Une histoire vieille de 3000 ans se conte à Lano en Haute-Corse

Tout s'amorce au début de l’année 2015. Un groupe de l’association de spéléologie I Topi Pinnuti se trouve en pleine séance de traçage d’un cours d’eau dans la grotte de Carpineta, sur la commune de Lano. L’endroit est connu des amateurs comme le plus long réseau de galeries souterraines de Corse. 

«Nous étions assez nombreux et j’ai fini par me dire que les autres n’avaient pas vraiment besoin de moi.» Jean-Claude La Milza décide alors d’aller voir ailleurs et s’éloigne du groupe avec une idée derrière la tête : «Cela faisait des années que nous avions repéré un trou à flanc de falaise, pas très loin de Carpineta.» Il fait un tour dans le secteur, observe la cavité... «Vu d’en bas, ça ne paraissait pas super attirant.» Pourtant, le 1er mars suivant, « nous montons une petite équipe et nous y retournons ». Cette fois, Jean-Claude est accompagné de cinq autres personnes dont Jean-Yves Courtois, membre du groupe chiroptère corse. «Nous sommes passés par le haut de la falaise, et descendus en paroi jusqu’à la cavité. » 
Laquelle s’avère être beaucoup plus étroite que prévue et remplie, presque jusqu’au plafond, de réjections de chouettes. Pendant que Jean-Claude se déplace sur la paroi en direction d’une deuxième cavité, Jean-Yves commence à creuser dans la première. 

«Il y avait un gros os qui apparaissait, raconte-t-il. Trop gros pour appartenir à un oiseau ou à un rongeur.» «Il avait l’air de dépasser d’une sorte de souche», complète Jean-Claude. Jean-Yves creuse encore un peu. Et identifie instantanément ce qu’il a sous les yeux. «C’était une mandibule humaine. Et elle avait presque toutes ses dents.» En une seconde, l’expédition prend une autre tournure. D’autant que les « explorateurs » s’aperçoivent que la «souche» est en réalité une planche de bois « dans un état de conservation incroyable, comme si on l’avait rabotée la veille». Incroyable, c’est le terme. Et le meilleur reste à venir. Car les services compétents sont alertés et, dans un premier temps, penchent pour une datation relativement récente, aux alentours du Moyen-âge. «La Direction régionale des affaires culturelles nous a demandé de faire des prélèvements», relate Jean-Claude La Milza.

Les os sont expédiés dans un laboratoire spécialisé en Pologne. Les premiers résultats mettent du temps à tomber. Lorsqu’ils arrivent, c’est la stupeur chez les archéologues : 1 200 ans avant J. -C., période du Bronze final. Ces os ont 3 200 ans ! Un autre laboratoire, chargé d’analyser les échantillons de bois, confirme la datation. A cet instant, tout change. « Ce site, c’est la découverte d’une carrière », confie Franck Leandri. Conservateur régional de l’archéologie à la Drac, c’est lui qui coordonne les fouilles depuis la première campagne avec Patrice Courtau, Philippe Galant et Céline Leandri, archéologues à la Drac et au CNRS. Et il se montre catégorique : « La découverte du site fera date dans l’histoire de l’archéologie insulaire. » Pourquoi ? Parce que les objets sortis de cette caverne sont uniques en Méditerranée occidentale. « Le type de vestiges mobiliers découverts à Lano n’a jusqu’à présent été observé qu’aux Baléares, au Danemark et en Égypte, poursuit Franck Leandri. Ce qui rend également le site exceptionnel, c’est la période, le Bronze final, dont nous ne connaissons pas grand-chose du point de vue des rites funéraires. » Le Bronze final, c’est la période qui a vu la construction des sites de Filitosa et Cucuruzzu, un âge d’échanges à grande échelle (lire par ailleurs). Une ère troublée, aussi. Dès la découverte de la cavité, un chantier d’ampleur se met en branle : « Devant l’importance de la découverte, poursuit Franck Leandri, nous montons une opération d’archéologie programmée, qui est également une opération de sauvetage. » 

Car les professionnels le savent, dès l’instant où un site est découvert, il est en danger : « Tout site connu est menacé par les détectoristes ou les simples curieux. Il faut également lutter le plus rapidement possible contre la dégradation des bois. C’est une course contre la montre. » 

Un site unique en Méditerranée occidentale 

Une équipe pluridisciplinaire est donc mise sur pied. Elle compte entre quinze et vingt archéologues, spécialistes entre autre du bois, de l’archéologie funéraire, de la micro-faune ou de la restauration. Mais pas seulement. Car la particularité du site de Lano réside dans un accès extrêmement difficile. Creusée à flanc de falaise, la grotte n’est accessible qu’acrobatiquement et avec un matériel bien spécifique. C’est là que l’association I Topi Pinnuti revient sur le devant de la scène (lire par ailleurs). Ces experts de la spéléologie et du canyonisme, mettent en oeuvre un dispositif impressionnant pour permettre aux archéologues de travailler dans les meilleures conditions. « Nous avons discuté avec eux sur la meilleure manière de concilier les contraintes scientifiques et techniques, détaille Franck Leandri.
Tous les archéologues ont ensuite pris leur licence au club pour des questions d’assurance et les membres de l’asso nous ont coachés. » Sur le bord de la cavité, une plate-forme est aménagée. 

Des centaines de mètres de cordes sont tirées dans tous les sens pour convoyer les hommes, mais également les vestiges extraits. Un tour de force et un travail de collaboration étroite, sans lequel rien n’aurait été possible. Sur le dernier chantier, terminé à la fin de la semaine dernière, plusieurs bénévoles se sont relayés chaque jour afin que les archéologues puissent continuer les fouilles.

 « Nous nous sommes occupés de toute la logistique, résume Marie Genevier, présidente d’I Topi Pinnuti. Nous avons par exemple tiré une tyrolienne de cent quatre-vingt mètres de long en travers de la vallée pour acheminer le matériel et les vestiges. » Un système inédit de moulinette a également été inventé pour l’occasion, afin de permettre la remontée de divers objets par la même tyrolienne. Et c’est donc par la voie des airs que les cercueils et les pièces de bois découverts ces derniers mois ont été « descendus ». Avant d’entreprendre un long voyage. Car la découverte et les fouilles ne constituent que les premières étapes d’un long processus. 


« Les vestiges en bois sont en if, explique Franck Leandri. Les ifs étant toxiques pour les animaux, ils ont peu à peu été éradiqués et aujourd’hui, il ne reste que quelques arbres. C’est un bois imputrescible qui était notamment utilisé pour les sarcophages égyptiens. Les pièces que nous avons trouvées à Lano ont besoin d’un traitement spécial contre les insectes et ont été envoyées dans un laboratoire grenoblois pour cela. Les os sont restés ici. » Ces os qui soulèvent tant d’interrogations vont être étudiés de près : « Nous voulons comprendre qui était là, qui sont ces gens à l’origine de notre communauté. Cette grotte est un espace sépulcral assez exceptionnel. » Désormais, les analyses vont se poursuivre en labo, notamment sur l’aspect biologique des ossements. Ces gens appartenaient-ils tous à la même famille ? Étaient-ils nés ici ou formaient-ils une communauté de voyageurs de passage ? « La grotte se situe à flanc de falaise et nous n’avons découvert aucun autre accès. Cela signifie que les corps ont été acheminés par le même chemin que nous empruntons. Il y a eu une vraie volonté de les mettre là. La question est de savoir pourquoi car dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de la grotte, nous n’avons trouvé aucune trace d’habitation. » 

"Nous sommes là
pour redonner du sens
à un espace sacré"

Des « pourquoi », il y en a des dizaines, dont certains ne trouveront peut-être pas de réponse avant longtemps. Mais les scientifiques sont des gens patients et leur cause est importante : « Nous sommes là pour redonner du sens à un espace sacré, confie Franck Leandri. Nous ne sommes pas des profanateurs, nous ne sommes pas là pour déterrer les morts. Ce site représente l’un des fondements de notre histoire et nous sommes là pour comprendre qui étaient ces gens. » Quand toutes les analyses auront été menées à bien, il sera temps de trouver l’endroit idéal pour présenter ces vestiges au public : « Il faut un musée qui offre toutes les garanties en terme de conservation », glisse l’archéologue. Pour Pierre Leschi, le maire de la commune, « l’endroit le plus naturel et le plus proche, c’est le musée de Corte ». Mais l’édile tient également à ce que quelque chose de concret reste sur le sol de Lano : « Peut-être un espace pédagogique avec une reconstitution d’une des pièces en bois. Il faut que ces vestiges soient aussi valorisés au village. » Et il faut surtout que le site demeure protégé : « Il a été fermé à toute visite il y a quelques jours, affirme le maire.


Et il est en instance de classement aux Monuments historiques, pour permettre sa préservation d’un point de vue juridique. » Le 18 juin prochain à Bonifacio, Franck Leandri profitera des Journées nationales de l’archéologie pour présenter les résultats des études. Lesquels seront à nouveau expliqués au public à Lano, fin juillet. Depuis la fin de la semaine dernière, archéologues et spéléologues sont repartis. La montagne a retrouvé sa tranquillité et son silence. Accrochée à flanc de falaise, la petite grotte demeure en paix.