Sciences souterraines

à Han-sur-Lesse & Rochefort

Par Christian Du Brulle (texte) et Véronique Pipers (photos) / DailyScience.be

Le trou au Salpêtre, la salle d'Armes, la galerie des Verviétois, la salle du Dôme, le Styx... À Han-sur-Lesse, ces noms résonnent dans les profondeurs de la terre. La fameuse grotte touristique, la première à s’être ouverte au public dès le 19e siècle, réserve aussi d’étonnantes rencontres aux curieux. Au détour d’une galerie, dans un recoin d’une des plus majestueuses salles du réseau, des chercheurs issus de diverses universités et institutions scientifiques du pays prélèvent des échantillons, étudient une stalagmite, posent des instruments de mesure.

« Nous faisons de la recherche à Han depuis plus de 40 ans », explique Yves Quinif, Professeur émérite de l'Université de Mons. Âgé de 71 ans, de la boue dans les oreilles depuis quasi son adolescence, le géologue est aussi un spéléologue de la première heure. Ses premières grottes, il les a découvertes en 1967. Depuis, il a exploré des cavités en Algérie, en France. Le sous-sol belge? Il le connaît comme le fond de sa poche. Et Han-sur-Lesse est quasi, comment dire… comme sa seconde résidence. Son « laboratoire universitaire souterrain », avec la grotte voisine du val d'Enfer, à Rochefort.

Le Pr Yves Quinif (UMons), juste avant de plonger dans les profondeurs du Val d'Enfer, à Rochefort.

« À Han-sur-Lesse, j'ai commencé mes premiers relevés topographiques et géologiques dans les années 1980. Cela a duré cinq ans », explique le Pr Quinif. « Ensuite des études plus ciblées ont commencé dans les sédiments, avec la datation des stalagmites. Nous avons aussi réalisé une quinzaine de carottages, avant de travailler sur un mécanisme alternatif expliquant la formation des grottes: la fantomisation de la roche », explique celui qui fut professeur de géologie fondamentale est appliquée à la faculté polytechnique de l’UMons.

Que cherche-t-on sous le massif calcaire wallon? Que trouve-t-on sous nos pieds? Et qui sont ces scientifiques qui arpentent notre sous-sol pour y disposer leurs multiples instruments de mesure? Une seule réponse… Suivez le guide!

Dans la grotte de Han-sur-Lesse, cette formation géologique illustrerait l'état ultime du processus de fantômisation des roches.

Des fantômes sous nos pieds

La formation des grottes dans un massif calcaire résulte de divers mécanismes géologiques bien connus qui s'étalent sur des millions d’années. En gros, l’eau acide qui percole depuis la surface dissout le calcaire qui petit à petit est emmené par ruissellement. Des ouvertures se forment alors dans le massif. La grotte se construit.

L’ouverture de la grotte remonte au pliocène, il y a 10 à 15 millions d’années. Cette étape de la formation des grottes de Han et de Rochefort est en réalité la dernière étape d’une saga qui a commencé bien avant, il y a plus de 100 millions d’années, par un phénomène de « fantômisation » des roches.

Cette théorie explique la formation des grottes en diverses étapes. À l’ère secondaire, le terrain calcaire de la Famenne se soulève et se fracture. Il est ensuite plus au moins nivelé. Dans les zones de faiblesse du calcaire, l’eau s’infiltre et commence son travail de dissolution chimique. Les variations de texture de la roche, formées de petits ou de gros grains de calcaire, provoquent des vitesses d’altération chimique très différentes.

Grotte touristique de Han-sur-Lesse

Un lacis de volumes occupé par l'altérite résiduelle

« Les petits grains sont rapidement dissous et passent en solution. Les plus gros restent sur place et constituent l'altérite résiduelle. Le massif calcaire se transforme en un lacis de volumes occupés par cette altérite résiduelle. Dans une première phase, le massif altéré conserve son volume initial. Il ressemble à la roche intacte, mais il est en réalité déjà bien affaibli, d’où le nom de fantômes de roche. Un fantôme de roche qui est mécaniquement fragile et très poreux ».

« Quand les conditions environnementales changent, par exemple à la faveur d’un mouvement tectonique ou encore de changement climatique, ce fantôme de roche est érodé et emporté par l’énergie des grandes quantités d’eau qui le traverse. La grotte se forme alors. La grotte spéléologique apparaît », indiquent les auteurs de l’ouvrage « Itinéraires des grottes et du calcaire de Rochefort à Han-sur-Lesse » (Collection « Hommes et paysages »), publié par la Société Royale belge de Géographie. Le Pr Quinif y a participé, de même que des chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles.

Quand la grotte voit le jour, c’est alors que tout commence pour les spéléologues, les curieux et les scientifiques qui leur emboîtent le pas. Du moins, au cours de ces deux derniers siècles. Avant cela, la grotte n’attirait guère les foules. Pire, elle servait de décharge, ce qui constitue désormais une aubaine pour les chercheurs en Histoire notamment. En faisant « les poubelles » de la grotte, ils réécrivent l’histoire de l’occupation des lieux.

Salle du Dôme

Des carottes au menu

D'un point de vue plus géologique, les recherches scientifiques menées dans la grotte sont multiples. On y analyse l’eau, la roche, la vitesse d’écoulement de la Lesse, son itinéraire souterrain. On y prélève aussi des… carottes.

Dans la salle du Dôme, une stalagmite en formation d’une éclatante blancheur attire tous les regards. Le goutte-à-goutte qui l’éclabousse dépose au fil des siècles d’infimes particules de calcaire dissous. C’est ainsi que la concrétion se forme et s’élève petit à petit, en fonction de la pluviométrie en surface. C’est la Proserpine, un « mouchard » historique.

Proserpine

« Au cours des 20 dernières années, nous avons réalisé ici deux forages », explique Yves Quinif. « Nous avons prélevé des carottes de calcite de 2 mètres de long sur 7 cm de diamètre. Les stalagmites, c'est un peu comme les coupes dans un tronc d’arbre. Les cercles concentriques de croissances des arbres renseignent sur la succession des hivers doux ou froids, des étés secs ou humides.

Dans les concrétions calcaires aussi, ces « cernes de croissance » portent toute une série d’informations sur l’eau qui a déposé la calcite, et par la même occasion sur toute une série d’événements en surface et sous terre qui ont marqué l’histoire de la grotte ». Composition isotopique, présence de pollens, alternance de couches sombres et plus claires révèlent l’histoire de la fréquentation de la grotte.

Une stalagmite en formation depuis 2000 ans: la Proserpine

« Dans la partie supérieure et donc la plus récente de cette stalagmite, les dépôts sombres datent de l'époque de premiers visiteurs de la grotte touristique. Ils s’éclairaient à la paille brûlée, ce qui a généré d’importants dégagements de suie, qui se lisent dans la stalagmite. Ces dépôts remontent au 18e siècle », indique le scientifique montois.

Deux traces blanches rappellent par contre une double période sombre de l’histoire. Elles correspondent aux deux Guerres mondiales, qui ont vu le nombre de visiteurs des lieux diminuer dramatiquement.

Par la suite, la carotte de calcite prend une couleur grisâtre. « À cause de la fumée des torches utilisées lors des visites », précise le géologue. « Et si le sommet de la Proserpine est aujourd’hui d’une blancheur immaculée, c’est tout simplement parce qu’après l’an 2000, il n’y a plus eu de descente aux flambeaux dans la salle ».

Sous le plancher stalagmitique, les couches d'argiles racontent aussi l'histoire géologique de la grotte.

Quand la Lesse a-t-elle abandonné ses galets?

Plus bas, non loin de la rivière souterraine, des galets attirent le regard. Qui a donc bien pu déposer ici ces tonnes de cailloux roulés? « C'est la Lesse qui les a charriés jusqu’ici à la faveur d’une crue importante », précise le Pr Quinif. « Quand le niveau de l’eau est redescendu, les galets sont restés ». La Science permet de dater ces dépôts. « C’est la méthode des cosmonuclides qui nous sert de calendrier », explique le chercheur.

« Quand le galet se trouve en surface, certains éléments chimiques sont fabriqués dans ses couches supérieures suite au bombardement de la roche par des rayons cosmiques. Par exemple du béryllium-8, qui est radioactif et qui se désintègre donc dans le temps de manière naturelle. Tant que le caillou est en surface, il existe un équilibre entre la formation de ces éléments radioactifs et leur désintégration naturelle ».

Magnétométrie et granulométrie des argiles à différents niveaux.

« Quand le caillou rentre sous terre, il est soustrait à l'influence des rayons cosmiques et ne fabrique donc plus de nouveaux radionuclides à sa surface. Toutefois, la désintégration naturelle des éléments radioactifs fabriqués quand le galet était en surface se poursuit.

Plusieurs éléments sont ainsi étudiés. Ils ont chacun des périodes de désintégration différentes. Nous disposons ainsi de plusieurs types de chronomètres ». « En analysant leurs différentes proportions, en croisant ces informations, nous pouvons donc déterminer quand le galet a été emporté sous la Terre ».

Rochefort abrite un étonnant labo souterrain

À quelques kilomètres de Han, une autre cavité naturelle, la grotte de Lorette, à Rochefort, vient de connaître une nouvelle destinée. Son "Val d'Enfer" s'est mué en un fascinant laboratoire scientifique souterrain...

On continue la visite ?

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Grande salle du Val d'Enfer