Pendant ce temps, en Syrie

Les grands médias d'information semblent avoir relégué la catastrophe humanitaire syrienne à la dernière page de leur agenda. Le nom d'Al-Assad n'évoque plus que le vague souvenir d'un dictateur qu'autrefois l'on combattait. La Syrie ne représente plus à nos yeux que le terrain de formation des djihadistes venus se faire exploser à Paris. Mercredi 25 novembre, deux médecins syriens, accompagnés du docteur Raphaël Pitti, ont tenté de soigner cette amnésie générale lors d'une conférence à l'hôtel de ville de Metz. Webullition vous propose de revivre ce moment. 

À les écouter, on ne se sent plus vraiment dans le grand salon.

Le décor disparaît, et malgré la barrière de la langue et le temps nécessaire à la traduction, on reste pendu à leurs lèvres.

C'est plus fort que si tous leurs maux avaient tâché les pages d'un journal, que si leurs récits nous avaient été contés à la télévision.

Car ces hommes, face à nous, en sont les acteurs.

Ce soir-là, nous ne sommes pas sortis de l'hôtel de ville comme nous y étions entrés.

"C'est un moment très difficile que traverse le peuple français. Nous comprenons fort bien la souffrance des familles des victimes parce que nous connaissons la même souffrance depuis cinq ans. Nous, nous souffrons d'un autre type de terrorisme : aux côtés du terrorisme pratiqué par les organisations extrémistes en Syrie, il y a le terrorisme pratiqué par le régime en place, qui lance des barils explosifs au-dessus des civils."

On les dénomme les Casques blancs, "the White Helmets". Depuis 2013, ils constituent la défense civile syrienne, une organisation politiquement neutre et non armée, dont la mission consiste à secourir les victimes civiles de la guerre et à soutenir les populations. Ses membres, tous bénévoles et volontaires, fournissent des services en matière de recherches, de sauvetage, de lutte contre l'incendie, de maintien de réseau d'eau potable, de réparation des réseaux routiers, de création et de gestion des camps de réfugiés. Mais pas seulement. Grâce au programme de formation mis au point à Alep par le médecin urgentiste Raphaël Pitti en 2013, ils ont pu s'initier à la médecine de guerre et former des milliers de Syriens aux opérations de secours.

"En ce qui concerne la protection des populations, la désorganisation est complète dans toutes les zones de la Syrie. Les hommes qui tentent d'y remédier, tous volontaires, font un travail exceptionnel. Ils le paient parfois du prix de leur vie, ou s'en sortent très mutilés. J'aimerais vous montrer une vidéo."
"Ce que Paris a vécu en une seule journée, les Syriens le vivent tous les jours. Je voudrais vous donner une idée de la situation sanitaire et médicale en Syrie : selon un rapport des Nations unies..."
"Si vous montez sur les toits des hôpitaux de Metz, vous verrez qu'il y a une croix. C'est pour indiquer en cas de guerre qu'il s'agit là d'un hôpital et qu'il faut éviter de le bombarder. En Syrie, c'est le contraire : tous les hôpitaux l'ont effacée pour que les avions ne les visent pas. Et malgré tout, ils sont attaqués."
"Aujourd'hui, chacun de nous est touché. Il n'y a pas de riche, il n'y a pas de pauvre, la mort vient. Aujourd'hui nous sommes vivants, mais demain nous serons morts peut-être. La mort est rentrée dans une perspective de normalité. Autant on peut se révolter contre ce qui s'est passé à Paris, autant en Syrie ça fait cinq ans que les gens ne se révoltent plus. La mort est présente constamment. Donc on peut comprendre pourquoi les gens fuient."

"Depuis l'avènement de Daech, on a détourné l'opinion publique internationale du véritable terrorisme dont souffre le peuple syrien. Si vous comparez les morts de Daech et les morts du régime, ça n'a rien à voir. Si vous comparez les morts de Syrie avec les morts d'Irak, ça n'a rien à voir non plus : l'Irak, c'est 35 000 morts en 13 ans. Ça n'est rien à côté des 300 000 morts de Syrie en 5 ans. Il est important que nous, occidentaux, prenions conscience qu'il y a une catastrophe humanitaire vis-à-vis d'une population qui est la base de notre humanité, puisque les premières civilisations organisées sont nées en Syrie. Nous avons de fait une responsabilité morale et humaine."

Photo : Islam Abdelouali