des communautés alternatives qui ont fleuri à l’Ouest des Etats-Unis, fondées sur un rock psychédélique, la révolution sexuelle, le rejet des institutions, le retour à la terre. C’est là aussi qu’a surgi l’autre révolution de la fin du XXe siècle : l’informatique pour tous. Tandis que Lennon chante "Imagine". 

"Revolution" au V &A à Londres, jusqu'au 26 février.
A Londres en Eurostar en 2h. 
Sur présentation du ticket Eurostar, 
on reçoit une seconde entrée à l’expo.
Swingeing London 67 (a) 1968 69, Richard Hamilton