Premier League : recettes d'une multinationale

Dans notre vie, nous avons tous déjà pratiqué le football, nous l'avons tous regardé, nous l'avons tous écouté. En revanche, nous n'avons jamais été en mesure de dire comment ce sport, né dans les écoles britanniques, est devenu un véritable business. C'est en Angleterre que tout débute, et que tout va changer. Voici comment la Premier League s'est transformée en une gigantesque multinationale.


(Soyez vigilants, la partie "Contexte historique" n'est pas une image, c'est un outil avec récit intégré. Une barre de défilement est présente pour vous situer. Bonne lecture !)

création de la marque Premier League

Aujourd’hui, la Premier League est connue dans le monde entier. Pourtant, comme chaque histoire, elle a un début. Pour savoir comment elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, il faut remonter au début des années 1990. À cette période, le football anglais est propice à un changement radical. Les incidents survenus au stade du Heysel en 1985 et à Hillsborough en 1989 constituent l’un des points de départ. Dans la version officielle, des équipes de première division anglaise envisagent de créer un championnat unique afin de booster leurs revenus et d’être plus compétitifs au niveau européen. Un accord est passé le 17 juillet 1991 pour lancer la FA Premier League. La création de cette nouvelle entreprise du football est une révolution car elle sera en mesure de négocier elle-même les contrats de droits télévisés et de sponsoring, et ne sera plus gérée par la Football Association.
Les équipes qui composent la première division démissionnent ensemble le 27 mai 1992 pour rejoindre le tout nouveau championnat, officiellement créé le 20 février 1992. La première édition se joue en 1992-1993 avec 22 équipes.

Lorsque la FA Premier League est créée, l’image du football anglais n’est pas à son avantage. Il faut retravailler de nombreux aspects. Tout d’abord, les clubs rénovent leurs stades et suppriment les places debout pour plus de sécurité. Une augmentation du prix des places est mise en vigueur pour bannir le hooliganisme.

L’objectif principal à la fondation de ce nouveau championnat, est de produire un spectacle qui peut se vendre partout dans le monde. Atteindre les marchés asiatiques et américains est un pari que veulent tenter les dirigeants pour générer du revenu et de l’intérêt.

Les fondements d'une stratégie marketing

La création de la Premier League, c'est la création d’une nouvelle marque. Créer une marque, c’est aussi la vendre et conquérir de nouveaux marchés. Pour se vendre à l’international, la Premier League et ses principaux acteurs ont mis en œuvre plusieurs stratégies. Pour que cela fonctionne, il faut proposer un produit propre et sain à la consommation. La première promesse de vente mise en place est l’éradication de la violence à l’intérieur, comme à l’extérieur des stades. Ensuite, il faut savoir considérer son produit. Pour cela, Gary Tribou, spécialiste du sponsoring dans le sport explique que « les anglais, comme les américains, sont des précurseurs dans le marketing sportif car ils sont les premiers à avoir considéré les clubs comme des marques. Ils ont pris de l’avance et ont intéressé davantage les sponsors et les médias au niveau international. Les anglo-saxons sont plus décontractés vis-à-vis du commerce. Les latins sont plus frileux à l’idée de faire du foot, un produit que l’on va vendre sur les marchés internationaux. »

Le rôle d’une campagne marketing est de donner envie et annoncer le produit, le vendre. La mise sur le marché de la marque Premier League se base sur une promesse simple : le spectacle. Avant son lancement, ce championnat ne part pas de zéro, l’histoire des clubs anglais permet d’avoir un avant goût du futur phénomène. D’après Gary Tribou, « l’argument principal, c’est l’authenticité. C’est très difficile à contester car le foot vient d’Angleterre. Je pense qu’il est là le cœur d’image de la Premier League. »

En revanche, pour arracher de l’intérêt, les clubs misent sur les joueurs étrangers. Derrière cette méthode, tout est là aussi bien pensé. En considérant les équipes et les joueurs comme des produits destinés à l’export, les directeurs marketing ont pensé aux attributs, aux caractéristiques qui pourraient vendre en Asie ou en Amérique du Nord. La composition des équipes constitue un ingrédient primordial dans la recette de la réussite économique : « Quand on recrute un joueur en Angleterre, on mêle un choix technique à un choix marketing. On recrute un joueur qui va permettre à la marque de s’exporter », constate Gary Tribou. C’est pour cela que dès la première saison de FA Premier League, on retrouve treize joueurs étrangers : Eric Cantona (France), Peter Schmeichel (Danemark), Ronny Rosenthal (Israël), John Jensen (Danemark), Anders Limpar (Suède), Robert Warzycha (Pologne), Gunnar Halle (Norvège), Michel Vonk (Pays-Bas), Andrei Kanchelskis (Ukraine), Craig Forrest (Canada), Roland Nilsson (Suède), Hans Segers (Pays-Bas), Jan Stejskal (République tchèque).

Cependant, un quota de trois joueurs étrangers, ressortissants de pays de l’Union européenne doit être respectés pour maintenir un équilibre au sein des ligues sportives. Le 15 décembre 1995, la Cours de justice des Communautés européennes (CJCE) applique l’arrêt Bosman qui change le paysage du sport en Europe. Il permet aux clubs de recruter des joueurs d’Etats membres de l’Espace économique européen, de Suisse (accords bilatéraux), de Russie (accords de Corfou) et des 79 pays ACP (accords de Cotonou) sans quotas. De ce fait, le Chelsea FC est la première équipe à aligner un onze sans aucun joueur anglais. Cette politique fait gagner plus de supporters et plus de succès aux clubs anglais. La transformation des effectifs doit offrir plus de spectacle. « Le but de la Premier League est de conserver un certain suspense. Le championnat a besoin de ça pour se vendre. En France, le premier à avoir pensé ça, c’est Bernard Tapie, il disait : « Si on continue de tout gagner, ça va tuer le spectacle ». On l’a soupçonné de truquer des matchs pour relancer le suspense de la compétition. Il est originaire d’un milieu très éthique où l’on disait que le football avait des valeurs, alors qu’on était déjà dans le spectacle. Tapie était dans une logique anglo-saxonne de business, et c’est d’ailleurs pour ça qu’il a eu des problèmes », précise Gary Tribou.

Aujourd’hui, la palette des joueurs étrangers ne cesse de se diversifier et ces derniers arrivent souvent pour des sommes astronomiques. En voici la preuve avec le tableau ci-dessous.

la télévision comme rampe de lancement

Il est logique de se demander pourquoi les joueurs de Premier League coûtent autant d'argent. La hausse historique des salaires, des montants de transferts et des revenus s’explique par le rôle que jouent les médias depuis la création de ce championnat. Rupert Murdoch, actionnaire majoritaire du groupe Sky a participé à la création de la nouvelle version du foot anglais. En 1992, Sky achète les droits de diffusion de la FA Premier League pour 191 millions de livres sur cinq ans, soit 38,2 millions de livres par saison. L’objectif principal, pour justifier cet essor économique, était de proposer un spectacle inégalable. Voici l’avis de Christophe Germain, Directeur Général Adjoint d’Audencia Business School : « Le couple vertueux sur lequel a tapé la Premier League, c’est le duo médias/revenus. Murdoch a largement contribué à son essor. Via la diffusion, il va y avoir une globalisation de la ligue. En contrepartie, les droits vont être renégociés. Avant, c’était presque aux ligues de payer les chaînes de télé pour qu’elles diffusent les rencontres. (…) De plus, il fallait créer un système qui aurait du poids auprès des médias. Il fallait produire le spectacle nécessaire pour justifier le prix demandé. »
Actuellement, ce sont les groupes BT (British Telecom) et Sky qui se partagent les droits domestiques de la Premier League, pour des sommes folles. (voir graphique ci-dessous)

S'ils dépensent des sommes pareilles, les groupes détenteurs de droits ne sont pas rentables pour autant. Au contraire, ils perdent de l’argent. Pour eux, la Premier League sert de simple vitrine pour leurs chaînes et pour les bouquets qu’ils vont proposer à la clientèle. Christophe Germain l’affirme, « c’est une incroyable réussite » sur le plan médiatique. En clair, les chaînes sont prêtes à débourser des milliards de livres chaque saison pour se vendre. Posséder les droits de la Premier League est une réelle plus-value pour les groupes de médias. Mais d’un autre côté, c’est la meilleure publicité que peut espérer un championnat de football : les équipes gagnent de l’argent pour être vues dans un maximum de pays. Les clubs anglais n’ont pas nécessairement besoin de faire la promotion de leur championnat, les diffuseurs savent s’y prendre dans la démarche clientèle.








Selon Jean-François Chenut, ancien commercial dans les médias, « ces pubs sont très réussies, elles mettent le produit en valeur et impliquent le consommateur. » Bien sûr, la publicité se trouve sur des panneaux, mais ce sont les publicités diffusées qui attirent le plus l'œil du spectateur.

 



Pour les vidéos, Jean-François Chenut estime que « c'est très bien de jouer sur le côté émotionnel et identitaire du football. Quand on regarde celle de la NBC avec Jason Sudeikis, un entraîneur américain en Premier League, c’est hyper vendeur. »

Le façonnage d'une nouvelle image

Pour avoir une réponse claire et une vraie idée des plans de communication mis en place par la Premier League, nous avons contacté l'agence Y&R London, qui gère les comptes de la marque sur les réseaux sociaux. Après plusieurs semaines de négociations, ils n’ont pas donné suite « pour des raisons de confidentialité. »

Pour garantir le succès, il faut travailler l’image de la Premier League, écornée avant son lancement. Les incidents survenus au stade du Heysel en 1985, où des hooligans de Liverpool s’en étaient pris aux supporters de la Juventus, ont largement contribué à donner une image terne au football anglais. En Grande-Bretagne, la violence était presque considérée comme la marque de fabrique des clubs.


C'est pour cela que la Premier League réalise de courtes vidéos qui assurent une netteté, pour ne plus associer le football britannique à la violence du passé. Les images transmettent souvent un message de sécurité, de partage et de passion.





Jean-François Chenut donne également son avis sur ces dernières : « C'est très judicieux de la part de la Premier League de miser sur des vidéos qui touchent le public. Les remercier comme le fait la Barclays et montrer des images de supporters, peut leur donner le sentiment d’être de vrais acteurs dans la réussite des équipes. »

Bien que le football soit le sport le plus pratiqué dans le monde avec plus de 40 millions de licenciés, ce n'est pas en Angleterre que le jeu était le plus soigné. « L’image du foot anglais, c’était un foot rugueux, très physique, avec une virilité exacerbée. Face au foot espagnol qui était bien plus beau à voir, il fallait changer quelque chose », précise Gary Tribou. Pour améliorer la qualité du jeu, les nouveaux joueurs arrivant de l’étranger, vont transformer l’image de la Premier League sur le plan sportif. Mais ils ne sont pas les seuls, l’arrivée d’entraîneurs de toute l’Europe va grandement aider à la transition. Ils dégagent parfois une image qui va donner un caractère à l’équipe, qui par la suite pourra aider à la vente. Il ajoute que « le coach fait partie de la mise en scène. Les français aiment bien Arsenal parce que Wenger, Henry ou Pirès. Grâce à ça, Arsenal se vend pas mal en France. Manchester United a eu une période avec des gardiens américains, et ça leur a permis de s’implanter sur le marché nord américain. Mais les entraîneurs aussi participent grandement à cette mondialisation des clubs. Je ne sais pas si les supporters s’identifient aux entraîneurs, mais les coachs sont aussi des comédiens. Quand on regarde les conférences de presse ça tient du chaud, et on vend un peu ces dernières comme produit périphérique au spectacle sportif. C’est un peu comme la pesée dans la boxe. L’entraîneur a clairement un grand rôle médiatique à jouer. »

La globalisation et l’arrivée de plus en plus de joueurs et d’entraîneurs étrangers est un coup de communication important pour la Premier League, mais elle fait disparaître joueurs et entraîneurs locaux.

Gary Tribou ajoute : « Le question de la nationalité ne se pose plus dans les clubs. On s'identifie tous, un peu à un club anglais. Par nature, les produits deviennent internationaux car il y a de moins en moins d’anglais en Premier League. »

Cela n'empêche pas pour autant la ligue, les clubs, et les joueurs de générer et de récolter des revenus de plus en plus impressionnants.

Une gestion financière colossale

Indiqué plus tôt dans ce long format, les droits télévisés constituent une importante source de revenus pour les équipes de Premier League. En Amérique du Nord et en Asie, les chaînes de télévision déboursent elles-aussi des sommes folles afin de donner de la valeur ajoutée aux offres qu'elles proposent. 

S'il n’y avait que cela, on le saurait. Bien évidemment, des entreprises comme les clubs de football ne pourraient survivre s’ils ne trouvaient pas d’alternatives pour palier les dépenses folles de l’été. Par exemple, lors du marché des transferts 2017, les équipes de la première division britannique ont dépensé plus d’1,6 milliards de livres. C’est 300 millions de plus qu’à l’été 2016. Un autre chiffre de la période estivale 2017 ? Sur les 1,6 milliards, 288 millions sont dépensés par le club de Manchester City. Des classements réalisés tous les ans indiquent quels sont les clubs de football les plus riches de la planète. Parmi les 20 premiers en 2016, on retrouve huit équipes anglaises : Manchester United est première, Manchester City est cinquième, Arsenal, Chelsea et Liverpool se suivent aux septièmes, huitièmes et neuvièmes places. Puis arrivent Tottenham en douzième, West Ham United en dix-huitième et Leicester en vingtième. En 2015-2016, Manchester United a généré près de 690 millions d’euros de revenus, tout cela avant les arrivées de Zlatan Ibahimovic et de Paul Pogba.

Comment les clubs gagnent-ils de l'argent ?

Tout d’abord, il y a tout le contexte sportif. Si une équipe est performante sur le terrain, elle doit attirer plus de monde, et donc plus de revenus à la billetterie. Pour ses premières saisons, la Premier League n’est pas victime de son succès, l’affluence moyenne se situe généralement entre 25 000 et 30 000 spectateurs par match. Les clubs anglais se démarquent par leur gestion très capitaliste du business. Un système relativement simple quand il suffit d’aller à l’essentiel : « Une équipe performante sur le plan sportif doit générer plus de revenus. Dans une entreprise, si vous générez du revenu, donc du chiffre d’affaires et du résultat, votre situation financière doit s’améliorer. Grâce à l’amélioration de votre situation financière, vous pouvez investir pour être plus performant sur le plan sportif. C’est comme ça qu’une entreprise fonctionne. C’est le business model basique. Sauf que dans le sport, le produit, c’est le sportif », explique Christophe Germain. En sachant qu’un billet coûte généralement 30£ en moyenne dans les stades anglais, on peut se demander si ce n’est pas une source de revenus majeure pour les clubs. Le graphique suivant témoigne du succès que récoltent les équipes anglaises, car la moyenne du taux de remplissage des stades atteignait près de 97% en 2016.

Évidemment, quand on fait venir du monde dans l'écrin d’une équipe, on peut commencer à parler business de produits dérivés. Cette fonction là se nomme précisément : merchandising. Pour nous la décrire, nous avons fait appel à Christophe Rousseau, fondateur de l’agence Troisième Ligne basée à Reims : « Le merchandising, c’est décliner une marque qui est un club en produit destiné au commerce. On est un peu des marchands du temple. Les gens prennent du plaisir dans les stades, supportent leur équipe et gardent un souvenir de ce moment là en achetant un produit. » Depuis longtemps, il est possible de se procurer le maillot de notre équipe favorite, une écharpe, ou bien d’autres produits identitaires d’une marque que l’on affectionne. Cette démarche aurait été lancée au début des années 1950 aux États-Unis avec la NFL (National Football League). En Angleterre, il n’y a pas de gestion centralisée par la ligue comme cela peut être le cas de l’autre côté de l’Atlantique. Les clubs gèrent eux-mêmes leurs programmes de licensing et de merchandising. Ils se gèrent avec une vraie identité stade, hymne, couleur ou public. Il s'agit de faire du storytelling, et les anglais savent raconter des histoires. De ce fait, les clients savent pourquoi ils consomment. Il n’est pas interdit de penser que les clubs anglais ont tenté de chercher des déclinaisons pour augmenter leurs revenus commerciaux. Aujourd’hui, se procurer des produits dérivés est très simple, c’est surtout nécessaire pour l’expansion d’une marque. Christophe Rousseau ajoute que « c’est la vitrine concrète d’un club. C’est peut-être même l’indicateur le plus fort pour situer la puissance d’une marque. » L’explosion des contrats de droits télévisés à également contribué au développement des marques sur le plan commercial. Une plus large diffusion a créé plus de demande en Asie et dans le reste du monde. C'est d'ailleurs cette exportation à l'étranger qui a permis à Manchester United de générer 515,3 millions de livres de revenus lors de la saison 2015-2016, et 581,2 millions de livres en 2016-2017.

Notre spécialiste du merchandising évoque ensuite ce que l'on peut vendre : « La base de tout c’est l’identité. Le produit phare, c’est l’uniforme. Cela ramène souvent à une région, une culture, ou un souvenir d’enfance, parce que papy nous emmenait au stade pour la première fois. En général, dans le foot, on vend principalement des écharpes, des maillots, des bonnets. Plus une marque est forte, et de dimension internationale, plus la part de merchandising dans les revenus commerciaux va être importante. Des clubs comme Manchester United, Barcelone ou le Real Madrid, on va dépasser les 20% du chiffre d’affaires lié à la partie licence et merchandising. Pour ces marques, on va être entre 15 et 20%, parfois même à 22 ou 23%. Ce sont des marques capables de vendre à Londres, New-York, Pékin ou encore Sydney. En général, une fonction merchandising bien travaillée va tourner autour de 8-12%, et pour une grande majorité, la part du merchandising est en-dessous de 5% du chiffre d’affaires. » Et en France ? Selon Christophe Rousseau, la dimension de marque des équipes n’a jamais été présente. « En France, les clubs réduisent la fonction merchandising à de la simple publicité par l’objet. Ils pensent qu’un t-shirt avec un simple logo dessus vendu 25€, n’importe qui va l’acheter. Or, le merchandising ce n’est pas ça. Il y a une vraie démarche au niveau du prix, du produit, de la qualité, du packaging. Si vous ne faites pas comme ça, vous aurez toujours l’excuse de dire que ça ne marche pas, et donc qu’il ne faut pas investir dedans. Il y a aussi l’investissement sur les boutiques, on vend bien mieux dans une boutique qui raconte une histoire, avec des images, une ambiance sonore et avec un vrai agencement. Vous mettez les gens en situation de consommer, et les chiffres se ressentent de suite. C’est comme à Disney : à partir du moment où les gens ont pris du plaisir, et que vous leur offrez le bon produit au bon moment dans un bel endroit, vous ferez du chiffre sans souci. »

Il évoque le « packaging ». C'est une option qui peut permettre d’innover sur les stratégies de vente. Quand on parle de packaging, cela concerne bien souvent le stade. « Quand vous arrivez à Anfield (Liverpool), vous ressentez directement le poids de l’histoire du club. Vous êtes dans les meilleures dispositions pour repartir avec quelque chose et être marqué. Il y a des tours operators qui vous emmènent au stade, pour le visiter, visiter le musée, passer par la boutique et partir. Les gens qui vont à Liverpool passent logiquement par le stade et ramènent un souvenir pour dire qu’ils y étaient », rajoute Christophe Rousseau.





Licence et sponsors, ça marche aussi

En 2015-2016, les revenus de la Premier League s'élevaient à 3,6 milliards de livres, une hausse de 9% par rapport à l’année précédente. La licence Premier League se vend très bien à elle seule. Comme le rappelle Gary Tribou, « il y a les tournées d’été, mises en places il y a quelques années. Lorsqu’on a un produit et qu’on veut l’exporter, il faut en faire la promotion. Ils ont donc mis en place des tournées en Asie, en Amérique, qui n’avaient aucun intérêt sportif. Au contraire, les joueurs risquaient de se blesser, de se fatiguer, alors qu’il n’y avait aucun enjeu. Tout ça pour promouvoir les clubs. » La plus grande clientèle à toucher se trouve en Asie. C’est pour cela que le Premier League Asia Trophy est fondé, en 2003. Il n’a pas pour objectif de désigner quelle équipe et la meilleure. Le gros avantage de cet évènement est que ce sont les équipes les plus populaires qui se déplacent pour faire jouer les fans asiatiques. Le message est clair : même pas besoin de se déplacer pour voir nos idoles. Cela ressemble plus à une tournée de promotion que de spectacle. Comme Gary Tribou l’indique, il n’y a aucun enjeu et les joueurs risquent les blessures. Il est possible de penser que la santé des joueurs est moindre, et que vendre le championnat à l’étranger reste une priorité.

Il n'y a pas que la télévision qui se permet de payer pour profiter du succès de la Premier League. Tout d’abord, il y a Barclays, une banque qui est présente depuis 2004 aux côtés de la ligue. Pendant 12 années, Barclays a eu les droits de « naming » pour la renommer la Barclays Premier League. De 2013 à 2016, la firme versait 40 millions de livres par saison pour voir son nom figuré partout où l’on mentionnait la première division anglaise. Avant cela, la Premier League faisait affaires avec le brasseur Carling. Actuellement, la première division anglaise perçoit 9 millions de livres par saison de ce partenaire. Une autre marque célèbre donne 7 millions de livres par an, le chocolatier Cadbury. Le chronométreur Tag Heuer paie environ 5 millions de livres par exercice. La Premier League et Nike sont partenaires depuis 2001. Le géant américain de l’équipementier est le fournisseur officiel des ballons du championnat. Il y a également EA Sports qui est maintenant le partenaire principal. 

La franchise la plus célèbre du monde du jeu vidéo possède un accès exclusif aux stades, aux joueurs et à toute la licence Premier League. Un échange de bon procédés quand on sait que le jeu FIFA 17 s’est vendu à plus de 17 millions d’exemplaires dans le monde.

Ci-dessous, une infographie pour comprendre comment fonctionnent les contrats entre les médias, les sponsors et la Premier League.

Du côté des équipes aussi, on sait négocier de gros contrats de sponsoring. Comme souvent répété, les maillots de Premier League sont ceux qui coûtent le plus cher pour les marques qui souhaitent apparaître dessus. Avant de voir les contrats des clubs, il y a une méthode qui est parfois utilisée pour se vendre plus simplement à l'étranger. Gary Tribou raconte le partenariat entre Manchester United et les New-York Yankees : « Manchester United a passé un accord très business à une époque avec les New York Yankees. Du style : « vous c’est du baseball, nous c’est du football, il n’y a aucune concurrence. En revanche, si on travaille ensemble, on vous offre notre réseau de distribution en Europe et vous nous offrez le votre en Amérique du Nord. » Et c’était très bien pensé. En gros, ils considèrent les équipes comme des produits lambdas et utilisent d’autres marques pour entrer sur de nouveaux marchés sans se poser de questions éthiques, c’est purement du business. Et les anglais sont assez pragmatiques pour ça, alors qu’en France on serait beaucoup plus idéologiques. »

Maintenant, on se demande combien les marques peuvent bien débourser pour voir leur nom apparaître sur un maillot de Premier League.

On peut constater l'arrivée sur le marché de nombreuses entreprises de jeux d’argent. Ironique pour un championnat comme celui-ci. Après tout, la gestion financière des clubs de football ressemble à une grande partie de Monopoly, où il n’y a presque pas de limites de dépenses.

Qui dit revenus, dit dépenses !

Pour gagner de l'argent, les clubs anglais sont très forts. Mais pour en dépenser aussi. Il n’est pas surprenant si l’on s’avoue que plus nous avons d’argent, plus on dépense. L’inflation automatique des droits télévisés a causé un grand creux avec les autres championnats du monde. Christophe Germain, qui a étudié les modèles économiques des clubs de Premier League avec son équipe (Michel Doumpos, Emilios Galariotis, Konstantinos Zopounidis) indique qu’ils ont « constaté que l’actif des joueurs avait été multiplié par deux sur les cinq dernières saisons. » Ce qui est incroyable dans cela, c’est qu’il confirme que les joueurs et leurs agents profitent de l’augmentation des budgets des clubs pour demander un salaire plus haut. En toute logique, pour un joueur comme Paul Pogba, acheté 105 millions d’euros, le salaire doit être en vigueur également. Chaque mois, il gagne près d’1,7 millions d’euros, « on frôle l’irrationnel » s’exclame Christophe Germain. Finalement, est-ce que le club paye pour les qualités sportives du joueur, ou bien pour l'image commerciale qu’il dégage ? Paul Pogba, c’est près de 30 millions de followers sur les réseaux sociaux : on comprend mieux pourquoi il a rapporté le double de la somme de son transfert en seulement deux semaines.
Toujours sur les salaires, les clubs de Premier League ont déboursés une somme avoisinant les 2,9 milliards de livres lors de la saison 2015-2016, une hausse de 12% par rapport à la saison 2014-2015.

L’infographie ci-dessous résume un peu mieux la situation, notamment en Angleterre. Une économie florissante, qui est parfois bien loin de profiter à tous.

Les dérives du foot business

Comme dans toutes les belles histoires, il y a des points négatifs. Des opposés qui viennent entacher la réussite et le succès. C'est visiblement ce qui se passe dans le football, et plus particulièrement en Angleterre. Alors que les équipes génèrent de plus en plus de revenus, que les joueurs sont achetés de plus en plus chers, les clubs ont du mal à être rentables. Dans l’étude menée avec ses collègues, Christophe Germain cite Stendhal : « Les hommes riches qui ont le cœur haut cherchent (dans le football) de l’amusement et non des résultats », Le Rouge et le Noir, 1830. En citant le romancier, il pointe du doigt les investisseurs étrangers arrivés pour reprendre les clubs de football, les exporter à l’international et gagner de l’argent. Ou au contraire, venus pour remporter des trophées par passion. Il enchaîne : « Quand on s’interroge sur le modèle économique des clubs de football, on se pose les mauvaises questions. Cela ne fonctionnera jamais comme une réelle entreprise car vous avez des mécanismes qui échappent à la raison. Les hommes qui ont le cœur haut sont des hommes passionnés qui vont rechercher autre chose que la performance économique, donc voilà pourquoi cette citation. (…) Les dettes des clubs augmentent, ils sont rachetés par des propriétaires qui vont combler ces dettes. Il y a des clubs qui sont faillites perpétuelle tel que Chelsea. Tout peut arriver, mais ils s’en sortent parce qu’on est dans un environnement totalement irrationnel où pour des raisons d’images, d’optimisation fiscale, et des raisons de passion, des gens qui vont mettre de l’argent dans le football. » Il devient donc difficile de faire la part des choses entre les investisseurs qui rachètent un club pour lui faire gagner de l’argent, ou pour lui faire gagner des titres. Le cas d’école de l’investisseur passionné en Premier League reste celui de Roman Abramovitch, qui a racheté Chelsea en 2003 quand le club était au bord de la faillite. « Abramovitch est venu pour gagner une Ligue des Champions. C’est de la passion, de l’amusement. Tout ce qui a fait la magie du football : le suspense, l’enjeu disparaissent au profit du spectacle. Les gens sont des spectateurs, non plus des supporters », ajoute Christophe Germain. Mais dans ce cas, comment faire pour qu’un club soit rentable ? « C’est un club qui arrive à relier les trois points évoqués dans l’étude. Arsenal et Manchester United sont les plus cohérents. Les autres ? Pour faire un championnat il faut plusieurs équipes. Le seul moyen pour que cela fonctionne ce serait de créer une ligue de six ou sept clubs en Europe. Mais on serait dans quelque chose d’encore plus différent que ce qu’est le football. »

La création de la Premier League a également menée à une hiérarchisation entre les équipes. Christophe Germain ajoute que « des clubs historiques ont totalement disparus du haut niveau et n’ont pas pu suivre pour des raisons économiques principalement. Avec la conjonction de l’arrêt Bosman et l’avènement de la Premier League, ils n’ont pas pu suivre. Avec une carte des clubs anglais, vous remarquerez qu’il y a 30 ou 40 ans, ils n’étaient pas tous concentrés dans les grandes villes, mais c’est le cas aujourd’hui. Leeds est une région qui a souffert sur le plan social et économique. Il y a d’autres cas comme ça partout en Europe, mais en Angleterre, c’est poussé à son paroxysme. Et il y a peu de chances que l’on retrouve ces équipes en Premier League un jour. »

Une cassure se forme par l’augmentation des droits télévises. Les équipes qui arrivent en Premier League ne peuvent pas rivaliser sur le plan budgétaire. Gary Tribou donne son avis sur le sujet : « La redistribution des droits TV est équilibrée mais pas complètement égalitaire, ce qui est logique. En Premier League, cela permet aux clubs moins bien classés de rivaliser avec les meilleurs. C’est donner moyen aux clubs qui descendent de pouvoir remonter en première division. C’est préserver le spectacle. » Dans le cas présent, on assiste à une sorte d’injustice, qui est tout de même logique. Les équipes qui montent de deuxième division n’ont pas pu profiter des droits qui sont reversés aux équipes de Premier League. C’est là que toute la dimension de spectacle prend de la valeur. Si les équipes à faibles budgets arrivent à se maintenir face à de purs mastodontes économiques, cela va profiter à la ligue et à son rendement.

Une autre dérive du succès de la Premier League, c’est que les joueurs et les entraîneurs anglais se retrouvent à lutter pour le maintien en première division, ou à jouer la montée. Il est très rare de voir des britanniques briller dans les grands clubs. Le constat de la disparition des anglais de tous les terrains, mène à celui où les anglais se trouvent de moins en moins dans les tribunes.

Pourquoi ? L’augmentation soudaine du prix des places à la fin des années 1980 pour rénover tous les stades se fait ressentir aujourd’hui. Comme évoqué dans la partie merchandising, les clubs profitent de l’attrait des joueurs étrangers qui font venir des touristes, pour vendre plus de produits. « C’est la loi du marché, l’offre et la demande. Si le club est à 100% dans la logique du marché à augmenter le prix des places parce que le stade est plein, c’est économiquement rationnel. On augmente jusqu’à trouver un équilibre. Sauf qu’on se coupe de sa base populaire. Et c’est souvent cette base populaire qui fait venir des gens un peu plus fortunés au stade. Il y a besoin du pub autour du stade pour que les plus riches puissent se montrer au stade. Il faut une ambiance populaire dans un stade, ça contribue grandement au spectacle, et puis c’est ce qui transmet l’âme d’un club », constate Gary Tribou.

Si l’on prend l’exemple de Liverpool, c’est un club qui a une histoire dans l’industrie ouvrière où le football est destiné à la classe populaire. Et bien, c’est cet argument là qui lui permet de se vendre si bien aujourd’hui. C’est une histoire pour laquelle énormément d’étrangers sont prêts à payer des fortunes pour assister à un match. « Actuellement un tour operator va automatiquement faire passer son groupe par le stade de la ville, et va éventuellement les emmener à une soirée foot. Ce n’est donc pas surprenant de retrouver une grande proportion de touristes au sens large dans les stades. Ce sont des supporters de passage, qui estiment qu’un match est un spectacle à voir dans telle ou telle grande ville européenne », complète Gary Tribou.

Ces touristes qui remplissent les stades constituent une importante caisse de résonance pour les personnes qu’ils vont côtoyer ensuite. C’est à ce moment que les réseaux sociaux deviennent vraiment importants pour les marques que sont les clubs de Premier League.

Le bel avenir des réseaux sociaux

Depuis l'apparition des réseaux sociaux, les plus grandes marques du monde s’en servent comme un outil indispensable à la communication. Pour la Premier League, cela représente beaucoup. Christophe Rousseau l’affirme, « l’arrivée des réseaux sociaux constitue un changement majeur parce que toute personne qui supporter un club à distance et qui va acheter un produit devient ambassadeur de la marque. Si vous achetez quelque chose, vous allez en parler et donner envie. Avec les réseaux sociaux vous allez toucher des potentiels followers qui ont le même centre d’intérêt que vous et c’est tous bénéfices pour les clubs. »

Cela signifie que les clients qui ont acheté un produit à l’effigie d’une équipe jouent le rôle de publicitaires à la place des marques elles-mêmes. L’avantage pour les équipes de football, c’est que cela ne leur coûte pas d’argent, cela leur en rapporte.

Il y a un autre avantage avec les réseaux sociaux. C’est que les marques n’ont plus besoin d’adapter leurs façons de communiquer en fonction des territoires. Gary Tribou développe : « On est un peu dans l’interculturel, il y a un vieux fond mondialisé et avec les réseaux sociaux il n’y a plus vraiment de grandes différences mais avec quand même des spécificités locales que les marques internationales doivent garder en ligne de compte. En Chine par exemple s’est allé très vite grâce aux réseaux sociaux. »

La Premier League ne fait pas de différences avec ses clients et sont tous, un peu considéré de la même manière. Leur importante présence sur les réseaux sociaux joue un rôle majeur dans le développement, l’image et les messages qui sont véhiculés.

À voir la forte communauté et les nouveaux outils de Facebook, on se pose de nombreuses questions. Que va devenir la Premier League dans les années à venir ? Est-ce que nous allons assister à de nouvelles explosions tarifaires des contrats de diffusions ? Cette question est fortement d'actualité. Facebook et Amazon seraient prêts à entrer en négociations pour obtenir les droits. Amazon est déjà présent sur le marché du streaming car ils se sont procuré les droits de diffusion de dix matchs de NFL en 2017, pour la somme de 50 millions de dollars. Les réseaux sociaux ont déjà servi de plateforme de diffusion puisqu’avant Amazon, c’est Twitter qui possédait des droits pour diffuser la NFL.

Si Facebook venait à se procurer des rencontres de Premier League, ce serait une importante réussite commerciale. On comptabilise environ 290 millions de mentions « j’aime » sur les pages Facebook de la Premier League, et de toutes les équipes qui la composent. Nous saurons, en février 2018, si les droits de diffusion changent de détenteurs, ou bien s'ils sont réattribués aux grandes chaînes nationales.

Aujourd'hui, on ne peut pas encore répondre de façon claire à ces questions, même si les droits devraient exploser à nouveau. La gestion de la Premier League et de ses équipes est vraiment impressionnante, mais est-ce un modèle à reproduire dans d’autres championnats ? Quel est le réel avenir de la Premier League ? Avec des revenus défiants toute concurrence, des joueurs de plus en plus chers, et des clubs de plus en plus riches, le football n’a-t-il pas déjà perdu son âme populaire ? Malheureusement, seul le temps pourra répondre à nos questions, et nous donner des réponses concrètes.