Un peu plus près des étoiles

Une nuit à 1600 mètres dans le refuge Manganu

Loin de la fureur de la ville, entre le chant des grillons et le parfum enivrant du maquis, les nuits en montagne ont une saveur particulière. Elles sont empreintes d'une sérénité absolue. Parfois, le vin coule à flot et les sonorités de guitares retentissent.

18h30 au refuge de Manganu.

Les derniers rayons de soleil viennent réchauffer les randonneurs qui se détendent sur la terrasse de bois.

Alors que certains se désaltèrent et reprennent une gorgée de Pietra, une queue se forme à l'entrée du refuge. 

L'heure du repas a sonné. En montagne, on dîne tôt, on se couche tôt, on se lève tôt. 

Les randonneurs récupèrent leur plat auprès de Jean-André Orsoni, le gérant du refuge, puis s'attablent tous ensemble dans la salle à manger. 

Il est essentiel de reprendre des forces après une longue journée de marche. Au menu du soir : assiette de charcuterie, pâtes aux légumes et salade de fruits.

« C'est parfait pour l'énergie ! s'exclame Sophie, jeune randonneuse. Demain, une étape de six heures nous attend ! ».

Après un long périple entre dénivelés, chemins rocailleux et soleil brûlant, les pâtes ont une autre saveur.

C'est Jean-André qui a tout préparé.

« Bon appétit messieurs. On finit tout hein ! ». Pendant que l'on se taquine et que l'on crée des liens, les plateaux défilent à une allure folle. 

« Tu me rajoutes un pichet de rouge s'il te plaît », demande Pierre, qui fait le GR20 pour la troisième fois.

A presque 2000 mètres d'altitude, le tutoiement est de rigueur. 

« Que l'on soit gérant ou client, que l'on ait dix ou 60 ans », précise Jean-André. 

« Il y a cet esprit de convivialité que l'on ne retrouve nul part ailleurs, s'enthousiasme Pierre. On a l'impression de faire partie d'une grande famille »

Dans la salle à manger, en effet, l'ambiance est à la fête. Le vin rouge coule à flot et les discussions s'animent. 

On fraternise, on échange avec ses camarades de route.

« Nous partageons les mêmes valeurs, explique Thomas, parisien.

Les gens sont ouverts, ils ne se prennent pas la tête. Je laisse mon sac à dos dehors et je sais que je n'aurais aucun problème ».

Sylvain et Antoine sont venus ensemble de Nantes « Au moment du dîner, les gens racontent d'où ils viennent, où ils vont, leurs galères... on fait des rencontres éphémères mais enrichissantes. »

Des couples se sont même formés au sein du refuge. 

Ceux qui se sont mariés reviennent à Manganu tous les ans. Français, Allemands et Anglais font partie des nationalités les plus représentées. 

Certains randonneurs viennent seuls, d'autres en couple ou entre amis.

« Il n y a pas de règles », constate Jean-André. 

Alors que les joues rougissent et les éclats de rire retentissent, un groupe de randonneurs dégaine un jeu de cartes.

La bataille corse – forcément – peut commencer.

La règle a quelque peu changé : « celui qui perd boit un coup ».

Il est impensable de finir le dîner sans tremper les lèvres dans la délicieuse liqueur de myrte. Rien de mieux pour se requinquer, estime Sylvain. 

Il faut tout de même rester raisonnable. Certains randonneurs sont déjà passés au dessus de la rambarde du refuge. 

L'un d'entre eux s'est même ouvert le crâne.

21 heures sonne. Michel et Alain, les bordelais du groupe, sont en grande forme.

Alors qu'ils entament gaiement un célèbre tube de Johnny Hallyday, Jean-André les interpelle. 

Si certains ont décidé de veiller jusque tard, d'autres sont dans un profond sommeil depuis bien longtemps.

« Les randonneurs se lèvent entre cinq et six heures, explique le gérant. Quand on a quelques jours de GR dans les jambes, on a besoin de se reposer ».

L'effervescence commence à retomber. « Bonne nuit, les amis. A demain ! ». Dans le dortoir, 30 places.

Mais ce soir, seul une quinzaine de personnes a choisi de dormir en intérieur. L'été, le refuge est rarement plein.

Quand les beaux jours arrivent, les randonneurs préfèrent être en bivouac. Il est obligatoire d'amener avec soi un duvet.

« Le GR20 est l'un des derniers parcours sauvages. Dans les refuges d'Europe, les installations sont confortables. Chez nous, ce sont les mêmes qu'il y a 40 ans ». 

Place numéro 17. L'obscurité est totale. 

Ceux qui chantaient gaiement tout à l'heure offrent désormais un autre type de concerto. 

Celui de leurs ronflements mal accordés.

Une dame quant à elle ne cesse de farfouiller dans son sac plastique. 

Sous le duvet, il fait chaud, très chaud.

Place 20 et 21, un couple a manifestement beaucoup de choses à se dire. Les paupières sont lourdes et le sommeil difficile à trouver. 

1 heure du matin, une autre option se profile : terminer la nuit sous la tante.

En plein maquis, la nuit est glacée et noire. Presque noire.

Le ciel est parsemé d'étoiles : « plus on monte en altitude, plus elles sont visibles », avait expliqué Jean-André en début de soirée. 

Le spectacle est grandiose. 

L'ambiance festive a laissé place à une sérénité absolue.

Un calme à 2000 mètres d'altitude, loin de la fureur de la ville. 

Sous la tante, seuls le chant des grillons et le bruissement des feuilles caressées par la brise bercent le randonneur. 

Parfum de cistes et d'immortelles, la fin de nuit va être belle. 

5H30 du matin. Le jour n'est pas encore levé. 

« Bien dormi ? », un café avalé, les premiers randonneurs, lampe frontale sur la tête, sont prêts à partir.

Benjamin, jeune toulousain, se régale d'une tartine de confiture de fraise.

« On a beaucoup d'efforts à fournir aujourd'hui ! »

Si la matinée est belle, la nuit le fut encore plus. 

Michel Rocard, qui a rejoint le ciel récemment, a écrit « j'irais dormir en corse... » dans un refuge de montagne, un peu plus près des étoiles.