La Corse 
l'île des "Rivières sauvage"

Le Fangu et le Travu sont sur le point d'intégrer
le cercle encore très fermé des cours d’eau détenteurs du label national. Il est attribué aux sites les moins impactés par les effets néfastes de la présence humaine. En Corse, le potentiel des rivières correspondant aux critères serait le plus élevé de France

"N ous n'aimons pas beaucoup les barrages ». Animatrice du Fonds pour la conservation des rivières sauvages, Mélanie Taquet opte pour l’exemple le plus significatif d’un cahier des charges. Celui qui identifie les cours d’eau où l’activité humaine n’a eu que peu d’emprise.

 L’initiative est née il y a deux ans, d’un constat d’ailleurs très peu réjouissant. Seulement 1 % du linéaire français des rivières entrait dans les critères d’un label créé pour mettre en valeur ce qui peut encore l’être. Trois cours d’eau détiennent d’ores et déjà ce label. La Valserine, dans l’Ain, a ouvert le bal. 

Etendue sur une quarantaine de kilomètres, elle a été suivie par deux affluents du même département : la Dorche et la Vezeronce, à peu près 7 kilomètres chacun. Ces « Rivières sauvages » ont été les premières à émerger de la dizaine de bassins versants pilotes parmi lesquels deux cours d’eau corses vont être distingués à leur tour. « C’est pour le mois d’avril », précise Mélanie Taquet. L’animatrice du Fonds de conservation parle du Fangu et du Travu, deux rivières de Haute-Corse pour lesquelles le Parc naturel régional a suivi le dossier au plan local, en étroite collaboration avec les communes traversées.

Depuis Mansu, dans le Falasorma, Gabrielle Valesi est l'agent du PNRC qui assure l'interface entre l’autorité nationale et les acteurs locaux. « Ce label est attribué sur la base d’audits très pointus, confie-t-elle. 47 critères sont pris en compte et trois niveaux de labelisation sont identifiés. Le niveau 3 est le plus élevé, il reconnaît la rivière qui a conservé son caractère le plus sauvage ». '‘Un barrage, c’est aussi une économie, mais il faut faire un choix’’ Un « top niveau » auquel les deux cours d’eau insulaires sont visiblement en passe d’accéder. Sur les micro-régions concernées, on se réjouit, bien sûr, de voir un atout environnemental faire l’objet d’un coup de projecteur positif. Maire de Mansu et cadre du Parc naturel, Pasquale Simeoni est concerné à double-titre. Il y voit un intérêt multiple. « Obtenir ce label, c’est d’abord constater que le milieu est relativement préservé. A mon sens, c’est mieux que d’intervenir sur un site que l’on juge remarquable parce qu’il est déjà en danger. Il faut savoir aussi que « Rivière sauvage » n’est pas qu’un label, c’est aussi un programme d’actions »

"Un barrage, c'est aussi une économie, mais il faut faire un choix"
Crédit photo : PNRC

Mélanie Taquet confirme. « Ce programme est lié au label dans une optique de préservation de la rivière, voire d'amélioration des zones encore exposées. L’intérêt est également financier, ce qui n’est pas le cas dans le cadre des autres contrats de rivière classiques liés à la conservation ». Héritier du programme « Rivière vivante » lancé avec le concours du WWF (World wildlife fund), le Fonds « Rivière sauvage » capte des financements privés, mais aussi des crédits publics grâce à sa collaboration avec l’association « European rivers network ». National pour l’heure, le label va d’ailleurs devenir international, au plus tard en 2017. Au-delà de l’image et de l’attractivité qu’il confère, il revêt également un caractère hautement scientifique. « Nous disposons d’un conseil de très haut niveau susceptible de conduire des missions de recherche sur ces rivières pilotes, confie l’animatrice national, mais aussi d’assurer une veille sur le long terme pour surveiller l’évolution de la qualité des cours d’eau ».

A Chisà, les eaux du Travu constituent une fierté locale. Le maire insiste beaucoup sur ce point. « Personnellement, je garde un souvenir ému de ma jeunesse, du temps de la baignade l'été dans cette rivière, et je ne suis pas le seul, confie Michel Galinier. Toute la population de la commune est viscéralement attachée au Travu qu’elle considère comme un élément majeur de son patrimoine naturel.
« U Fiumi », comme on l’appelle, est le trésor de Chisà ». 
Un attachement qui incite forcément à la vigilance, pour que ce label ne produise pas l’effet contraire de celui escompté. « Ce label est un facteur d’attractivité sur un site déjà reconnu pour son caractère remarquable, poursuit le maire de Chisà. Notre souci, est de garder la maîtrise, éviter une surcharge qui serait préjudiciable au niveau de la fréquentation du fleuve et de l’unique route départementale qui dessert notre village. 
A mon sens, cette évolution doit s’accompagner d’une véritable gestion de l’accès routier, notamment par la mise en place d’un quota journalier de fréquentation. Il est temps de faire comprendre à tous que, si la Corse est un espace de liberté, faire tout et n’importe quoi risque de mettre en danger la biodiversité de nos cours d’eau ». Le regard de Michel Galinier rejoint la réflexion de Pasquale Simeoni sur ces « Rivières sauvages » dont l’affichage dépasse la seule reconnaissance. « Nous comptons sur l’outil de gestion, car ces ressources naturelles demeureront très fragiles. Pour les préserver, il sera important de disposer de données précieuses que les études du site pourront nous apporter. Sur la capacité de charge du milieu, la mise en sécurité du site, le seuil de fréquentation au-delà duquel le milieu est exposé à la dégradation ».

Crédit photo : PNRC

Sur le terrain, les élus sont conscients que le label « Rivière sauvage » n'est, pour l’heure qu’une démarche expérimentale qui doit faire son chemin pour démontrer son utilité dans l’action de mise en valeur et de préservation de l’environnement. « Il ne faudrait pas non plus que ce qui est, à la base, une reconnaissance, devienne un label bon marché que l’on distribuerait à tout le monde », glisse le maire de Mansu. Les élus locaux savent aussi que leurs moyens sont limités sans l’adhésion à un tel dispositif qui leur apporte financements et orientations scientifiques. Ils savent aussi qu’ils pourraient, pour leurs cours d’eau, privilégier d’autres options. A Chisà, sur le Travu, un projet de micro-centrale était dans l’air. « Il n’est pas d’actualité », assure Michel Galinier. « Un barrage EDF, fait remarquer Pasquale Simeoni, c’est une économie, mais ça supprime un ensemble d’activités sur le cours d’eau. C’est un choix à faire ». Pour l’heure, ce choix est clair, un autre cours d’eau corse est même à l’étude du côté du Fonds pour la conservation des rivières sauvages. Le Taravu, espère à son tour obtenir le label. D’autres pourraient bien suivre, car la Corse regorgerait de ces rivières sauvages. Mélanie Taquet est formelle: « C’est tout simplement la région sur laquelle existe le plus gros potentiel. »

Antoine Orsini : "Au-dessus de 800 mètres tout est sauvage"
Crédit photo : PNRC

Le Fangu s'étire sur 24 km, il traverse les communes de Mansu, Calenzana et Galéria. Le Travu est un peu plus long jusqu’à l’embouchure de la côte orientale. 32 km à travers les territoires de Zicavo, Cozzano, Ventiseri, Solaro et Chisà.
« Il s’agit de deux belles rivières, reconnaît Antoine Orsini, hydrobiologiste de l’université de Corse et président du conseil scientifique du Parc naturel régional. Elles coulent, pour une bonne partie, à une altitude assez importante ». Le chercheur spécialiste de l’eau douce n’est pas étonné de voir ces cours d’eaux accéder au label « Rivière sauvage ». « Même si le Fangu, qui représente un attrait touristique considérable, surtout dans sa partie la plus basse, doit gérer d’importants points de fixation de baignade en période estivale. Ce qui veut dire que ponctuellement, la qualité de l’eau en souffre forcément. Quant au Travu, c’est une remarquable rivière très peu fréquentée en altitude, mais je crois savoir qu’ il est question d’un projet de micro-centrale. » Quant au potentiel « Rivière sauvage » de Corse, lequel serait le plus important de France, Antoine Orsini n’est pas étonné du tout. « C’est très simple, considérez la partie de tous les cours d’eau insulaires au-dessus de 800 m d’altitude. Vous vous rendrez compte que tout est sauvage et entre forcément dans les critères du label. »

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