Commando Erignac

Ils parlent 

Après 17 ans de rĂ©clusion , ils ouvrent le livre de l'assassinat du prĂ©fet et de ses consĂ©quences 

Pierre Alessandri ( Droite ) et Alain Ferrandi ( Gauche )

Pierre Alessandri et Alain Ferrandi deux des membres du commando qui a abattu le préfet Erignac, le 6 février 1998, condamnés en 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat, parlent pour la première fois depuis 17 ans. Sans détour, ils évoquent leur parcours militant, la création du groupe clandestin, les raisons de l'assassinat du préfet et ses conséquences. Depuis leurs cellules de la prison de Poissy où Corse-Matin les a rencontrés, ils partagent leur analyse de la situation politique actuelle, de la question des « prisonniers politiques » et assurent n’avoir « jamais demandé l’amnistie »

Une partie des membres du Commando Erignac

Pourquoi avoir accepté de parler aujourd'hui ?

Pierre Alessandri : J’ai toujours eu conscience qu’il fallait que je m’exprime sur mon parcours et sur mon engagement, au delĂ  des explications que j’ai pu partager avec ma famille et mes proches. Après 17 ans d’incarcĂ©ration et des conditions de dĂ©tention qui se dĂ©gradent, le rejet de toutes mes demandes de retrait du statut de DPS (dĂ©tenu particulièrement surveillĂ©) et de rapprochement Ă  Borgo, j’ai le sentiment qu’il est temps. Les dĂ©cès successifs de mon fils et de ma mère ont Ă©galement influencĂ© et certainement accĂ©lĂ©rĂ© cette volontĂ© de communication. 

Alain Ferrandi : En 17 ans, nous n’avons que peu communiquĂ© et nous le faisons aujourd’hui d’autant plus librement que nous demeurons des prisonniers politiques indĂ©pendants. Notre objectif n’est pas d’intervenir dans la campagne des territoriales, une Ă©lection de plus. Ă€ croire que seules les Ă©lections rythment la vie politique de l’île. 

Comment la constitution de votre groupe s’est-elle opĂ©rĂ©e ? 

P. A. et A. F. :C’était la suite logique de notre engagement. Nous voulions participer Ă  une lutte de libĂ©ration nationale, c’était un sentiment très fort. Ce sentiment n’était pas partagĂ© par tout le monde, certains nous avaient tournĂ© le dos. Nous avions choisi de nous concentrer sur le message politico-militaire. C’était un moyen, Ă  nos yeux, de revenir aux fondamentaux de notre lutte. 

Comment avez-vous dĂ©cidĂ© des cibles et d’un mode d’action si radical ? 

P. A. et A. F. : C’était le mode d’action qui avait été choisi par le Front, le fer de lance de la lutte du peuple corse. Même si la violence politique n’a jamais été pour nous une fi n en soi, nous étions des hommes sociale- ment intégrés, nous pensions qu’elle était aussi un moyen de faire barrage à l’émergence d’une dérive mafieuse qui avait investi le circuit politique et économique. « L’arrestation d’Yvan Colonna en plein procès a achevé de brouiller un message politique déjà occulté par les débats. »Il y a d'abord eu l’attaque de la gendarme- rie de Pietrosella en septembre 1997. L’idée était, dans un premier temps, de rompre avec les mitraillages stériles perpétrés contre les forces d’occupation. Nous voulions passer un cap, élaborer une action plus structurée. Le message que nous voulions faire passer était que la lutte pouvait être plurielle et n’était l’apanage d’une structure mythique.

L'autre partie des membres du Commando Erignac

Quel impact a eu l'attaque de Pietrosella ?

P. A. et A. F. : Nous pensions qu’une action d’éclat contre la gendarmerie Ă©tait de nature Ă  faire bouger les lignes. Nous avions la volontĂ© d’assainir le mouvement national. Nous avons cependant Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă  la fois Ă  une ab- sence de rĂ©action et Ă  une confusion politique après l’attaque de Pietrosella. Il y a eu des rĂ©cupĂ©rations opportunistes, nous n’avions pas prĂ©vu que notre action allait ĂŞtre dĂ©naturĂ©e par des revendications fantaisistes Ă©manant de plusieurs groupes. Pourquoi viser le prĂ©fet Erignac ? 

P. A. et A. F. : Cela ne s’est pas dĂ©cidĂ© du jour au lendemain, nous avions envisagĂ© d’autres actions. On nous a baptisĂ©s Ă  tort « les anonymes », mais nous ne voulions pas de sigle. Parce que nous ne voulions pas crĂ©er de nouvelle structure. Le but Ă©tait justement de secouer les structures et de s’extraire de la lutte fratricide, on n’arrĂŞtait pas de porter les cercueils des nĂ´tres. Après l’attaque de Pietrosella, le message a Ă©tĂ© brouillĂ© parce que certains se sont attribuĂ©s la paternitĂ© de l’action. Nous avons donc dĂ©cidĂ© collectivement de passer Ă  un degrĂ© supĂ©rieur, de se recentrer sur une action d’envergure. De prendre l’État pour cible et le plus haut reprĂ©sentant de l’État, c’était le prĂ©fet. Nous avons fait le choix d’une action que personne n’aurait revendiquĂ©e Ă  notre place. 

Cette dĂ©cision, comment l’analysez-vous aujourd’hui ? 

P. A. et A. F. : Nous étions dans une bulle, dans un processus logique d’engagement. C’était le mode de fonction- nement : déterminer des objectifs de lutte de libération nationale. Dans cette logique, on faisait abstraction de la personne. Celle du préfet, que nous visions en tant que symbole, mais aussi de nous-mêmes. Si nous avions pensé une seule seconde à nos familles, nous n'aurions pas pu le faire. Nous étions persuadés que cette action serait déterminante pour refonder le mouvement national. Cela a échoué.

Théâtre Le Kallisté Ajaccio

Vous vouliez dĂ©livrer un Ă©lectrochoc, passer un message. A-t-il Ă©tĂ© entendu ? 

P. A. et A. F. : Les deux tracts de revendication qui ont suivi nos actions n’ont pas eu le retentissement espĂ©rĂ©. Nous avons dĂ» constater que nous avions franchi un cap dans la lutte qui n’avait pas Ă©tĂ© compris par la population et n’avait pas reçu le soutien de la base militante. Bien entendu, on peut faire le triste constat que notre dĂ©termination n’a pas eu l’effet escomptĂ©. 

Votre geste n’a pas Ă©tĂ© compris ni soutenu, en premier lieu dans les rangs du mouvement nationaliste, pourquoi ? 

P. A. et A. F. : Sans doute, nous sommes-nous laissĂ©s emporter par notre Ă©lan et par l’idĂ©e qu’une refonte du mouvement national sur des bases saines Ă©tait encore possible. Nous avons beaucoup rĂŞvĂ© de lutte de libĂ©ration nationale. La Corse, les Corses, les nationalistes n’étaient pas prĂŞts Ă  engager un rapport de force rĂ©el. C’était notre sentiment Ă  l’époque. 

Aujourd’hui, il ne reste plus grand chose. Jean-Guy Talamoni a eu cette phrase : « Je condamne l’acte, mais pas ses auteurs », comment l’interprĂ©tez vous ? 

P. A. et A. F. : Sans doute la rĂ©pression tous azimuts de l’époque et les choix stratĂ©giques du mouvement l’ont conduit Ă  un manque de clairvoyance. Nos actions s’inscrivaient pourtant dans le cadre de la lutte clandestine. 

Pareillement, au lendemain de l’assassinat du préfet, Charles Pieri a dénoncé dans la presse une « dérive brigadiste », qu’en pensez-vous ?

P. A. et A. F. : Il serait intéressant d’interroger l’auteur de ces propos pour connaître le fond . C'est assez malvenu de la part d'un dirigeant nationaliste qui a toujours apporté son soutien à la lutte clandestine que de qualifier nos actes de dérive brigadiste. Cette condamnation ne présageait-elle pas le repositionnement politique de certains dirigeants ?

Votre procès de 2003 aurait pu être l'occasion d’expliquer votre geste et la portée politique que vous revendiquiez. Il n’en a rien été, pour- quoi ?

P. A. : Il est clair que nous n’étions pas prêts à affronter un tel procès. Trois affaires pour un même procès, un mois et demi d’audience. Fallait-il faire un procès de rupture et se contenter d’une déclaration politique ? Je le pense. Avec le recul, on se dit qu’il aurait été souhaitable que notre défense s’organise autour de notre engagement et de ce qui nous avait conduit à accomplir cet acte politique. A chaque fois qu’il y a eu une tentative d’explication politique, on nous a opposé les faits. Or, s’il est vrai que nous avons tué un homme, nous avons tué un symbole politique. C’était impossible à expliquer à l’audience, nous étions confrontés à une famille dans la douleur, qui ne voulait pas entendre ce que nous avions à dire

A. F : Notre procès s’est déroulé dans un contexte très particulier, par sa longueur, par la multiplicité des affaires et des personnes qui y étaient jugées. Nos avocats n’ont pas pris la mesure de notre engagement et se sont laissé piéger par le président du tribunal qui avait pour mission de nier notre engagement poli- tique. Lequel s’est appliqué à brouiller notre message en restant arc bouté sur les faits, en hiérarchisant les responsabilités. Nous n’avons pas eu la clairvoyance d’inverser notre système de défense. Parce que sur le banc des accusés, il y avait onze personnes et que nous étions seulement cinq à revendiquer des actions politiques. Nous n’avons pas voulu gêner les intérêts divergents de la défense...

Yvan Colonna 

L'arrestation d'Yvan Colonna à quelques jours du verdict a-t-elle changé la donne ?

A. F. : L'arrestation d’Yvan Colonna en plein procès a achevĂ© de brouiller le message politique dĂ©jĂ  occultĂ© par la nature des dĂ©bats. Le fond a Ă©tĂ© complètement occultĂ© et l’ensemble des mĂ©dias a laissĂ© libre cours Ă  son fantasme du berger innocent, presque un personnage de MĂ©rimĂ©e. 

Yvan Colonna est devenu une icĂ´ne, on ne prononce plus vos noms, pourquoi?

P. A. : Je n’ai jamais idéalisé ni les hommes, ni les événements historiques, je n’ai donc pas compris cette glorification du « machjaghjolu ». Si la médiatisation a pu faire le jeu de certains médias à sensation, dans le cadre de notre affaire, cela a été préjudiciable. L’exposition a occulté l’analyse de fond et cette médiatisation nous est opposée à chacune de nos de- mandes de rapprochement, de permission ou de retrait de nos statuts de DPS.

 A. F : Nous n’avons pas entrepris une telle action pour satisfaire nos ego. Pour nous, il n’y a pas de martyr dans la lutte du peuple corse. Après, on peut comprendre que le soutien populaire ait pu, Ă  ce moment lĂ , se tourner vers quelqu’un qui est prĂ©sumĂ© innocent. 

Alain Ferrandi, au deuxième procès d’Yvan Colonna, vous avez eu cette phrase à l’adresse de l’accusé, qui a été très commentée et dont on a dit qu’elle avait fait basculer l’audience : « Je sais que tu es un homme d’honneur et que si tu avais participé à cette action , tu l'aurais revendiquée . Par conséquent , je confirme tu ne faisais pas partie du groupe . Que vouliez vous dire ?

A.F : Je ne tiens pas à m'exprimer sur des propos qui s’adressaient exclusivement à Yvan.

Hommage au préfet Erignac

Avez-vous le sentiment que votre combat vous a Ă©chappĂ© ? 

P. A. et A. F. : Notre combat, non, parce que notre engagement, on l'a défini nous-même. En revanche, le message que l’on voulait faire passer à travers nos revendications s’est dilué dans le temps et a perdu de son sens.

Regrettez-vous votre geste ?

P. A. : Il arrive souvent, au moment du dĂ©pĂ´t des dossiers de demande de libĂ©ration conditionnelle, que l'on demande au dĂ©tenu s’il souhaite exprimer des regrets sur son acte. Si l’on dit oui, les regrets peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme non sincères et exprimĂ©s pour la circonstance. En rĂ©pondant par la nĂ©gative, on prend le risque d’apparaĂ®tre comme un dĂ©tenu qui n’a pas fait son examen de conscience. Dans tous les cas, la rĂ©ponse est utilisĂ©e pour justifier de l’efficacitĂ© du système carcĂ©ral. C’est la raison pour laquelle je pense que les regrets doivent s’exprimer humainement, auprès des familles des victimes, voire de nos propres familles. Les regrets n’ont rien Ă  faire dans une dĂ©cision de justice et en ce qui me concerne je ne souhaite pas en faire part dans les mĂ©dias . Concernant mes actes eux-mĂŞmes, j’ai bien sĂ»r fait une analyse des consĂ©quences humaines de la mort du prĂ©fet Erignac. Je fais l’amer constat de l’échec politique. Je ne renie pas mes convictions politiques mais je ne referais pas les mĂŞmes choix. 

A.F. : Nous avons assumĂ© nos actions et notre engagement. Nous sommes conscients du drame que nous avons fait subir Ă  la famille Erignac mais il serait maladroit aujourd'hui de nous renier pour faire bonne figure. Après, je suis un ĂŞtre humain, je peux comprendre que la femme et les enfants du prĂ©fet Erignac puissent nourrir une haine fĂ©roce Ă  notre Ă©gard. Il n’en reste pas moins que ce que nous voulions atteindre, c’est l’État et seulement l’État. Pas un homme. 

Y aurait-il un sens Ă  tuer un prĂ©fet aujourd’hui ? 

P. A. : Avec le recul et l’analyse que nous faisons aujourd’hui de ce qu’il s’est passĂ©, cela ne serait Ă©videmment pas Ă  refaire. 

A.F. : Non, je ne crois pas. On peut ĂŞtre des prĂ©curseurs, mais sans volontĂ© populaire, c’est vouĂ© Ă  l’échec. Les conditions ne sont pas rĂ©unies pour aller au bout d’une lutte de libĂ©ration nationale. C’est presque devenu une idĂ©e surannĂ©e. 

Militerez-vous lorsque vous sortirez ? 

P. A. et A. F. : Nous pensons que la question est prĂ©maturĂ©e car nous ne connaissons pas la date de notre libĂ©ration. Il faut savoir Ă©galement que pour des condamnations Ă  perpĂ©tuitĂ©, les rĂ©gimes de semi libertĂ© et de libertĂ© conditionnelle peuvent ĂŞtre accompagnĂ©es d’interdictions diverses (interdiction de sĂ©jour, de communication, de rĂ©union). Cette question est donc liĂ©e Ă  l’endroit oĂą seront dĂ©posĂ©es nos demandes de libĂ©ration conditionnelle et rend impĂ©ratif notre rapprochement en Corse. 

P. A. : Il est clair, en ce qui me concerne, que je ne redeviendrai pas un militant actif au sein d’une structure, qu’elle soit politique ou syndicale. Il ne faut pas y voir l’abandon de mes convictions mais j’ai commencĂ© ma vie militante en dehors de toute structure, avec mon cĹ“ur et mes tripes. Mon premier engagement a Ă©tĂ© de faire le choix de m’installer comme agriculteur pour exploiter une distillerie de plantes aromatiques en famille, avec toutes les difficultĂ©s que cela impliquait Ă  l’époque. Aujourd’hui, ironie du sort, j’envisage de reprendre, en famille, cette exploitation mise en sommeil pendant des annĂ©es. Et que mon fils Antone, malheureusement disparu trop tĂ´t, avait en projet de relancer. 

A. F. : Notre histoire est finie, nous approchons la soixantaine et notre souhait le plus cher est de retrouver notre terre, nos familles, nos amis et de vivre simple- ment. Nous n’avons pas la prétention de nous distinguer dans le paysage politique insulaire. Ni l’énergie de revivre un militantisme qui a été douloureux. Pour nous, c’est la fin d’un cycle.

Reconstitution de l'assassina du Préfet Erignac

Que pensez-vous de la reprĂ©sentation des forces nationalistes aux prochaines Ă©lections ? 

A. F. : On a le sentiment que la lutte institutionnelle est devenue le seul chemin de lutte. Le mouvement national n'a presque plus de relais sur le terrain associatif, syndical. Au fil du temps, on constate que dĂ©cision a Ă©tĂ© prise de dĂ©lĂ©guer tous les pouvoirs et l’organisation de la lutte aux seuls Ă©lus de la collectivitĂ© territoriale. Le mouvement de base est devenu une coquille vide, dĂ©pourvue de ses militants. Le dĂ©placement de la lutte vers l’action institutionnelle a dĂ©possĂ©dĂ© les structures militantes de leur engagement politique et de leur volontĂ© d’émancipation. Il est impossible, dans ces conditions, de fĂ©dĂ©rer le soutien populaire. On a pu le vĂ©rifier sur le terrain, la mobilisation en faveur des dĂ©cisions votĂ©es Ă  l’AssemblĂ©e de Corse n’a pas Ă©tĂ© portĂ©e par un Ă©lan populaire. 

P. A. : le mouvement s’est construit dans la critique du système clanique. Je ne suis pas contre le principe de l’élection, mais force est de constater qu’il a pris toute la place. Pourquoi les nationalistes se sont-ils prĂ©sentĂ©s aux Ă©lections du conseil dĂ©partemental alors que l’on en critique l’existence mĂŞme ? Pourquoi des Ă©lus nationalistes se sont-ils prĂ©sentĂ©s Ă  des Ă©lections sĂ©natoriales ? La photographie politique est figĂ©e, alors que cela fait 40 ans que l’on se bat pour en sortir. Pourtant, on pourrait vous opposer que grâce Ă  cela, les idĂ©es nationalistes avancent. L’assemblĂ©e Ă  votĂ© l’inscription de la Corse dans la Constitution, le statut de rĂ©sident, la cooficialitĂ©... 

P. A. : Elles avancent mais pour aller oĂą ? Au pied du mur, j’ai envie de dire. On ne cesse de rĂ©pĂ©ter « nos idĂ©es avancent ». Cela me fait penser Ă  une vieille rengaine qu’on chantonne en ayant oubliĂ© les paroles et la signification de la chanson. Je ne serais absolument pas surpris que les mĂŞmes qui ont adoptĂ© ces amendements retournent leurs vestes et se renient dans le futur. A. F. : Si vous voulez un exemple, prenez le Padduc, qui en soi n’est dĂ©jĂ  pas la panacĂ©e. Combien d’élus en respecteront la philosophie ? Combien de plans locaux d’urbanisme sont dĂ©jĂ  devant le tribunal administratif ? On dit que nos idĂ©es avancent mais c’est faux : le bilinguisme recule, la colonisation de peuplement est flagrante, l’agriculture est moribonde. 

Il y a un an et demi, le FLNC annonçait entamer un processus de dĂ©militarisation sans aucune contrepartie, comment analysez-vous cette dĂ©cision ? 

A. F. : On peut comprendre, compte tenu du contexte international, qu'il soit difficile de justifier la violence politique. Elle est aujourd’hui captée par le terrorisme islamique et dans ce sens cela peut brouiller le message.

 P. A. : La structure clandestine est un moyen de lutte, pas une fin en soi. L’abandon de la lutte armĂ©e aurait dĂ» intervenir bien plus tĂ´t, il aurait fallu faire une pause, redĂ©finir les fondements et les moyens de lutte. Bien des choses expliquent l’essoufflement de la structure clandestine : une incapacitĂ© structurelle Ă  juguler les dĂ©rives affairistes de certains militants et rendent le message politique illisible, le coĂ»t de l’investissement des militants qui se compte en annĂ©es de prison, entre autres. Le processus de dĂ©militarisation arrive en bout de course, Ă  cause d’un essoufflement humain et d’une perte de crĂ©dibilitĂ© des structures. 

A. F. :Le dĂ©pĂ´t des armes est la fin d’un processus entamĂ© depuis fort longtemps. Il a commencĂ© par des erreurs stratĂ©giques successives et des choix opĂ©rationnels alambiquĂ©s. Par exemple, on n’a jamais enrayĂ© la spĂ©culation immobilière. Cavallo est toujours l’île aux milliardaires, l’ExtrĂŞme-Sud et la Balagne sont toujours gangrenĂ©es par la spĂ©culation immobilière. Et d’ailleurs, l’annonce du FLNC n’a interpellĂ© que les locaux. L’État n’en a absolument pas fait cas, c’est presque considĂ©rĂ© comme un Ă©vĂ©nement anodin. Le dĂ©pĂ´t des armes n’a Ă©tĂ© saluĂ© que par le mouvement lui-mĂŞme. 

P. A. : C’est restĂ© une problĂ©matique corsocorse, comme tout le reste 

Vous ĂŞtes incarcĂ©rĂ©s depuis 17 ans, depuis vos cellules, quel regard portez-vous sur la sociĂ©tĂ© corse ? 

A. F. : Beaucoup de choses ont changé depuis notre incarcération. Le phénomène de la drogue par exemple, à notre époque, c’était inimaginable. On laisse le terrain aux bandes organisées mafieuses. On a l’impression d’assister à l’installation d’un système pré mafieux : le marché de la drogue qui s’étend, la lutte pour mettre la main sur les marchés publics, l’influence de la criminalité organisée sur l’économie. Du fond de nos cellules, on a l’impression que beaucoup de choses ont changé et pas en bien.

 P. A. : On a sincèrement cru que nous pouvions ĂŞtre Ă©pargnĂ©s par tout cela. Il y a trente ans, les jeunes voulaient travailler. L'usage de la drogue Ă©tait un tabou. Aujourd’hui, il est tombĂ© et toutes les famille corses sont concernĂ©es. Une jeunesse qui se drogue, c’est une jeunesse qui ne revendique plus rien. 

P. A. et A. F.: Le mouvement national avait investi le terrain culturel et associatif, il constituait un rempart contre ces maux que l’on retrouve dans le monde entier. Ce qui est sĂ»r, c’est que cela traduit un mal-ĂŞtre certain de la jeunesse. 

La jeunesse corse a-t-elle encore un avenir ? 

P. A. : Je ne suis pas le mieux placĂ© pour donner des conseils et faire la morale Ă  qui que ce soit. Je pense que l’expĂ©rience n’est pas transmissible. Moi-mĂŞme, je n’ai pas Ă©coutĂ© les mises en garde de mon père au dĂ©but de mon engagement dans le militantisme.  J'estime en revanche avoir un devoir envers ces jeunes militants dont auraient pu faire partie mes enfants. Un devoir de tĂ©moignage sur un Ă©vĂ©nement qui a marquĂ© l’ensemble de la sociĂ©tĂ© corse. Je veux leur dire aussi de ne pas renoncer Ă  la dĂ©fense de leur terre, de leur culture .

A. F. : Il y a quand même un réel espoir. Il y a plusieurs thématiques qui peuvent faire l’objet d’une lutte de la part de la jeunesse : l’environnement, la langue, la culture. L’expérience n’est pas transmissible et c’est dommage. Il serait regrettable qu’ils reproduisent les mêmes schémas que les nôtres, ce n’est pas la bonne manière d’entamer une réelle émancipation. Je crois qu’on peut l’éviter et qu’il y a encore de la place pour une lutte idéologique.

Escorte d'un des membres du Commando Erignac

                                          Les idĂ©es avant les hommes .

Les nombreuses élections organisées dans l'île font-elles, selon vous, partie du problème ?

 A. F. : La vie politique insulaire est rythmĂ©e par les diffĂ©rentes Ă©lections. Il n’y a plus que ça qui nourrisse la conscience politique de ce pays. Le clan n’a pas besoin de militants mais d’électeurs. Il semblerait que l’on prenne le mĂŞme chemin. Or, l’émancipation se construit par le tissu syndical, le tissu associatif. Le fond du problème c’est que l’on a transformĂ© les militants en Ă©lecteurs. Et les nationalistes comme les autres se mettent Ă  gĂ©rer une base d’électeurs au lieu d’être portĂ©s par leurs militants. Les mouvements nationalistes sont devenus des partis qui, comme les autres, cherchent un Ă©lectorat. 

P. A. : Par exemple, on a beaucoup dit que la collectivité unique était un projet nationaliste, mais avant de mettre en place une institution aux contours bien mal définis, il aurait fallu faire une pause institutionnelle. Rechercher une cohérence nationale sur des thèmes consensuels qui pourraient réunir l’ensemble des forces. Bref, mettre les idées avant les hommes... En l’état, sans cadre défi ni, c’est un peu comme si on nous avait donné un hochet pour nous amuser. Au delà du résultat comptable, on constate qu’il y a une course à la liste, une course à la place sur la liste. On noue et on dénoue les alliances à chaque mandature dont certaines sont contre nature. Au lieu d’émanciper, on aliène en plaçant les hommes au dessus des idées.

Couloir de la Centrale de Clairvaux

Croyez-vous au projet d'amnistie pour les «prisonniers politiques corses » ?

P. A. et A. F. : Nous ne sommes pas contre l’amnistie, mais soyons honnĂŞtes, nous ne l’avons jamais demandĂ©e. A la veille d’échĂ©ances Ă©lectorales et de façon rĂ©currente, l’amnistie des prisonniers est rĂ©clamĂ©e par le mouvement national et prĂ©sentĂ©e comme faisant partie de la rĂ©solution de la problĂ©matique insulaire. Certes, aujourd’hui, cette proposition est portĂ©e par une majoritĂ© d’élus de la CTC et relayĂ©e par nombre de conseillers municipaux. Elle reste cependant Ă  l’état de souhait, sans faire l’objet de discussions clairement dĂ©fi nies avec l’État. On s’interroge sur les rĂ©elles motivations des nationalistes et des autres Ă©lus de la CTC et sur l’opportunitĂ© de demander l’amnistie alors mĂŞme que le rapprochement nous est systĂ©matiquement refusĂ©. 

Pensez-vous que les crimes de sang devraient être exclus du processus d’amnistie ?

P. A. et A. F. : Nous avons alertĂ© les diffĂ©rents protagonistes qui ont rencontrĂ© la ministre de la Justice que nous n’étions pas demandeurs de l’amnistie. En tant que membres du commando Erignac, notre situation ne doit pas faire obstacle Ă  une mesure d’apaisement gĂ©nĂ©ralisĂ©e et d’ailleurs non encore nĂ©gociĂ©e. Nous sommes conscients que notre cas pourrait susciter un blocage et une dĂ©sapprobation Ă  diffĂ©rents niveaux. 

Vous ĂŞtes donc plutĂ´t favorables Ă  une mesure de rapprochement qu’à une amnistie ? 

P. A. et A. F. : En ce qui nous concerne, nous avons sollicitĂ© notre transfert Ă  Borgu afin de prĂ©parer dans les meilleures conditions possibles notre rĂ©intĂ©gration au tissu Ă©conomique et social insulaire. En mai 2017 ,ce sera la fi n de la pĂ©riode de 18 ans de sĂ»retĂ© Ă  laquelle nous avons Ă©tĂ© condamnĂ©s, nous serons accessibles Ă  une libĂ©ration conditionnelle. Ce transfert nous a Ă©tĂ© refusĂ© Ă  de nombreuses reprises. Il y a quelque chose d’assez cocasse Ă  ĂŞtre dĂ©clarĂ© persona non grata sur sa propre terre. Nous posons la question : ne serait-il pas plus judicieux de demander notre rapprochement Ă  Borgu, voire Ă  Casabianda qui pourrait ĂŞtre un sas avant la rĂ©intĂ©gration Ă  la sociĂ©tĂ©, plutĂ´t que de bloquer la situation en rĂ©clamant l’amnistie ? 

Pensez-vous que la mobilisation pour le rapprochement n’est pas suffisante ? 

P. A. et A. F. :Cela fait 17 ans qu’on entend « prighjuneri in Borgu ! » et nous sommes toujours lĂ . Il y a une utilisation du problème des prisonniers politiques. Et on fait le grand Ă©cart : il y a quelques mois, le rapprochement des prisonniers Ă©tait un « prĂ©alable Ă  toute discussion », aujourd’hui on a le sentiment que c’est devenu le sous problème d’une discussion de commission. On a l’impression que la question des prisonniers politiques est le seul vecteur qui permet aux mouve- ments nationalistes de se diffĂ©rencier entre eux. Et pendant ce temps, on laisse croire Ă  la base militante que c’est un vrai sujet. Quel a Ă©tĂ© votre parcours en dĂ©tention ? 

A. F. : Il faut un gros caractère, une force morale et un Ă©quilibre pour rĂ©sister Ă  l’épreuve de la dĂ©tention. Bien sĂ»r, nous sommes privilĂ©giĂ©s car nous avons le soutien de nos amis et de nos familles, mais c’est très difficile pour tout le monde, sur la durĂ©e. Notre parcours en dĂ©tention a Ă©tĂ© long et difficile, coĂ»teux pour nos familles. Nos proches et nos amis ont continuĂ© de nous soutenir, au prix d'un effort constant. Nous souhaitons Ă  prĂ©sent rentrer chez nous après une longue pĂ©riode d’exil qui a marquĂ© nos vies. 

P. A. : A la condamnation criminelle Ă  perpĂ©tuitĂ©, s’ajoutent des conditions diffi ciles : la promiscuitĂ© avec une population carcĂ©rale Ă  laquelle nous ne ressem- blons pas, l’éloignement des siens. J’ai fait le calcul : en 17 ans, j’ai passĂ© 30 minutes avec ma mère. Et, en cumulĂ©, trois mois de vie avec mon fils. Après 17 ans, nous arrivons Ă  saturation. Ce n’est pas pour rien que dans les pays nordiques les condamnations excèdent rarement les quinze annĂ©es de rĂ©clusion. Au bout de quinze ans, l’homme est rĂ©cupĂ©rable, après... 

Alain Ferrandi, vous avez Ă©tĂ© victime d’une agression en prison en 20005, pourquoi ? 

A. F. : J’ai Ă©tĂ© victime d’une agression Ă  Clairvaux dans la cour de promenade, ce sont des choses qui arrivent en prison, c’est un milieu violent. Ce genre d’agression peut arriver Ă  tous les dĂ©tenus. 

Vos demandes de transfert au centre de dĂ©tention de Borgo ont toujours Ă©tĂ© refusĂ©es, pourquoi ? 

P. A. et A. F. : Nous avons essuyĂ© une fin de non recevoir au prĂ©texte que nous n’avions pas le profil et que nous figurions au rĂ©pertoire national des dĂ©tenus particulièrement surveillĂ©s (DPS). A chacune de nos demandes, on nous oppose toujours les mĂŞmes « on ne nous a pas dit au revoir en partant » arguments : l’inscription au rĂ©pertoire DPS, la fin de la pĂ©riode de sĂ»retĂ© encore trop Ă©loignĂ©e, les risques de troubles Ă  l’ordre public et le risque d’une Ă©vasion et le fort retentissement mĂ©diatique. Autant d’arguments que nous jugeons fallacieux et qui sont contraires aux principes du droit. 

Dans le commando Erignac, vous avez des rĂ´les particuliers : Pierre Alessandri, vous vous ĂŞtes accusĂ© d’être celui qui a tirĂ© sur le prĂ©fet, Alain Ferrandi, vous ĂŞtes prĂ©sentĂ© comme le leader. Pensez-vous pour cette raison ĂŞtre des dĂ©tenus au statut particulier ? 

A. F. : On peut effectivement se poser la question s’il y a une attitude particulière de l’Etat Ă  notre Ă©gard. Mais alors pourquoi n’y-a-t-il pas de statut de prisonnier politique ? Et pourquoi certains parlent-ils d’amnistie ? 

P. A. : On aspire Ă  un rapprochement et Ă  avoir des rĂ©ponses. C’est Ă  portĂ©e de main, il suffirait d’un geste pour nous soulager nous et nos familles. En suivant la stricte application de la loi. A moins qu’il n’y ait une volontĂ© de vengeance de la part de l’État. Auquel cas il faut le dire. Si nos demandes de rapprochement sont inutiles, il faut le dire. 

A vous entendre, on comprend que vous ĂŞtes prĂŞts Ă  retrouver la sociĂ©tĂ©. Mais l’inverse est-il vrai ? 

A. F. : Nous sommes prĂŞts. Certains membres du commando sont sortis avant nous et se sont parfaitement rĂ©insĂ©rĂ©s. Mais on nous oppose encore et toujours que nous n’avons pas le profil pour le centre de dĂ©tention de Borgo. Et encore moins pour celui de Casabianda, Ă  cause des risques d’évasion. Casabianda c’est un tabou pour les Corses. Mais il faudrait ĂŞtre fou pour s’évader de Casabianda pour aller au village... 

                                         Carences et contradictions

Quelle est votre position en ce qui concerne la liste des « prisonniers politiques » dressée par l'associu Sulidarità ?

A. F.: En 2004, depuis la maison centrale de Clairvaux, j’avais tentĂ© d’interpeller le mouvement national dans toutes ses composantes. Je pensais qu’une introspection Ă©tait nĂ©cessaire, qu’il fallait pointer du doigt les carences du mouvement et ses contradictions qui, encore une fois, brouillaient le message politique. A l’époque je ciblais Ă©galement le renouvellement des pratiques et des hommes, qui me semblait indispensable. On m’a opposĂ© une fin de non recevoir, j’ai donc dĂ©cidĂ© de quitter la liste des prisonniers du Car (comitĂ© anti-rĂ©pression) et je m’en suis expliquĂ© en publiant une tribune dans Corse-Matin. 

P. A. : Ce n’est un secret pour personne : aujourd’hui encore, je ne partage pas les orientations stratégiques du mouvement national. Tout comme l’ensemble du mouvement national n’a jamais cautionné les actes qui m’ont amené à être condamné. Je n’ai jamais fait de ces divergences un obstacle à mon inscription à la liste des prisonniers politiques et à l’associu Sulidarità. Je les remercie d’ailleurs pour le soutien qu’ils apportent aux familles de prisonniers. Je pense cependant qu’une association de soutien aux prisonniers ne devrait pas appartenir à un mouvement politique, mais être indépendante. La question de ma présence sur la liste ne s’est pour l’instant jamais posée de leur côté.




Qu’est ce qui a motivé votre engagement en politique ?

A. F. : Je suis nĂ© en 1960 Ă  Bastia et comme de nombreux jeunes de ma gĂ©nĂ©ration, j’ai Ă©tĂ© marquĂ© par les Ă©vĂ©nements d’Aleria et la crĂ©ation du FLNC en 1976 . A l'Ă©poque, je participais Ă  mes premières manifestations. J’avais le sentiment de prendre part Ă  une prise de conscience collective, celle de la nĂ©cessitĂ© de faire revivre notre langue et notre culture. La jeunesse d’alors Ă©tait très diffĂ©rente de celle d’aujourd’hui, c’était l’époque de la veste en velours l’hiver et du bleu de Chine l’étĂ©, pour caricaturer. Nous avions le sentiment qu’il fallait s’opposer au clan traditionnel, c’était pour nous le cancer de l’île et l’obstacle principal Ă  une Corse Ă©mancipĂ©e et gĂ©nĂ©reuse. J’ai eu ensuite un cheminement classique : le soutien au FLNC et aux diffĂ©rentes structures politiques de l’époque. Je me suis Ă©galement engagĂ© dans le combat syndical au sein du monde agricole, qui Ă  mon sens a Ă©tĂ© aussi un accĂ©lĂ©rateur de conscience. Une terre qui ne produit pas ne peut pas prĂ©tendre Ă  l’indĂ©pendance. J’ai vĂ©cu des moments intenses dans la dĂ©fense de l’agriculture insulaire. Pour Pierre comme pour moi, ce n’était pas un choix innocent de s’investir dans l’agriculture. C’est significatif de notre rapport Ă  la terre. 

P. A. : Pour ma part, j’ai participĂ© avec beaucoup de gens de mon âge au rassemblement de Corte qui a prĂ©cĂ©dĂ© les Ă©vĂ©nements d’Aleria en 1975. J’étais trop jeune, Ă  l’époque, pour en mesurer la portĂ©e mais la ferveur qui se dĂ©gageait Ă©tait communicative. C’était un sentiment de solidaritĂ©, de confiance, qui n’existe plus aujourd’hui. Mon engagement s’est consolidĂ© au fil des annĂ©es, au rythme des Ă©vĂ©nements heureux et malheureux. La mort de militants comme Ghjuvan’Battista Acquaviva et Stefanu Cardi, ont Ă©tĂ© des drames fĂ©dĂ©rateurs, contrairement Ă  la mort des militants pendant la guerre fratricide. Il y a eu des moments de vives tensions, qui auraient pu dĂ©gĂ©nĂ©rer, comme les Ă©vĂ©nements de Bastelica-Fesch en janvier1980 , ou un concert que nous avions organisĂ© sur la place de l’église Ă  Cargèse, en 1983. Du reste, c’était des Ă©vĂ©nements qui Ă©taient rĂ©vĂ©lateurs d’une conscience collective forte. En ce qui me concerne, je pensais vraiment que l’on pouvait changer le mode de vie et la sociĂ©tĂ©.

Ce n'est plus le cas aujourd’hui ? 

P. A. : Non, on ne peut pas changer la sociĂ©tĂ© toute entière, je ne le crois plus. Avant de changer le monde, il faut pouvoir changer l’homme. Il y a cependant, peut-ĂŞtre, des choses Ă  faire de manière individuelle. 

Pourquoi vous ĂŞtre exclus du mouvement ? 

P. A. et A. F. : Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, il y a eu une succession d’évĂ©nements qui nous ont conduits Ă  prendre nos distances. La mort de Robert Sozzi et Franck Muzy, les dĂ©buts de la lutte fratricide et une succession d’élĂ©ments . Durant de nombreuses annĂ©es, nous avons militĂ© au sein des diffĂ©rentes structures qui ont accompagnĂ© la lutte de notre peuple. Nous avons participĂ© Ă  la scission qui a vu naĂ®tre le FLNC Canal historique. A l’époque nous voulions tourner le dos aux dĂ©viances et aux dĂ©rives affairistes, mĂŞme si au bout du compte nous n’y avons pas Ă©chappĂ©. Nous nous sommes aperçu que nous ne pouvions pas Ă©chapper Ă  ces turbulences nĂ©fastes qui ont Ă©touffĂ© notre message. Vous reconnaissez pourtant avoir appuyĂ© la sĂ©paration entre le MPA et la Cuncolta... 

P. A. et A. F. : Nous avons voulu cette scission, Ă  cause des dĂ©rives du MPA. Finalement, Ă  la Cuncolta, nous n’avons pas Ă©chappĂ© Ă  la dĂ©rive et avons Ă©tĂ© frappĂ©s par les mĂŞmes maux. C’est le signe d’une faiblesse structurelle du mouvement dans son ensemble et de son incapacitĂ© Ă  se prĂ©server d’éventuelles dĂ©rives. PlutĂ´t que de faire son autocritique et d’écarter ceux qui pouvaient pourrir le mouvement, les dirigeants ont laissĂ© les choses s’envenimer. Cela a abouti Ă  la situation actuelle : la perte de crĂ©dibilitĂ© du mouvement et l’abandon d’un moyen de lutte. 

Vous expliquez que le point de non retour a Ă©tĂ© la confĂ©rence de presse de Tralonca en 1996... 

P. A. et A. F. : Il Ă©tait Ă©vident pour notre secteur, que nous ne devions pas participer Ă  la mascarade de Tralonca [Dans la nuit du 10au 11 janvier 1996 , le FLNC Canal historique organise une confĂ©rence de presse Ă  Tralonca, en mobilisant plusieurs centaines de militants. L'organisation annonce une trĂŞve de trois mois reconductible, et prĂ©sente ses revendications, n.d.l.r.]. La confĂ©rence de presse a Ă©tĂ© l’apothĂ©ose d’une structure aux abois qui signait lĂ  sa compromission politique. On a compris Ă  ce moment-lĂ  que nous n’avions plus rien Ă  voir avec ça. Nous avons donc pris la dĂ©cision de quitter un mouvement gangrenĂ© par un dysfonctionnement patent, incapable de dĂ©finir une stratĂ©gie claire et de bĂ©nĂ©ficier d’un soutien populaire. Cela dit, il n’a pas Ă©tĂ© facile de partir. Il y avait le poids d’annĂ©es d’engagement dans la balance... Après tant d’annĂ©es, nous avions tout de mĂŞme l’idĂ©e constante que les structures Ă©taient un outil de combat, pas une fi n en soi. La lutte n’appartient Ă  personne.

Vous aviez un rĂ´le important dans le maillage nationaliste de la rĂ©gion Cargèse-Sagone, comment votre dĂ©part a-t-il Ă©tĂ© interprĂ©tĂ© ? 

A. F. : On ne nous a pas dit au revoir en partant.

La micro région Cargèse-Sagone a été l'une des seules épargnées par la guerre fratricide, comment l’expliquez-vous ?

P. A. : MĂŞme si nous avons veillĂ© Ă  ce que notre micro-rĂ©gion ne soit pas touchĂ©e par cette logique mortifère, notre appartenance Ă  la Cuncolta nous identifiait forcĂ©ment Ă  un groupe. Aurait-il fallu Ă  ce moment lĂ  se retirer officiellement des structures auxquelles nous appartenions ? Je me pose la question.... En ce qui me concerne, j’ai le sentiment d’avoir Ă©chappĂ© au pire, d’avoir Ă©tĂ© ciblĂ©. Je me souviens avoir vu des hommes m’attendre Ă  la sortie de chez moi, après la tentative d’assassinat qui avait visĂ© Pierre Poggioli [En 1994 , Pierre Poggioli est la cible d’une tentative d’assassinat. Une dĂ©nonciation anonyme met en cause Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et Yvan Colonna. Ils ont Ă©tĂ© mis hors de cause pour ces faits, n.d.l.r.]. Cet Ă©pisode n’a pris de sens qu’un peu plus tard, lorsque j’ai Ă©tĂ© placĂ© en garde Ă  vue pour ĂŞtre interrogĂ© sur la tentative d’assassinat. J’ai le senti- ment que nous avons Ă©tĂ© pointĂ©s du doigt, on a voulu faire croire que nous Ă©tions les coupables, sans doute pour dĂ©clencher les hostilitĂ©s. Je ne dois ma vie qu’à la prĂ©sence de mon fils, ce jour lĂ , dans la voiture. 

A. F. : Nous avons été mis en cause au moment de la tentative d’assassinat contre Pierre Poggioli, il s’agissait de toute évidence d’une manipulation orchestrée par des dirigeants pervers. Nous saluons la clairvoyance de Pierrot qui a évité de faire de nous les nouvelles victimes de cette guerre fratricide.

Plaque en l'Hommage du Préfet Erignac