L’État veut promouvoir le télétravail

Aujourd’hui, 197 personnes font du télétravail dans l’administration cantonale vaudoise. Si ce chiffre semble faible en regard des 13’000 employés, il est prometteur. Petit à petit, le télétravail entre dans les mentalités. Plongée dans cette pratique que l’État souhaite voir se développer.

Si on ne lui avait pas proposé de faire du télétravail lors de son entretien d'embauche, Sarah Laroche-Neji n’aurait peut-être pas accepté son poste actuel. «J’aurais réfléchi plus longuement. J’aurais dû penser à d’autres moyens de garde pour mes trois enfants, dont la plus jeune avait deux ans», se souvient-elle. Responsable de l’antenne Chablais, Riviera, Pays-d’Enhaut pour le Bureau cantonal de l’intégration (BCI), elle partage aujourd’hui sans accroc son 70% entre des bureaux à Bex et Lausanne et son domicile à Aigle. Elle travaille a domicile un jour et demi par semaine. «J’ai moins de trajet, je suis plus efficace, car je peux organiser ma journée et je suis sûre de ne pas être dérangée cinq minutes après avoir commencé une tâche! Et j’aime pouvoir passer le repas de midi avec mes enfants, même pour une demi-heure», explique la chargée de missions administratives et stratégiques.

Un signal fort

Testé dans quelques services en 2011, le télétravail est possible dans l’ensemble de l’administration depuis 2013. Le 1er août dernier, des dispositions règlementaires sont venues compléter la directive qui faisait office de texte de référence jusqu’alors. Simple mesure administrative? «Non. Le but est de donner plus de visibilité à ce mode de travail, explique Laurence Goumaz, responsable du secteur juridique au Service du personnel (SPEV). Nous voulons qu’il s’impose comme un véritable modèle, à l’image de l’horaire variable et de l’annualisation du temps de travail.» Des ajustements pratiques ont été apportés à la directive, pour mieux encadrer collaborateurs et chefs de service: l’accent a été mis sur la confidentialité et la protection des données et il a été précisé comment le collaborateur met à disposition un espace de travail et son équipement informatique personnel.

«Nous voulons que le télétravail s’impose comme un véritable modèle, à l’image de l’horaire variable et de l’annualisation du temps de travail.» (Laurence Goumaz)

À ce jour, près de 200 personnes ont signé une convention pour faire du télétravail. À l’État, le travail à distance s’effectue à des moments fixes de la semaine, par exemple tous les mercredis. Il est donc à distinguer de mesures ponctuelles accordées pour un besoin spécifique, comme la rédaction d’un rapport. Le SPEV estime que ce chiffre pourrait s’élever à 300 personnes, car, pour le moment, toutes les conventions ne sont pas signalées dans la base de données informatique.

Seize services sur la quarantaine que compte l’administration le proposent. Une partie du chemin reste à parcourir: «Ce sera un changement de culture pour certains services, il faut le dire, explique la juriste. Mais le télétravail a démontré ses avantages et nous espérons qu’il va se développer.»

Des peurs à surmonter

Car ce mode de travail peut faire peur, aux chefs de service comme aux collaborateurs. «Une des questions, c’est de savoir comment gérer des collaborateurs absents?» résume Pierre Imhof, chef du Service du développement territorial (SDT). Il connaît le problème, car son entité est en train de généraliser le travail mobile dans une ampleur encore inédite à l’État (lire plus bas). La gestion d’équipe change. «Il y a une tradition du contrôle par la présence. Avec le télétravail, il faut plutôt fixer des objectifs, mesurer le travail effectué et savoir s’il a la qualité requise, explique Pierre Imhof. Le contrôle de la présence ne garantit pas le travail. Après tout, on ne sait pas ce que fait une personne qui a fermé la porte de son bureau!»

«Si l'on a déjà confiance en son collaborateur sur la place de travail, cela ne doit pas changer à domicile.» (Alexia Foretay)

On ne croise pas forcément sa ou son responsable tous les jours, abonde Alexia Foretay, responsable RH pour le Service de la population (SPOP) et auteure d’un travail de master sur le télétravail à l’État de Vaud. «Souvent le chef n’a pas un contrôle visuel en continu, sauf si l’on est dans un open-space. C’est plus une crainte au-delà de laquelle il faut passer. Si l’on a déjà confiance en son collaborateur sur la place de travail, cela ne doit pas changer à domicile.» Et il y a toujours le téléphone et les mails, car un télétravailleur doit rester joignable. Pour tous, la confiance est la clef de voûte. «Je trouve valorisant que mes cheffes me fassent confiance. À moi d’être efficace», explique Sarah Laroche-Neji, télétravailleuse au BCI.

Les besoins de l’organisation priment

La Direction des systèmes d’information (DSI) a sauté le pas du télétravail dès son instauration en 2013. «Nous étions très préparés à ça», explique Patrick Amaru, chef de service. Certains collaborateurs avaient déjà accès à leurs outils à distance pour effectuer des tâches de maintenance le soir ou les week-ends. Aujourd’hui, sur 400 collaborateurs, 150 font du télétravail. C’est la proportion la plus élevée au sein de l’administration. La direction du service a toutefois choisi de limiter cette possibilité à un jour par semaine par employé, pour le bon fonctionnement de l’organisation et maintenir le contact avec les collègues.

«Il faut faire preuve de flexibilité en tant qu'employée. J’accepte certains rendez-vous durant mon jour de télétravail. C’est un bon compromis.» (Sarah Laroche-Neji)

«De manière générale, le télétravail ne complique pas la gestion, souligne Patrick Amaru. Mais sur certains petits aspects, cela peut arriver. Le télétravail n’est pas un droit. Si nous avons besoin d’une personne pour une séance, cela prime.» Certains rappels à l’ordre ont dû être faits, mais dans l’ensemble, les choses se passent bien.

«Il faut faire preuve de flexibilité en tant qu’employée, confirme Sarah Laroche-Neji. J’accepte certains rendez-vous durant mon jour de télétravail. C’est un bon compromis.» La cheffe ou le chef de service décide d’accorder ou non le droit à ses collaborateurs de faire du télétravail. Si l’organisation de l’équipe ne le permet pas, il peut refuser les demandes.

Vagues de demandes

Une autre crainte des services, c’est d’être assaillis de demandes une fois la première autorisation accordée. Au SPOP, plusieurs responsables avaient cette peur, mais cela ne s’est pas produit. «Le télétravail ne correspond pas à tout le monde, relève Alexia Foretay. Certains ont envie de retrouver les collègues, de se déplacer, de garder le "poumon de respiration" qu’offre le travail.» D’autres ne souhaitent pas voir leurs vies privée et professionnelle se confondre, note de son côté Patrick Amaru. Être au travail, c’est aussi avoir un cadre. En télétravail, il faut être autonome et s’organiser, prendre avec soi tous les documents nécessaires le soir qui précède. «Le télétravail peut être proposé, mais pas imposé», rappelle Laurence Goumaz, du SPEV.

«Le télétravail ne correspond pas à tout le monde. Certains ont envie de retrouver les collègues et garder le "poumon de respiration" qu'offre le travail.» (Alexia Foretay)

Les avantages sont quant à eux nombreux: diminution du temps passé en déplacement, meilleure conciliation entre vie privée et professionnelle. «Comme je ne suis pas interrompue, je peux me plonger à fond dans mes dossiers. Je suis plus productive», remarque Marie-Lyse Seuret, urbaniste au SDT qui expérimente le télétravail depuis février. À la DSI, le responsable du référentiel du système d’information Pierre-Alain Rotzetta, 63 ans, s’est lancé en mai: «J’ai voulu voir l’effet sur la fatigue que je ressentais depuis quelque temps en faisant un trajet en moins par semaine. C’est parfait! J’essaie de préparer ma journée de télétravail toute la semaine, en choisissant les tâches que je ferai à la maison. Je suis 30 à 40% plus efficace!»

Bon travailleur, bon télétravailleur

«Pouvoir travailler à distance est un vrai plus pour le collaborateur, confirme Isabelle Trescazes, responsable RH pour la DSI. Celui qui travaille bien au bureau travaille bien ou mieux à la maison!» Depuis deux ans – et c’est une nouveauté –, elle constate que lors des entretiens d’embauche, les candidats lui demandent régulièrement si l’État offre cette possibilité. Les jeunes générations sont particulièrement intéressées.

En souhaitant renforcer ce mode de travail, l’administration est dans l’air du temps. Une étude parue en 2016 (Deloitte) montrait que 28% des 1000 personnes sondées en Suisse travaillaient à domicile au moins une demi-journée par semaine. Sur les 72% restants, 29% souhaitaient faire du télétravail.

> Lien vers le règlement (article 118)
> Lien vers la directive (DT 48.8/PDF)

Je voudrais faire du télétravail, comment m'y prendre?

· Faire une demande à son chef de service. Il n’est pas nécessaire de la motiver.

· Le chef de service évalue la demande avec les supérieurs directs. Le but est de déterminer en particulier si le cahier des charges de la personne s’y prête, si l’organisation du travail le permet et si l’équipe est suffisamment étoffée pour absorber un jour d’absence.

· Le chef de service autorise ou non le télétravail.

· En cas de réponse positive, une convention de télétravail est signée. Elle fixe notamment le pourcentage de télétravail et les jours d’absence. Elle peut être résiliée en tout temps, par chaque partie, par exemple si le cahier des charges ou l’organisation change.

Le télétravail est possible à partir d’un taux d’activité de 50%. Il ne dépasse pas 50% du taux contractuel et il est d’un jour maximum par semaine pour les cadres supérieurs.

Le collaborateur met à disposition son ordinateur, sa connexion et son téléphone à domicile. Des solutions de connexion à distance sont proposées par la Direction des systèmes d’information.

Un service mobile

Depuis septembre, le Service du développement territorial (SDT) généralise le travail mobile. Les 75 collaborateurs, à l’exception de certains postes comme la réception, peuvent travailler depuis l’extérieur jusqu’à 50% de leur taux d’activité. Le changement est radical. Avant, toutes les demandes de télétravail étaient refusées.

«Nous souhaitions vraiment que les collaborateurs puissent avoir les mêmes conditions de travail où qu'ils soient.» (Pierre Imhof)

Cette nouvelle possibilité s’inscrit dans une démarche de fond, menée depuis deux ans. Le service a emménagé dans de nouveaux locaux, qui ont été aménagés en fonction. Il n’y a notamment plus de places attribuées. Tous les collaborateurs ont été équipés de PC portables et de casques pour téléphoner depuis leur ordinateur via l’application «Jabber». Enfin, les dossiers sont en train d’être dématérialisés. «Il aurait été difficile d’avoir du travail mobile si ces trois éléments n’avaient pas été coordonnés, souligne Pierre Imhof, chef de service. Nous souhaitions vraiment que les collaborateurs puissent avoir les mêmes conditions de travail où qu’ils soient.» Deux chefs de projets ont mené cette transformation. Toute l’équipe de direction a adhéré au projet dès ses débuts. Presque tous les collaborateurs ont souhaité pouvoir travailler à distance.

Quelques conseils

Alexia Foretay, responsable RH au SPOP a réalisé en 2017 un travail de fin d’études sur le télétravail à l’État. Elle s’est intéressée au rôle du manager et à la satisfaction des télétravailleurs. Quelques conseils.

Pour le manager

1. Pour mettre en place du télétravail: obtenir l’adhésion de toute l’équipe de responsables. Si besoin, créer des groupes de travail avec des personnes favorables et opposées à la mesure. Définir un cadre commun. Le temps investi en amont sera gagné en gestion par la suite.

2. Se doter de directives claires et les appliquer équitablement. À l’État, le règlement et la directive existent déjà.

3. Bien communiquer avec l’équipe. Il faut instaurer une dynamique de groupe autour du télétravail. Il est important de garder le lien et de s’assurer que l’information circule au sein de l’équipe.

Pour le télétravailleur

1. Garder le lien avec l’équipe. En étant absent plus d’un jour par semaine, il y a un risque de perdre le contact. Durant la journée de télétravail, ne pas hésiter à envoyer un mail ou appeler ses collègues, même juste pour dire bonjour par exemple.

2. Être bien au clair avec ses objectifs. Les valider avec son supérieur hiérarchique. Cela favorise l’évaluation par objectifs et permet de gagner en autonomie.

3. Veiller à se protéger et ne pas faire d’heures excédentaires.

Pour aller plus loin

Article sur le style de management paru sur le site du CEP
Article sur la satisfaction des télétravailleurs paru sur le site du CEP
Interview parue dans HR today: «La proximité psychologique de l'équipe compensera l’isolement du télétravailleur»

Pour plus d’informations sur sa recherche, vous pouvez prendre contact avec Alexia Foretay (alexia.foretay@vd.ch).

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