Bienvenue au Val d'Enfer

Le labo souterrain de la grotte de Lorette

Par Christian Du Brulle (texte) et Véronique Pipers (photos) / DailyScience.be

La grotte de Lorette, située à Rochefort, à quelques kilomètres de Han-sur-Lesse, vient de connaître une nouvelle destinée. Découverte officiellement en 1865, et exploitée touristiquement depuis, une partie de son réseau, le « Val d'Enfer », a été transformée en laboratoire scientifique souterrain. Cette grotte est gérée depuis 1996 par une ASBL regroupant des scientifiques, des représentants de la ville de Rochefort et de la Société des grottes de Han.

C’est l’intérêt scientifique exceptionnel de cette grotte, avec la découverte de failles actives cachées en son sein, qui a motivé la création de cette association.

Un ambitieux programme de recherche est mené ici depuis 20 ans par des scientifiques de l’Université de Mons, de l’Observatoire Royal de Belgique, de l’Université de Namur et de l’Université de Luxembourg. Un véritable laboratoire scientifique a été installé dans la grotte, mais aussi en surface, dans un pavillon situé à l’entrée du Val d’Enfer. Tectonique, géophysique, karstologie, hydrogéologie, gravimétrie...

Gravimétrie relative et absolue

Dans le pavillon situé en surface, un petit musée ouvert au public détaille les recherches menées sous terre. À côté de cet espace didactique, dans un local inaccessible au public, se situent des gravimètres et les dispositifs électroniques qui servent à enregistrer l'évolution de la pesanteur locale. Ces instruments sont pilotés par l’Observatoire Royal de Belgique, et plus particulièrement son laboratoire de sismologie.

Gravimètre dans le pavillon du Val d'Enfer / Rochefort

On sait que deux corps s'attirent en fonction de leur masse. C’est pour cela que les planètes tournent autour du Soleil. La masse de la Terre génère donc une gravité importante. C’est elle qui nous maintient au sol. Mais cette force, cette accélération, n’est pas identique partout.

Le terrain calcaire, où les grottes se sont formées, est un véritable gruyère. Au fil des précipitations, il se gorge d’eau puis s’en défait partiellement. Ce qui modifie la masse du terrain sous nos pieds. La montée du niveau d’eau de la rivière souterraine peut aussi influencer la pesanteur locale. Cela se joue à d’infimes niveaux de mesure. Lesquels se comptent en nanomètres par seconde au carré...

En comparant ces différences de mesures, les scientifiques peuvent en déduire les mouvements de l’eau dans le massif, et ainsi mieux cerner son hydrogéologie.

Clément, 45 kilos
et 2,8 nm/s2 de perturbation gravitationnelle...

Il faut montrer patte blanche pour avoir accès au laboratoire souterrain.

La grotte bouge de 20 cm en 10.000 ans

Dans la grotte du Val d'Enfer, des extensomètres et des sismomètres surveillent ces mouvements du sous-sol. Les extensomètres mesurent le déplacement de deux blocs de la faille l’un par rapport à l’autre. Oui, la grotte vit et bouge! Mais qu’on se rassure, ces instruments sont précis au millième de millimètre...

Autant dire que les mouvements de terrain surveillés ici ne sont pas visibles à l’œil nu! Si la faille étudiée dans la grotte est bien active, ses mouvements ne sont pas vraiment spectaculaires: en 10.000 ans, elle n’a bougé que de 20 centimètres.

Des enregistreurs climatiques complètent le dispositif. Ils comprennent des thermomètres, des baromètres, des capteurs de conductivité.

Pourquoi mesurer la conductivité du sol? « Parce que ses  mouvements peuvent aussi être induits par des causes atmosphériques  comme des fortes pluies », explique le Dr Michel Van Camp, chef du  service de sismologie à l'Observatoire Royal de Belgique. « Il faut donc  tenir compte de ces effets pour étudier les causes tectoniques ».
Dr Michel Van Camp, chef du service de sismologie, Observatoire Royal de Belgique

On compte les gouttes?

Passons sur le courantomètre qui mesure la vitesse de l'écoulement de l’eau dans la rivière. Intéressons-nous par contre à cet étrange parapluie inversé qu’on retrouve en divers lieu du fameux laboratoire souterrain. C’est un compteur de gouttes. Dans la grotte, ces grands entonnoirs récoltent les gouttes d’eau qui tombent du plafond. Ils sont placés juste sous des stalactites. Ce comptage permet d’estimer le temps mis par l’eau de pluie pour traverser le massif ainsi que la quantité d’eau qui le traverse. Les propriétés chimiques du liquide sont également mesurées.

Même après 200 ans de recherches géologiques en Belgique, ou plus exactement « sous » la Belgique, une simple goutte d'eau peut encore fasciner les chercheurs. Et les découvertes sont au rendez-vous.

Comme cette branche de rivière souterraine inconnue identifiée tout récemment dans le massif par le Dr Amaël Poulain, de l’Université de Namur…

www.DailyScience.be