Quand l'ATR
passe à la visite

Un avion découpé façon puzzle

L'appareil fait l’objet d’inspections quotidiennes. Tous les deux ans, il sera démonté en totalité ou presque. Tout se passe dans le hangar d’Air Corsica selon une procédure bien codifiée

Par Véronique Emmanuelli vemmanuelli@corsematin.com
Photos Pierre-Antoine Fournil

D'ici quelques jours, l’Agriati, l’un des six ATR - avion de transport régional-72 d’Air Corsica sera à nouveau prêt à redécoller, et à effectuer ses rotations quotidiennes entre Corse et Nice. En attendant, l’appareil est immobilisé pendant quatre semaines dans le hangar de la compagnie à Campo dell’Oro. Comme prévu. Le transporteur se conforme au calendrier établi par la société franco-italienne, ATR.

« Les constructeurs imposent aux compagnies aériennes des visites techniques régulières et obligatoires de plusieurs types. En interne, tout est planifi é à l’avance depuis notre bureau technique », précise-t-on à Air Corsica. Il met l’hiver à profi t pour engager les travaux.

« Nous avons une saisonnalité très marquée. A cette période, un appareil à l’arrêt n’est pas gênant du tout. Il faut savoir que l’hiver, pour nous, débute le quatrième samedi d’octobre pour s’achever le quatrième samedi de mars, ce qui coïncide avec les weekends de changement d’heure ».

Et à ce stade de l’exploitation de l’aéronef, le processus s’assimile à un grand « check-up », en d’autres termes aéronautiques à une , précise Luc Guiomar, directeur technique. Pas de limite d’âgePas de limite d’âge

Et à ce stade de l’exploitation de l’aéronef, le processus s’assimile à un grand « check-up », en d’autres termes aéronautiques à une , précise Luc Guiomar, directeur technique. Pas de limite d’âge

Et à ce stade de l’exploitation de l’aéronef, le processus s’assimile à un grand « check-up », en d’autres termes aéronautiques à une « visite de structure à intervalle de deux ans et à une visite qui consiste à vérifi er le bon fonctionnement des systèmes avion ; hydrauliques, mécaniques, électriques. Cette inspection est réalisée en moyenne toutes les 5 000 heures de vol », précise Luc Guiomar, directeur technique. Pas de limite d’âge

Pas de limite d'âge

Au passage, on redonne un coup de jeune à la cabine passager. « Nous changeons la moquette, nous nettoyons les sièges de fond en comble. En défi nitive, nous rafraîchissons un peu la cabine », poursuit le responsable.

L’Agriati est démonté, disséqué, analysé dans ses moindres replis. La méthode d’investigation consiste à enlever tous les sièges de la cabine et du cockpit, ainsi que les cloisons, le plancher, les plafonds et autres revêtements.

L’intérêt est de découvrir un entrelacs de câbles, des clapets, des valves, autant de composants d’ordinaire cachés. « Nous avons libéré tous les accès », résume Jean-Jacques Paoli, contrôleur. On a aussi profi té du chantier pour tomber les hélices et les moteurs. On aurait pu aller plus loin.

« Il ne s’agit pas de l’opération de maintenance la plus importante que nous puissions faire. Pour simplifi er, nous procédons à la petite des grandes visites. Tous les quatre ans, puis tous les huit ans il y a des interventions de plus grande ampleur », reprend le responsable. L’évolution est logique.

« Plus l’avion prend de l’âge plus il sera inspecté et plus la maintenance s’alourdit », commente Antoine Madotto, superviseur au bureau technique.

De l’avis des responsables l’Agriati a encore de beaux horizons devant lui. « On est reparti pour un moment. Il est tout juste arrivé à mi-vie. Il faut savoir qu’en termes de sécurité il n’y a pas de limite d’âge, excepté le calcul fait par le constructeur. Après, tout devient question de coûts », développe-t-on. La modernité des aéronefs est un autre paramètre à prendre en considération.

« À titre d'exemple, nous avons décidé de changer nos premiers ATR car ils étaient bruyants. Le constructeur avait réalisé des progrès dans ce domaine. Nous avons ressenti le besoin de renouveler notre flotte. Aujourd’hui, l’ATR 72 n’a pas connu de changements majeurs ».

Faute d’avancée technologique majeure, on ne prépare pas l’arrivée de nouvelles unités. D’autant que la desserte bord à bord ne soumet pas les aéronefs d’Air Corsica à une quelconque tension.

On ne pense pas en termes de conditions d’exploitation critiques. D’abord, parce qu’on a la conviction d’utiliser le bon modèle au bon endroit. Le trajet est court. Et le 72 est très bien adapté à ce genre de distance.

« C’est un avion sûr. Il est conçu pour les court-courriers. Il résiste bien, il est économique. A titre d’exemple, pour un vol Ajaccio-Nice il faut compter 500 kilos de kérosène ; C’est ce que consomme un 747, en cours de roulage jusqu’à la piste de décollage », souligne Jean- Jacques Paoli.

La météo ne crée pas d’enjeux spécifiques. « Nous évoluons sous un climat tempéré. Nous ne sommes pas confrontés à des températures extrêmes comme en Afrique ou en Islande », admeton. Comme partout, c’est lors des « cycles » que la machine est très sollicitée.

« Les décollages et les atterrissages, associés à des accélérations et en règle générale à des variations de pression vont créer de l’usure. En vol, à régime stable, le moteur tourne bien. Mais il faudrait que ces cycles soient plus courts pour devenir pénalisants pour les moteurs. Les vols de vingt minutes, les pistes courtes sont plus pénibles pour les machines », explique-t-on.

Vol de contrôle

Dans l'île, seule l’ambiance marine provoque quelques préoccupations supplémentaires. « Les allers et retours Corse– Continent s’effectuent en grande partie au-dessus de la Méditerranée. Nos quatre aéroports ont la particularité d’être situés à proximité de la mer. En conséquence, les avions sont exposés à un air chargé de sel », remarque-t-on. 

Pour prévenir les infiltrations de sel au coeur des structures, on mise sur des lavages réguliers. « Une équipe intervient et de cette façon procède au dessalage de l’appareil », explique le contrôleur. Le dispositif est censé atténuer les phénomènes de corrosion. 

Quoi qu’il en soit, les appareils demeurent vulnérables. Les équipes de maintenance le savent bien. « Lors des visites, notre intérêt se ressert autour de la corrosion. »

Dans la liste des dysfonctionnements banals fi gurent, au-delà de la pièce corrodée, la bande de téflon qui se relâche, le jeu dans les ferrures, dans des gouvernes ou dans une trappe. L'usure du temps opère. Chaque problème à sa solution.

 « Dès que nous découvrons une anomalie, nous appliquons la procédure défi nie par le constructeur. Chaque opération fait référence à une documentation de travail qui est une description ligne à ligne des actions à réaliser. 

Notre manuel inclut, en plus les données de l’autorité, c’est-à-dire la Direction générale de l’aviation civile – DGAC.  Le complément, c’est notre expérience.
Nous rajoutons des tâches lors d’un check C, ce qui nous permet de ne pas arrêter à nouveau l’avion lors d’une période d’exploitation. Rien ne se fait au hasard.
La maintenance aéronautique proscrit toute forme d’improvisation et de libre – arbitre, même si l’expertise du contrôleur reste cruciale »
, souligne François Cipriani, responsable du planning de visite et du suivi visite. 

La moindre action accomplie fera l’objet d’un compte rendu précis. « Toute intervention est tracée pour des raisons de sécurité. Nous savons qui a agi, à quelle date et pendant combien de temps », ajoute-t-il. Et pour mettre les mains dans un moteur ou dans un circuit il faut disposer des habilitations adéquates .

 « Tous nos techniciens, sont, bien entendu , titulaires de licences européennes. Tout est régi par des textes. Par exemple, les apprentis ne travaillent jamais seuls. Ils sont toujours accompagnés par un tuteur. »

 Ils procéderont à partir «d’ordres d’exécutions », de «cartes d’inspection ». Les documents sont distribués « au fur et à mesure. Le chantier suit un ordre chronologique», souligne-t-on. Tout le matériel sera démonté, stocké, examiné avec minutie et associé à une fiche verte s’il est bon pour le service - « serviceable » en langage aéronautique - ou rouge. 

« Dans ce cas, il faut approfondir les vérifications et, le cas échéant remplacer la pièce.» 

La phase suivante sera celle du remontage des pièces. On remet tout en place. Juste avant de prendre l’air. L’équipage et un contrôleur prennent place dans l’ATR. Pour la circonstance, les passagers sont restés au sol. 

« Il s’agit d’un vol de contrôle. Il va durer près de deux heures et va nous mener au-dessus de Perpignan. Ce qui va nous permettre de faire tous les tests de navigabilité», explique Jean-Jacques Paoli. Les conditions de vol seront rudes. « Nous allons pousser l’appareil au bout de ses possibilités. Par exemple nous montons à une altitude de 25000pieds, le plafond pour l’ATR72.» 

Tout au long de l’exercice, des tests « vitesse basse », puis « vitesse haute» s’enchaînent. Tour à tour, on se focalise sur les diverses alarmes, sur la pressurisation, sur les jauges de carburants, ou sur les moyens radio.

 On effectue des approches à basse altitude, on malmène l’avion pour la bonne cause de la sécurité. S’il résiste bien, il est prêt à reprendre du service.

Sur les étagères du magasin

Huit mille références en boutique. De la simple vis à quelques centimes d'euros à l’instrument de bord à plus de 300 000 euros, tout a été inventorié. Et tout fait l’objet d’un suivi étroit.

« Chaque pièce est associée à un document. C’est la preuve qu’il s’agit de pièces d’origine et non de contrefaçons À chaque instant, la traçabilité est un élément essentiel dans notre démarche », commente Joseph Cardella, responsable du magasin. 

Dans cet espace attenant au hangar et scindés en séquences - grands volumes, petits volumes entre autres -, le stockage renvoie à des normes bien définies, en matière d’humidité, de température. La qualité des emballages est une autre donnée importante. « Car tout ce qui est électronique est sensible aux ondes électrostatiques », reprend le responsable. Et le déballage requiert certaines précautions. 

Le magasinier se munit d’un bracelet qu’il branche à une prise située au bord d’une table spéciale. Auparavant, il a pris soin de poser ses pieds sur un tapis, de manière à neutraliser toutes les mauvaises ondes possibles. « Sans cela, nous risquerions d’endommager le matériel », avertit-on. 

Comme dans l’atelier, le moindre geste accompli sera codifié. « Nous avons des règles, des méthodes à appliquer », résume-t-on. 

« A titre d’exemple, les pièces sur les étagères devront être testées au bout d’un certain temps. Les différents produits sont stockés dans une armoire spéciale. Un mois après ouverture, ils sont inutilisables. »

Autre zone et autres procédures. « Une partie des locaux est consacrée à la réception et à l’expédition des pièces. Celles-ci arrivent et partent dans le monde entier, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Espagne, en Allemagne par exemple », commente Joseph Cardella. 

« Les pièces, à peine reçues, sont contrôlées. Nous nous assurons qu’elles sont en parfait état, que les références sont exactes et que les certificats de conformités sont présents. C’est une façon également de prévenir les contrefaçons. » 

Dans 3% des cas, le produit sera déclaré non conforme. « Nous demanderons alors des renseignements supplémentaires au fournisseur. La pièce qui semble endommagée ou abîmée sera sortie de la zone et déposée dans une cage grillagée pour que personne ne l’utilise. » Avant le retour à l’envoyeur.

Luc Guiomar, directeur technique : « Nous vérifi ons qu'il n’y ait pas d’anomalies, nous pouvons donc être amenés à corriger un défaut de l’appareil. »

Une vigilance de tous les instants. Les équipes de maintenances se mobilisent chaque jour autour des appareils. Au quotidien, les commandants de bord sont mis à contribution. 

« La journée débute sur une visite pré-vol. Il s'agit davantage d’un tour avion, avec la prise en compte de quelques indicateurs. On vérifie qu’il n’y a pas d’anomalie. Le contrôle est davantage visuel. Il peut être effectué par les pilotes. » 

Dans les heures qui suivront, l’avion fera l’objet de «visites-transit », c’est-à-dire entre deux rotations. Désormais, on profite de l’escale pour faire un nouveau tour de l’avion. Le soir, une fois le dernier vol achevé, l’examen sera plus minutieux.

« Il dure deux heures et demie. Au minimum, si nous ne repérons rien d’anormal. Mais nous pouvons être amenés à corriger un défaut », explique Luc Guiomar.

Le plus souvent, la réparation consiste à changer une ampoule grillée, une roue, un déperditeur statique qui a pris un petit éclat, « parce que l’avion a traversé un nuage et a pris un petit coup de foudre »

Parfois, on donne un petit coup de pinceau sur une aile ou sur la carlingue. L’objectif recherché n’est pas esthétique. 

« La première fonction de la peinture n’est pas de faire joli mais de protéger de la corrosion. Après un coup de foudre, la première chose à faire est de repasser une couche de peinture. » 

Au passage, on s’assure « qu’il n’y a pas eu d’impact dans la soute en cas de bagage mal arrimé. Cela fait partie des incidents courants ». En général, les orages ne portent guère atteinte aux appareils. L’ATR et les autres en sont quittes pour quelques marques extérieures de brûlures. 

Bien sûr, il y a toujours l’éclair scélérat qui « va faire fondre une tête de rivet. La réparation est simple à effectuer ». En altitude, les jours de mauvais temps, le risque correspond à la formation de givre sur l’hélice.

« Comme elle tourne très vite, le glaçon est projeté instantanément sur la structure. C’est pourquoi des boucliers sont disposés au milieu de l’avion. En anglais on appelle ça un « ice shield », un écran à glace. Il s’agit ni plus ni moins d’une couche de mousse insérée dans deux couches de composite. Et quand il a bien joué son rôle nous le changeons. »

 Les turbulences aériennes, selon leur intensité, seront suivies d’inspections spécifiques. 

« Lorsqu’elles sont très sévères, un nombre important de G pourra être infligé à l’appareil. Les pilotes sont équipés d’un G mètre qui leur permet d’effectuer les mesures. Pour le moment, nous n’avons pas relevé d’incident de ce type», estime le contrôleur. À cela vient s’ajouter la gestion normale des pannes «car nous avons affaire à un système qui vit ».

Et dans ce registre, les pilotes sont des informateurs essentiels. « Dès que quelque chose ne va pas. Ils le notent. Il peut s’agir d’un système qui a cessé de fonctionner comme d’un accroc sur une ceinture de sécurité, d’un cache quelconque qui est cassé ou d’un accoudoir usé ».

L’hiver, le dégivrage réclame une attention accrue. « S’il ne marche pas, on ne vole pas ». Tolérance zéro. « Tandis que le constructeur a prévu des tolérances, A, B, C, dans certaines conditions. Dans tous les cas, tant que nous n’avons identifié la source de la panne, l’avion reste au sol. » 

Mais quelle que soit la sévérité du problème, il ne quittera pas Ajaccio. « Sur ATR, nous faisons tout sur place. C’est l’une des particularités d’Air Corsica. » En revanche, on ne dépanne pas les autres compagnies. 

« Nous avons la technicité requise pour faire le travail pour les autres, par contre, nous n’avons pas assez de main-d’oeuvre et pas assez d’espace disponible pour recevoir d’autres avions », explique-t-on. Une fois que l’avion a atteint « sa butée cycle » et sa « butée calendrier », il sera retiré de la flotte - « Même s’il reste toujours une marge de sécurité avant la retraite », commente-on - donné « en reprise » au constructeur puis remplacé par un avion tout neuf.

Une autre possibilité consiste à le vendre pour pièces détachées. « Nous nous séparons de nos appareils avant d’arriver à ces étapes », note le directeur technique. La compagnie a dérogé au principe une seule fois, avec un Airbus de location. 

« Il avait 25 ans. Il est parti le 8 février au matin. Il ira aux États-Unis pour y être démantelé.
Des Japonais s’en sont portés acquéreurs pour récupérer des pièces car ils ont de nombreux avions de cette génération. Les nouveaux A320 sont tout à fait différents »
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