"Là, c'est Daesh!"

Liban: des églises protégées à la kalashnikov

Reportage dans le nord de la plaine de la Békaa, au Liban. Décembre 2016. Photos: Olivier Papegnies

Réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme
en fédération Wallonie-Bruxelles

Emmitouflé dans une parka sombre, le téléphone portable à la main, Joseph a le bras tendu vers les montagnes de l'Anti-Liban. Son index surmonte les crêtes pelées: juste derrière « c'est Daesh ! »

Sur la petite esplanade d'où s’exprime ce militaire en congé, la gigantesque Vierge d’al-Qaa fait face à la Syrie, distante d’une poignée de kilomètres. Le village s’abrite dans son ombre, à quelques centaines de mètres. Dans la chapelle sous la statue monumentale, une source jaillit. Si une mère ne parvient pas à allaiter, elle vient s’asperger les seins de cette eau. Pour un résultat garanti. 

Les croyants ne se rendent plus qu’occasionnellement dans la petite église qui sert de piédestal à la Vierge, lorsque l’armée libanaise en donne l’autorisation expresse. Une lourde barrière rouge et blanche, attenante à la caserne militaire, entrave la route.

En ce 24 décembre, le père Elyan Nasrallah a reçu le feu vert pour célébrer une messe en cette veille de Noël. Une petite vingtaine de fidèles l’y ont rejoint. « Nous n'avons pas pu venir pour la procession et la cérémonie du 15 août. Les habitants me disent que, même s'il n'y a pas de soucis, il vaut mieux ne pas prendre de risques ». Chaque activité est sécurisée militairement. Quelques minutes avant le début de celle-ci, les gendarmes, de légers gilets pare-balles sur le dos, sortent des fusils-mitrailleurs du coffre de leur Mercedes grise, avant de griller cigarette sur cigarette.

« L'armée me donne des indications et on décide si l'on y va ou non au dernier moment, explique le père Elyan. Si quelque chose d'anormal est signalé, on change les dispositions. Nous sommes en permanence en communication avec la sûreté libanaise et avec les renseignements de l'armée », poursuit le père Elyan

Quand il s'agit de diffuser une information urgente, le père Elyan sonne la cloche de l'église principale et utilise les haut-parleurs disposés dans le village. Al-Qaa étant dotée d'un réseau wifi, ses habitants peuvent aussi être avertis via Facebook.

Et vint le Hezbollah

Un jeune chrétien d'al-Qaa regarde en direction des montagnes d'où Daesh a été expulsé par les miliciens du Hezbollah et par l'armée libanaise. Photo: Olivier Papegnies

Aux pieds de la Vierge, l'armée libanaise a creusé des postes de défense ont été creusés et qu'elle a encerclés de pneus usagés. Des caisses de munitions, éventrées, jonchent le sol. De part et d’autre, elle a érigé un talus de terre d’un bon mètre de haut sur des kilomètres de long, pour empêcher la progression d’éventuelles voitures piégées dévalant les pentes rocailleuses. Joseph se souvient fièrement y avoir patrouillé aux commandes d’un M113, blindé de transport de troupes que les Etats-Unis ont largement vendu à travers le monde. 

Le talus s’étend jusqu’à la sortie nord d’al-Qaa, protégé par un barrage militaire bordé de guérites en béton. Au-delà, c’est le no man's land où campent environ 30000 réfugiés, puis la Syrie, une dizaine de kilomètres plus loin. Une frontière que seuls les contrebandiers et les miliciens du Hezbollah franchissent.

Le talus s’étend jusqu’à la sortie nord d’al-Qaa, où un barrage militaire bordé de guérites en béton est installé. Au-delà, c’est le no man's land où campent environ 30.000 réfugiés, puis la Syrie, une dizaine de kilomètres plus loin. Une frontière que seuls les contrebandiers et les miliciens du Hezbollah franchissent.

Restées dans un premier temps en retrait du conflit syrien, les troupes du « parti de Dieu » s'y sont impliquées officiellement depuis février 2013 et la bataille d'al-Qusair. Au plus mal à cette période, Bachar al-Assad a pu compter sur la puissance de feu de son allié libanais. Grâce à son apport, les rebelles ont été expulsés de cette petite ville située entre Homs et la frontière. Un mois de combats avant une négociation aboutissant à l'évacuation des civils ainsi que des combattants.

Le Hezbollah a ensuite poursuivi son avancée en redescendant le long de la frontière libano-syrienne. Ses hommes ont combattu dans les montagnes du Qaramoun afin d’assurer la continuité entre les zones contrôlées par le régime, de Damas à Lattaquié, sur la côte, en passant par Homs.

Ce mouvement stratégique s'est doublé d’une offensive de l’armée libanaise de son côté de la frontière, où les djihadistes de Daech et du front al-Nosra s’étaient réfugiés dans le village sunnite d'Ersaal.

Le général Chamel Roukoz, l’un des beaux-fils de Michel Aoun, ex-général élu président fin 2016, était à deux doigts de vider cette menaçante poche de djihadisme sur le territoire libanais. A la tête du célèbre régiment d’élite Maghawir, il était prêt à donner l’assaut en août 2014. La légende veut qu'il aurait jeté ses téléphones pour ne pas être freiné par sa hiérarchie. Elle lui aurait alors dépêché un soldat avec pour mission de lui remettre un portable en mains propres. Chamel Roukoz dira : «On aurait pu gagner la bataille, mais il y avait peut-être d’autres considérations que j’ignorais…».

L'armée prend du galon
A l'approche de Noël, un véhicule 4x4 joue le rôle de décoration aux abords de l'église d'al-Qaa. Photo: Olivier Papegnies

Depuis cette reprise en main quasi-totale de sa frontière, l’armée libanaise bénéficie d’un discours très positif dans la population. C'est elle qui est tenue officiellement pour responsable de la sécurité relative qui règne dans la région. D'ordinaire, c'est de l'impuissance de l'Etat que discutent bon nombre de Libanais. Une impuissance, certes relative, qui s’explique par le très subtil et tout aussi fragile équilibre confessionnel sur lequel se fonde le pays.

« Si on veut déclencher une guerre au Liban,
ça peut se faire en dix minutes »

Le « Pacte national », non écrit, prévoit que le président de la République est maronite, que le premier ministre est sunnite et que le président de la Chambre est chiite. Cette répartition, basée sur le dernier recensement, en 1932, est sujette à bien des discussions démographiques électrisées par les longues années de guerre intra-libanaise ainsi que par l'occupation syrienne, (de 1990 à 2005).  Jusqu’au sein du gouvernement, chacun se définit le long d’un axe pro ou anti-syrien. Le premier ministre lui-même, Saad Hariri, sunnite, siège aux côtés de ministres issus du Hezbollah, dont plusieurs membres sont accusés de l'assassinat de son père, Rafic, en 2005.

Le docteur Assi, de Zahlé, grande ville chrétienne du centre de la plaine de la Bekaa résume la situation d’une phrase: « si l'on veut déclencher une guerre au Liban, ça peut se faire en dix minutes ». Et si cela ne se fait pas, « c'est parce que celui qui a les armes ne veut pas se battre et que celui qui veut se battre n'a pas d'armes. »

Surveillance 24h/24
Khalil, policier à Ras Baalbek, ne lâche jamais son talkie-walkie. Photo: Olivier Papegnies

Dans l'extrême nord de la plaine de la Békaa, le revolver et le talkie-walkie ne quittent jamais Khalil. Il les dissimule dans les poches d’une ample veste en cuir noir. Ce policier en civil de Ras Baalbek patrouille de jour comme de nuit.

L’hiver, la moitié des 8.000 chrétiens qui peuplent la ville s’en éloignent, préférant la douceur de Beyrouth. Car l'hiver à Ras Baalbek, c'est vivre à peu près un jour sur deux dans une purée de pois qui empêche de voir à dix mètres. La Syrie est à une dizaine de kilomètre à l'est. Depuis quatre ans, la montagne marquant la frontière naturelle est infestée de terroristes, qu'ils se revendiquent de Daesh ou de Jabbat al-Nosra.

La municipalité compte dix-sept camps entre lesquels se répartissent environ mille réfugiés syriens. Quelques-uns sont hébergés dans des locaux du centre du village. 

"On les voit tout de suite"

La nuit tombée, le brouillard plus épais encore, Khalil et son collègue Robert sillonnent dans les rues du village en 4x4. Leur tâche n'est pas trop ardue pendant l'hiver. Il n'y a quasiment personne dans les rues. Le malheureux degré au-dessus de zéro n'incitant pas à flâner au-delà des déplacements nécessaires. L'armée contrôle la zone qui sépare le village de la frontière et les Syriens « de l'intérieur », les réfugiés, sont interdits de circulation entre 18 heures et 8 heures, par décision du maire. Et s'il leur prenait l'envie d'utiliser un véhicule? « Ils ont de vieilles voitures. On les voit tout de suite », répliquent les policiers en jeans et blouson.

Une arme dans chaque maison
Un chrétien de Ras Baalbek équipé de l'attirail reçu d'un ami du Hezbollah

La tension a baissé d'un cran dans la région. « Daesh était à 3 kilomètres, maintenant, il est à 50 km », lâche une connaissance de Khalil. L'homme juge qu’il n'est plus indispensable de faire des rondes équipé de la panoplie du résistant : kalashnikov, gilet de combat auquel s’accrochent gourde, cartouches, menottes et poignard mais aussi jumelles à vision infrarouge. Un équipement « fourni par un ami faisant partie du Hezbollah », sourit-il après l’avoir revêtu.

Elyan, le curé d’al-Qaa, l’autre village chrétien du nord de la Békaa, confirme : «officiellement, le Hezbollah n'a rien donné aux chrétiens de la région. Mais il y a des amitiés individuelles… ».

« Tous les citoyens sont prêts à aider l'armée et ils sont aussi toujours prêts eux-mêmes », reprend Doreid Harral. Le maire de ras Baalbek concède cependant que la détention et, a fortiori, l'utilisation d'armes par les citoyens reste un tabou. Plus précisément, c'est un sujet que l'on n'aborde que du bout des lèvres quand il est évoqué sérieusement. « Il y a des armes dans toutes les maisons libanaises » est un refrain qui s'entend sans même devoir patienter pendant de nombreux couplets d'introduction.

Une réalité héritée de la guerre civile, au cours de laquelle chaque famille a laissé un frère, une cousine, des proches. Autant de martyrs. Trop pour se laisser faire si cela devait recommencer. Fusils, mitrailleuses, revolvers ou mortiers ont été remisés, mais au placard, ou sous les canapés, seulement. A proximité, au cas où.

Lorsque des M16 ou des FN2000 sont fièrement exhibés, les mères ou épouses ne tardent pas à exiger que ces armes regagnent immédiatement leurs cachettes et qu'on n’en fasse pas de photos. Et cela même quand le chef de famille est un haut gradé. Car cette détention d'armes n'est pas légale. L'armée est tenue de les saisir car leurs possesseurs pourraient tout aussi bien se trouver aux mains de terroristes infiltrés. Il est hors de question pour les militaires de se montrer plus tolérants avec certains groupes qu’avec d’autres. Régulièrement, la presse libanaise fait ainsi écho aux descentes ayant permis des saisies dans tel ou tel village.

"On ne sait pas qui viendra après,
ni si nous pourrons autant lui faire confiance"

Pour autant, beaucoup restent dissimulées. L’entente est bonne avec l'officier de l'armée libanaise qui est responsable de la région, explique Arz Bitar, jeune conseiller communal membre de Kataïeb, le parti phalangiste chrétien: « Il est chrétien, cela facilite certaines choses. Et nous ne voulons pas le mettre dans l’embarras. Mais on ne sait pas qui viendra après, ni si nous pourrons autant lui faire confiance », résume le jeune homme, qui ne tarde pas à exprimer son ressentiment à l’égard de l’Europe, qui ne fait rien pour défendre les petites communautés chrétiennes comme la sienne, isolée dans un océan de patelins chiites, entourée de réfugiés sunnites et menacée par les islamistes obsédés par la purification ethnique.

"On défend nos églises!"
25 décembre 2016, à l'aube. Une habitante d'al-Qaa vient honorer la statue de Saint-Elyan, devant l'église du même nom. Photo: Olivier Papegnies

« Les gens résistent ici malgré la guerre toute proche et surtout toute prête à déborder. Ce que l'on défend ici, ce sont les églises et la terre des ancêtres. Les combattants terroristes ne peuvent, malgré leurs agressions, amoindrir notre résistance et notre détermination à les affronter ». Les paroles du père Brahim, curé de Ras Baalbek sont prononcées d'un air grave.

"Dieu est avec nous !"

L'esprit est plus déterminé que jamais. « Nous préparons les gens à ce qui risque d'être transposé ici. Les terroristes ont essayé plusieurs fois de venir et il y a eu des bombardements. La seule chose que j'aie à dire, c'est que nous allons rester ici et que nous sommes prêts à combattre contre Daesh. Dieu est avec nous. Nous n'avons pas peur ! »

L'armée a installé, au cours de l’été précédent, des points d’observation efficaces, dotés de radars, de caméras et de jumelles infrarouges. Le village a commandé son propre système de caméras de surveillance.

Al-Qaa attend, elle aussi, la mise en place d'un tel système. Pour l'heure, ce sont les habitants et les jeunes du village qui veillent. « L'armée ne connaît pas tout le monde, contrairement aux jeunes d'ici. Dès que quelque chose cloche, ils préviennent l'armée », assure le père Elyan. Tout le monde surveille. Car al-Qaa est encore meurtrie.

Tirer à distance
Al-Qaa. Une terrasse de bar sert de poste de surveillance. Photo: Olivier Papegnies

Le 27 juin 2016, huit kamikazes ont attaqué le village. La séquence est encore limpide dans la mémoire du père Elyan: « A 4h15, nous avons été réveillés par une très forte explosion. Le chauffeur de l'ambulance du village s'est rendu sur les lieux en urgence. Avant qu'il n’arrive sur place, une deuxième explosion avait eu lieu. Personne ne comprend ce qu'il s'est passé. Il installait un troisième blessé dans l'ambulance quand le troisième kamikaze s'est fait sauter. Il a causé trois morts, dont celle du chauffeur. Il y a ensuite eu un quatrième attentat et dans la matinée, nous comptions cinq martyrs et une quinzaine de blessés. En soirée, quatre autres kamikazes se sont fait exploser dans le village, sur la route venant de Syrie, ne causant que des dégâts matériels. »

Les habitants d’al-Qaa ne savent toujours pas d’où sortaient les kamikazes. « Il se peut que les terroristes venaient d'un camp de réfugiés que de la montagne, envisage le père Ilyan. Mi-décembre, l'armée a fouillé les tentes d'un camp et elle a trouvé des armes et arrêté une centaine de personnes. »

Depuis l’attaque de juin, des cours de secourisme sont dispensés dans la salle polyvalente du village. On y apprend à ne pas se précipiter vers les blessés mais à sécuriser la zone avant tout pour éviter une nouvelle attaque. Sécuriser signifie, notamment, tirer à distance sur un inconnu qui ne répond pas aux injonctions. A l’évocation du danger que représentent de telles situations, des jeunes comme Abdou ou Noël répondent, le sourire sérieux, qu’eux aussi sont dangereux.

"Nous voulons pouvoir fumer ou boire du vin"

Plus âgé, Anis Khoury a la vigilance et la détermination inscrites sur le visage. La quarantaine, il a pris les armes avec une vingtaine d’hommes du village après l’attaque. Ils sont allés dans les montagnes pour s’assurer qu’il n’y aurait plus de mauvaises surprises.

Ce n’était pas la première fois. « Au début de la guerre en Syrie, l'armée libanaise n'était pas en place, témoigne-t-il. Les villages ont créé des groupes pour se protéger, assurer la sécurité. Beaucoup des jeunes qui ont défendu le village au début de la guerre en Syrie ont été engagés dans l'armée. »

Sur son téléphone portable, il passe en revue des images montrant les exactions de Daesh accompagnées de slogans de résistance. Sur l’une d’elles, un rouleau compresseur écrase des centaines de chichas. « C’est notre culture, notre mode de vie, que nous défendons, pointe-t-il. Nous voulons pouvoir fumer ou boire du vin ».

Anis a aussi conservé de nombreuses photos de groupes en armes. Leurs fusils mitrailleurs sont des M16 semblables à ceux de l’armée officielle. Les photos sont prises dans la montagne voisine, celle où campait Daesh avant que le Hezbollah ne la nettoie et que l'armée libanaise ne vienne ensuite s'y implanter durablement.

Une barbe n'est pas l'autre

Elias travaille à Dubaï. Il est de retour dans son village de Ras Baalbek pour fêter Noël. Photo: Olivier Papegnies

La plaine de la Békaa est dorénavant parsemée de check-points militaires. Dos d’âne, barrières, guérites en béton, armes lourdes. Pour la majorité des conducteurs, il suffit d'un signe de la tête ou d'une boutade amicale pour que le planton leur indique, ne fût-ce que des yeux, qu'ils peuvent poursuivre leur route. Les plaques syriennes et les voitures sans plaques d'immatriculation font l'objet de davantage d'attention. Le port de la barbe longue, a fortiori sans moustaches, également.

La barbe d’Elias est celle d’un hipster. Ingénieur en mécanique, il travaille à Dubaï mais est de retour dans son Ras Baalbek natal pour pour l’enterrement d’une de ses vieilles tantes. Il a le chant facile et ses amis d’enfance, avec qui il a passé la nuit, ne se sont pas fait pas prier pour l’accompagner. Ni pour vider les bouteilles de vin que chacun avait amenées dans ce restaurant fermé en hiver dont Joseph Bitar a récupéré les clés.

Joseph est le plus jeune conseiller « Forces libanaises » de Ras Baalbek. D’un tempérament plutôt joyeux, il n’en est pas moins inquiet : « Ici, c'est la troisième guerre mondiale. Parce que ce qui se passe en Syrie se passe au Liban et qu’en Syrie, toutes les grandes puissances sont impliquées d’un côté ou de l’autre. »

A la tombée de la nuit, Joseph s'était rendu avec deux autres conseillers municipaux, plus âgés, à al-Ayn, pour assister à l'allumage du sapin de Noël.


L’allumage du sapin de Noël s’y est déroulé sous haute surveillance. Quatre militaires étaient postés sur le toit de l'église. Une vingtaine d’autres dans la rue et aux abords. Plus une vingtaine de gendarmes étaient eux aussi sur le qui-vive. La cérémonie n'avait plus eu lieu depuis des années dans ce village devenu musulman au fil du temps. Associant pour la première fois chiites et chrétiens, elle constituait une cible de choix. Tout le monde regardait tout le monde. Les représentants des deux confessions étaient présents. Les autorités communales livraient des courts discours appelant à l'unité. Mais, en privé, des paroles nettement plus dures circulaient.

En privé, des paroles nettement plus dures circulent. Ainsi, ce jeune militant des Forces libanaises jugeait froidement que « plutôt que de montrer des chrétiens qui prient et qui chantent, il faudrait attraper un Syrien et le tabasser. » 

Il a la volonté de revanche à l'encontre de l’ancien occupant chevillée au corps et le million et demi de Syriens que son pays abrite est, à ses yeux, une menace. Et il ne veut surtout pas que germe chez eux l’idée de rester.

« Tu crois que je joue avec toi, c'est ça ? »

« Kosovo » est un autre ami de Joseph. Il tient son surnom d’une paire de bottes de qualité exécrable, qui lui ont brulé les pieds et se sont déchirées au premier usage. Made in Kosovo. Il crèche dans une sorte de petit pavillon de chasse, à l’écart de Ras Baalbek. La nuit, ce capitaine de l'armée libanaise tue le temps autour d'un poêle où il grille délicatement des légumes, tout en vidant quelques bouteilles de vin rouge avec une poignée d’amis en racontant des histoires du front. 

Une de ses anecdotes serait comique s'il ne s'agissait pas de guerre. Après avoir essuyé un tir d'un combattant de daesh rencontré dans la montagne, il s'est mis à la poursuite de son agresseur. Il le vise et l'atteint à la jambe. Le gars se retourne et crie sur le ton du reproche : « Hey ! Tu m'as blessé ! ». Et Kosovo de lui lancer : « Tu crois que je joue avec toi, c'est ça ? »