La construction de l'islamophobie dans les médias 

En 1985, la une du Figaro s'interrogeait : « Serons-nous encore français dans trente ans ?». Trente ans plus tard, la question est toujours d'actualité. Le 25 novembre l'historien et chercheur spécialiste du fait migratoire, Pascal Blanchard, animait à Metz une conférence-débat autour de son dernier ouvrage "Le grand repli". Dans ce livre, historiens et sociologues expliquent comment la France s'est enfermée dans un processus de rejet de l'autre. La réflexion des auteurs amène notamment à se questionner sur le rôle que les médias ont joué et jouent dans la construction de la peur de l'islam en France. Quelques semaines après le drame qui a frappé Paris, la relation confuse entre médias et islamophobie mérite d'être mise en lumière. 


Les prémisses de la construction du « problème musulman » dans la média-sphère (1970-1980)

Le traitement schématique de l'islam par les médias français s'est vulgarisé entre les années 1970 et 1980. Dans « L'islam imaginaire : la construction de l'islamophobie en France 1975-2005 », le journaliste et essayiste Thomas Deltome montre comment les médias ont progressivement construit une véritable islamophobie. A la fin des années 1970 en France, on ne parle pas encore d'islam, mais plutôt, « d'arabes » et « d'immigrés ». Ce processus d'étiquetage émerge dans un contexte d'après guerre-d'Algérie et de crise économique. La grande vague d'immigration de population du Maghreb qui a suivi la guerre d'Algérie amène avec elle en France, la peur de l'arabe, et par raccourci la peur de l'islam. Dans ces mêmes années le Front National fait une avancée importante sur la scène politique. Le parti d'extrême droite n'hésite pas à poser sur la table les questions migratoires en s’appuyant sur un discours xénophobe. Le cadre socio-politique est nouveau.

 « C 'est dans cet univers bouleversé qu'un nouvel ennemi apparaît : l'arabe. A la une des médias, le sujet revient systématiquement ». 

Thomas Deltombe


 En 1973, le Nouvel Observateur parle du « Blocus arabe » ou encore, se questionne sur la question du « Pétrole, une guerre contre les arabes ?»

"Le blocus arabe" , Le nouvel Observateur 1973 -  crédit Acrimed

La révolution iranienne de 1979 tombe à pic. Le Shah, à la tête du pays depuis plus de 40 ans menait une politique d'inspiration occidentale. Le dignitaire religieux chiite, l'ayatollah Khomeyni, s'insurge contre le mode de gouvernement du Shah et appelle le peuple à manifester. Le Shah est chassé du pouvoir. A la tête du pays, l'ayatollah installe une théocratie chiite jusqu'en 1989. Les médias s'emparent rapidement du sujet et véhiculent l'idée selon laquelle il existe une confrontation entre le monde occidental et le monde oriental. Le « problème musulman » prend racine. Le FN saute sur l'occasion de la prise du pouvoir en Iran par l'ayatollah Khomeyni pour légitimer son discours anti-islam et en faire son gagne-pain. Les médias sont divisés sur le sujet. Mais la presse de la droite républicaine « reprend de plus en plus les thématiques de l'immigration et de l'islam qu'il en devient difficile de la distinguer de la presse d’extrême-droite », avance Pascal Blanchard dans un interview pour Médiapart.

Une manifestation pacifiste en Iran- 1979

Le tournant des années 2000

C'est dans les années 2000 que la perception médiatique de l'islam va basculer. Dans les années 1980 la « peur » de l'islam existait déjà dans l'opinion publique et elle était largement relayée par certains partis politiques. Mais pour l'historien, le phénomène s'est accentué à partir du moment où il a été systématiquement repris par les médias. Deux événements sont à l'origine de ce basculement : les attentats de 2001 aux Etats-Unis et les émeutes des banlieues françaises en 2005.  "La grande peur de ce début de siècle s'est installée et elle se nommera l’Islam", déclare Pascal Blanchard.

« c'est la visibilité de l'islam qui dérange . Les médias français en multipliant leur unes sur cette thématique on légitimé la crainte de «l'étranger-musulman ». 

Pascal Blanchard. 

Dès lors les médias, sans distinctions, s'emparent largement du sujet. « La presse a participé à la construction d'un ennemi extérieur. Elle n'a pas créée le problème car il existait déjà, mais a clairement favoriser le« grand repli » français face au « problème musulman ». Le chercheur, précise qu'en cinq ans l'Express a consacré vingt-sept de ses couvertures sur ce thème. « Le traitement médiatique de l'Islam devient presque systématiquement en rapport avec le terrorisme. ». Le marathon des amalgames est en route.

En 2012, l'Express titre sa une « Le vrai coût de l'immigration ». Avant même d'être publiée, la couverture suscite de vives réactions. Face à la polémique, Christophe Barbier, le directeur de la publication, se justifie en avançant l'argument de la concurrence : « le Point surtout, mais aussi Marianne ou le Nouvel Obs multiplient les unes agressives. On ne peut plus se permettre des couv' tièdes». Pour attirer le public il faut donc faire le buzz. Et à croire Christophe Barbier ce ne sont pas les couvertures "positives" qui sont les plus vendeuses. 

La une de l'Express en 2012 -

Sans que l'on puisse établir un lien direct et avéré entre médias et rejet de l'islam, il est difficile de nier que la média-sphère n'a pas favorisé une peur de l'islam à la française. Dans un article du Monde du 24 janvier 2013, la journaliste Stéphanie Le Bars démontre le profond rejet de l'islam par les français : « rarement la défiance envers l'islam aura été aussi clairement exprimée par la population française. 74 % des personnes interrogées par Ipsos estiment que l’islam est une religion "intolérante", incompatible avec les valeurs de la société française. Chiffre plus radical encore, 8 Français sur 10 jugent que la religion musulmane cherche “à imposer son mode de fonctionnement aux autres”. Enfin, plus de la moitié pensent que les musulmans sont “en majorité” (10 %) ou “en partie” (44 %) “intégristes”, sans que l’on sache ce que recouvre ce qualificatif. ».

 Le rôle des images : le journaliste mis à l'épreuve

« Il ne faut pas négliger l'importance des images. Très peu de gens vont lire la totalité de l'article, par contre tout le monde regardera la photo qu'accompagnera l'article. Les journalistes doivent apprendre à lire les images, à les utiliser. Surtout dans une société de web culture, l'image est d'autant plus importante». Pascal Blanchard 

Dans son livre, Thomas Deltombe rappelle que les médias à partir des années 1980 ont connu de profonds bouleversements, qui peuvent permettre d'expliquer le changement de comportement des journalistes dans leur traitement des sujets liés à l'islam. Par la privatisation et la création de nouvelles chaînes, la télévision devient le média de référence, la presse papier suit. La concurrence se fait de plus en plus virulente. Il faut vendre, faire des sujets chocs et attirer le maximum de lecteurs. Les médias papier n'hésitent pas à endosser ce rôle. Par des images raccourcis la presse et la télévision ont amené la symbolique de la peur. 


 

Le directeur du Monde diplomatique, déplore lors d'une conférence en 2009 « quand on parle de l'Islam dans les médias, on en parle comme si c'était un tout homogène et quelque chose qu'on peut comprendre facilement ». M. Gresh dresse le constat que les médias oublient biens trop souvent de prendre en compte dans l’exploitation de leurs sujets de la diversité dans l'Islam.

L'exercice périlleux mais passionnant du journaliste est de devoir dire beaucoup en peu de temps et ce toujours plus vite. Ainsi selon Pascal Blanchard, « les journalistes sont susceptibles de créer eux mêmes des amalgames, des raccourcis, et produire l'inverse de ce qu'ils voulaient dire ». La stigmatisation de « l'Autre » musulman n'est pas une chimère créée les médias. Mais par l’utilisation d'images « clichées » et de discours schématiques, ils ont participé à instaurer un climat de peur et de rejet autour de l'islam.

« si vous vous faites toujours marcher sur les pieds par quelqu'un qui a un chapeau rouge, la prochaine fois que vous voyez un chapeau rouge vous penserez que vous avez mal au pied. C'est un réflexe. La peur entraîne les raccourcis ».