Dans le nord,
les militants du FN exultent

Marine, un prénom qui rime avec "révolution"

"Raz-de-marée pour le Front national",

a annoncé la présentatrice à la télévision.

Et les applaudissements ont fusé
de toute la salle François-Mitterrand,
à  Hénin-Beaumont,
où le FN organise sa soirée électorale.

Les premières estimations donnent 42,1 % à Marine Le Pen, candidate
à la direction de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. "Marine ! Marine ! Marine !" scandent sans fin les militants.
Une demi-heure plus tard, la présidente et emblème du FN s'avance sur scène.

"Marine présidente ! Marine présidente !"

Le ton se veut solennel, avec cette fermeté martiale, quasi virile,
devenue sa marque de fabrique. "Le peuple s'est exprimé, et avec lui la France relève la tête."
Il est question de "féodalités politiques et médiatiques", de "campagnes de calomnie et de diffamation", de "reconquérir les territoires perdus de la République."

A Calais, où des centaines de migrants ont établi un campement de fortune aux abords de la ville, plus de 50 % des électeurs ont donné leur voix au Front national.

Exultation dans la salle.

La fille de Jean-Marie Le Pen promet
"la préservation de nos modes de vie, la mise
en valeur de nos traditions".
Les mots claquent.

C'est déjà fini. 
L'intervention a duré trois minutes,
montre en main.

Hénin-Beaumont, tout un symbole  

Que ce message soit diffusé aux quatre coins de la France depuis Hénin-Beaumont est, en soi, tout un symbole.
Marine Le Pen n'a pas choisi Lille, ni Arras, ni Valenciennes, ni aucun
des centres économiques et culturels de la région. Elle a préféré une bourgade
de 30000 habitants, abîmée par le déclin économique, comme il y en a quantité d’autres dans l’ancien bassin minier, cette étroite bande de 120 kilomètres
de long et de 10 kilomètres de large, qui strie le nord de la France.

Modelée par l'essor de l’industrie au XIXe siècle, Hénin-Beaumont n’a  jamais rebondi depuis la fermeture du dernier charbonnage, en 1970.

Entre boulevard Salvador-Allende,
rue Jean-Jaurès, rue du Premier-Mai 
et  rue Robespierre, la géographie urbaine rappelle qu'elle fut  longtemps  un bastion socialiste et communiste. C’est fini.

Lors des élections de mars 2014, le FN a conquis l'hôtel de ville et évincé la gauche, au pouvoir depuis 1919 sans interruption.

"Hénin-Beaumont, c'est notre préfecture régionale à nous, c’est d’ici que la flamme de l’espoir a repris vigueur", flambe le maire, Steeve Briois.


Petit-fils de mineur, ce cadre commercial a été à l’origine de l’installation de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, en 2007. Elle était en quête d’un ancrage local. Briois l’a convaincue que son salut électoral passerait par l’éloignement de Paris et le rapprochement des marges de la France.

Un parti que s'est dédiabolisé

Chemise blanche largement ouverte, costume deux pièces en laine grise, mouchoir violet à la poche de la veste, Steeve Briois raconte avec délectation la dédiabolisation du parti, l'arrivée en masse des "nouveaux lepénistes".
"Ma voisine est mariée avec un monsieur d’origine maghrébine. Avant-hier, elle m’a dit : avant, je n’aurais jamais pu voter pour vous, mais là, je me tâte."

Derrière la scène, quinze drapeaux sont déployés. Le bleu-blanc-rouge national, mais aussi le Lion des Flandres, et les anciens écussons de Picardie. 

"On veut mettre en avant nos territoires, nos identités",
explique Steeve Briois.

Durant la campagne, Marine Le Pen a plaidé pour des menus made in France dans les cantines scolaires. "On défend les circuits courts, les produits locaux.
On ne va pas importer des pommes de terre d'Afghanistan alors qu’on en produit ici."

Le bar ouvre. Le vin blanc coule dans les verres.
Les militants se ruent vers le buffet : wraps de poulet, petits sandwiches mous
au fromage, toasts de pâté.
Marine Le Pen peut-elle gagner au second tour ? Les spéculations vont bon train.

Le journal "La Voix du Nord" a appelé à barrer la route à l'extrême droite. "C’est la bien-pensance, l’élite… Ce qui importe, c’est le peuple", entend-on. Un jeune gars à casquette : "Le système se défend, on a tout le monde contre nous, donc ce ne sera pas simple."

En 2007, le FN s’était effondré dans toute la France, sauf à Hénin-Beaumont. Mais le temps des vaches maigres paraît loin. Une nouvelle ère s’annonce, veut croire Jeanine Plomb. Avant la retraite, elle a géré plusieurs salons de coiffure. Elle votait à gauche quand elle était jeune, puis s’est tournée vers la droite, avant d’adhérer au FN en 2008. "La première fois qu’on m’a présenté Marine Le Pen, j’ai eu le coup de foudre. Elle a tout d’une grande."

"Les gens votent plus Marine qu'ils ne votent FN. C’est en quelque sorte une figure maternelle", précise Jérémy Jähninck, 25 ans, un diamant à l’oreille droite et des lunettes de soleil style Daft Punk sur la tête. Sa famille au grand complet milite au FN. Sa famille ? Des descendants d’Allemands et des Polonais immigrés dans le Nord de la France, à la fin des années 1920. Ses grands-parents ont travaillé dans la mine, ses oncles aussi.

" Le problème, c'est pas les étrangers, c’est ceux qui foutent la merde."
Jérémy est au chômage,
comme 22 % des habitants de sa ville, Soumain.