La Case de Santé

Dix ans de lutte
d'une médecine pour tous

Dix ans. Ça se fête. Surtout lorsque l'objet de l'anniversaire aurait pu ne pas dépasser les quelques mois. Car le parcours de la Case de Santé, à Toulouse, n'a pas été un long fleuve tranquille...

Née en 2006, l'initiative a été portée à bout de bras par quelques volontés, avec pour point commun de ne pas se satisfaire des conditions dans lesquelles la médecine s'exerce dans notre société. Après s'être inspirés d'expériences de santé communautaire au Québec ou en Belgique, ils ont monté ce projet d'une nouvelle forme de structure en santé de premier recours.

" Dès le départ, l'idée a été de fournir une alternative au système de la médecine libérale, qui exclut une partie de la population, la plus fragilisée", décrit Fabien Maguin, le coordinateur administratif de la Case de Santé.

La Case de Santé était née. Installée dans un immeuble de la place Arnaud Bernard, elle s'est peu à peu construite en miroir d'une "médecine à papa" facturant à l'acte, poussant le praticien à toujours plus de rendement, ou refusant l'instauration du tiers payant généralisé.

"Cette façon de concevoir la médecine, avec des rendez-vous tous les quarts d'heure, ne laisse aucune place à la prise en compte des conditions de vie du patient dans son état de santé. On traite de manière ponctuelle les symptômes sans réfléchir aux causes profondes de ces problèmes", regrette Fabien Maguin.

Travail d'équipe, entre médecine et aide sociale

Développer une démarche de santé globale, voilà ce qui guide la Case de Santé depuis dix ans. Un travail en équipe pluridisciplinaire, coordonné grâce à un dossier du patient numérique partagé entre les différents médecins du centre - avec l'autorisation de l'usager - et qui va plus loin que la simple consultation et délivrance d'ordonnance.

Avec des rendez-vous de 30 minutes, voire 45 minutes dans les cas les plus complexes, il s'agit de partir de l'état de santé de la personne pour parvenir à un accompagnement plus complet de sa situation sociale. Conditions de logement, précarité sociale et financière, droits des étrangers, barrières culturelles... sont autant de leviers qui peuvent impacter sur l'état de santé d'une personne et sur lesquels la Case de Santé essaie d'accompagner les usagers, grâce à son Pôle Santé-Droit.

"C'est de la prévention pure et simple qui nous paraît essentielle, et indissociable d'une pratique de la médecine de qualité", soutient-il.

Faire du patient un acteur de sa santé

Cette conception globale de la santé passe aussi par la mise en place de temps collectifs, où des usagers concernés par une même problématique sont réunis.

"Ces moments partagés viennent en complément de l'accueil individuel. C'est un moyen de replacer l'usager au cœur de son parcours de santé, en lui donnant la possibilité de mettre ses connaissances, son vécu au service des autres", détaille le coordinateur administratif.

Une façon d'appuyer le travail du professionnel par le biais de relations différentes. C'est ainsi que la Case de Santé a vu se créer plusieurs groupes récurrents, comme celui des Chibanis - travailleurs étrangers désormais à la retraite qui font l'objet d'un statut particulier... mais qui n'en sont pas moins des seniors -, celui des étrangers malades ou encore le collectif des Non-Substituables, dédié aux personnes en sevrage d'opiacés.

Une expérimentation
qui a fait ses preuves

Côté Toulouse/Delphine Russeil

Afin de garantir sa mission à cheval entre médecine et accompagnement social, la Case de Santé compte autant de médecins que d'assistants de service social - quatre de chaque -, qui sont associés à deux médiateurs en santé, un psychologue et un infirmier.

Ici, les prescriptions sont raisonnées, en totale indépendance de l'industrie pharmaceutique : les visiteurs médicaux n'ont pas droit de cité entre les murs de la Case, et les médecins s'appuient sur les études indépendantes pour prescrire les molécules.

L'initiative a essaimé ailleurs en France

Et en dix ans, le modèle de l'association a fait ses preuves. L'idée a fait des petits, avec l'ouverture de centre en santé communautaire : la Place Santé depuis quelques années à Saint-Denis et, il y a quelques semaines, le Village 2 Santé près de Grenoble. D'autres projets sont en préparation, notamment dans les quartiers Nord de Marseille ou à Lorient.

Son travail est également reconnu par l'Assurance Maladie, qui lui a accordé le statut de "Centre de santé" et a signé avec la structure une convention afin d'accélérer certaines procédures, comme l'ouverture de droits en urgence (entre une semaine et dix jours, contre trois mois habituellement).

Et du côté des chiffres, le centre a également trouvé son public, composé aussi bien de personnes en situation de grande précarité qui se déplacent de partout dans Toulouse que de familles du secteur qui viennent pour faire vacciner leurs enfants.

Le financement, épée de Damoclès

Depuis 2011, date à laquelle l'activité de la Case de Santé s'est stabilisée, on est passé de 850 personnes reçues par an à 1700 personnes en 2015.

"Et pour 2016, les 1700 personnes ont été atteintes au 31 août", relève le coordinateur administratif.

Une croissance exponentielle qui commence d'ailleurs à poser des problèmes de saturation, aussi bien en termes d'espace que de gestion financière.

Car la grosse épine qui reste nichée dans la pied de la Case de Santé est sa stabilité financière. "Forcément, une facturation a l'acte n'a aucun sens dans notre fonctionnement, puisque cela ne tient absolument pas compte du coût du Pôle Santé-Droit notamment. Pourtant, il faut intégrer que ces actions, en bout de chaîne, font économiser de l'argent à la société", souligne Fabien Maguin.

Après une crise majeure fin 2014 et un signal d'alarme aux pouvoirs publics, la Case de Santé est parvenue à obtenir quelques aides des collectivités, de l'ARS, de l'Assurance Maladie ou de l'État, plus ou moins récurrentes.

Mais la stabilité reste une préoccupation de l'association, qui souligne le fossé qui sépare son budget du paysage médical régional : 560 000 euros en 2016... soit 0,05 % de l'ensemble des honoraires de médecine générale payés en 2014 dans la région Occitanie.

Vers des Cases de Santé dans d'autres quartiers   de Toulouse ?

Côté Toulouse/Delphine 

La Case de Santé est donc vouée à grandir dans les années à venir. "Mais pas à grossir, précise Fabien Maguin. Car nous voulons garder une structure à taille humaine : permettre aux gens de se croiser, de se rencontrer, d'échanger sur les temps collectifs fait partie de nos fondements."

Et aussi parce que ses locaux place Arnaud Bernard ne sont pas extensibles...

Des relais dans d'autres quartiers de Toulouse

Selon ses statistiques, la Case de Santé a ainsi remarqué que deux tiers de ses usagers viennent d'autres secteurs de Toulouse. "Il est donc logique pour nous d'aller positionner d'autres structures plus près de ces personnes, analyse-t-il. C'est aussi une façon d'augmenter notre activité pour améliorer nos capacités de financement."

Un projet d'ouvrir des annexes dans d'autres quartiers de Toulouse est donc lancé.  "On va privilégier des quartiers populaires, car les enjeux en terme de santé y sont prioritaires, même si notre mission ne concerne pas que la partie de la population marquée par la précarité", précise Fabien Maguin.

Pour l'heure, deux quartiers de Toulouse ont été identifiés par la Case de Santé pour s'y installer : les Izards et Empalot. Mais avant de statuer, l'équipe effectue un diagnostic de territoire pour définir son état de santé et ses ressources.

"Cette étape est aussi importante que le projet en lui-même, afin d'être au plus juste des besoins de la population."

Enfin, le coordinateur administratif annonce qu'un tel projet ne se fera pas tout seul : "Il va falloir créer une dynamique avec nos partenaires, pour trouver des locaux notamment. On espère que notre niveau de détermination rencontrera la même motivation..."

Un important projet de médiation en santé

Et de la détermination, ce n'est pas ce qui manque à la Case de Santé, qui vient même de toquer à la porte du Ministère de la Santé. En lien avec la loi de modernisation du système de santé, celui-ci a lancé avant l'été 2016 un appel à projets en vue d'améliorer l'autonomie des personnes en santé.

Une opportunité trop belle pour l'équipe d'Arnaud Bernard, qui a saisi la balle au bond en déposant un ambitieux projet-pilote de structure de santé en premier recours à déployer sur cinq ans.

"En France, on fait beaucoup de curatif, qui fait souvent pansement sur une jambe de bois. Là, on a monté un projet visant à améliorer la qualité globale de la santé basée sur la prévention et l'implication des patients", présente Fabien Maguin.

Ce projet-pilote repose sur deux pivots. La création d'un véritable métier de "médiateur en santé" tout d'abord : par un travail de terrain, celui-ci assurerait une interface entre l'usager et les différents services médicaux-sociaux. Le projet prévoit la création d'une formation spécifique et la création de six postes de médiateurs à Toulouse, qui seraient répartis entre Arnaud Bernard, les Izards et Empalot.

"Ces médiateurs permettraient de rendre une place au patient dans son parcours de santé en travaillant sur la vision qu'il en a", explique le coordinateur de la Case de Santé.

Ce dispositif serait ensuite complété par la création de différents espaces collectifs pour les patients afin de leur permettre d'aborder les problématiques de santé par trois entrées : les conditions de vie (comme le mal-logement), les pathologies chroniques et les problématiques spécifiques à leur territoire. Un espace de réflexion serait par ailleurs consacré aux conditions de travail.

Un projet-pilote d'1,2 million d'euros sur cinq ans, que l'équipe de la Case de Santé se dit "prête à mettre en œuvre dès le 1er janvier 2017"... mais dont la réalisation est pour l'instant entièrement suspendu à la décision du Ministère.

En attendant une réponse, elle poursuit son combat quotidien pour une médecine plus juste, pour tous, sans discrimination.

Dès l'entrée, la Case de Santé vous accueille par les photos de ses luttes passées... Et bientôt de celles à venir ? (Photo : Côté Toulouse/Delphine Russeil)