Je vis dans une habitation 
à loyer modéré

Prochain arrêt :
"René Cassin"

C'était le matin, arrivée en gare de Metz avec toute ma vie sur le dos, beaucoup d’appréhension et un peu d’excitation. C’était le 3 septembre 2015. J’ai passé quelques heures au centre-ville, puis j’ai pris le Mettis, direction la Patrotte.

Arrêt René Cassin.

Je suis descendue, le paysage était coupé par ces deux immeubles HLM. De loin, on dirait de petites cages empilées. C’est là que je vivrai désormais, du moins pour une année scolaire. Je serai au huitième étage de ces "boîtes empilées" les unes sur les autres. Sans même avoir vu l’appartement, le voisinage, sans avoir fait le tour du quartier. Sans connaître ce qui serait ma future maison pour les huit prochains mois.

C'est quoi un HLM ?

Bref. J'ai poussé la porte de mon nouveau logement "social" comme on dit et je me suis installée. 

C’est étrange de se dire qu’on vit dans un HLM. L’avantage du huitième étage, c’est d’avoir une jolie vue.

L’"Habitation à loyer modéré" est apparue en France en 1945 et a remplacé l’HBM, "Habitation bon marché". Plus d’un tiers des immeubles HLM ont été construits après 1985. Aujourd’hui, 4,3 millions de ménages vivent dans une habitation à loyer modéré. On compte plus de 4 millions de logements HLM en France, soit 17% des résidences principales françaises.

Vous vivez à la Patrotte ?
Vous n'allez pas y rester longtemps !

Peu à peu donc, on a mis ces gens aux revenus modestes dans ces tours, ou ces blocs comme on dit, aux architectures compactes et brutes. Aujourd'hui, plus de 10 millions de Français résident en "Zones urbaines sensibles" (ZUS), récemment renommées "quartiers prioritaires". Ces zones se caractérisent par la présence de grands ensembles (HLM) et d'un fort déséquilibre entre logements et emplois. 
Une habitation à loyer modéré n'est donc pas obligatoirement dans un "quartier prioritaire", mais dans une "zone urbaine sensible" se dessinent forcément les tours. 

Et, pour ne pas détonner avec le paysage urbain, on les a excentrées des villes, formant des "cités" ou "quartiers populaires". Dans chaque ville où je suis passée, j'ai remarqué que ces tours trônaient bien loin des joyaux architecturaux des cœurs de ville. Sans parler de Paris, il y a Toulouse, Clermont-Ferrand ou encore Albi. Aucune ville où j’ai pu habiter, qu’elle soit grande ou moyenne, n’échappe à la règle de l’échelle de distance. Pour ne pas faire tâche, certainement.



En prenant trois exemples de villes et trois exemples de “banlieues”, on se rend compte qu’il y a au minimum 5 kilomètres entre le cœur de la ville et le "quartier populaire".

Prenons Toulouse.

Entre les allées Jean-Jaurès et le quartier le plus "malfamé", Empalot :

5 kilomètres

Prenons Paris.

Entre la rue de Rivoli et le quartier de la Courneuve :

10 kilomètres

Prenons Metz.

Entre la place de la République et chez moi, la Patrotte :

4 kilomètres

L'aventure AFEV

Et là il y a ce quartier, la Patrotte.

On nous a dit, pour rire, qu’on arriverait à différencier un jour les pétards des coups de feu.

On m’a dit, sérieusement, que je ne resterais pas longtemps vivre là. Face au costard-cravate méprisant, j’ai souri mais j’avais l’impression qu’on décidait à ma place.

Le quartier a été construit en 1959
par l'architecte Roger Zonca.
Il comportait au début trois tours, donc
1 600 logements.

La tour de 17 étages rasée en 2006 (image : archives municipales de la ville de Metz)

Une des tours a été détruite dans un incendie en 2003. Elle a été rasée en 2006.

L'incendie d’origine criminelle a causé la mort d’un couple, dont la femme était enceinte. En fin de compte, les 17 étages ont été mangés par la pelleteuse sans que l’affaire ne soit résolue.

J'ai de la chance, j’ai choisi de vivre là-bas. Mais certains ne choisissent pas. Car oui, pour ces cages empilées le loyer est très bas. Assez bas pour que des familles de plusieurs enfants puissent y résider.

Je fais partie de l’AFEV, une association qui lutte contre les inégalités sociales et les discriminations. Nous sommes six colocations de trois personnes chacune et nous faisons des projets pour dynamiser le quartier. Et des choses à faire, il y en a. Des associations qui s’investissent, des jeunes qui créent des projets, des passionnés de sport, de musique, on en trouve aussi dans les barres de dix étages.

Les derniers samedis de chaque mois, il y a l’Auberge espagnole, avec l’association "l’Amis" et les habitants du quartier. Chacun amène à manger, en suivant le thème du mois. Et chacun connaît un peu plus ses voisins (de palier ou d’immeuble), tout comme les nouveaux arrivants.

Personne ne distingue les couleurs de peau, les origines, les langues parlées, les cartes d’identité.

Des murs de papier

Le silence n'existe pas dans les barres HLM. Tout n’est pas parfait, mais ce n’est pas grave. Rien n’est grave ici. Les ascenseurs de ma barre sentent l’urine tout le temps. Le hall d’entrée est souvent sale, sauf le mardi, quand les femmes de ménage viennent rompre le triste sort de l’état de nos couloirs. Les murs desdits couloirs ne seront jamais propres, ils sont condamnés. Quand on voit la hauteur, depuis les coursives, on a le vertige.

Les murs sont en papier. Quand ce ne sont pas les voisins de gauche que l’on entend, ce sont ceux du dessus. Et certains inondent même tout le quartier de leur musique. 

C’est vrai qu’on entend souvent les pétards, les disputes, les portes qui claquent. On connaît souvent les petites histoires, les conflits, les ragots, il suffit de tendre l'oreille. 

Le silence n’est pas roi mais on s’habitue. Les trains de la gare de Metz-Nord sont de moins en moins bruyants avec le temps, même s'ils couvrent les discussions. 

Tel est le prix à payer pour avoir un loyer modéré.

Un sondage Odoxa-Le Parisien-Aujourd'hui en France publié en octobre 2015 montre que les banlieues pâtissent encore d’une image négative. 78% des personnes interrogées les pensent "communautarisées"71% les trouvent "dangereuses" (sans doute sans jamais y avoir mis les pieds), et 79% considèrent que leurs habitants sont "pauvres".


Je ne suis pas riche, pas pauvre, je ne fais partie d’aucune communauté et même en rentrant tard le soir, jamais personne ne m’a agressée. Certes, je ne parle que de mon cas, de mon quartier.

Mais il y a un effet boule de neige à dire que toutes les banlieues de France sont dangereuses, que les gens qui y vivent sont soit des marginaux, soit des gens peu fréquentables, soit des gens avec des problèmes sociaux.

C'était le matin, arrivée en gare de Metz avec tout un tas de préjugés sur mon futur logement. Envolés depuis.