Immersion circassienne

Pendant une journée, nous avons suivi la vie du cirque Medrano. Une plongée dans un univers méconnu qui intrigue toujours autant

10h - Réveil pas trop matinal

Si la ville de Corte s'est éveillée depuis plusieurs heures déjà, une partie de ses invités du moment est encore dans un rythme ralenti, alangui.

Et ce n’est pas la chaleur qui commence à se faire sentir sur le site de Chabrières qui va faire changer les choses. Tout doucement, les artistes, soigneurs, techniciens et petites mains du cirque Medrano prennent leurs marques pour la journée.

On passe discrètement une tête à la fenêtre de sa caravane, on lance des ''Bonjour !’’ encore un peu ensommeillés tandis que Nina, Lechmi et Camilla prennent leur petit-déjeuner. Sous le regard attentif de leur équipe.

Ces trois grâces de 39, 45 et 50 ans, ne sont pas n’importe qui dans le monde du cirque. Leur dresseur, Ahmed, travaille dans le milieu depuis 25 ans. Il a côtoyé des chameaux, des zèbres ou des cerfs.

Cette fois, c’est sur les pachydermes qu’il veille. À l’observer et à l’écouter, ces bêtes-là demandent beaucoup d’attention : ‘‘Elles nous reconnaissent et savent très bien nous faire comprendre ce dont elles ont envie. On passe beaucoup de temps avec les éléphants pour les soigner et leur apprendre les tours. Même s’ils sont assez dociles, chacun a son caractère et nous devons nous adapter en fonction de cela’’.

À quelques mètres de là, dans un immense enclos qui sert habituellement aux chevaux pour les manifestations de Cavall’in festa, les animaux goûtent tranquillement à leur ration matinale de foin tandis que l’équipe de trois personnes dirigée par Ahmed effectue d’incessants va-et-vient pour amener la nourriture nécessaire et nettoyer les lieux au fur et à mesure.

10h30
Les tigres feulent pour
leur petit-déjeuner

Un tigre au petit déjeuner (Photo N.W.)

De l'autre côté du camp, six grosses peluches observent attentivement les énormes morceaux de viande qui arrivent vers elles.

S’ils ont l’habitude de côtoyer les trois tigres blancs et les trois rouges, les yeux d’Oleg et de ses camarades sont partout.

Le moindre faux pas, la moindre hésitation, et c’est l’accident assuré. Et avec des bêtes qui peuvent faire 300kg, on a plutôt intérêt à se tenir sur ses gardes. 

''Je ne les approche que quand ils sont hors de leur cage et tranquilles, explique Oleg, dresseur moldave, qui travaille avec les fauves depuis quatre ans. Leur caractère change selon s'ils sont dans leur cage ou sur scène. C’est assez impressionnant.’’

Il faut dire que ces magnifiques bestioles avalent entre cinq et sept kilos de viande et cinq à sept poulets chacune. Tous les jours. Et à voir leurs mâchoires grandes ouvertes, on se dit qu’il vaut mieux ne pas laisser traîner ses mains.

‘‘De toute façon, quand ils mangent, les tigres sont plus agressifs. Ils croient qu’on veut leur voler leur nourriture’’

Les éléphantes de la discorde

Photo José Martinetti

Les cirques utilisent les animaux depuis des dizaines d'années. Pour autant, de plus en plus souvent, des associations de défense des animaux ou de simples quidams alertent sur les conditions de vie des bêtes et s’émeuvent de leur sort.


Des manifestations ont d’ailleurs eu lieu à plusieurs reprises sur l’île, et certaines villes ont choisi de ne plus accueillir de cirques présentant des animaux. Sur la tournée King Kong du cirque Medrano, elles sont trois, ont entre 39 et 50 ans selon leur soigneur.

Les éléphantes Lechmee, Kamala et Mina font l’objet d’une pétition sur Internet, sur le site change.org. Selon le descriptif de la pétition, Lechmee est aveugle, et devrait donc être placée dans un établissement fixe.

L’association '‘Code animal’’ souhaitait déposer plainte contre le cirque afin que Lechmee soit relâchée mais comme les éléphants vivent en bande, il aurait fallu que Kamala et Mina restent avec elle.

Le sort de ces éléphantes a ému, aussi, lors de leur passage à Ghisonaccia. Les bêtes ont entamé une parade en ville, qui a rapidement été interrompue par les gendarmes, à la demande de la mairie : ‘‘Et tout s’est passé dans le calme, assure le maire, Francis Giudici. Nous avons discuté avec le responsable du cirque qui nous a expliqué que dans la plupart des villes, il n’y avait pas besoin d’autorisation pour parader’’.

La parade, encadrée par des gens du cirque, s’est donc arrêtée rapidement, ‘‘sans faire de dégâts’’.

11h15
Ultime répétition féline

Eva et Jaroslav ont sept chats. (Photo José Martinetti)

Sous les coulisses du chapiteau, Eva et son mari Jaroslav font répéter leurs chats. 

Ils seront quatre aujourd'hui à prendre part au spectacle '‘mais nous en avons sept, de races différentes. La plupart, nous les avons depuis qu’ils sont chatons à part un, qui était à la tante de mon époux, et qui ne peut plus s’en occuper. Il n’avait jamais fait de tours et en trois semaines à peine, il a tout appris’’, raconte Eva alors que les félins, bien plus dociles que leurs cousins de Sibérie et du Bengale, exécutent quelques figures récompensées par une friandise.

Valerii, dans le cirque de père en fils

Photo José Martinetti
''Il paraît que pour vous, je porte un prénom de fille, c'est vrai ?’’

D’emblée, Valerii Tkach s’impose par son humour et son regard franc. À 31 ans, il connaît la vie du cirque par coeur : son père, ancien ouvrier en métallurgie, en dirigeait déjà un lorsqu’il a rencontré son épouse.

Ensemble, ils ont décidé de poursuivre dans cette voie et d’entraîner leur fils avec eux. 

‘‘Quand ils avaient un contrat, mes parents me faisaient la classe avec de vieux livres, comme ils pouvaient. Et finalement, je m’en sortais bien. Chaque fois que je retournais à l’école pour les examens, je me rendais compte que j’avais pris de l’avance sur mes camarades. Du coup, j’étais tranquille’’.

Le jongleur n’imagine pas sa vie ailleurs que sur les routes : ‘‘Depuis l’âge de 5 ans, j’ai parcouru 46 pays’’.

C’est en Italie qu’il a rencontré sa femme, elle aussi artiste de cirque. Leur petite fille, qui va bientôt fêter ses trois ans, a vraisemblablement attrapé le virus circassien. 

‘‘On veut lui donner l’enfance la plus normale possible. Alors, on essaie de rester ensemble au maximum et d’obtenir des contrats avec les mêmes cirques. Mais très sincèrement, je ne me verrais pas rester trop longtemps au même endroit, je n’en ai ni l’envie ni l’habitude’’.

Gros avantage cependant, notre Ukrainien est devenu polyglotte avec le temps : anglais, polonais, hongrois, russe… 

‘‘Et pour le reste, on arrive à se faire comprendre. C’est une famille, le cirque’’.

De cet aspect positif, Valerii ne démord pas. Vante l’esprit d’équipe.

Les gens ‘‘qui sont toujours là pour te filer un coup de main, qui font attention à ce que tu fais’’.

Il dit avoir appris son métier en observant les jongleurs et en allant à la rencontre de ceux qu’il admirait : ‘‘J’ai développé mes tours grâce à un jongleur dont j’aimais beaucoup le travail. Il m’a donné des conseils, explique deux ou trois choses et aujourd’hui, je suis capable d’aller beaucoup plus loin que ce que nous avions imaginé au départ. J’ai passé trois ans sur un seul tour’’.

L’autre grande influence, évidemment, a été son père, qui lui ‘‘donne des idées pour montrer des choses différentes au public. C’est cela notre but avant tout’’.

13h
Etape maquillage dans les loges

Photo José Martinetti

Les artistes commencent à arriver doucement. Dans l'immense camion-loge, on s’installe face à de grands miroirs.

On jette parfois un oeil au programme de la journée, affi ché en évidence. On tente de se concentrer. Pas toujours simple.

Tandis que les gestes de maquillage se font plus précis, le passage se fait presque incessant derrière les chaises, certains attendent patiemment de pouvoir utiliser la douche, les autres de pouvoir utiliser le siège qui leur convient le mieux.

On cherche la costumière, Mila, pour réparer un accroc, redonner un coup de neuf à un costume qui n'a pas eu le temps d’être reprisé la veille...

 Le silence règne dans ce camion ''mais ce n’est pas toujours comme ça. Là, il fait chaud, alors on a plus envie de se reposer que de se préparer’’, sourit une danseuse asiatique tout en ajustant son trait d’eye-liner.

Le gymnaste cubain devenu... artiste circassien

O Neil Reyes, le gymnaste cubain.

O'Neil Reyes n’a commencé son métier actuel d’équilibriste qu’il y a quatre ans.

L’ancien étudiant en économie et ancien gymnaste de haut niveau – il a fait partie de l’équipe nationale de Cuba – a voulu changer de vie : ''J’ai accompagné un ami à une représentation de cirque, et j’ai eu un véritable coup de foudre. Comme le cirque organisait des auditions et que j’avais un passé de gymnaste, je me suis inscrit et j’ai été retenu’’.

En un mois, sa vie change du tout au tout. Et l’équilibre, son mode d’expression favori, doit être envisagé comme celui d’un artiste, ‘‘ce qui n’a pas été évident au départ pour un sportif comme moi’’.

Premier contrat signé donc, et départ pour l’Espagne et Tenerife dans la foulée. Si le métier le passionne, il faut apprendre la vie en communauté, la fatigue qui accompagne un mode de vie itinérant.

‘‘C’est compliqué parfois. On ressent beaucoup de fatigue, de lassitude. Ce qui fait tenir, finalement, c’est d’entendre les gens applaudir. Cela donne énormément de force pour continuer’’.

Et pour créer de nouveaux numéros aussi. Ces tempsci, c’est sur la musique de Gladiator que le Cubain, âgé de 38 ans, fait ses preuves.

‘‘C’est mon film préféré, donc j’ai pensé assez naturellement à cette musique. Lorsque les premières notes résonnent, on oublie la fatigue et les contrariétés pour se concentrer sur le spectacle et faire plaisir au public’’.

Son énergie et son inspiration, O’Neil les trouve aussi dans ses voyages et ses vacances : ‘‘J’espère repartir à Cuba en février. Toute ma famille y vit, et cela me manque’’.

14h
Dernières vérifications

Dans les loges (Photo José Martinetti)

Les premiers spectateurs commencent à arriver. Ils se pressent devant les grilles roses et jaunes alors que les employés du cirque mettent au point les derniers détails.

On remplit les corbeilles de petits jouets-souvenirs, les sucettes et guimauves sont en évidence, la machine à pop-corn laisse échapper de délicieuses odeurs de caramel…

Une vraie ambiance de fête foraine qui, malgré son côté joyeux et décontracté, ne laisse rien au hasard. Ce jour-là, c'est Victor qui tient le stand. Du haut de ses 25 ans, le jeune Breton a déjà dix ans de métier derrière lui, '‘presque onze, même’’.

Dès l’enfance, un atelier des arts du cirque lui a donné la passion de ce milieu un peu particulier. Il en connaît les codes et sait occuper différents postes.

‘‘Lorsque j’étais adolescent, j’ai commencé à tourner pendant l’été et quelques week-ends avec un cirque familial traditionnel en Bretagne et après mon bac, j’ai définitivement opté pour cette voie.’’

Le jeune homme tourne donc avec deux équipes pendant trois ans, part au Royaume-Uni pendant six mois, apprend le montage du chapiteau, la publicité, la technique…

‘‘Et en parallèle, je continuais à proposer des numéros de jonglage, d’équilibriste et de diabolo. Aujourd’hui, je me suis spécialisé dans cette discipline’’.

14h25
Attention, ça commence

Photo N.W.

La conversation avec Victor cesse dès que les premiers clients arrivent.

Il faut laisser la place aux petits (et à bien des parents) qui ont les yeux rivés sur les friandises. À l'entrée du chapiteau, un bref coup d’oeil à la salle et les spectateurs s’installent pour la première représentation.

On se lève, on se rassied, on jauge le meilleur endroit pour apercevoir toute la piste, on patiente devant la machine à barbe à papa et à l’heure dite, la musique du Roi Lion fait cesser toutes les conversations.

Une dizaine de chanteurs et danseurs ont investi la piste vêtus de costumes d’inspiration africaine, on chante en anglais et en français avant d’annoncer le premier numéro.

Oleg et ses tigres entrent sur la piste sous le regard parfois perplexe des enfants, surpris de voir de tels animaux si près d’eux. Dans les gradins, on entendrait presque les mouches voler.

Le silence n’est interrompu que lorsque le dompteur fait signe au public qu’il peut applaudir. Après ce premier numéro, tout s’enchaîne.

Les danseurs assurent l’animation dans les travées pour que les techniciens réadaptent la piste, et la machine repart sans que le public ait eu la sensation d’attendre.

23h
Tout remballer...

Photo José Martinetti

Ce jour-là, il y aura eu trois représentations. Ce n'est que peu avant minuit que les monteurs commencent à démonter le chapiteau.

Comme pour le montage, trois heures sont nécessaires pour mener à bien cette opération délicate.

''Il faut vingt-deux personnes en tout : dix-huit monteurs et quatre électriciens, explique Radu, le responsable de l’unité Medrano. Cela demande beaucoup d’attention aux détails et une grande concentration car il en va de la sécurité de tout le monde: public, gens du cirque et animaux. Et comme on change de ville quasiment tous les jours, c’est très difficile’’.

Milieu de la nuit ... Pour repartir...

C'est le moment où la caravane se met en route. Lorsqu’elle est complète, elle atteint pas loin de trois kilomètres de long. De quoi créer de beaux embouteillages sur les routes de l’île plutôt étroites.

Les artistes ont leur propre caravane et suivent tranquillement tout cela. Il faudra réussir à trouver le sommeil en arrivant en Balagne alors que les premières lueurs du jour ne seront plus très loin de poindre…