Simeoni et Talamoni parlent

Six jours après avoir été désignés par les urnes pour siéger à l'assemblée de Corse les élus nationalistes livrent, en exclusivité pour Settimana, leurs projets, leurs espoir et leurs actions à venir.

"Y aller et y aller Ă  fond"

Photo Christian Buffa

Avant sa fugue ajaccienne, nous l'avons rencontrĂ© dans son bureau au quatrième Ă©tage de la mairie de Bastia qu’il s’apprĂŞte Ă  quitter pour ses nouvelles fonctions exĂ©cutives. Si ses nuits ont singulièrement raccourci depuis dimanche, ce n’est certainement pas pour cĂ©lĂ©brer la victoire de "Pè a Corsica" dimanche. Il enchaĂ®ne les rendez-vous et les consultations sur deux fronts qui ne sont pas tout Ă  fait distincts : la gouvernance de la CollectivitĂ© territoriale de Corse, et la succession Ă  la tĂŞte de la municipalitĂ© bastiaise. 

Gilles Simeoni n’a mĂŞme pas le temps de s’endormir sur ses lauriers... Entre nous, l’ampleur de la victoire ne vous a-t-elle pas pris de court ? 

Elle ne nous a pas pris de court, elle nous a surpris. Nous avions ressenti des signes prĂ©curseurs extrĂŞmement positifs, mais personne, je crois, ne pouvait prĂ©voir une victoire aux allures de raz de marĂ©e. J’avoue m’être interrogĂ©, et je pense qu’au-delĂ  de tous les facteurs dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s, la mobilisation exceptionnelle des militants sur le terrain, l’offre politique que nous avons construite Ă  travers la fusion de Femu a Corsica et de Corsica Libera, le soutien direct ou indirect des listes Rinnovu, Orsucci et De Gentili, il y a eu cette rencontre directe, humaine, sincère, avec les Corses pour leur demander, individuellement, de se dĂ©terminer en femmes et en hommes libres et de faire comme si leur bulletin Ă©tait celui qui, Ă  lui seul, allait dĂ©cider de leur propre avenir et de l’avenir de la Corse. 

Et c’est ce message-lĂ , personnel, qui, selon vous, a pu emporter l’adhĂ©sion ? Je n’aurais pas l’arrogance de dire que les Corses ont Ă©coutĂ© mon message, mais je pense qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes, quels que soient d’ailleurs leurs idĂ©es politiques et leur vote au premier tour, qui se sont dĂ©terminĂ©s de cette façon-lĂ , et comme ils se sont dĂ©terminĂ©s de la mĂŞme façon, ça a contribuĂ© Ă  l’ampleur du score. Alors oui, il y a un vote d’adhĂ©sion très fort, mais Ă©galement des gens qui sont venus simplement nous dire : on vous fait confiance pour porter la dynamique du changement et l’élargir Ă  d’autres. Dans mon esprit, c’est très clair. 

Est-ce que ça vous donne d’autres ambitions, pour les législatives par exemple?

Non, non, absolument pas. 

Quel est le message qui vous a le plus Ă©mu ?

Il y en a beaucoup. Des messages des anciens d’abord, y compris des non nationalistes, et des messages de jeunes, de très jeunes garçons et filles, ceux de la Corse de demain, qui m’ont profondĂ©ment touchĂ© par leur sincĂ©ritĂ© et leur fraĂ®cheur. 

Paul Giacobbi vous a-t-il appelĂ© personnellement ? 

Oui, il l’a fait pour renouveler ses fĂ©licitations de façon très courtoise et très rĂ©publicaine. Il m’avait aussi indiquĂ© que nous pouvions nous voir pour organiser la transition et la transmission des dossiers. Il a eu enfin des mots plus personnels et, Ă  ce titre, je n’en parlerai Ă©videmment pas ici. 

Avez-vous eu un premier contact avec le gouvernement ? 

Aucun. Je ne sais pas si c’est normal parce que je ne suis pas familier de ce genre de situation, mais ça m’étonne un peu quand mĂŞme. 

"La décision du FLNC
a été une contribution majeure"
Photo Christian Buffa

Sincèrement, vous ne pensiez pas prendre un risque sĂ©rieux en vous alliant Ă  Corsica Libera Ă  cause de la revendication d'indĂ©pendance dont vous saviez dĂ©jĂ  qu’elle serait forcĂ©ment instrumentalisĂ©e par vos adversaires ? 

Dans tout choix politique, il y a une part de risque, et je sais que certains Corses campaient sur une attitude de prudence voire de rĂ©ticence par rapport Ă  Corsica Libera. Mais ces prĂ©ventions Ă©taient accessoires. Je suis certain que le choix qui a Ă©tĂ© fait Ă©tait le bon, et qu’il fallait le faire non seulement par rapport Ă  l’échĂ©ance Ă©lectorale, ça c’était quelque part relatif, mais par rapport Ă  l’histoire, Ă  notre histoire commune, et Ă  celle que nous devons dĂ©sormais Ă©crire ensemble. 

Une alliance au troisième tour aurait-elle Ă©tĂ© plus difficile Ă  conclure ? 

Nous ne nous sommes pas posĂ©s la question, il nous est apparu impĂ©ratif d’élaborer cette offre politique pour le deuxième tour, Ă  la fois pour crĂ©er les conditions de la victoire Ă©lectorale, mais surtout pour commencer Ă  construire la dĂ©marche politique qui fait sens par rapport aux enjeux. 

Si on vous dit qu’en dĂ©posant les armes, le FLNC a quand mĂŞme contribuĂ© Ă  dĂ©blayer le terrain de cette victoire, vous ĂŞtes d’accord ? 

La dĂ©cision, courageuse, prise par le FLNC de renoncer Ă  l’action clandestine a constituĂ© une contribution majeure, non seulement Ă  la paix, mais aussi au renforcement de nos idĂ©es et Ă  leur diffusion beaucoup plus large au sein de l’opinion publique corse en gĂ©nĂ©ral. Elle aura Ă©galement contribuĂ© Ă  permettre une recomposition d’ensemble du champ politique insulaire. Et enfin, elle a privĂ© d’un de leurs derniers arguments le camp des conservateurs. 

Lorsqu’on regarde ce qu’est devenue l’évolution chaotique de l’union Ă  Bastia, qui dit que celle-ci va tenir durablement au territoire ? 

L’union Ă  Bastia, je suis fier et heureux de l’avoir rĂ©alisĂ©e, mĂŞme si j’aurais souhaitĂ© qu’elle soit, Ă  l’époque, Ă©largie y compris aux autres nationalistes. Cela n’a pas Ă©tĂ© possible pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir. La dĂ©marche avait contribuĂ©, lĂ  encore, Ă  dĂ©montrer que d’autres perspectives politiques pouvaient ĂŞtre ouvertes, notamment par la convergence de forces diffĂ©rentes mais qui parviennent Ă  s’entendre sur un contrat de mandature, en l’occurrence Ă  l’échelle municipale. Et cette union, elle continue Ă  fonctionner. Les partenaires principaux, la gauche, la droite et les nationalistes, y sont. François Tatti s’en est Ă©cartĂ©, c’est un choix qui lui appartient mais qui demeure tout Ă  fait marginal. 

Puisque vous parlez de lui, pensez-vous qu’il doit dĂ©missionner, compte tenu des rĂ©sultats dĂ©favorables enregistrĂ©s, notamment dans les communes de l'agglomĂ©ration ? 

La dĂ©mission de François Tatti s’imposait dĂ©jĂ  Ă  l’époque et elle s’impose, en effet, encore plus aujourd’hui. 

Une mandature de deux ans, ce n’est pas un pari dangereux car c’est finalement très peu pour faire ses preuves... 

Il est bien Ă©vident que ce n’est pas la configuration la plus aisĂ©e, celle que nous aurions prĂ©fĂ©rĂ©e, car ce qui s’est passĂ©, c’est une vĂ©ritable rĂ©volution copernicienne. Nous allons dĂ©couvrir une institution dans ses moindres rouages internes de fonctionnement, et essayer de poser d’emblĂ©e les jalons d’une dĂ©marche politique fondamentalement nouvelle aussi bien sur la mĂ©thode, sur la forme que sur le fond. Et donc, effectivement, se retrouver enserrĂ© dans un dĂ©lai aussi court que deux ans, avec Ă©normĂ©ment d’urgences Ă  gĂ©rer en mĂŞme temps, ce n’est pas le contexte idĂ©al, il y a plus facile, je dois bien l’admettre. 

Justement, quels seront les premiers dossiers, les premières urgences, qui seront traitĂ©s ? 

Je l’ai dit et rĂ©pĂ©tĂ©. Il y a tellement d’urgences qu’en citer quelques-unes pourrait donner le sentiment qu’on oublie toutes les autres. DĂ©jĂ , nous devons nous donner rapidement les moyens d’une action publique efficace. C’est l’équipe, bien sĂ»r, les personnels de la CollectivitĂ© territoriale qu’il faut rencontrer, qu’il faut associer au projet et aux actions qui vont ĂŞtre mises en oeuvre. Et puis, c’est tout ce que vous connaissez dĂ©jĂ , Ă  la fois le chantier institutionnel avec la collectivitĂ© unique, les dossiers particulièrement brĂ»lants comme le transfert de fiscalitĂ©, les arrĂŞtĂ©s Miot happĂ©s par un compte Ă  rebours, les transports, les dĂ©chets, les prioritĂ©s Ă©conomiques et sociales... 

Vous Ă©voquez les transports. La crĂ©ation de la compagnie maritime rĂ©gionale, ça fait aussi partie des prioritĂ©s ? 

C’est de facto une prioritĂ©. Maintenant, nous n’avons pas eu accès Ă  l’intĂ©gralitĂ© du dossier maritime. Il nous faudra prendre connaissance des positions prĂ©cises des uns et des autres et, lĂ  aussi, tracer rapidement un cap, ce qui est normal s’agissant du domaine maritime... 

Restons-y encore un instant. Il y a un point de divergence potentiel avec Corsica Libera, le projet de Grand Port Ă  la Carbonite. Vous en avez parlĂ© avec Jean-Guy Talamoni ? 

Nous avons eu l’occasion d’échanger sur le sujet, y compris publiquement. Je vous rappelle que lors de la prĂ©cĂ©dente mandature, notre groupe a obtenu un certain nombre d’études dont les conclusions seront dĂ©cisives, y compris sur la question de la faisabilitĂ©, mĂŞme si je n’ai jamais eu accès Ă  l’élaboration de ces Ă©tudes et si j’ignore la façon dont les appels d’offres et les cahiers des charges ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s. On va tous se plonger avec l’esprit ouvert et de façon dĂ©terminĂ©e dans ce dossier qui me tient particulièrement Ă  coeur puisque je suis toujours, au moment oĂą je vous parle, maire de Bastia. Ă€ partir du moment oĂą je considère ce sujet essentiel pour la ville et pour la Corse, il fera l’objet d’une attention toute particulière. 

Dans le programme de votre allié, la création d’un organisme de contrôle et d’évaluation des fonds publics. Vous y êtes favorable ?

Sur le principe, je ne peux ĂŞtre que favorable Ă  tout ce qui est susceptible de renforcer la transparence. Et c’est d’ailleurs un des engagements forts de notre contrat de mandature de faire passer un souffle dĂ©mocratique, de transparence et d’équitĂ© dans tous les actes de la vie publique. Ceci Ă©tant, dans le bref laps de temps qui nous est imparti, vous le faisiez vous mĂŞme remarquer tout Ă  l’heure, je pense que nous n’aurons pas le temps de mettre en place cet organisme, en tout cas ça me paraĂ®t difficile. 

Vous allez conduire la dĂ©lĂ©gation pour discuter avec le gouvernement. Allez-vous poser la loi d’amnistie comme prĂ©alable ? 

Lorsqu’on s’engage dans une nĂ©gociation, par principe, on n’y va pas avec des prĂ©alables. Il y a des sujets qui sont mis sur la table, et les parties prenantes du dialogue doivent aborder tous ces sujets. Celui que vous Ă©voquez sera bien Ă©videmment placĂ© au sommet de la pile, dans la mesure oĂą la question des prisonniers politiques est une question centrale, aussi bien en terme politique qu’en terme humain. 

Elle symbolise en même temps pour vous la reconnaissance de quarante années de lutte, vous êtes très bien placé pour le savoir...

La dĂ©marche de "Pè a Corsica" s’inscrit clairement dans une logique irrĂ©versible de paix et d’apaisement, et de sortie d’un conflit de près d’un demi-siècle par le haut Ă  travers une solution politique. Et quand on tourne la page d’un conflit, on solde les Ă©lĂ©ments, y compris les plus douloureux, qui l’ont nourri. Il y aura donc nĂ©cessairement, comme cela a Ă©tĂ© le cas partout ailleurs dans le monde dans des situations identiques, la question de l’aministie incluse dans ce champ-lĂ . Je tiens encore Ă  prĂ©ciser pour dĂ©passionner ce dĂ©bat que, souvent, lorsque l’on parle de l’amnistie, les positions de blocage se manifestent par rapport Ă  l’affaire Erignac. Je rappelle quand mĂŞme que les personnes qui ont Ă©tĂ© condamnĂ©es dĂ©finitivement ont purgĂ© la quasi totalitĂ© de leur peine. 

Vous serez intransigeant dans les nĂ©gociations sur la chambre des territoires, la prorogation de l’arrĂŞtĂ© Miot que vous Ă©voquiez, l’inscription de la Corse dans la Constitution ? 

Vous parlez lĂ  de sujets primordiaux qui sont dans le dĂ©bat public, qui ont Ă©tĂ© entĂ©rinĂ©s par des dĂ©libĂ©rations, tantĂ´t unanimes tantĂ´t très largement majoritaires, de l’AssemblĂ©e de Corse, et que nous avons repris dans notre contrat de mandature validĂ© par le suffrage universel. Aussi, je ne comprendrais pas, je ne peux mĂŞme pas imaginer, que le gouvernement ne nous entende pas sur ces questions fondamentales et ne consente pas Ă  faire des gestes forts et significatifs très rapidement. 

Et s’il s’y refuse malgrĂ© tout, est-ce qu’il y a un risque que la collectivitĂ© unique ne voit pas le jour ou bien plus tard ? 

C’est une Ă©ventualitĂ© que je ne prĂ©fère pas envisager. Tout le monde s’accorde Ă  reconnaĂ®tre que ce qui s’est passĂ© dimanche dernier est un Ă©vĂ©nement historique, et donc il est impensable que le gouvernement et l’Etat ne reprennent pas cette analyse en considĂ©ration et n’en tirent pas les consĂ©quences. 

Au fait, ça se passe comment avec Jean-Guy Talamoni, vos relations vont-elles au delà du pacte politique ?

 DĂ©jĂ , le contrat de mandature, prĂ©parĂ© par des discussions prĂ©alables, est l’aboutissement d’un processus qui s’est fait de façon claire, rapide, dĂ©terminĂ©e et transparente mais aussi avec enthousiasme de la part des deux parties. Mais au-delĂ  du caractère rationnel, c’est un moment partagĂ© avec Ă©motion par des milliers de femmes et d’hommes. Bien sĂ»r, le chantier reste Ă  parfaire et Ă  Ă©largir encore. On a vocation Ă  s’inscrire dans la durĂ©e, nous l’avons Ă©crit, c’est un accord de portĂ©e stratĂ©gique avec une vision commune sur ce qu’il faut faire sur le long terme. Nous continuerons aussi Ă  discuter avec les autres nationalistes, notamment le Rinnovu. Maintenant, pour rĂ©pondre plus directement Ă  votre question, avec Jean-Guy Talamoni, on se connaĂ®t depuis très longtemps, en tant que Bastiais, en tant qu’avocats et en tant que militants. Il y a eu parfois des moments de tension liĂ©s Ă  la politique, mais l’estime rĂ©ciproque a toujours Ă©tĂ© très forte.

 Aucun regret d’avoir choisi l’ExĂ©cutif et de quitter votre fauteuil de maire ? Ce choix, il avait Ă©tĂ© annoncĂ© en amont. Si les Corses dĂ©cidaient de nous faire confiance, et c’est une confiance massive qui s’est exprimĂ©e, il fallait tirer les consĂ©quences de la volontĂ© historique du peuple. Et donc, il faut y aller et y aller Ă  fond. Ceci Ă©tant, ce qui est bon aujourd’hui pour la Corse l’est Ă©galement pour Bastia, a fortiori dans le contexte de construction de la collectivitĂ© unique. Que le maire de Bastia accède Ă  des responsabilitĂ©s exĂ©cutives est Ă  elle seule une garantie pour assurer la logique d’équitĂ© territoriale, notamment entre Ajaccio et Bastia. Je veux le dire ici avec force. Par ailleurs, la loi m’impose d’occuper une seule fonction exĂ©cutive et ce sera donc l’ExĂ©cutif de Corse. 

Qui avez-vous pressenti pour vous succĂ©der Ă  la mairie de Bastia ? 

Pierre Savelli et Michel Castellani sont les noms qui reviennent le plus rĂ©gulièrement... 

Le choix n’est pas fait, il est en train de se discuter de façon apaisée et sereine, particulièrement avec les principaux intéressés, en associant les membres de ma majorité. J’ai vu qu’on évoquait la date du 22 décembre mais rien n’est encore arrêté, ce sera peut-être un peu avant ou un peu après. Quoiqu’il en soit, on fera un choix et on s’accordera en même temps sur une façon de fonctionner qui me permettra d’être très présent et très attentif, mais aussi pour faire en sorte que la dynamique mise en oeuvre pour Bastia et sa population se poursuive et s’amplifie.

"Les Corses nous ont dit : Allez y gouvernez"

Photo Christian Buffa

Le nationalisme est-il la première force politique corse ? 

Clairement. C'est surtout la seule force qui puisse rassembler une part très importante du peuple corse. Si l’on avait Ă©tĂ© dans une configuration diffĂ©rente avec des partenaires non-nationalistes, ce qui a Ă©tĂ© envisagĂ©, Ă  ce moment-lĂ , on aurait pu discuter sur la nature du vote. Mais cette fois, seuls les deux courants du nationalisme Ă©taient prĂ©sents, le peuple s’est prononcĂ© en faveur du nationalisme. Cela va bien plus loin que la seule Ă©lection d’élus Ă  l’assemblĂ©e de Corse. Ils ont affirmĂ© la vocation nationale de la Corse. 

Avec toujours cette question qui fait dĂ©bat : l’indĂ©pendance... 

En ce qui concerne cette question, nous avons rĂ©pondu Ă  un certain nombre d’attaques de mauvaise foi, en particulier de la part de JosĂ© Rossi. En rĂ©alitĂ©, il n’y avait rien de particulier Ă  dire sur ce point dans la mesure oĂą le contrat de mandature signĂ© entre Femu a Corsica et Corsica Libera ne concernait pas cette question. MĂŞme sans cette union, Corsica Libera n’aurait pas dĂ©posĂ© de motion relative Ă  l’indĂ©pendance de la Corse dans les mois qui viennent. C’était un faux problème ! L’indĂ©pendance, c’est le coup d’après. Ça se discutera après la rĂ©forme, comme cela s’est fait en Ecosse ou en Catalogne. Celle-ci a votĂ© pour une large rĂ©forme en 2006 et moins de dix ans plus tard, elle s’est prononcĂ©e en faveur de l’indĂ©pendance. De la mĂŞme manière, l’Ecosse a obtenu un nouveau statut en 1997 et un rĂ©fĂ©rendum, certes perdu par les indĂ©pendantistes, a eu lieu l’an passĂ©. 

Deux rĂ©gions qui disposent d'un fort pouvoir Ă©conomique, ce qui est loin d’être le cas de la Corse. Comment prenez-vous en compte cette rĂ©alitĂ© ? 

Nous sommes persuadĂ©s que dans cette phase transitoire qui s’ouvre, nous devrons mettre en place de nouvelles institutions mais traiter le problème Ă©conomique et social de la Corse, dont la situation est prĂ©occupante Ă  cet Ă©gard. On voit bien qu’en Catalogne et en Ecosse, le dĂ©bat sur l’indĂ©pendance n’a Ă©tĂ© rendu possible que grâce Ă  une situation matĂ©rielle confortable, ce qui n’est pas ressenti comme tel par les Corses. 

Ils ont raison ! Nous ne disposons ni des champs pĂ©trolifères sous-marins de la mer du Nord, ni de l’industrie catalane... 

Oui mais nous avons de potentialitĂ©s très fortes, une terre bĂ©nie des dieux, de l’eau en abondance et nous pouvons dĂ©velopper un tourisme organisĂ© et non plus un tourisme de cueillette. Dans cette perspective, les deux courants nationalistes ont fait des propositions convergentes pour enrichir la Corse sur le plan matĂ©riel. Cette phase est, pour nous indĂ©pendantistes, un passage obligĂ© car les peuples ne se prononcent massivement pour l’indĂ©pendance que lorsqu’ils bĂ©nĂ©ficient de conditions matĂ©rielles satisfaisantes. 

Votre accord avec Femu a Corsica a pris de court les observateurs en raison de sa rapiditĂ©. Existait-il un plan secret entre les deux courants du nationalisme ? Certainement pas. Nos contacts ont eu lieu au vu et au su des observateurs, notamment en invitant nos partenaires aux Ghjurnate internaziunale. Sur le plan tactique, les discussions de l’entre-deux tours se sont passĂ©es très rapidement pour plusieurs raisons. D’abord, tout le monde avait le sentiment que le moment Ă©tait venu, et pas seulement au sein des appareils politiques mais aussi au sein de la base militante et mĂŞme, au-delĂ , de gens qui ne sont pas nĂ©cessairement nationalistes. Ensuite parce que cette volontĂ© d’union très forte existait entre nous. En clair, c’était le moment favorable de « faire l’union », le kaĂŻros des Grecs. 

"L'indépendance c'est le coup d'après"
Photo Christian Buffa

Les espoirs de concorde nationaliste se fracassent souvent sur le principe de rĂ©alitĂ©. En 2010, l'union n’avait pas Ă©tĂ© possible ; en 2004, elle avait peu durĂ© ; en 1992, elle avait volĂ© en Ă©clats très rapidement. Les bonnes intentions du camp nationaliste ne durent pas longtemps, de ce point de vue. La version 2015 : quelle espĂ©rance de vie ? 

Nous sommes sur une dĂ©marche de fond... 

Blablabla... 

Ecoutez, mĂŞme ceux qui ne m’aiment pas savent que je ne suis pas un menteur. Moi, je considère que cette union est extrĂŞmement solide et qu’elle a Ă©tĂ© consolidĂ©e par une adhĂ©sion massive des militants, des sympathisants, des Ă©lecteurs et mĂŞme – je le rĂ©pète – de Corses qui ne partagent pas nos convictions ! Ce qui n’empĂŞche pas chaque courant de conserver ses propres particularitĂ©s. Oui, nous sommes indĂ©pendantistes et nous avons toujours soutenu le FLNC comme nous le faisons encore aujourd’hui depuis sa courageuse dĂ©cision de dĂ©poser les armes. Pour le reste, Ă©videmment que des diffĂ©rences demeurent, c’est la raison pour laquelle il existe deux courants et pas un seul... Mais ce qui nous rapproche est bien plus important que nos diffĂ©rences. Notre union a Ă©tĂ© scellĂ©e dans le ciment d’un enthousiasme qui concerne Ă  la fois les responsables des mouvements et leurs bases... 

Cette courte mandature sera marquĂ©e par des des dossiers importants. Les deux annĂ©es qui viennent ne seront-elles pas casse-gueule pour des nationalistes qui accèdent aux responsabilitĂ©s sans grande expĂ©rience de la gestion ? 

C’est une mandature très importante avec de nombreuses difficultĂ©s dont nous avons pleinement conscience. Nous allons devoir nĂ©gocier avec Paris un nouveau statut qui comportera tout ce que nous avons votĂ© Ă  de très fortes majoritĂ©s au cours des cinq dernières annĂ©es en matière de langue corse, de statut de rĂ©sident, de foncier, d’institutions, d’amnistie. Comme nous sommes nationalistes, nous devons aller plus loin que ce qu’a votĂ© une majoritĂ© qui ne l’était pas. 

Par exemple ? 

Mettre davantage de moyens matériels humains pour favoriser le développement de l’assemblée de Corse. En ce qui concerne le statut de résident, le délai minimum de cinq ans acté par l’assemblée de Corse est-il suffisant ? Je n’ai pas de réponses toutes faites mais sur ce point, je rappelle que la proposition initiale des nationalistes était de cinq ans.

"Celui qui adhère à nos idée aujourd'hui est aussi sincère que nous le sommes"
Photo Christian Buffa

Dans ces conditions, ne craignez-vous pas que des forces politiques, Ă  gauche notamment, avec lesquelles vous avez Ă©troitement travaillĂ© au cours de la prĂ©cĂ©dente mandature, n'opèrent un repli stratĂ©gique face Ă  des exigences dĂ©sormais formulĂ©es a maxima ? 

Il n’y a pas de raison. Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes pas obligĂ©s de nous en tenir Ă  ce que nous avons dĂ©jĂ  votĂ©. De toutes façons, nous devrons en discuter entre nous, nationalistes, et avec les autres forces politiques. 

Compte tenu de la tâche qui vous attend, ne craignez-vous pas de, forcĂ©ment, dĂ©cevoir les attentes ? 

Les responsabilitĂ©s sont Ă©normes, autant que les attentes. Nous n’avons absolument pas le droit de dĂ©cevoir. Mais ne nous mentons pas : nous n’avons pas non plus de baguette magique et ça, nous devons le dire aussi. Ce qui est en notre pouvoir, c’est de travailler d’arrache-pied, de nous montrer loyaux, de respecter nos engagements pris pendant la campagne et travailler au quotidien pour l’ensemble des Corses, pas seulement des nationalistes. 

Ce qui a eu lieu dimanche, c’est que les Corses ne se sont pas contentĂ©s de partager nos idĂ©es sur des sujets qui, de toute façon, font pratiquement consensus au sein de la sociĂ©tĂ©. Nous sommes passĂ©s du stade de l’adhĂ©sion aux idĂ©es Ă  celui du mandat donnĂ© au mouvement national. Ils sont allĂ©s plus loin et nous on dit : « Allez-y, gouvernez ! ».

 Justement, les relations entre les deux courants n’ont pas toujours Ă©tĂ© marquĂ©es par une entente cordiale. L’épisode des municipales de 2014 Ă  Bastia, lorsque Gilles Simeoni a prĂ©fĂ©rĂ© s’allier Ă  la gauche et la droite plutĂ´t qu’avec vous, a Ă©tĂ© digĂ©rĂ© ? 

Effectivement, nous ne partagions pas cette stratĂ©gie... Pour nous, c’étaient les nationalistes d’abord et l’ouverture ensuite. Nous sommes aujourd’hui confiants sur notre capacitĂ© Ă  gouverner la Corse. Nous l’avions dit dès avant le premier tour. 

Avez-vous eu des contacts avec le gouvernement ? 

Pas Ă  l’heure oĂą nous parlons, en tout cas [mardi 15 dĂ©cembre]. 

Qu’attendez-vous de Paris ? Autre chose que le silence radio qui a accueilli certains rĂ©cents votes ou le dĂ©pĂ´t des armes par le FLNC ? 

Quand on prĂ©tend occuper le magistère des droits de l’Homme et donner des leçons de dĂ©mocratie au monde entier, peut-on rester insensible Ă  un vote aussi majoritaire ? Il faut admettre cette rĂ©alitĂ© : les Corses viennent de dire : « la Corse est une nation, pas une simple circonscription administrative ». 

Vous allez un peu vite : les Corses ont surtout votĂ© pour une liste avec un programme, dĂ©sormais investie d’un pouvoir politique rĂ©gional... 

Oui : ils ont voté pour une liste qui dit « la Corse est une nation ».

Si la dĂ©faite est orpheline, la victoire a cent pères : quel regard portez-vous sur la vague de fraĂ®ches conversions Ă  vos idĂ©es ? Pour un militant chevronnĂ© comme vous, cela doit vous faire sourire ? 

Pas du tout. Je mesure surtout la sincĂ©ritĂ© de la lame de fond de ces dernières heures. Il y a bien entendu des nationalistes de toujours et puis il y en a de plus rĂ©centes. 

De très rĂ©cents, mĂŞme ! Y compris de dimanche soir ! 

J'irai plus loin : il y en aura mĂŞme dans les jours Ă  venir ! Parce que nous allons leur faire comprendre que nous oeuvrons au bĂ©nĂ©fice de tous les Corses. Une adhĂ©sion Ă  une idĂ©e, mĂŞme très rĂ©cente, peut ĂŞtre très sincère et je crois que c’est le cas. Depuis les rĂ©seaux sociaux jusqu’aux propos de l’homme de la rue, on sent ce mouvement de fond. Nous avons assistĂ© Ă  un vote d’adhĂ©sion, pas un vote rejet, ni de peur comme cela se passe sur le Continent. Quelqu’un qui adhère Ă  nos idĂ©es aujourd’hui est aussi sincère que nous le sommes. 

Quels seront vos dossiers prioritaires ? 

La question des prisonniers et de l’amnistie doit être mise en route dans les jours à venir, c’est une priorité absolue, un élément essentiel de négociations avec Paris qui doit montrer à cet égard sa bonne volonté à travers un geste : d’abord le rapprochement immédiat des prisonniers politiques et ensuite, une négociation en vue de l’amnistie pour rétablir un début de confiance. Après, viendront les négociations sur la question de la réforme et toutes les questions qui nécessitent une réforme constitutionnelle comme la langue ou la fiscalité du patrimoine. Mais en tout état de cause, nous n’avons pas seulement l’intention de monter à Paris pour discuter des aspects techniques de la réforme. En ce qui concerne l’amnistie, elle n’a pas besoin de révision constitutionnelle, une loi simple suffit.

Photo Christian Buffa

Un dernier mot : quel regard portez-vous sur l'homme Gilles Simeoni ? 

Je connais bien davantage son père avec lequel j’ai travaillĂ© longtemps, mĂŞme sur je suis plus proche par l’âge de Gilles. Sa famille est une famille de patriotes et c’est un garçon qui a un talent considĂ©rable. Ce talent est dorĂ©navant mis dĂ©sormais - avec d’autres compĂ©tences -, au service des intĂ©rĂŞts du peuple corse. 

Mais humainement : il vous inspire confiance ? 

Oui. Nous devons simplement apprendre à mieux nous connaître et travailler ensemble. Les journées que nous venons de vivre sont très intéressantes de ce point de vue, elles ont été très fraternelles et ce n’est pas un simple mot.

Photo Christian Buffa
Propos recueillis par Jean-Marc Raffaelli
et Antoine Albertini