Bénévoles :
les anonymes des soins palliatifs

La mort sépare mais unit avant tout

Les soins palliatifs, un service où planerait l'ombre de la mort ? La mort, oui, mais jùsque-là, on œuvre à préserver la vie. L’équipe des soins palliatifs accompagne les patients et les familles, ils s’intéressent au corps et à l’esprit. Le bien-être de tout à chacun leur est primordial. Les progrès réguliers de la médecine auraient fini par laisser croire qu’on pouvait tout guérir. Pourtant, la mort reste une certitude commune à tous les hommes. Des lois récentes ont enfin rétabli le statut du malade.

Une médecine humaniste, pour des citoyens à part entière. Selon un sondage en 2014 de l’Ifop pour Ouest-France, 53% des personnes interrogées affirment préférer la solution des soins palliatifs à celle de l’injection mortelle. La loi Leonetti encourage le développement et l’accès aux soins palliatifs des personnes atteintes de maladie grave et incurable. Elle permet de soulager sans tuer. Le principe de "l'accompagnement jusqu'à la mort" est en opposition au principe du « faire mourir » que constitue l’euthanasie ou le suicide assisté.

Que dit cette loi ? La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dîte loi Leonetti, donne le droit d'interrompre ou de ne pas engager des traitements considérés « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie ».
Dans le cas où le patient, conscient, choisit de cesser les traitements qui le maintiennent en vie, son médecin doit obligatoirement l’informer des conséquences de sa décision et lui accorder un délai de réflexion. Si le malade reste sur ses positions, le médecin a l’obligation de les respecter et de prodiguer à son patient des soins palliatifs. La loi Leonetti prend en compte le patient, capable d’exprimer sa volonté dit « compétent » et celui qui n’en est plus capable dit « non compétent ». Pour les personnes non compétentes, le texte prévoit de respecter une procédure particulière.
Dans ce cas, les décisions sont prises par le médecin, il doit obligatoirement appliquer la procédure collégiale prévue par la loi. La loi Leonetti s’articule autour des quatre règles :
– Les directives anticipées : le patient peut consigner par écrit ses volontés en formulant des directives anticipées quant aux suites médicales à donner au cas où il ne serait plus en mesure de dicter ses choix. Le médecin doit en prendre connaissance. Dans l’immense majorité des cas, ces directives sont suivies et constituent une aide médicale majeure.
– La personne de confiance : le patient peut également désigner une personne de confiance qui l’accompagne et à qui elle confie ses volontés. Cette dernière est ainsi apte à témoigner des désirs du malade si celui-ci n’en est plus capable. Cette dernière doit être entendue par le médecin.
– La réunion de concertation pluridisciplinaire : elle réunit une équipe pluridisciplinaire connaissant le patient qui étudie sa situation d’un point de vue éthique et médical. Les participants peuvent émettre un ou plusieurs points de vue sur l’arrêt, la poursuite, la mise en œuvre ou l’abstention de traitement.
– La décision : le médecin est souverain. Mais la prise de décision doit être décidée, après une collégialité non médicale, le recours à l’avis d’un ou deux autres médecins sans rapport hiérarchique, afin d’être tracée dans le dossier médical de la personne en fin de vie.

 L'ASP Toulouse ( Association pour le Développement des Soins Palliatifs ), créée en 1988 et soutenue par la Ligue contre le cancer, fait partie de l'Union nationale des associations pour l'accompagnement et le développement des soins palliatifs (Unasp). Un regroupement de bénévoles qui reflète des personnalités diverses et humainement engagées. Des personnes qui ont du temps et de l'énergie à revendre au service des personnes fragilisées par une maladie grave et en fin de vie.

L' ASP,
une petite association
à forte influence

Présentation de l'organisation de l'ASP

C'est dans un petit bureau, 40 Rue du rempart Saint-Etienne à Toulouse, où se déroule les actions des bénévoles de l'ASP. En arrivant, le premier jour, les deux secrétaires de l'association étaient présentes : sourire aux lèvres et bonne humeur, elles s'avancent vers moi en m'expliquant leurs rôles et le fonctionnement de l'ASP.

"

A la base cette association a été mise en place pour les personnes atteintes du sida. Par la suite, elle s'est développée pour devenir un organisme de formation pour les soignants, sans compter l'accompagnement des patients en fin de vie par des bénévoles. L'ASP accompagne des personnes en fin de vie et/ou confrontées à une maladie grave dans 13 établissements de santé dans la région toulousaine (Hopital Joseph Ducuing, Oncopole de Langlade, Clinique Pasteur, CHU Toulouse Purpan...), et également, des personnes à domicile. Depuis les années 2000, il existe aussi une cellule sous le nom de "l'ASP deuil"qui permet d'offrir un soutien et une écoute aux personnes endeuillées ainsi qu'aux parents en deuil périnatales.


                                                 120 bénévoles à l'ASP Toulouse

" En 2013, 83 bénévoles de l'asp ont accompagné 2012 personnes (65% de femmes et 35% hommes). Les bénévoles ont réalisé 8027 heures d'accompagnement et 9509 visites en institutions. " explique Hélène.

Pour réaliser une telle performance, les bénévoles sont sélectionnés avec soins. La formation des bénévoles, très encadrée par la loi, dure 8 mois, de septembre à juin.  Comme une sélection d'entrée à un établissement scolaire, les futurs bénévoles commencent  un entretien avec deux bénévoles de recrutement, et un deuxième avec une psychologue. Après consertation, si la personne est admise à suivre la formation, elle est assujétie à suivre une quarantaine d'heures de formation dans l'année, divisée en plusieurs modules (fondements et valeurs de la médecine palliative, des ateliers sur le thème de la mort, le deuil, l'écoute, la souffrance, les besoins spirituels...). Ils peuvent aussi bénéficier de formations de perfectionnement qui permettent de les soutenir sur des thématiques spécifiques, c'est à dire le relationnel ou le toucher par exemple. Tout ce protocole est dotant plus nécessaire pour un résultat probant.

" Cette formation va permettre aux futurs bénévoles de réfléchir aux attitudes spontanées ou acquises qu'ils sont tentés d'adopter face aux personnes en détresse." souligne Hélène


                                              3 domaines de bénévolats

Chaque bénévole intervient dans une catégorie spécifique de soins palliatifs. La première, c'est d'être bénévole d'accompagnement en institution. Ici, il est complémentaire à l'équipe médicale. Il peut intervenir toute la semaine, de jours comme de nuits, selon leur disponibilité. Les malades accompagnés sont, soit en phase critique d'une maladie potentiellement mortelle, mais susceptible de rémission, soit en phase terminale. Les accompagnants bénévoles font la connaissance parfois d'un membre de la famille, souvent désemparé ou bouleversé. La présence des accompagnants bénévoles est, la plupart du temps, très bien accueillie par la famille : pour la présence auprès de leur parent malade, mais aussi parce qu’elle peut échanger d’une façon différente que le corps médical. C'est un regard humain et non médical que propose ces bénévoles. Bernadette, bénévole accompagnante à l'hôpital Joseph Ducuing, explique son quotidien "On participe à une réunion d'équipe où l'on nous transmet les informations, en dehors du secret médical, mais des informations sociales, des points essentiels pour éviter de faire des gaffes... Dans un premiers temps, on rencontre les soignants qui nous disent quelles personnes peut-on rencontrer. Parce que, ce qu'il y a de particulier c'est qu'en soins palliatifs, on y trouve une grande variabilité. On ne peut pas dire qu'une personne que l'on a vu une semaine, on l'a retrouvera dans le même état la semaine d'après... Avec les soignants on fait le point, on fait le tour des patients qui sont là et où ils en sont. Ce tour peut etre très bref car parfois personne n'est en état ou bien que les lits ne sont pas tous complets, et puis d'autres fois on peut y passer beaucoup plus de temps". 

La deuxième, les bénévoles interviennent à domicile. De nombreux malades souhaitent rester dans leur maison. Ici, la demande peut venir de la famille, des proches, des voisins ou des réseaux de soins palliatifs en relation direct avec le patient . Cette catégorie de soins palliatifs est spéciale. Le patient ouvre ses portes à l'accompagnant dans son intimité et dans son histoire. Du fait de la durée de cet accompagnement (16 mois en moyenne), des liens se créent. Au domicile, les accompagnants ont tendance à dire que « tout est plus fort ». Ils accompagnent le patient en priorité, mais ils sont aussi à l'écoute des proches. Le domicile est le lieu de belles histoires et d'un enrichissement partagé.


La troisième, les bénévoles font parti de l'équipe deuil. Constituée d'une dizaine de bénévole, ils accompagnement les personnes endeuillées de visu ou en groupe grâce à des rencontres et à des entretiens téléphoniques. ils sont sollicités notamment dans plusieurs dispositifs : Histoire pour en parler à Purpan, et l'Oasis ( maison de répit et de soins palliatifs pédiatriques pour enfant).

Des personnes lambdas
au grand coeur

Gérard (à gauche) et Mark (à droite) sont deux bénévoles à l'ASP

Les personnes qui deviennent accompagnantes ont chacune, une histoire de vie, une réflexion, une raison personnelle de vouloir s'engager dans ce bénévolat. Ils viennent de tout horizon, ce qui les rassemble c'est leur passé endeuillé. Ils ont tous eu à un moment de leur vie un proche ou une personne dans leur famille décédé d'un cancer ou d'une maladie grave. Cette expérience dramatique leur a apportée un désir d'être utile, d’apporter du soutien moral, de créer un lien social, d’être présent dans un moment aussi délicat qu’est une fin de vie.

Les missions des bénévoles sont nombreuses :

- Soulager la souffrance physique, psychologique, sociale, spirituelle de la personne avec problématique de fin de vie dans une approche globale de la personne.

- Favoriser la mise en œuvre des progrès et des moyens de préventions et de lutte contre la douleur chez les malades.

- Encourager et soutenir la mise en place de structures pour accueillir et accompagner des malades en fin de vie.

- Susciter et promouvoir une attitude d'écoute bienveillante, de disponibilité, de respect de la dignité de la personne tout en prenant en compte son environnement et ses préoccupations individuelles, socioculturelles, spirituelles.

- Faire connaître auprès du public et des médecins le soutien qu'il est possible d'apporter à la personne en fin de vie dans le cadre des soins palliatifs.

Mais ils ont aussi des interdits : les activités de soins leurs sont formellement interdites. La pratique de méthodes comme le reiki, la sophrologie, la réflexologie, etc... sont également prohibées. D'autres actes comme par exemple donner à boire au malade ne sont possibles que s'il y a autorisation de l'équipe de soins ou de personnes compétentes. La pratique religieuse est très personnelle, tout prosélytisme dans ce domaine est formellement interdit.


                                                Groupe de parole

Tout les bénévoles doivent participer au groupe de parole, une fois par mois, d'une durée d'1h30. Animés et régulés par des psychologues professionnels, ces séances permettent aux bénévoles de se retrouver dans un lieu de partage et d'écoute visant à apporter un soutien à l'accompagnant. C'est aussi un lieu d'expression des émotions et des difficultées rencontrées lors d'interventions des bénévoles. Il ne faut pas prendre ce groupe de parole comme une thérapie, en effet, ce lieu d'entraide mutuelle permet de regrouper aussi des bénévoles qui ne se connaissent pas afin qu'ils puissent discuter, s'enrichir afin de découvrir des points communs sur leur motivation et/ou leur pratique de travail.

Les psychologues utilisent différentes manières de gérer les groupes de paroles. Laurence (photo en dessous) a parfois utilisé des vidéos alors qu'Isabelle, elle, priviligie le silence et l'écoute de chacun. Toutes les deux ont un travail d'harmonisation de la parole au sein du groupe. On ne trouve aucun excédant de la part des bénévoles "il arrive parfois d'avoir des accompagnants qui lachent car ils ne savent plus quoi faire ou comment s'y prendre. C'est alors que beaucoup d'émotions resurgissent comme la peur ou l'angoisse. On analyse donc la situation et on intervient pour diminuer la tension. Les autres participants sont d'une aide précieuse car ils mettent à profit leur expérience et exposent leur difficulté qu'ils ont surmontées devant les autres bénévoles. Je pense que ce groupe de parole est primordial pour la pérénnité et la sérénité mentale des bénévoles." souligne Laurence.

Témoignages de bénévoles

Deux bénévoles en institutions

Les bénévoles remplissent un vide dans l'équipe médicale car les medecins et les soignants manquent de temps. Il faut accompagner les familles qui souffrent afin d'être présent à leurs côtés pour qu'ils décompressent et évitent l'angoisse. Ils sont présents au pied du lit comme une mère qui protège son enfant. Lorsque l'on est non loin de la mort, la peur d'être conscient de sa mortalité prend le dessus alors pour diminuer cette angoisse, parler de sa vie, de son histoire, de ses goûts, apporte un réconfort non négligent.

"Le bénévolat m'a apporté énormément de choses et ça m'apporte toujours autant. On donne et on reçoit beaucoup. cela aggrandit l'âme. Les rencontres humaines sont fabuleuses. C'est enrichissant. On est dans l'authentique et le vrai, pas tout le temps mais très souvent. Chaque jour est différent et chaque personne est unique. On a des noms, des prénoms et des visages que ne l'on oublieront pas et qui ne s'éffaceront pas de notre mémoire car cela a été de magnifiques et merveilleuses rencontres..." conte Franck, bénévole à l'ASP

Pour les bénévoles, accompagner un patient donne un meilleur sens à la vie, et permet de relativiser énormément. Ce n'est pas une situation morbide, bien au contraire, le moment exceptionnel passé à leur côté est un réel bonheur. " Je me bats et tout les bénévoles de l'association se battent pour dire que c'est inacceptable de laisser mal mourrir les gens. Nous on peut montrer et dire, car nous sommes des témoins et on peut même dire des experts, que les personnes bien accompagnées et bien prises en charges ne demandent absolument pas l'euthanasie ou une envie de mourir qui s'éteint au fur et à mesure. Finalement, ce que demande la personne en fin de vie c'est de ne pas etre abandonnée et de ne pas etre laisser seule. " insiste Valérie Révol, présidente de l'ASP.

Une stagiaire s'immisce dans cette association. Elle est en master de droit de la santé. Favorable à l'euthanasie et au suicide assisté, elle passe par cette association pour mieux comprendre l'accompagnement des bénévoles. Et peut être à la fin de son stage postulera-t-elle en tant que bénévole au sein de l'ASP?

Après avoir passé  plusieurs jours à l'ASP Toulouse, j'observe ces bénévoles, ces citoyens ordinaires, qui ont tous un passé endeuillé et une bonne humeur permanente. Toute l'association est unanime : trop de personnes meurent dans l'isolement, trop de médecins et de personnes en générale ne connaissent pas la loi Leonetti : elle pose en principe le refus de l'acharnement thérapeutique, promets les traitements qui soulagent la douleur et l’accompagnement psychologique et social du patient et de sa famille. Ces personnes trouvent du temps dans leur vie afin de permettre à des patients gravement malades de partir sereinement en ayant le soutien d'un bénévole. Grâce à ces bénévoles, une nouvelle image des soins palliatifs nous apparaît. Il n'y a plus l'aspect technique et médical mais reste l'aspect humain, primordial, basé sur l'entraide et l'accompagnement de chacun...