Logement social

La Corse mauvaise élève

Malgré les obligations imposées par la loi, certaines communes insulaires n'atteignent pas le seuil minimal de logements sociaux

Marché locatif en tension, parc difficile d'accès et parfois vétuste en dépit de vastes opérations de réhabilitations en certains endroits de l’île, la Corse reste un mauvais élève en matière de logement social.

« Avec 41 logements sociaux pour 1 000 habitants, le parc social est moins représenté que dans le reste du pays » notait ainsi la Caisse des dépôts dans une étude en septembre 2014.

Fort dommage, pour une région frappée de plein fouet par la précarité, où 19,2% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La loi a pourtant instauré un seuil minimal de 20 % de logements sociaux - 25 % dans les secteurs nécessitant une production supplémentaire de logements sociaux - à atteindre dans les communes comptant au moins 3 500 habitants, sous peine de sanctions appliquées par l’Etat.

Des communes sanctionnées

Concrètement, les communes n'atteignant pas le taux légal font l’objet d’un prélèvement annuel sur leurs ressources fiscales, établi en proposition du nombre de logements manquants pour atteindre les 20 % ou les 25 % (d’ici 2025) et doivent, tous les trois ans, respecter une obligation de rattrapage des objectifs que leur assigne la loi.

C'est ainsi que Furiani a du débourser quelques 61581 euros en 2015, une somme sensiblement équivalente au prélèvement opéré sur les finances de la commune de Ville-di-Pietrabugno pour non respect des obligations en matière de logements sociaux.

Pour cette dernière, soumise à la loi des 25% pour 80 habitants (elle en compte 3580 au dernier recensement), le casse-tête est pratiquement insoluble : alors que le foncier y est non seulement rare mais plutôt cher, le versant le plus adapté à d’éventuelles futures constructions se situe au beau milieu d’un filon de roche amiantifère dont le traitement ferait littéralement exploser le budget d’un projet immobilier d’envergure. 

« Nous essayons de remplir nos obligations, se désole Michel Rossi, le maire. Mais nous ne sommes pas à Monaco et nous devons faire avec nos propres contraintes, en essayant de plaider sans trop de succès pour le moment, en faveur d’une analyse plus objective de chaque situation »

 En guise de parade, le premier magistrat s’est montré inspiré : chaque nouveau projet de promotion sur le territoire de sa commune se voit imposer un ratio de 25% de logements à loyer modéré. 

Pour un immeuble de huit appartements, deux sont ainsi réservés de facto au logement social, « ce qui permet, en outre, de favoriser une certaine mixité »

A Biguglia, la note est encore plus salée : plus de 270.000 euros pour 96 logements sociaux seulement, soit 3,67% du total des logements situés sur le territoire de la commune.

recensement mené par le ministère du Logement, la ville est la seule à s'être s’affranchi de la règle des 25% de logements sociaux (elle n’en compte que 15,82%, soit 400 unités) et, si on y dénombre vingt mille habitants de plus qu’à Bastia, elle concentre 32% de logements sociaux de la région contre 41% pour sa rivale du nord.

Et pourtant, elle ne paie pas un centime au titre des prélèvements. Comme l’indique le site dédié du ministère du logement : « Cette commune, située en territoire SRU et dépassant les seuils de population d’application du dispositif, respecte en 2015 les obligations de la loi SRU en matière de logements sociaux. » 

En fait, explique Antoine Maestrali, directeur de cabinet de Laurent Marcangeli, le maire de la ville, la négociation et la bonne volonté ont primé dans un cycle de négociations avec l'Etat. Entre annulation des élections municipales et du PLU, la ville a pris du retard.

Qu’elle est en train de combler : « Sur les 3500 à 4000 équivalents logements mis en production, un bon tiers est réservé à du logement social » détaille ce dernier.

« Nous aurions pu rattraper plus facilement notre retard en établissant des zones à 100% de logements sociaux mais Laurent Marcangeli refuse cette politique de ghettoïsation et veut privilégier la mixité sociale. Cela se traduit par environ 1300 logements sociaux pour Ajaccio intramuros, en sacrifiant aussi un peu de surface à l’implantation de services sociaux ».

Il y avait urgence, d’ailleurs. Car l’an passé, le préfet de Corse a adressé à la Maison carrée une lettre la menaçant d’un arrêté de carence. La facture aurait pu s’élever à un montant compris entre 400.000 et près de 2 millions d’euros.

Difficultés d'accès au logement social

Sur les 124 communes que compte le département de la Corse-du- Sud, 19 seulement possèdent des logements sociaux. 

Et si Ajaccio, Figari, Sari-Solenzara et Sartène sont les communes dont le taux de logement social est au-dessus de la moyenne départementale, il reste insuffisant. Pour l'ensemble du département, il faudrait construire – d’après plusieurs études - 59 logements pour 100 logements déjà existants afin de satisfaire la demande totale. 

A titre d’exemple, Ajaccio devrait augmenter son parc de près de 60% (la ville concentre déjà trois quarts des logements sociaux du département) et Porto-Vecchio, le doubler son parc. En Haute-Corse, 36 communes sur 236 comptent des logements sociaux, Bastia et Calvi en tête avec respectivement 27,4% et 19,9%. 

La capitale du nord ne concentre que le quart de la population du département mais regroupe 65% des logements sociaux. Pourtant, si elle devait satisfaire toutes les demandes, elle devrait augmenter son parc d’un tiers de logement sociaux supplémentaires. 

« Au-delà de la faiblesse quantitative de logement social en Corse (10% de logement locatif social contre 17% en moyenne au niveau national) qui rend particulièrement difficile l’accès au logement social pour des demandeurs toujours plus nombreux, cette analyse met en évidence un décalage important entre les besoins et l’offre de logement et d’hébergement. » 

Ainsi parlait Christophe Mirmand, préfet de la Corse, en 2013, à l’occasion de la publication d’un rapport consacré au logement et aux populations vulnérables dans l’île et publiée sous l’égide de la plateforme régionale d’observation sanitaire et sociale de Corse. Le plus haut représentant de l’Etat dans l’île parlait d’expérience. 

Car les services de l’Etat se réservent une part non négligeable des logements attribués : près d’un sur cinq contre 12% en moyenne pour l’ensemble national. Et les collectivités publiques ne sont pas en reste avec près de 17% de logements qui leur sont attribués d’office.

 Résultat : le marché locatif connaît une situation « d’une extrême tension » qu’accroissent encore des délais allongés et un taux de mobilité très faible. En clair, lorsqu’il franchit la porte d’un logement social, un locataire corse s’apprête à y rester dix-sept ans en moyenne. 

Extrêmement réduite pour les T4 (5,3%), cette mobilité est supérieure pour les logements plus petits (9% pour un T1, à titre d’exemple) mais illustre dans tous les cas une réalité incontournable : la plupart des logements sont aussitôt reloués sitôt le bail arrivé à son terme, ce qui induit encore des tensions supplémentaires sur un marché locatif très engorgé. 

Comment trouver des solutions pérennes ? Confrontés à l’héritage du temps, les maires doivent aussi faire face à la grogne de certains de leurs administrés, favorables au logement social à condition qu’il se développe ailleurs que sous leurs fenêtres. 

Désormais, certains maires se tournent vers l’Office du foncier.

« Mais, note l’un d’eux, il n’existe toujours aucun règlement des aides et on ne sait pas vraiment à qui s’adresser » 

De quoi ajouter à la difficulté de traiter un dossier décidément épineux.

Le périple de l'obtention

A l'Office public de l’habitat, qui gère un parc de presque 3000 logements les dossiers des demandes s’accumulent et les temps d’obtention sont interminables.

Des listes d'attentes à rallonge. Des délais incompressibles d’attribution. Obtenir la clé d’un logement social est souvent un parcours du combattant pour de nombreuses familles

Accumulation des demandes, déficit de l'offre, délais incompressibles pour les familles qui dénoncent souvent « l’opacité » des méthodes d’attribution... : dans une région qui présente le taux de pauvreté le plus important de France, avec 20 % de sa population en situation de précarité, l’accession au logement social cristallise toutes les tensions et demeure plus que jamais un sujet sensible.

En Haute-Corse, l’office public de l’habitat (OPH), implanté dans 27 communes, rayonne sur tout le département par le biais de ses 57 résidences, et gère un parc locatif de 2 919 logements.

Accéder à l’un d’entre-eux peut parfois devenir un parcours du combattant. Car si l’attente de certains dossiers ne se cantonne qu’à quelques mois, d’autres ont largement eu le temps de perdre patience. Wael Leverrier, en sait quelque chose.

Le 5 avril dernier, ce jeune Bastiais a enfin obtenu une réponse favorable pour accéder prochainement à un logement HLM.

Après quatre ans d’attente, désormais le sourire aux lèvres, il euphémise lorsqu’il évoque sa longue expérience : « Il a fallu batailler dur ».

Et pour cause, avec sa compagne Sophie et leurs deux enfants en bas âges, ils ont formulé leur première demande auprès de l’OPH 2B, atteste-t-il, le... 23 mai 2012. 

« Nous logeons depuis des années dans un appartement devenu, au fil des ans, trop petit pour héberger notre famille, explique Wael Leverrier. Avec la naissance de notre second enfant il nous fallait un logement plus grand »

Plus grand et à moindre coût, de surcroît, le jeune couple ne bénéficiant que d’une allocation pour adultes handicapés (AAH) en guise de revenu mensuel pour régler un loyer de 740 euros.

« Une attente interminable »

« On s'est retrouvés pendant des années avec de grandes difficultés », résume Wael Leverrier. Mais ce qui a, durant de longs mois, nourri la révolte du couple, c’est le « manque d’explications » face à cette situation et cette « interminable attente ».

 Â« On nous a toujours mis de côté. A chaque fois que la commission d’attribution se réunissait, on ne nous informait jamais ou on nous répondait que notre dossier n’était pas encore passé. Nous avons toujours attendu sans jamais savoir pourquoi il fallait attendre. Il a fallu que l’on fasse un scandale auprès des dirigeants de l’office pour que les choses s’accélèrent enfin... »

Reste que, près de quatre ans plus tard, le dénouement s’est révélé tardif mais positif pour le couple qui devrait accéder - enfin - à un logement HLM de type F4 dans les prochaines semaines, dans une résidence flambant neuf, à Lupinu. Ce qui n’est pas, toutefois, le cas de tous les locataires.

Après avoir « galéré » depuis septembre 2014, sur la liste d’attente pour obtenir un logement HLM, Jean-Manuel Da Silva, a décroché les clés d’un F3 en novembre dernier. 

« J’ai dû prendre contact en septembre 2015 avec un élu de la ville de Bastia pour qu’il appuie directement mon dossier et que la situation se débloque », explique-t-il.

Problème : malgré l’accession, deux mois plus tard, à un logement HLM rue Pasteur, l’appartement n’est pas à la hauteur de ses attentes : « C’est un cagibi, pas un appartement, tacle l’intéressé. Lorsque j’ai aménagé, j’ai dû moi-même réaliser des travaux car le logement est insalubre. Avec mon fils de dix mois, c’est invivable ».

Du coup, le locataire a effectué une nouvelle demande, en février dernier, restée pour l’heure sinon lettre morte, du moins renvoyée aux calendes grecques.

« On m’a répondu que j’avais accepté ce logement il y a quelques mois, donc personne ne comprend pourquoi je souhaite changer, explique Jean-Manuel Da Silva. Si je l’ai accepté, effectivement, c’est parce que j’étais dans l’urgence et qu’il fallait trouver quelque chose rapidement.
Mais je ne m’attendais pas à me retrouver dans un logement à ce point précaire, pas isolé et sale. Et encore moins à devoir faire les travaux moi-même. Aujourd’hui, on me répond que ma demande n’est pas prioritaire car j’ai déjà un logement, et que je devrais attendre. Encore... »

Opacité ou '‘image'’ d’opacité dans l’attribution ?

Si les conditions d'attributions sont connues, certains ayants droits se sentent parfois lésés et dénoncent un système « opaque ».

Mais dans quelle mesure peut-on parler d’opacité ? Dans l’attribution en elle-même, où vise-t-on une forme de « discrimination » ou encore du « favoritisme » ? Si des interlocuteurs parlent franchement, d’autres sont peu diserts. 

« S’il y a en qui ne se prononcent pas c’est aussi car c’est très complexe », juge un bailleur. Pénalement, il est d’ailleurs très difficile « voir impossible », de matérialiser une telle infraction, selon une source judiciaire.

Pourtant on entend des familles s’en plaindre : « Il y a des logements vides et nous, nous sommes toujours sur liste d’attente… »

Ils sont près de 3000 inscrits sur cette liste, en Corse-du-Sud. Le chiffre est sensiblement inférieur en Haute-Corse (voir ci-dessus) dans la mesure où il y a « davantage de logements sociaux », confirme le bailleur.

Celui-ci assure qu’il n’y a pas d’opacité, il n’y a « qu’une image d’opacité par manque de connaissances du système. Ils sont nombreux à ne pas savoir qu’il faut renouveler sa demande chaque année. C’est primordial. Et puis il y a un seuil précis. Une personne qui a besoin d’un grand logement au regard de sa famille n’atteindra pas forcement le plafond de revenus nécessaires… » insiste-t-il.

Et des exemples de ce type, il pourrait y en avoir autant qu’il y a de cas, car c’est ici de particulier qu’il s’agit. Il précise par ailleurs qu’une partie des logements sociaux, 60 %, relèvent des contingents.

« Il y a 30 % pour l’Etat et 30 % pour le conseil départemental et les communautés d’agglomération ».

Dans ce contexte, il se dit, à demi-mot, que le doute concernant un possible « favoritisme pourrait exister. Car si les propositions sont débattues en commission tripartite, le choix ne se fait que sur celles apportées par des élus... Mais cela ne veut rien dire et sert les mauvais esprits. Il n’est pas établi qu’il existe un réel favoritisme. La problématique n’est d’ailleurs pas propre à la Corse ».

Image ou pas, l’opacité gagne tout de même plusieurs esprits.

« Aider les bailleurs sociaux

à accéder au foncier »

Président de la Confédération nationale du logement de Corse-du-Sud, David Frau expose, chiffres à l'appui, le retard pris par la région en matière de logement social

Comment se situe la Corse en nombre de logements sociaux par rapport aux autres régions ?
Selon les dernières études, réalisées en 2010, la Corse disposait d'environ 9 % de logements sociaux lorsque Paca dispose de 11 %, l’Ile-de-France 20 %. Peu ou prou, la Corse se retrouve dans la fourchette basse de logements sociaux au niveau national. Il faut dire qu’en Corse, il y a une disparité entre grandes villes et milieu rural. Des constructions récentes sur l’Extrême-Sud vont la rééquilibrer un petit peu mais la très grande majorité des logements sociaux se trouvent sur les deux grands centres d’Ajaccio et de Bastia.

Comment expliquer cette différence ?
Elle s'explique surtout par le foncier. Le bailleur social, pour construire, doit disposer d’un foncier. Je laisse imaginer le tarif du foncier en Corsedu- Sud… Il est difficile de sortir une résidence HLM et d’équilibrer le budget avec un prix du terrain très élevé

Qu’en est-il du prix au mètre carré pour un logement social ?
La dernière enquête montre que nous avons un prix au mètre carré qui arrive en quatrième position derrière l’Ile-de-France, le Nord-Pasde- Calais et PACA, à presque 3 euros le m² [5,5 euros d’après l’Insee, ndlr]. 

Le prix du loyer a de plus en plus d’impact dans le budget d’un foyer. Est-ce un problème national ou trouve-t-il sa déclinaison en Corse ?
D’abord, c’est un problème national. Le taux d’effort médian au niveau national pour le locataire du secteur social est à 20 points en 2010. Pour le secteur privé, 27 % des revenus du foyer passent dans le paiement du loyer. En Corse, la problématique est différente. Comme les salaires sont inférieurs, le phénomène est démultiplié : le prix du loyer devient facilement égal à 40% des revenus d’un foyer fiscal. C’est énorme.

« Des candidats sont persuadés que leur demande est en cours alors qu'elle n’existe plus ! »

Ajaccio et le grand Bastia sont des zones dites '‘tendues’’. La situation peut-elle évoluer ?
C’est un classement et il peut évoluer avec l’augmentation du nombre de logements. Le logement social est aujourd’hui le seul recours pour qu’une famille puisse réussir à vivre normalement, à un tarif correct. Mais je ne désespère pas que le secteur privé revienne à un niveau normal de loyers. Cela permettrait aux classes moyennes de quitter le logement social pour opérer un basculement et laisser la place à ceux qui rentrent dans la vie active et qui ont des revenus plus faibles.

Quelles actions les politiques peuvent-ils mener pour améliorer la situation du logement ?
Le politique peut aider les bailleurs sociaux à accéder au foncier, et pas toujours dans la même zone géographique. Il faut arrêter de concentrer les logements sociaux sur les périphéries des communes. Le logement social doit être accessible à tous, quelle que soit la région. De son côté, l’office public de l’habitat joue son rôle à plein temps, il faut le saluer.

L’accès à un logement social ressemble à un parcours du combattant. Que faut-il savoir ?
Il faut bien faire attention à sa demande de logement social. Nombre de personnes estiment que leur demande est toujours en cours alors qu’elle n’existe plus. Il faut la renouveler tous les ans avant la date anniversaire de celle-ci. Il faut également savoir qu’il y a des logements qui sont réservés et qui n’appartiennent pas au bailleur social.
Certaines fois, des personnes tapent à la porte en disant « Ce logement est vide, je veux y rentrer » : ce n’est pas possible car ce logement est réservé par un organisme particulier et c’est lui qui doit désigner les personnes qui vont y entrer. L’estimation de la CNL, c’est qu’il reste moins d’un tiers des logements aux bailleurs sociaux en administration directe. Pour le reste, ce sont des instances comme la Capa, le conseil général, la préfecture, qui délivrent le logement.

La loi Alur* engage la mise en place d’un dispositif d’encadrement des loyers. Huit communes en Corse devraient en bénéficier. Pourquoi rien n’est encore en place ? 
Les décrets d’application ne sont pas tous sortis. C’est une volonté politique nationale. Nous appelons la préfecture à mettre en place un observatoire de loyers pour justement qu’il y ait cet encadrement.

Que permettrait cet encadrement des loyers ?
Il permettra aux locataires de se référer aux chiffres qui apparaissent dans les documents de cet observatoire, pour discuter. On reste dans le cadre d’une négociation et le prix sera fixé par le propriétaire en fonction d’une fourchette donnée. Il faudra cependant respecter le droit des uns et le droit des autres. Le propriétaire a le droit d’avoir une rentabilité sur son bien, le locataire a le droit de ne pas surpayer son loyer.

Une nouveauté : le contrat type de location. Est-il appliqué en Corse ?
Le contrat type de location est applicable par tous. Le préavis est réduit à un mois dans les zones tendues pour tous les locataires. Le propriétaire doit aussi respecter certaines contraintes, comme celle consistant à faire figurer le prix du loyer antérieur pour que le locataire en ait la connaissance.

*La loi Duflot Alur à pour objectif de réguler les dysfonctionnements du marché, à protéger les propriétaires et les locataires, et à permettre l'accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires.

Entre vétusté et opérations de réhabilitation, des verrues subsistent

Construite à la fin des années 60, cette résidence de Saint-Florent est dans un état déplorable et attend toujours d'être rénovée. Photo J.M.
« Il aura fallu près de trois mois pour obtenir la possibilité de voir l'éclairage rétabli dans certaines parties communes et halls d’immeubles »

Pour Jean-Charles Giovacchini, habitant des HLM de Saint-Antoine, à Bastia, la bataille « ne date pas d’hier ». L’énergique trentenaire est même devenu la bête noire de l’Office de l’habitat de la Haute-Corse, multipliant les démarches ponctuées de coups de gueule contre un quartier « laissé à l’abandon ».

A certains endroits, cet ensemble dont la construction remonte à une trentaine d’années évoque davantage une zone de conflit urbain qu’une résidence à loyer modéré : parkings dégradés, encombrants amoncelés, vétustés de certains halls d’immeuble, herbes folles envahissant les voies d’accès aux immeubles... Et la responsabilité des habitants 

« Vous plaisantez, s’indigne un occupant : cet endroit est tellement réputé qu’il est devenu la décharge des environs ».

D’autres exemples existent à travers l’île, jusque dans le rural ou à proximité d’agglomérations de moyenne importance. À l’entrée nord de Saint-Florent, au lieu dit Cisterninu, les immeubles HLM ont été créés il y a près d’un demi-siècle, à la fin des années 1960.

Gérée par l’office public de l’habitat (OPH) de la Haute-Corse, la résidence comporte une quarantaine de logements parmi les plus anciens du parc locatif du département, dont la moitié a été construite avant 1975.

Au regard de l’état de décrépitude et de délabrement des bâtiments, ou du moins de la façade extérieure, plusieurs fois dénoncé par l’association des locataires de l’office de l’habitat, la municipalité de Saint-Florent « a sensibilisé l’OPH, il y a plusieurs mois, sur l’urgence des travaux à réaliser sur cette résidence, notamment en termes d’isolation », explique le maire, Claudy Olmeta.

À ce titre, un programme de mise en conformité et de réhabilitation extérieure a été diligenté par les services de l’OPH et les travaux pourraient débuter dans les prochains mois. D’aucuns diront que ce n’est pas trop tôt...

Le parc HLM de l'Extrême-Sud poursuit son lifting

Il y a une quinzaine d'années, le quartier Pifano à Porto-Vecchio faisait peine à voir. Appartements vétustes, extérieurs mal entretenus, façades décrépies. 

À l’époque les habitants avaient exprimé leur ras-le-bol de voir leur cadre de vie laissé à l’abandon. Il aura fallu le temps, mais leurs revendications ont finalement été entendues puisque l’Office de l’habitat, en partenariat avec la commune, qui intervient notamment sur les espaces extérieurs, a lancé en 1999 une opération de réhabilitation globale de ce parc locatif HLM composé de 229 logements. 

Celle-ci comportait plusieurs phases de travaux qui se sont étalées sur près de quinze ans et doivent se poursuivre pour venir à bout des dernières « verrues ».

Cinq millions d’euros ont ainsi été injectés pour rénover les immeubles de Pifano I, dont la construction remonte à 1978. Une nouvelle phase de travaux, avec un volet énergétique significatif, est prévue dans le cadre du contrat de ville signé en juillet 2015, pour la période 2015-2020, ce qui devrait permettre de loger l’ensemble des habitants à la même enseigne.

Le rafraîchissement de Pifano II, construit en 1982, s’est achevé quant à lui en 2013. Montant de l’investissement : 3,5 millions d’euros. Les quarante-huit appartements de la Marine, situés sur le port, seront inscrits au programme cette année, avec deux tranches de travaux qui doivent débuter en mai pour une durée de vingt-et-un mois.

À Bonifacio, les parcs locatifs vieillissants de Brancuccio et de Monte Leone ont eux aussi subi, en 2010 et 2014, un sérieux lifting très attendu par les habitants, las de subir les infiltrations d’eau et inondations à chaque épisode d’intempérie.

Aujourd’hui l’Extrême-Sud se dote de nouveaux programmes de logements à vocation sociale, flambant neufs, notamment à Porto-Vecchio et Bonifacio, qui viennent compléter un parc réhabilité ou en voie de l’être.

Des opérations qui contribueront à combler le déficit criant qui a longtemps handicapé cette microrégion, où la précarité est galopante et les besoins forcément croissants.

Un marché du logement
en tension

Où logeront les habitants de la Corse d'ici quinze ans ? Une question cruciale alors que population et besoins augmentent

Donnée essentielle, longtemps parasitée par la question éminemment politique – voire idéologique – des résidences secondaires à laquelle elle est, il est vrai, en partie liée, la problématique du logement menace de bouleverser un équilibre social insulaire de plus en plus précaire.

En augmentation constante depuis près d'une dizaine d’années, la population résidente pourrait bien éprouver les plus grandes difficultés à se loger dans les années à venir, si l’on s’en tient du moins aux projections réalisées par les organismes spécialisés, au premier rang desquels l’Insee.

De complexes facteurs démographiques expliquent ce besoin naissant, et qui n’ira qu’en s’accroissant. D’après les estimations de l’Insee, en 2030, la Corse devrait compter 46 000 ménages de plus qu’en 2009.

« Une hausse, note l’institut, [qui] résulterait principalement de l’arrivée de nouveaux habitants sur le territoire mais aussi du vieillissement de la population » ainsi que d’une modification profonde des modes de cohabitation.

« Décohabitation et suroccupation »

En clair : le développement du veuvage, l'augmentation des divorces, des familles monoparentales, l’installation en couple plus tardive devrait accroître mécaniquement le nombre des ménages et, de facto, entraîner une hausse sensible des besoins. 

« Si les tendances se maintiennent et tout en tenant compte des caractéristiques et des mutations du parc de logements, explique l’Insee, il faudrait construire 70 000 nouveaux logements dans la région d’ ici 2030, soit 3 300 logements par an ».

40 000 concerneraient des résidences principales et 22 000 des résidences secondaires. Sur la base de ces mêmes chiffres, les zones les plus touchées seraient la Balagne, le Centre- Corse et la Plaine orientale, devant le Grand Ajaccio et le Grand Bastia.

La construction de nouveaux logements ne vise pas seulement à satisfaire une demande née de bouleversements sociaux d’ampleur. Parmi les préoccupations des pouvoirs publics – et des premiers intéressés – le phénomène de suroccupation actuel laisse également planer doutes et inquiétudes sur la question. 

Car la Corse n’échappe pas à un phénomène d’ampleur national dopé par la crise économique. Son taux de suroccupation* constaté en 2010 – 9,6% en Haute-Corse, 10,3% en Corse-du-Sud - est même supérieur au double de celui de la moyenne des provinces françaises (4,5%).

Si cette proportion a légèrement diminuée par rapport à 1999, elle reste d’autant plus préoccupante qu’elle témoigne de nets clivages sociaux et d’un creusement de l’écart entre les zones urbaines et rurales. 

« Du fait des tensions sur le marché immobilier liées à la rareté du foncier, expliquait l’Insee dans une note en septembre 2013, les grandes villes sont les premières touchées »

A Bastia, 17,6% des habitants sont concernés. A Ajaccio, ils ne sont « que » 14,5%. Et si le monde rural est moins impacté, le taux de suroccupation y est cependant encore supérieur à la moyenne constatées dans les autres régions du pays.

A ce déséquilibre des territoires vient s’ajouter un déséquilibre social puisque 1 ouvrier sur 5 est confronté au phénomène (et 14,7% des employés), tandis qu’il touche un peu plus de 5% des foyers de cadres et professions intellectuelles dites « supérieures ».

Ne quittez pas, nous allons donner suite...

Pour aplanir ces difficultés et anticiper, l'Office du foncier devait notamment fournir des outils d’aide à la décision, avec une vocation clairement affirmée : « Etendre [ses attributions] à l’ensemble des questions liées à l’urbanisme ».

Doté d’un budget de près de 25 millions d’euros, financé à parité par l’Etat et la la CTC, et par la taxe spéciale d’équipement, l’Office a bénéficié en octobre 2015 de la convention cadre du Plan exceptionnel d’investissement (PEI) relative à son financement, et de la convention annuelle d’application en faveur du logement social, paraphées par Christophe Mirmand, alors Préfet de Corse, Paul Giacobbi, le président du Conseil exécutif de l’époque et Maria Guidicelli, présidente de l’Office foncier de la Corse et de l’Agence d’aménagement durable de la Corse.

Sur les rails à l’époque, il paraît avoir été dissous depuis. Quels sont ses moyens ? Sa feuille de route ? Les actions déjà engagées ? Peut-il agir efficacement sur la crise du logement ? Impossible à ce sujet d’obtenir la moindre précision.

Après plusieurs appels, un agent de la Collectivité territoriale de la Corse admettait que « l’Office n’est pas vraiment tout à fait mis en place et n’a pas vraiment de locaux... » 

*Calculé exclusivement pour les ménages d’au moins deux personnes, le taux de suroccupation est appliqué par l’Insee aux logements auxquels il manque au moins une pièce par rapport à une norme définie ainsi : « Une pièce de séjour pour le ménage, une pièce pour chaque personne de référence d’une famille, une pièce pour les personnes hors famille non célibataires ou les célibataires de dix-neuf ans et plus ».

Valle di Rustinu, l'exemple pour repeupler le rural

Au milieu des années 1950, Valle di Rustinu comptait environ 500 habitants. Et puis l'exode rural est passé par là.

« Nous nous sommes rendus compte qu’en l’espace de huit ans, nous avions perdu 350 villageois. La population était tombée à 150. » 

Bien sûr, c’était il y a longtemps. Mais cet état de fait a alerté Pierre Pietri, maire du petit village du Rustinu. Et l’a poussé à se lancer dans un vaste de programme immobilier. Avec un seul objectif : repeupler Valle.

« La commune disposait d’un terrain de 6000 m², explique-t-il. En 2011, nous avons eu l’idée d’y construire des logements. Pour faire venir du monde, remettre de la vie. » 

Le dossier est monté en 2012 avec l’aide d’un architecte. « Le temps d’obtenir toutes les autorisations, tous les arrêtés, les travaux ont commencé à la fin de l’année 2014. » 

Dix-sept mois plus tard, trois nouvelles villas étaient sorties de terre. Avec les constructions que la mairie possédaient déjà – quatre villas, trois appartements et un studio – cela porte à onze le nombre de logements semi-sociaux présents sur le village. 

Et pour la municipalité, il n’y a que des avantages :
« En plus de ramener de la vie au village, développe Pierre Pietri, c’est un apport financier de plus pour la commune. »

Loyer attractif et sélection des dossiers

Les dernières villas comptent trois chambres, une superficie de 95 m² avec terrasse et jardin et « sont aux dernières normes pour l'accessibilité des personnes handicapées »

Deux ont déjà été attribuées, et pas à n’importe qui : « Le loyer est bas et attractif. Nous avons eu beaucoup de demandes et nous avons opéré une sélection. » 

Comme n’importe quel logement social, les candidats ont du fournir un certain nombre de pièces et justifier notamment, de revenus pas trop élevés : « La réglementation nous est imposée par la préfecture, il y a des barèmes à respecter et le loyer est réévalué par l’État une fois par an. »

Un boulanger ou un maçon et sa famille ont déjà posé leurs valises à Valle di Rustinu grâce à ce dispositif... 

Qui pourrait bien faire des petits : « Au recensement de l’Insee d’il y a quatre ans, nous étions 123 habitants. Aujourd’hui, nous en sommes à 139. Petit à petit, la commune reprend vie. Et nous avons encore la possibilité de construire une maison. C’est un projet que nous avons en tête. Peut-être que nous relancerons un nouveau dossier en 2018. »

Un repeuplement qui devrait avoir des effets collatéraux bénéfiques. L’école de Ponte-Novu qui accueille les enfants de Valle verra ainsi son effectif augmenté. 

« Et nous avons remis en état le restaurant communal, conclut Pierre Pietri, dont nous avons fait un multi- service. La mairie y a investi 90 000 euros et l’établissement, confié en gestion à un couple de restaurateur, ouvrira le 15 mai. »

Fermé depuis cinq mois et ouvert seulement en saison depuis peu, l’endroit pourra accueillir une soixantaine de couverts. Ça aussi, ça empêche un village de mourir.