Archéologie subaquatique

à Han-"sous"-Lesse

Par Christian Du Brulle et Véronique Pipers / DailyScience.be

La grotte de Han-sur-Lesse, en province de Namur, constitue un fabuleux laboratoire scientifique. Géologues, hydrogéologues, climatologues, sismologues y moissonnent de nombreuses données alimentant leurs recherches.  L'impressionnante cavité et la rivière qui lui a donné naissance distillent aussi de fascinantes reliques dont se saisissent les archéologues. Le site a de nombreuses histoires à raconter. Il offre également quelques belles énigmes à résoudre. Dont certaines, les plus anciennes, remontent au Mésolithique, il y a plus de 9.000 ans...

« Un des grands problèmes de Han-sur-Lesse, c'est qu’il s’agit d’un site qui ne présente pas de stratigraphie précise », déplore Michel Timperman, le conservateur du « PréhistoHan », le musée qui présente les résultats des fouilles subaquatiques menées dans la Lesse, à la sortie de la grotte. « Quand on mène des fouilles sous l’eau, les repères classiques sur lesquels on se base lors de fouilles terrestres manquent bien souvent ».

Travail au water-dredge dans le lit de la rivière (photo Valerie Fassotte). La photo en tête d'article illustre un chantier du fouilles du CRAF (Centre de Recherches Archéologiques Fluviales) au Trou de Han © Peter Van Der Plaetsen

55 années de fouilles subaquatiques

Depuis 1963, des fouilles subaquatiques sont menées ici quasi systématiquement chaque année. Des milliers d'objets ont été retirés du lit de la rivière. « Des objets dont, bien entendu, nous ne connaissons pas toujours l’origine ni l’utilisation qui en était faite. Bien sûr, une parure reste une parure et une épée, c’est une épée».

« Mais tous les objets retrouvés ne sont pas des parures ni des épées. Ceci dit, même dans ces cas a priori évidents, la question de leur présence dans le lit de la rivière, à la sortie de la grotte, pose question. Et comme on ne connait pas vraiment la manière dont les gens vivaient aux abords de la Lesse aux différentes périodes d’occupation du site, donner une interprétation précise à la simple présence de ses objets, même si certains sont très typés, me semble risqué ».

Une ligne du temps inversée

Est-ce pour cela que la ligne du temps du PréhistoHan est si particulière? Contrairement aux lignes du temps qui à partir d'une date récente explorent le passé vers la gauche, la flèche temporelle du musée archéologique local file elle vers la droite pour remonter dans l’Histoire.

« Il me semblait plus logique de proposer à nos visiteurs de partir de ce qu'ils connaissent, de la période actuelle, pour les faire remonter dans le temps, vers ce qu’on connaît moins, voire pas du tout», explique Michel Timperman.

« Avec les nombreux vestiges retrouvés dans la rivière et dont l’origine ou plus exactement les origines restent discutées, j’ai donc préféré présenter les choses en partant de ce qui était connu pour remonter vers des événements, des occupations du site qui nous apparaissent moins évidentes. Surtout quand on remonte à des époques relativement anciennes, comme l’époque romaine, l’âge du fer ou encore l’âge du bronze, celui de la pierre polie... ».

Perles de chapelet en forme de crâne (XVIIe siècle). © Véronique Pipers

Surtout, ne fermer aucune porte

Pour tenter d'expliquer, de remettre dans leurs contextes les milliers de pièces retrouvées dans la Lesse, de nombreuses propositions sont sur la table. Le site a pu être un lieu sacré, votif, un refuge, un habitat, un lieu de stockage de marchandises...

« Il ne faut fermer la porte à aucune interprétation ni en imposer certaines plus que d’autres », estime le conservateur. Ceci est d’autant plus vrai que le niveau de la rivière a fluctué au fil du temps. Aujourd’hui, ce niveau se situe au minimum un mètre plus haut qu’il y a 2.000 à 3.000 ans. À d’autres périodes, la grotte a peut-être été totalement à sec. Le gouffre de Belvaux, où la Lesse plonge sous terre, a ainsi été bouché à certaines périodes de son histoire.

Les objets que les archéologues repêchent depuis 55 ans dans les eaux de la Lesse y ont peut-être été déposés, voire enterrés dans ses berges, alors que le niveau de la rivière se situait bien plus bas. « Nous n'en savons rien », concède Michel Timperman. « Il est donc difficile de se faire une idée précise des différents paysages de la sortie des grottes lors des diverses époques où elle a été utilisée par l’homme ».

Epingles en bronze, 1100 à 800 av .J.-C. © Véronique Pipers

Des ossements dans la grotte

Parmi les milliers de pièces retrouvées, beaucoup sont en bois, en métal, en pierre, en céramique... Quelques restes humains ont également été mis au jour dans la grotte. « Les restes humains sont relativement rares », souligne Michel Timperman. « Quelques mâchoires ont été retrouvées dans les années 1960 dans la galerie des Petites Fontaines. On a aussi retrouvé dans la grotte l'une ou l’autre dents. Du côté de l’entrée de la grotte, dans la « galerie gallo-romaine », encore appelée « le caveau », un crâne de l’Âge du Bronze a été retrouvé.

Un peu plus loin dans la grotte, dans la salle Vigneron, située à 300 m de l’entrée, d’autres restes humains également datés de l’Âge du Bronze ont aussi été découverts. Il y a donc eu, de toute évidence, une fréquentation de la grotte à cette époque-là. Mais dans quel contexte ?

Repères

De nombreux objets témoignent du passage dans la grotte des populations du Néolithique final, vers 2800 à 2400 ans av. J.-C.. Leur présence a été suivie par les populations de l'Age du Bronze final, vers 1100 à 800 av.J.-C.

Quelques rares ossements humains, remontant parfois à l'Age du Bronze, on également été retrouvés à Han-sur-Lesse. © Véronique Pipers

Ici aussi plusieurs interprétations sont possibles. La plus plausible est sans doute celle de la sépulture. Mais dans ce cas, on devrait alors se demander pourquoi ces lointains ancêtres ont disposé les corps d'un côté de la grotte alors que les dépôts votifs ou pseudo votifs destinés à honorer ces défunts n’apparaissent qu’à l’autre extrémité de la grotte et sous l’eau... La prudence s’impose. Le mystère est loin d’être levé.

Cinq disques en or provenant d'une parure et datant de 1100 à 1000 av. J.-C.  ont été découverts dans la Lesse. Ils affichent une épaisseur de 0,2 mm en moyenne. © Véronique Pipers

Sur les flancs de la grotte, des traces noires racontent un autre histoire

Un autre mystère vient par contre lui d'être levé à Han. Il s’agit des traces noires qui maculent par endroits les parois ou les plafonds de la grotte.

Un art rupestre? « Pas du tout », confie encore le conservateur du PréhistoHan. « Il s’agit de charbons de bois, prisonniers de l’argile. Ces charbons proviennent des torches utilisées par les hommes préhistoriques notamment, quand ils osaient s’aventurer dans les profondeurs de la terre », explique Michel Timperman. « Pour raviver la flamme de leur torche », ils frottaient celle-ci sur le plafond ou les parois de la grotte. Ils y abandonnaient ainsi des particules de charbon de bois. »

Grâce aux analyses par Carbone 14, la fréquentation de certains recoins de la grotte, comme celles relevées dans la Galerie des Petites Fontaines, a pu être datée.

Il y a 9300 ans, l’homme explorait déjà les cavités creusées par la Lesse souterraine. Mieux encore, l’étude de ces charbons de bois, une science appelée « anthracologie », a permis d’identifier les types de bois utilisés par les hommes préhistoriques pour fabriquer leurs torches. De quoi offrir un autre regard sur ce monde obscur et fascinant, et sur la végétation qui poussait alors en surface.

Michel Timperman, conservateur du PréhistoHan. © Véronique Pipers

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Volet de diplôme militaire romain retrouvé dans la Lesse et datant du 19 janvier 108 après J.C. © V.P. - 2018